Poursuivons notre chronique de « l’affaire de la chloroquine »,1 une polémique chaque jour un peu plus multiforme et internationale – affaire déclenchée et désormais régulièrement alimentée par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Marseille). Une affaire marquée par la spectaculaire rétractation d’une publication du Lancet,2 décision qui a brutalement relancé la polémique sans pour autant éclairer sur les questions d’efficacité et d’innocuité de l’hydroxychloroquine plus ou moins associée à l’azithromycine dans la prise en charge des malades du Covid-19. Peu avant la publication du Lancet, le Pr Frédéric Adnet, chef des urgences de l’hôpital Avicenne, avait publié dans Libération une charge intitulée « Hydroxychloroquine : « le Christ s’est arrêté à Marseille ». Charge dans laquelle il confiait . sa découverte, via une vidéo YouTube, des exploits du Pr Didier Raoult. « Dans un cours improvisé, celui-ci expliquait, doctement, les éléments d’un traitement miraculeux du Covid-19 : l’hydroxychloroquine. Devant nos yeux ébahis, nous assistions, dès l’administration de ces molécules, à l’effondrement des courbes de charges virales ! Étudiée de plus près, d’un point de vue rationnel et au regard de la rigueur scientifique, la démonstration était… catastrophique. De quoi jeter sa copie au nez d’un interne négligent. Peu importe ! Le ton était donné. D’un côté, l’intuition du professeur, étayé par une communication professionnelle et un sens aigu de la vulgarisation ; de l’autre, des scientifiques, à l’expression austère, prudente, et peu enclins à se faire mettre en pièces par les réseaux sociaux. En un mot, un discours de gourou face au murmure de rats de laboratoires. »
Il ajoutait : « Plus fort que l’absence de méthode scientifique, il y a la méthode de persuasion, toujours la même, l’appel à des bribes d’observations plus ou moins crédibles qu’un rapide raccourci transforme en un lien de causalité pour aboutir à une conclusion logique, mais fausse, et surtout jamais soumise à une expérimentation comparative. On pourrait appeler cela un sophisme rigoureusement scientifique. (…) La grande victime de cette spectaculaire et brutale confrontation est donc bien au final la médecine conclut l’urgentiste. Pas celle de la croyance, grande gagnante de ce spectacle, mais bien l’autre médecine, la nôtre, celle fondée sur les preuves. »
Puis, donc, le 4 juin, coup de théâtre avec l’annonce par The Lancet de la rétractation de l’étude publiée le 22 mai dans ses propres colonnes ; publication qui avait aussitôt été suivie en France d’une abrogation de la dérogation qui permettait l’utilisation de cette molécule contre le nouveau coronavirus SARS-CoV-2, ainsi que la suspension d’essais cliniques destinés à tester son efficacité. On entendit, peu après le Dr Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, tenté de s’expliquer sur l’affaire, dans Libération 3 où il faisait la promotion de son dernier ouvrage.4
« L’évaluation par les pairs est un très mauvais détecteur de fraudes, confiait-il alors. Elle ne teste pas la véracité d’une étude. Le seul moyen de tester la véracité de ce qui est écrit dans un article serait de recommencer toutes les expériences. L’évaluation par les pairs consiste à tester l’acceptabilité d’un papier. Cet article apparaissait plausible. Les pairs auraient dû vérifier s’il y avait des données fiables, mais avant eux, les auteurs aussi auraient dû étudier les données ! Trois d’entre eux ne l’ont manifestement pas fait. Le quatrième, Sapan Desai, également PDG de Surgisphere, le collecteur de données, a refusé de partager ces données avec une société d’audit indépendante et a disparu des radars. Le papier a été retiré et c’est une bonne chose. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, il faut une enquête complète sur comment l’étude a été conduite. »
On peut le dire autrement : The Lancet n’est aucunement responsable – encore moins coupable. Il est tout simplement victime du système sur lequel il a bâti sa gloire et son pouvoir – système qui ne détecte pas pleinement les fraudes. Ecoutons encore le Dr Horton. « Cet épisode représente un échec complet pour la science. C’est une leçon qui se présente à chaque retrait d’un article, confie-t-il. Des auteurs accolent leur nom à une étude parce qu’ils veulent être associés à une grande découverte. Mais le revers de la pièce qui vous apporte la notoriété est la responsabilité. Vous ne pouvez pas clamer la responsabilité d’une découverte à moins d’être absolument certain que ce que vous clamez est vrai. Or, dans ce cas précis, ce qui est vrai, c’est que trois des quatre auteurs n’avaient aucune idée de ce sur quoi ils apposaient leur nom et c’est, en soi, extraordinaire. »
The Lancet accepte, en somme, de publier des données qu’il ne peut vérifier… Libération lui fait observer qu’au cours des dix dernières années, le nombre de retraits d’articles scientifiques, limité par rapport aux articles maintenus, a augmenté. Y a-t-il plus de cas de fraude ou plus de vérifications sérieuses ? Réponse, « extraordinaire », du rédacteur en chef : « La réponse honnête est qu’on ne sait pas. J’aurais tendance à dire que les gens sont aujourd’hui plus conscients du risque de fraude dans la science et qu’il y a une pression pour plus de transparence quand il y a des occurrences de fabrication ou de falsification. Il y a vingt ans, face à ce type de situation, on aurait eu tendance à enterrer l’histoire. Ce n’est plus acceptable. »
Quelques jours plus tard, à Bâle le géant pharmaceutique Novartis annonçait qu’il mettait fin à l’essai clinique avec l’hydroxychloroquine.5 Le 20 avril, ce géant avait annoncé avoir conclu un accord avec la Food and Drug administration américaine, pour procéder à des essais cliniques de phase III de l’hydroxychloroquine sur des malades souffrant de Covid-19 hospitalisés. Ces essais visaient à évaluer l’utilisation de ce traitement auprès d’environ 440 malades sur une dizaine de sites aux États-Unis. Effet ou pas des convictions de Donald Trump la FDA avait donné le 28 mars son feu vert pour que la chloroquine et l’hydroxychloroquine puissent être prescrits, uniquement à l’hôpital, à des patients souffrant du Covid-19.
Pour sa part Novartis expliquait avoir pris «la décision d’arrêter et de mettre fin à l’essai clinique avec l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 – et ce en raison de graves difficultés de recrutement de participants, rendant «impossible» la finalisation de l’étude. Le groupe précise qu’au cours de l’étude, «aucun problème de sécurité n’a été signalé», et qu’elle n’a pas permis «de tirer des conclusions sur l’efficacité» de l’hydroxychloroquine contre l’infection par le SARS-CoV-2.
Cinq jours plus tard, le Pr Raoult donnait un entretien au quotidien Le Parisien après avoir fait visiter son temple marseillais au fronton duquel on a gravé cette citation d’Horace: « exegi monumentum aere perennius », « j’ai construit un monument plus durable que l’airain ». « Dans ce pays, on adore décapiter les gens, déclarait-il. J’ai traité plus de 3700 patients avec le médicament hydroxychloroquine ; 0,5 % de mortalité, pas de toxicité cardiaque. On a voulu le diaboliser. » La France en a banni l’usage le 28 mai contre le Covid-19, mais lui seul a obtenu, à Marseille, de la Direction générale de la santé, « le droit de l’utiliser ».
(À suivre)
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