Poursuivons notre chronique de « l’affaire de la chloroquine »,1,2 une polémique désormais multiforme et internationale après avoir été, en France, déclenchée et alimentée par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Marseille).
L’affaire a soudain, ces derniers jours, pris une nouvelle dimension, médicale et médiatique, en France. Une tournure que bien des observateurs indépendants tiennent pour inquiétante. Il y eut ainsi, lancé par l’ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy (qui fut candidat au poste de directeur général de l’OMS), un appel3 de personnalités médicales demandant aux autorités sanitaires nationales d’assouplir d’urgence les possibilités de prescription d’hydroxychloroquine contre le Covid-19. Un appel réunissant des personnalités de divers horizons que rien, jusqu’ici, ne réunissait. Cette initiative fut aussitôt relayée par une petition baptisée #NePerdonsPlusDeTemps et qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, a recueilli plus de cinq cent mille signatures.
« Nous vivons une crise sanitaire mondiale d’une grande ampleur et notre pays est fortement frappé par la vague épidémique de Covid-19, écrivent les signataires de l’appel. Chaque jour, nous déplorons de nombreux décès. Contre cette maladie, nous ne disposons ni de vaccins, ni de traitement antiviral, même si les données scientifiques actuelles sont parcellaires et discordantes. » Ils ajoutent que « des données chinoises récentes ont suggéré l’efficacité de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine au laboratoire et chez les malades », et que « des cartes publiées par Santé Publique France montrent un taux de mortalité chez les personnes hospitalisées beaucoup plus faible à Marseille que dans le reste du territoire ».
Citant des « décisions thérapeutiques hardies » prises sur ce thème par les autorités italiennes et américaines, et dans l’attente « de nouvelles données scientifiquement contrôlées », ils soulignent que, « dans la situation aigüe que nous connaissons, de plus en plus de médecins pensent que cette stratégie s’impose, conforme à leur serment d’Hippocrate, de traiter leurs malades en leur âme et conscience ». Les signataires ajoutent encore que le gouvernement français avait, le 26 mars, pris un décret qui ne permet l’utilisation de l’hydroxychloroquine (Plaquenil de Sanofi) qu’« après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut-Conseil de la Santé Publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ». Selon eux, à ce stade trop tardif de la maladie, ce traitement risque d’être inefficace.
« Nous demandons donc au Premier ministre et à son ministre de la Santé de modifier d’urgence ce décret et de mettre à disposition immédiate, dans toutes les pharmacies hospitalières, de l’hydroxychloroquine ou, à défaut, de la chloroquine, pour que chaque médecin hospitalier puisse en prescrire à tous les malades atteints de formes symptomatiques de l’affection à Covid-19, particulièrement à ceux atteints de troubles pulmonaires si leur état le requiert, concluaient-ils. Nous appelons l’Etat à effectuer des réserves ou des commandes d’hydroxychloroquine afin que, si l’efficacité se confirmait dans les prochains jours, nous ne soyons pas en manque de traitement. »
Puis la pression sur le gouvernement s’intensifia encore. Dans une tribune publiée par Le Figaro,4 trois anciens importants responsables sanitaires prirent fait et cause pour le Pr Didier Raoult et ses préconisations thérapeutiques : Fabien Calvo, ancien directeur scientifique de l’Institut national français du cancer et professeur émérite de pharmacologie à l’université de Paris-Diderot ; Jean-Luc Harousseau, ancien président de la Haute autorité française de santé et ancien professeur d’hématologie à l’université de Nantes ; et Dominique Maraninchi, ancien directeur général de l’Agence nationale française de sécurité du médicament et des produits de santé et professeur émérite de cancérologie à Aix-Marseille Université. « La communauté scientifique française et internationale s’est émue que la conception des essais du Pr Raoult ne corresponde pas aux critères classiques de la médecine moderne basée sur les preuves, puisque cette étude n’était pas strictement comparative, écrivaient-ils. Cependant, devant ces premiers résultats “encourageants”, et en l’absence de toute autre possibilité dans une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle, les autorités françaises ont autorisé l’utilisation de ce traitement chez les malades hospitalisés, donc essentiellement dans les formes graves. La Food and Drug Administration américaine vient de suivre cet exemple pour les patients hospitalisés qui ne participent pas à un essai clinique. »
La stratégie serait plutôt « de proposer un traitement précoce avant la survenue de complications respiratoires sévères »
Les trois auteurs ajoutaient que, sur la base des « dernières observations marseillaises », la stratégie serait plutôt « de proposer un traitement précoce avant la survenue de complications respiratoires sévères ». Et ce d’autant que « les cohortes marseillaises rapportées ne montrent pas, à l’évidence, de survenue d’effets secondaires majeurs liés au traitement, lorsque les règles de prescription et contre-indications sont respectées, après un électrocardiogramme (ECG) et dosage du potassium, ce qui faisait partie des réserves de beaucoup de cliniciens ». Et les auteurs de réclamer « la mise en place de structures de soins associant les personnels hospitaliers et la médecine de ville pour effectuer le diagnostic, la prescription et la surveillance d’hydroxychloroquine et d’azithromycine chez tous les malades positifs non inclus dans un essai clinique ».
« Cette prescription pourrait être réalisée, en l’absence de contre-indication et avec l’accord du patient, dès le diagnostic confirmé, pendant une durée limitée, et accompagnée de la collecte de données simplifiées, précisaient-ils encore. De simples modifications des conditions de prescription et de délivrance peuvent rapidement le permettre. Lors de l’arrivée annoncée de tests en plus grand nombre, la surveillance virologique des patients pourra être mieux documentée pendant et à l’arrêt du traitement. »
Et les auteurs d’estimer que les patients français, « légitimement, ne tolèrent pas que le diagnostic sur leur état de santé soit simplement présumé et qu’il leur soit alors seulement recommandé de rester chez eux avec la crainte de complications, alors même qu’une option thérapeutique simple, sous surveillance médicale, peu onéreuse et possiblement efficace pourrait leur être proposée ». « L’accès à l’hydroxychloroquine limité aux seuls malades hospitalisés marque aussi une inégalité dans l’accès aux soins, concluaient-ils. Le choix de la précaution est aussi un pari politique. »
Quelques jours auparavant, le Pr Didier Raoult avait accordé un long entretien au Figaro Magazine.5 « Je ne suis pas d’accord quand on interdit aux médecins d’utiliser des médicaments qui sont en circulation depuis des décennies, expliquait-il. Je ne suis pas d’accord avec l’interférence de l’État dans la relation entre le médecin et le malade. C’est la responsabilité individuelle des médecins. C’est le serment d’Hippocrate. Ce n’est pas du charlatanisme. Il faut donc que l’exécutif se garde de faire de la médecine à notre place. »
Et d’ajouter, à l’adresse de ses détracteurs : « Quand il y a faute médicale, quand le médecin n’a pas agi conformément à l’état du savoir, il est puni. Moi, si quelqu’un m’attaque parce que j’ai donné de l’hydroxychloroquine, mon dossier devant l’Ordre des médecins sera en béton armé. Ce n’est pas de la sorcellerie. Je sais qu’on a beaucoup jasé sur le pouvoir médical. Mais à la fin, la médecine, c’est un rapport entre un médecin et un malade. »
(A suivre)
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