Au CHUV, durant la période de semi-confinement liée à la pandémie Coronavirus Disease 2019, le Child Abuse and Neglect Team a observé une baisse des cas de maltraitance. Le confinement a-t-il permis aux familles d’avoir moins recours à la violence ou, au contraire, de la cacher ? Dans le cadre de cette seconde hypothèse, nous proposons que l’assouplissement des mesures soit une opportunité pour les professionnels d’explorer dans les familles la possible survenue de maltraitances intrafamiliales.
Le 11 mai 2020 marque la deuxième étape de l’assouplissement des dispositions exceptionnelles entrées en vigueur en mars de la même année. Pour rappel, la propagation rapide du Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) a amené le Conseil fédéral à fermer les écoles et à appliquer des règles de semi-confinement à l’ensemble de la population suisse.
Dans le canton de Vaud, 120 000 élèves1 sont donc restés à domicile. Les écoliers et étudiants se sont adaptés rapidement à des mesures nécessaires pour l’intérêt public de notre pays. Celles-ci ont changé leur routine tant d’un point de vue scolaire qu’éducatif, social et sanitaire.
La dynamique familiale a également été modifiée par la présence quasi permanente de tous les membres de la famille sous le même toit, mais aussi par le climat de peur, de deuil ou encore, dans certaines situations, par l’impact finan cier du Coronavirus Disease (COVID) sur les familles.
Bien que peu nombreuses, les études liées à des pandémies ou à d’autres événements humanitaires majeurs démontrent des répercussions psychologiques et psychosociales considérables, à court et moyen termes.
Dans leur brève revue de littérature, Brooks et coll.2 mettent en exergue des conséquences psychologiques et comportementales; les plus fréquentes seraient la détresse émotionnelle, des symptômes de stress post-traumatique, l’anxiété, la confusion et la colère; les personnes adopteraient également des comportements d’évitement (par exemple, des lieux publics, des rassemblements). Ces manifestations seraient apparentes durant la quarantaine, engendrées par divers facteurs de stress (par exemple, frustration, ennui, pertes financières, manque d’informations et stigmatisation de certaines catégories de la population), et dureraient parfois plusieurs mois après le confinement.
Les bouleversements amenés par le confinement seraient aussi susceptibles d’augmenter les risques de violences intrafamiliales. Selon The Alliance,3 l’imposition des mesures de quarantaine, la suspension de revenus réguliers, d’activités éducatives et sociales peuvent créer des tensions au sein du foyer. Une revue systématique de 33 études a relevé quatre prédicteurs de la violence interpersonnelle à domicile dans un contexte de crise ou d’urgence humanitaire.4 Ces indicateurs sont:
Une augmentation des violences conjugales a par ailleurs été observée, particulièrement celles commises envers les femmes, après des désastres naturels.5-7 Elle serait attribuable entre autres:
Chez les enfants, la fermeture des établissements scolaires et/ou l’arrêt des activités extrafamiliales occasionneraient un risque accru de maltraitances subies en période d’urgence ou de crise humanitaire.8,9 Selon Fischer, Elliott et Bertrand,3 les enfants qui ne peuvent pas aller à l’école ou jouer avec leurs amis se mettraient plus facilement en colère envers leurs parents qui souffrent eux-mêmes d’un stress important. Ainsi, pendant l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone, les enfants auraient reçu plus de coups pour avoir désobéi à leurs parents.3 L’analyse multicentrique de Berger et coll.10 montre, quant à elle, un risque d’augmentation des cas de syndrome du bébé secoué lors de récession économique. Les difficultés des parents sur les plans personnel, familial et social contribueraient à l’émergence de pratiques parentales coercitives par effet de débordement.11
On sait peu de choses sur les mécanismes liant les catastrophes sanitaires et la violence intrafamiliale. Les résultats des recherches ne mènent pas à des conclusions homogènes. Selon certains auteurs, il n’y a pas de certitude que les catastrophes naturelles augmentent la fréquence et la gravité des violences envers les enfants.12,13 Rubenstein et Stark9 suggèrent que cette causalité est influencée par la présence de facteurs de risque.
