Pour faire face à la pandémie de Covid-19, plusieurs mesures restrictives ont été mises en place, qui engendrent des perturbations importantes des habitudes de vie. Nous avons effectué une revue de la littérature pour étudier l’impact de ces changements sur le poids des populations. On observe des changements des habitudes alimentaires (augmentation du nombre de collations et de la consommation de produits sucrés), une baisse de l’activité physique et un accroissement du stress qui peut exacerber de troubles du comportement alimentaire. Des efforts accrus doivent être fournis pour soutenir les patients pendant cette période difficile, y compris des mesures de santé publique pour contrecarrer ces comportements afin de prévenir les complications de santé.
Pour faire face à la pandémie de Covid-19, la Suisse, comme de nombreux pays dans le monde, a imposé plusieurs mesures restrictives comme le confinement domiciliaire pour limiter la propagation du virus.1 Ces mesures engendrent des perturbations importantes des habitudes de vie avec des répercussions sur la santé. En particulier, on observe une augmentation des comportements favorisant une prise pondérale, phénomène que certains auteurs ont appelé « covibésité ».2
C’est un processus qu’il est important d’étudier, surtout dans le contexte actuel, car en plus des complications bien connues de l’obésité sur la santé, elle est un facteur de risque important pour des formes plus sévères de Covid-19.3 Le présent article de synthèse a pour objectif de présenter les changements des habitudes de vie observés suite à la mise en place des mesures anti-Covid et leur impact sur le poids corporel ainsi que l’état psychique de la personne.
L’étude ECLB-COVID19 (Effects of home Confinement on multiple Lifestyle Behaviours during the COVID-19 outbreak) a évalué l’évolution de multiples comportements de vie avant et pendant la pandémie en utilisant une série de questionnaires traduits en 7 langues, et partagés sur une plateforme d’enquête en ligne. 1047 personnes y ont répondu, originaires d’Afrique (40 %), Asie (36 %), Europe (21 %) et autres (3 %).4
Sur le plan alimentaire, les résultats montrent que le confinement a eu un impact négatif sur les participants, avec une consommation accrue d’aliments malsains, de repas non contrôlés, davantage de grignotages entre les repas et un nombre globalement plus élevé de repas principaux (p < 0,001).4
Dans une étude similaire menée par Flanagan et coll., les changements de mode de vie suite au confinement ont aussi été évalués via un questionnaire en ligne auquel 7753 participants ont répondu, majoritairement (95,2 %) issus de 4 pays : États-Unis (n = 4890), Royaume-Uni (n = 1839), Australie (n = 497) et Canada (n = 154).5
Contrairement à l’étude précédente, de manière globale, les changements alimentaires évalués selon le score REAP (Rapid Eating and Activity Assessment for Patients)6 montrent une augmentation des comportements sains. En particulier, on note une hausse de la consommation de repas faits maison, une diminution de la fréquence du saut de petit-déjeuner, une consommation plus importante de fruits et une baisse de la consommation de produits frits et de fast-foods.5 Certains comportements négatifs ont été répertoriés, comme une augmentation de la consommation de produits sucrés et du nombre de collations.5
En ce qui concerne la variation du poids corporel, 27,3 % de personnes interrogées ont rapporté une prise du poids, et ceci de manière significativement plus importante dans la population avec obésité préexistante (33,4 %) comparée aux personnes en surpoids (20,5 %) ou de poids normal (24,7 %).5 Cependant, les personnes qui ont grossi ont rapporté peu de changements de leurs habitudes alimentaires. La prise de poids a davantage été associée à une baisse de l’activité physique (AP), ce qui sera discuté dans le paragraphe correspondant.
