Nous avons déjà rapporté, il y a peu dans ces colonnes,1 les premiers éléments d’une polémique grossissante, en France : « l’affaire de la chloroquine » déclenchée et alimentée par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Marseille). Un phénomène sans précédent. Il y eut, pour commencer une vidéo provocatrice et hautement médiatisée de ce spécialiste, expert internationalement reconnu dans le champ de la lutte contre les maladies infectieuses. Il y faisait état d’une « excellente nouvelle » sur le front de la lutte contre le coronavirus SARS-CoV-2 : la chloroquine, un antipaludéen ancien et peu onéreux, aurait apporté des « améliorations spectaculaires » chez des patients infectés. Le Covid-19 « est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter », avançait-il alors.
La suite ne devait guère tarder. Le 17 février, Olivier Véran, ministre français de la Santé expliquait lors d’une conférence de presse téléphonique « être en contact au moins trois fois par semaine au téléphone avec Didier Raoult ». « Je lui ai demandé de mettre en place un protocole express pour mener son essai clinique. Il a eu l’autorisation en “fast track” en 24 heures, c’est du jamais vu. Nous sommes prêts à conforter les résultats intéressants qu’il semble avoir obtenus » expliquait-il. Mais il ajoutait aussi qu’il était désormais essentiel d’avoir des processus validés de façon totalement indépendante : « Il est absolument fondamental d’asseoir toute décision de politique publique en santé sur des données scientifiques validées, et les processus de validation, on ne peut pas négocier avec ».
On apprenait alors que l’étude du Pr Raoult, menée sur vingt-quatre patients atteints du coronavirus aurait permis, six jours après le début de la prise d’hydroxychloroquine (Plaquenil, Sanofi Aventis), une disparition virale chez dix-huit des personnes traitées. Une étude dont la méthodologie, les conclusions et les extrapolations furent bien vite et vivement critiquées dans le milieu spécialisé. « « J’ai pris connaissance des résultats et j’ai donné l’autorisation pour qu’un essai plus vaste par d’autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients » annonçait toutefois le ministre de la Santé.
Ces précautions ministérielles faisaient suite aux propos tenus peu auparavant par Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement français. Elle évoquait des résultats « prometteurs », précisant que les futurs essais cliniques « seront réalisés avec une équipe indépendante du professeur Raoult » tout en soulignant qu’à ce stade il n’existait « pas de preuve scientifique » de l’efficacité de ce médicament dans cette indication thérapeutique.
Et c’est dans ce contexte que la multinationale pharmaceutique française Sanofi annonçait le même jour être prête à offrir aux autorités françaises « plusieurs millions de doses » du Plaquenil, par ailleurs prescrit dans le traitement au long cours de certaines maladies auto-immunes de type lupus érythémateux disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde.
On apprit encore que, contrairement à ce qui avait été initialement annoncé l’hydroxychloroquine serait bel et bien intégrée à l’essai clinique européen Discovery2 comportant cinq modalités de traitement : soins standards, soins standards plus remdesivir, soins standards plus lopinavir et ritonavir, soins standards plus lopinavir, ritonavir et interféron bêta, soins standards plus hydroxychloroquine. L’attribution des modalités de traitement se ferait de façon randomisée, c’est-à-dire aléatoire, mais patients et médecins sauront quel traitement est utilisé (essai ouvert). L’analyse de l’efficacité et de la sécurité du traitement serait, en urgence, évaluée 15 jours après l’inclusion de chaque patient.
La conduite à tenir est fonction de la « présentation clinique » des patients atteints de Covid-19
Vint ensuite un avis du Haut Conseil français de la santé publique (HCSP)3 émettant de nouvelles recommandations élaborées « en concertation avec de nombreuses sociétés savantes de façon à dégager le plus large consensus possible ». Des recommandations aussitôt traduites en termes réglementaires par le gouvernement. En pratique, la conduite à tenir est fonction de la « présentation clinique » des patients atteints de Covid-19. Aucun traitement spécifique n’était recommandé pour les cas de Covid-19 qui ne présentent que très peu de symptômes (patients paucisymptomatiques) ou présentant une « infection respiratoire basse non compliquée ». Un suivi médical doit toutefois être mis en œuvre dans ces situations – et ce en sachant qu’«il n’existe actuellement pas de données permettant d’envisager l’utilisation hors protocole de l’hydroxychloroquine en prophylaxie du Covid-19 ».
« Dès lors que l’infection nécessite un recours à l’oxygénothérapie (y compris à bas débit) l’hospitalisation est nécessaire, soulignait le HCSP. En présence de signes de gravité, un traitement peut être envisagé : utilisation dans ce contexte d’une molécule à effet antiviral attendu (association fixe lopinavir ritonavir, voire le remdesivir dans les cas les plus sévères) ou, à défaut, de l’hydroxychloroquine. »
Quelques jours plus tard, l’Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM) annonçait avoir été « alertée de difficultés d’accès dans les pharmacies en ville aux traitements par Plaquenil – difficultés d’accès pour les malades chroniques à qui ces médicaments sont destinés (lupus et polyarthrite rhumatoïde notamment) ». Et l’ANSM de demander aux pharmaciens d’officine de ne délivrer ce médicament que sur prescription médicale dans leurs indications habituelles, ceci afin de sécuriser leur accès aux patients qui en bénéficient pour leur traitement chronique. Le Plaquenil n’est pas, en France, autorisé dans la prise en charge du Covid-19 en médecine de ville et ce alors que ce médicament fait actuellement l’objet d’une demande massive. Il s’agissait bien de « protéger » les patients qui en ont besoin et d’ « éviter les risques de rupture » de leur traitement à cause d’ordonnances « sans aucune justification ».
Dans le même temps, refusant d’attendre les conclusions de l’essai Discovery, le Pr Didier Raoult prenait une décision spectaculaire. Depuis le 23 mars, il prescrit son traitement en s’affranchissant de toutes les règles pharmaceutiques en vigueur. Et ce au nom de l’urgence et de la morale médicale. «Conformément au serment d’Hippocrate que nous avons prêté, nous obéissons à notre devoir de médecin. Nous faisons bénéficier à nos patients de la meilleure prise en charge pour le diagnostic et le traitement d’une maladie. Nous respectons les règles de l’art et les données les plus récemment acquises de la science médicale » expliquait-il publiquement.
Et il annonçait avoir décidé, pour tous les malades fébriles venant le consulter, de pratiquer les tests pour le diagnostic d’infection à Covid-19. Et pour tous ceux infectés, dont un grand nombre peu symptomatiques ont des lésions pulmonaires au scanner, de proposer au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic un traitement spécifique. Il s’agit d’un traitement par l’association hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour dix jours) + azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour cinq jours de plus). Et ce dans le cadre des précautions d’usage de cette association (avec notamment un électrocardiogramme à J0 et J2), mais hors AMM.
« Nous pensons qu’il n’est pas moral que cette association ne soit pas inclue systématiquement dans les essais thérapeutiques concernant le traitement de l’infection à Covid-19 en France » ajoutait-il, rencontrant aussitôt un très large écho comme en témoignait le nombre des personnes se précipitant dès le 23 mars à l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée de Marseille. Dans le même temps des pétitions de soutien étaient lancées tandis que l’affaire prenait de nouvelles dimensions, politiques.
(À suivre)
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