Les facteurs de risque généralement associés à la maltraitance infantile peuvent concerner l’enfant lui-même (par exemple, troubles internalisés ou externalisés, problèmes médicaux, faibles compétences sociales), ses parents (par exemple, psychopathologie, consommation d’alcool ou de drogues, attentes parentales inappropriées, antécédents de maltraitance dans l’enfance), la famille (par exemple, violence conjugale, séparation) ou être en relation avec des aspects socio-économiques (par exemple, monoparentalité, précarité financière et chômage, faible soutien social).14-16
Dans les contextes sanitaires extrêmes, certains facteurs de risque pourraient être exacerbés, comme la précarité économique, les consommations de substance ou encore l’isolement social. Rubenstein et Stark9 notent que les animations communautaires (activités parascolaires et sportives, rassemblements religieux) et les réseaux sociaux et familiaux seraient affaiblis, que les conséquences économiques compromettraient parfois même la possibilité de répondre aux besoins de base de la famille (alimentation, logement) et que les conditions de vie difficiles généreraient du stress et de l’anxiété chez les parents. De même, Clément, Gagné et Hélie17 suggèrent que le stress, l’anxiété, les difficultés de concilier le travail et les obligations familiales, la détérioration des conditions de vie et l’isolement des familles augmenteraient la probabilité de violences envers les enfants.
Durant les semaines de semi-confinement, le Child Abuse and Neglect Team (CAN Team) a constaté une baisse des annonces de cas de maltraitance suspectée et/ou avérée. La probabilité que la violence ait diminué en cette période où se sont cumulés de multiples facteurs de stress et de risque dans la plupart des familles est pourtant faible.
De ce fait, l’assouplissement des mesures et la reprise des consultations pourraient devenir une opportunité pour les professionnels d’explorer la dynamique familiale durant cette période. Nous partons du principe que les soignants ont un rôle important à jouer dans la détection de la maltraitance intrafamiliale.
Différents questionnaires standardisés18,19 existent et peuvent être employés comme outils pratiques; ils sont des guides d’entretien utiles au professionnel en contact avec des familles, des enfants ou des adolescents. Nous donnons ci-dessous quelques exemples de base de discussion et de questions:
Au-delà des questions toutes faites, c’est surtout l’intérêt que montre le soignant pour le quotidien du jeune en interaction avec sa famille et ses pairs, quel que soit son âge, qui permet d’identifier des réactions interpellantes, voire dysfonctionnelles. En pédiatrie, il est en outre important de tenir compte que les patients mineurs peuvent avoir peur de représailles de la part de leurs parents et/ou être pris dans des conflits de loyauté.
À l’heure où le masque est supposé protéger les plus vulnérables, il ne faudrait pas qu’il profite aux auteurs pour cacher leur violence. Il est donc primordial d’enrichir la connaissance du contexte de vie des enfants et adolescents suivis dans les lieux de soins. Cet intérêt pour leur quotidien pourrait renforcer la confiance mutuelle entre le patient, la famille et le soignant. Cette confiance est indispensable pour percevoir des signes de maltraitances autres que ceux visibles sur le corps.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Les auteurs remercient M. Alexandre Racine pour sa relecture attentive.
Tout professionnel de la santé devrait:
▪ Profiter de chaque consultation d’un enfant/adolescent pour effectuer un examen complet qui s’avère plus que jamais nécessaire
▪ Explorer les ressources et vulnérabilités du patient et de sa famille
▪ Garder en tête le diagnostic différentiel de négligence ou de maltraitance face à des symptômes ou à des signes cliniques peu clairs
Au CHUV, durant la période de semi-confinement liée à la pandémie Coronavirus Disease 2019, le Child Abuse and Neglect Team a observé une baisse des cas de maltraitance. Le confinement a-t-il permis aux familles d’avoir moins recours à la violence ou, au contraire, de la cacher ? Dans le cadre de cette seconde hypothèse, nous proposons que l’assouplissement des mesures soit une opportunité pour les professionnels d’explorer dans les familles la possible survenue de maltraitances intrafamiliales.
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