Dans une autre revue, Zupo et coll. ont synthétisé les données de 12 études qui évaluaient les habitudes alimentaires des populations pendant la pandémie dans 8 pays en Europe (Pologne, Italie et Espagne), en Asie (Inde et Chine) et en Amérique latine (Chili, Colombie et Brésil).7
Comme dans l’étude précédente, on a également observé une augmentation des repas confectionnés à domicile et une forte hausse de la consommation quotidienne de produits sucrés (pouvant aller jusqu’à 70 % dans certains cas), notamment ceux qui ont un indice glycémique élevé (par exemple : pain, gâteaux, pâtisseries faits maison).7 On note également une consommation plus importante de fruits et de légumes et de sources de protéines, notamment les légumineuses.7 En revanche, on constate une diminution de la consommation de poisson et de fruits de mer.7
Comme dans les autres études décrites, les auteurs ont observé une hausse du nombre de collations.7 En ce qui concerne la consommation de Junk Food, les données ne sont pas constantes selon les études, et son augmentation a été observée surtout dans les populations plus jeunes.7
Un fait intéressant concerne la consommation d’alcool qui, hormis dans deux études en Pologne, a significativement baissé, jusqu’à 57,3 % dans certains pays.7 Ces changements alimentaires ont été accompagnés, dans une proportion importante de cas, d’une prise pondérale. Effectivement, 7 des 12 études qui ont également évalué les changements de poids corporel au sein des populations interrogées ont montré une prise de poids allant de 12 à 48,6 % des cas.7
Dans l’étude ECLB-COVID19, on a évalué le temps total consacré à l’AP par semaine et selon différents niveaux d’intensité (c’est-à-dire, intensité vigoureuse, intensité modérée et marche).4
On observe que le confinement a eu un effet négatif sur la pratique de l’AP de manière globale, avec une réduction de 24 % du nombre de jours par semaine de l’ensemble de l’AP.4 Cette diminution a été de 22,7 % pour l’AP vigoureuse, de 24 % pour l’AP modérée et de 35 % pour la marche.4 Plus inquiétante encore est l’augmentation du temps passé en position assise. Effectivement, le nombre de personnes qui sont restées assises plus de 8 heures par jour est passé de 16 à 40 %.4
Dans l’étude de Flanagan et coll., les auteurs ont également observé une diminution globale de l’AP. Concrètement, les niveaux moyens d’AP sont passés de 348 min/semaine avant la pandémie à 329 min/semaine pendant. Inversement, on note une augmentation des activités sédentaires, qui sont passées de 169 à 190 min/jour.5
Dans la revue menée par Zupo et coll., 8 des 12 études ont évalué la pratique d’AP. Hormis dans un cas, on relève une baisse de la pratique de l’AP dans toutes les études, variant de 42 à 79,3 %.7 Dans une seule étude, il n’y avait pas de différence significative entre le pourcentage de personnes physiquement actives avant (37,7 %) ou pendant le confinement (37,4 %).
Il est bien connu que le stress et l’anxiété peuvent exacerber les troubles du comportement alimentaire (TCA) tels que l’anorexie mentale (AM), l’hyperphagie boulimique (HB) et la boulimie nerveuse (BN).8 Et, justement, on observe une augmentation de la prévalence du stress et de l’anxiété depuis le début de la pandémie, qui est liée à plusieurs facteurs, par exemple, la peur de l’infection pour soi ou la famille, le confinement et l’isolement social, des difficultés socio-économiques liées à la perte d’emploi, etc.9
Dans une étude menée en Espagne après les 2 premières semaines de la mise en place du confinement, 32 patients souffrant de TCA (AM : 13 ; BN : 10 ; HB : 4 ; autres : 5) ont participé à une enquête téléphonique.10 La plupart (56,2 %) ont déclaré des symptômes d’anxiété liés à des inquiétudes face aux incertitudes accrues dans leur vie, telles que le risque d’infection pour eux-mêmes ou leurs proches, l’impact négatif sur leur travail et leur traitement.10 En ce qui concerne les TCA, près de 38 % des patients ont déclaré une péjoration de leur symptomatologie.10
Dans une autre étude menée aux États-Unis (USA) et aux Pays-Bas (P-B), 1021 participants (USA : = 511 ; P-B : 510) souffrant d’AM (62 % de l’échantillon aux USA et 69 % aux P-B), d’HB ou de BN (30 % de l’échantillon aux USA et 15 % aux P-B) ont participé à un sondage en ligne évaluant l’impact de la pandémie sur les symptômes et le traitement des TCA, ainsi que le bien-être général.11 De manière globale, les personnes interrogées ont déclaré une augmentation de l’anxiété.11 Les participants souffrant d’AM ont fait état d’une restriction accrue et de craintes quant à la possibilité de trouver des aliments conformes à leur plan de repas.11 Inversement, les personnes souffrant de BN et d’HB ont signalé une augmentation de leurs épisodes boulimiques.11
Dans une étude observationnelle longitudinale en Italie qui a suivi 74 patients atteints d’AM ou de BN et les a comparés à 97 témoins en bonne santé, les auteurs ont évalué les TCA avant et pendant le confinement.12 Les résultats montrent qu’après le confinement, il y a eu une exacerbation des TCA plus importante chez les patients souffrant de BN, qui ont également présenté des signes de stress post-traumatique liés à la pandémie plus importants que les patients souffrant d’AM et les sujets contrôles.12
Les experts soulignent que le climat actuel pourrait également contribuer au risque de développer des TCA chez des personnes par ailleurs en bonne santé.13
Les données de la littérature montrent que les changements du mode de vie imposés par la pandémie et le confinement contribuent fortement à une prise de poids de la population mondiale. Cela est lié à des changements des habitudes et du comportement alimentaires et à un mode de vie plus sédentaire (figure 1).
