Poursuivons ici la chronique de « l’affaire de la chloroquine », cette polémique grossissante déclenchée et alimentée en France par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Marseille).1 Une polémique se nourrissant de l’absence de toute thérapeutique spécifique contre l’épidémie de Covid-19 – mais aussi du renom et de la personnalité provocatrice du promoteur d’une médication qui n’a pas fait les preuves scientifiquement contrôlées de son efficacité. Une polémique aux confins du pharmaceutique et de la déontologie, de l’éthique et du politique. Et, à ce titre un phénomène redoutablement passionnant.
Nous avons rapporté les premières publications préliminaires, chinoises et françaises, contestées. Puis, après un premier refus, la prise en compte de cette hydroxychloroquine (Plaquénil, Sanofi) dans l’essai clinique européen Discovery ;2 essai randomisé, ouvert, comportant cinq modalités de traitement. Puis un avis du Haut Conseil français de la santé publique3 émettant de nouvelles recommandations élaborées « en concertation avec de nombreuses sociétés savantes » aussitôt traduites en termes réglementaires par le gouvernement français et autorisant l’usage de la chloroquine dans des cas très encadrés et uniquement en présence de signes de gravité, après décision collégiale. Puis la décision du Pr Didier Raoult de ne pas respecter ces règles et de prescrire comme il l’entendait l’association hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour dix jours) + azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour cinq jours de plus) ; et ce « conformément au serment d’Hippocrate » dans « le respect des règles de l’art et les données les plus récemment acquises de la science médicale ».
Il devait ensuite développer son point de vue sur les rapports entre les médecins et les méthodologistes dans une dans une tribune publiée par Le Monde.4 « Je pense qu’il est temps que les médecins reprennent leur place avec les philosophes et avec les gens qui ont une inspiration humaniste et religieuse dans la réflexion morale, même si on veut l’appeler éthique, et qu’il faut nous débarrasser des mathématiciens, des météorologistes dans ce domaine, écrivait-il. On voit bien dans le cadre actuel de la lutte contre le coronavirus, les gens qui s’occupent de maladies infectieuses, dont le travail thérapeutique a consisté à faire des comparaisons d’essais thérapeutiques chez des patients infectés par le virus du sida avec des molécules nouvelles. Ils ne sont pas en phase avec les moments de découvertes, où la mise au point rapide de stratégies thérapeutiques évolutives est nécessaire. »
Il n’y aurait rien de pire pour nos concitoyens que le sentiment d’un espoir
Suivit une prise de position du Conseil national français de l’Ordre des médecins.5 « Depuis plusieurs jours se développe une polémique entre chercheurs et soignants de différentes équipes à l’origine d’informations contradictoires, causant un trouble tant chez les professionnels que chez les citoyens de notre pays » soulignait l’institution ordinale. Les jours qui viennent permettront d’avoir des réponses scientifiquement validées et il appartiendra ensuite au Gouvernement d’agir rapidement en matière d’accessibilité, d’autorisation, de limitation ou d’interdiction d’utilisation. Les médecins doivent aujourd’hui agir en professionnels responsables qu’ils sont, et attendre la confirmation ou l’infirmation de l’utilité de la prescription de ce traitement. Il n’y aurait en effet rien de pire pour nos concitoyens que le sentiment d’un espoir. »
L’Ordre rappelait aussi que les Académies françaises de médecine et de pharmacie venaient de rappeler la communauté médicale et scientifique à leurs responsabilités.6 Le 28 mars, Olivier Véran, ministre français des Solidarités et de la santé, était à nouveau publiquement interrogé sur la question des essais médicamenteux contre le Covid-19.
« Sans attendre, la France et ses pays voisins européens ont initié un certain nombre d’études cliniques, de protocoles de recherche pratiques sur malades dans les hôpitaux pour tester plusieurs molécules thérapeutiques porteuses d’espoir, notamment l’hydroxychloroquine, mais également des molécules antivirales qui sont connues pour être efficaces dans d’autres types de maladies infectieuses, expliquait-il alors. Aucune n’a fait preuve de son efficacité en France et dans le monde ; je le déplore mais c’est là, hélas, un fait. La recherche bat son plein, tous les laboratoires sont concentrés sur un traitement contre le coronavirus, notamment l’hydroxychloroquine mais également d’autres antiviraux. Treize projets d’essais cliniques sont en cours, une dizaine obtiendront un agrément très rapide pour ne pas manquer d’identifier en France et ailleurs un traitement efficace pour les patients. »
Puis, le 30 mars, on apprenait que la Food and Drug Administration (FDA) américaine venait d’autoriser le recours à la chloroquine et à l’hydroxychloroquine pour les personnes atteintes du Covid-19 – et ce uniquement en milieu hospitalier. La décision faisait suite aux sorties du président Donald Trump sur le sujet . Le 24 mars le chef d’Etat américain avait publiquement les mérites de ces spécialités pharmaceutiques. « Il y a de bonnes chances que cela puisse avoir un énorme impact. Ce serait un don du ciel si ça marchait », avait-il déclaré.
Dans un communiqué, le département américain de la Santé précisait que la FDA donnait son feu vert pour que ces traitements soient « distribués et prescrits par des médecins aux patients adolescents et adultes hospitalisés atteints du Covid-19, de manière adaptée, quand un essai clinique n’est pas disponible ou faisable ».
Et le même jour, une alerte officielle faisait état d’une trentaine de cas d’intoxications observée chez des personnes craignant d’être infectées par le nouveau coronavirus et ayant pris, en automédication, de l’hydroxychloroquine (Plaquénil). Des cas qui ont « parfois nécessité une hospitalisation en réanimation ». Trois suspicions de décès liés à ces automédications étaient à l’étude.
Pour sa part l’Agence française de sécurité du médicament précisait qu’elle avait enregistré en quelques jours un quasi-doublement des ventes dans les pharmacies d’officine où cette spécialité pharmaceutique est disponible, sur prescription médicale obligatoire uniquement, dans des indications comme le lupus, de polyarthrite rhumatoïde ou encore, à titre préventif, pour les allergies au soleil (lucite).
C’est alors que la revue mensuelle Prescrire, indépendante de l’industrie pharmaceutique, publia son analyse des données disponibles sur ce sujet.7 « Les résultats d’un essai randomisé publiés en Chine début mars 2020, chez 30 patients atteints de covid-19, n’ont pas montré d’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine, résumait-elle. Dans cet essai randomisé chinois et dans une étude marseillaise médiatisée mi-mars 2020 (avec des résultats complémentaires rendus publics le 27 mars 2020), l’état de santé de plusieurs patients s’est aggravé, tous parmi les patients exposés à l’hydroxychloroquine. Cette donnée peut être interprétée comme un signal de risque d’aggravation du covid-19 par l’hydroxychloroquine, utilisée par ailleurs comme immunodépresseur faible dans certaines affections auto-immunes. Avant d’exposer les patients en routine, la conduite d’autres essais comparatifs randomisés, de plus grande ampleur, est justifiée pour explorer cette hypothèse, tel l’essai en cours au niveau européen (essai dit Discovery). »
(À suivre)
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