Sur le plan alimentaire, on observe en particulier une consommation plus fréquente d’aliments en dehors des repas principaux. Cela peut être lié, d’une part, à l’ennui, un facteur bien connu pour favoriser la prise alimentaire chez certains individus.14 Le stress peut être aussi un autre facteur contributif comme discuté ci-dessus. Cela pourrait expliquer l’augmentation observée de la consommation d’aliments riches en glucides, qui sont connus pour promouvoir la libération de sérotonine, ce qui a un effet positif sur l’humeur et peut être vu en quelque sorte comme une forme inconsciente d’automédication.7
Une attention particulière doit être portée aux personnes souffrant de TCA, qui voient leur pathologie aggravée dans ces temps de stress accru. Vu la surcharge de travail des équipes cliniques et la redistribution des effectifs, le suivi de ces patients a été affecté. Le manque de suivi peut accroître l’anxiété et la perte de contrôle déjà ressenties face à la pandémie.10 De plus, les personnes souffrant de TCA ont un risque suicidaire plus élevé dans des conditions normales, et des facteurs de stress supplémentaires liés à la pandémie pourraient encore augmenter ce risque.13 Bien que certains patients puissent avoir accès à des thérapies en ligne grâce au développement de la télémédecine, cela requiert une adaptation de la part des soignants et de leur approche thérapeutique, ainsi que de celle du patient.10 Il est donc impératif de continuer à soutenir les patients chroniques pendant cette période critique afin d’atténuer les effets à long terme de la pandémie, y compris le risque accru de suicide.13
Sur le plan de l’AP, le télétravail s’est répandu et les activités physiques liées au travail et au transport ont nettement diminué pour une grande partie de la population active. À cela s’ajoute la fermeture des installations sportives et d’exercices en plein air, ce qui a affecté les activités de loisirs. Ces situations ont contribué à une baisse des niveaux d’AP déjà faibles au niveau de la population obèse.15 Particulièrement inquiétante est l’augmentation de la proportion de la population qui passe plus de 8 heures par jour en position assise, ce qui augmente de manière conséquente non seulement la prise de poids, mais aussi la mortalité.4
Il y a de plus en plus de preuves de l’impact néfaste de la pandémie et des mesures restrictives sur les comportements de vie, favorisant l’augmentation des taux de surpoids et d’obésité. Au vu de la persistance de cette situation qui, selon toute vraisemblance, va encore perdurer, des mesures de santé publique sont nécessaires pour contrecarrer à long terme ces comportements liés à l’obésité, afin de prévenir les complications de santé.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Le confinement domiciliaire engendre des changements des habitudes de vie favorisant la prise de poids, ce qui implique la nécessité d’un suivi des patients plus rapproché par les équipes de soins
• Les soignants doivent être attentifs au stress et à son impact chez tout patient, en portant une attention particulière à ceux souffrant de TCA
• Les approches de télémédecine peuvent être une solution temporaire, mais leur utilisation nécessite une adaptation tant pour les soignants que pour les patients
Pour faire face à la pandémie de Covid-19, plusieurs mesures restrictives ont été mises en place, qui engendrent des perturbations importantes des habitudes de vie. Nous avons effectué une revue de la littérature pour étudier l’impact de ces changements sur le poids des populations. On observe des changements des habitudes alimentaires (augmentation du nombre de collations et de la consommation de produits sucrés), une baisse de l’activité physique et un accroissement du stress qui peut exacerber de troubles du comportement alimentaire. Des efforts accrus doivent être fournis pour soutenir les patients pendant cette période difficile, y compris des mesures de santé publique pour contrecarrer ces comportements afin de prévenir les complications de santé.
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