Les personnes âgées ont été les plus touchées par la pandémie de SARS-CoV-2. De plus, cette infection a été responsable d’une mortalité élevée au sein de cette population. Dans cet article, nous avons souhaité décrire les particularités cliniques du Covid-19 que nous avons constatées chez les patients âgés et faire part de plusieurs enjeux et défis auxquels nous avons été confrontés au cours de la pandémie de Covid-19.
La pandémie de SARS-CoV-2 est responsable d’une grave crise sanitaire mondiale. À Genève, comme dans toute la Suisse, les hôpitaux se sont organisés rapidement pour faire face à l’afflux de patients en dédiant des unités de soins aigus, de soins intermédiaires, de soins intensifs et de réadaptation exclusivement à la prise en charge de ces patients.
L’Hôpital des Trois-Chêne fait partie des HUG. Il s’agit d’une structure consacrée aux soins gériatriques aigus et à la réadaptation gériatrique. Pendant la pandémie de Covid-19, elle a dû se réorganiser pour faire face à l’afflux de patients âgés infectés par le SARS-CoV-2.
Durant le premier mois de la pandémie, 235 patients ont été hospitalisés en soins aigus de gériatrie. Une analyse précise de ces patients nous a permis d’acquérir une solide expérience sur les particularités de cette infection chez les sujets âgés.
Cet article a pour objectif de décrire cette expérience avec ses enjeux cliniques, humains et organisationnels. Les aspects de prévention et contrôle des infections nosocomiales ne seront pas abordés ici.
Il s’agissait plus souvent de femmes (sex-ratio F/H: 1,32) dont l’âge moyen était de 86 ans.1 La grande majorité vivait à domicile (3 patients sur 4), et ceci est le reflet de l’important investissement des établissements médico-sociaux (EMS) dans la gestion des patients au cours de cette pandémie. Plus de la moitié des patients vivaient seuls mais bénéficiaient d’aide pour les activités de la vie quotidienne. Dans seulement 1 cas sur 5, une notion de contage a été retrouvée. Une contamination nosocomiale a pu parfois survenir, liée en partie aux difficultés pour certains patients confus ou présentant des troubles cognitifs de respecter les gestes barrières. Cette transmission nosocomiale a nécessité la mise en place rapide de mesures spécifiques (dépistages, distanciation, modification des flux et adaptation des mesures de contrôle infectieux) qui ne seront pas détaillées ici.
L’infection à SARS-CoV-2 était rarement asymptomatique chez les patients âgés hospitalisés (7,8 %). Les signes et symptômes retrouvés chez plus d’un patient sur 3 étaient la fièvre, la toux et la dyspnée, ce qui est en accord avec la littérature.2 La fatigue était signalée par 44 % des patients, mais nous avons surtout été marqués par l’intensité de celle-ci, qui entraînait très rapidement l’impossibilité de se mouvoir et cela malgré un examen neurologique le plus souvent normal. Les douleurs thoraciques étaient rares contrairement à d’autres expériences rapportées dans la littérature.3,4
L’atteinte respiratoire était souvent au premier plan à l’admission, avec une oxygénodépendance (50 % des patients) et des râles crépitants chez 67 %, contrastant avec une dyspnée finalement relativement peu fréquemment rapportée (35 %). L’apparition nouvelle d’une anosmie et d’une agueusie était signalée dans moins de 5 % des cas, contrairement à ce qui est observé dans la population plus jeune.5 Les troubles de l’odorat et du goût sont assez fréquents chez les patients âgés et ce peut être une des raisons qui expliquent cette différence. On ne peut non plus exclure un biais dans le recueil de cette donnée chez des patients qui spontanément ne s’en plaignaient pas ou qui présentaient des troubles cognitifs et chez qui la gravité des manifestations initiales pouvait dissimuler des symptômes plus anodins.
La majorité des patients hospitalisés présentait plusieurs comorbidités. Les plus fréquemment retrouvées étaient l’hypertension artérielle, la dyslipidémie, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale chronique, la fibrillation auriculaire et le diabète. La moitié des patients avait des troubles cognitifs préexistants, ce qui n’a pas été rapporté dans les autres études incluant une population gériatrique. L’âge très avancé de nos patients pourrait être un des facteurs expliquant cette différence.
La charge en comorbidités et la dépendance fonctionnelle (figure 1) étaient importantes, ainsi que la fragilité évaluée par le Clinical Frailty Scale (CFS, dont le score varie de 0 à 9)6: 80% des patients avaient un CFS ≥ 5.
Un tiers des patients gériatriques hospitalisés est décédé à l’hôpital. L’aggravation avait souvent lieu entre le 7e et le 10e jour après l’apparition des premiers symptômes. Il s’agissait souvent d’une dégradation respiratoire pour laquelle il n’était parfois pas aisé de faire la distinction entre une décompensation cardiaque pure, une atteinte respiratoire spécifique ou la conjonction des deux. L’échographie pulmonaire au lit du malade a été très utile pour évaluer la volémie des patients et adapter la prise en charge. Moins de 10 % des patients que nous avons suivis ont bénéficié d’un traitement antiviral spécifique (lopinavir/ritonavir ou hydroxychloroquine, ou les deux). Bien que ces deux traitements étaient alors ceux recommandés par le groupe d’experts des HUG durant la période analysée, ils ont été très peu prescrits pour différentes raisons: une réticence à prescrire des traitements sans preuve d’efficacité pour cette pathologie à une population fragile, un risque d’interactions médicamenteuses chez des patients traités en moyenne par 7 autres molécules, ou encore la préexistence d’anomalies électrocardiographiques telles qu’un allongement de l’intervalle QT.
La mortalité chez nos patients a été au total de 32 %, assez proche de celle rapportée par nos confrères de Martigny.7 Cependant dans la littérature, le taux de mortalité observé dans la population gériatrique est très variable, allant de 118 à 44 %.9 Il est malgré tout difficile de faire des comparaisons, car les données ne sont pas toujours superposables, notamment concernant la période d’évaluation. Parmi les caractéristiques des patients à l’admission, les principaux facteurs associés à la mortalité intrahospitalière étaient le sexe masculin, la présence de râles crépitants, la fonctionnalité et la fraction inhalée en oxygène (FiO2) administrée.
Un peu moins de 10 % de nos patients ont bénéficié des soins intermédiaires où ils ont été pris en charge par l’association d’une ventilation continue en pression positive (CPAP) et d’une oxygénothérapie à haut débit avec une physiothérapie respiratoire et une mobilisation précoce. La mortalité aux soins intermédiaires a été de 50 %.
Pour les patients présentant une aggravation des symptômes malgré la prise en charge, des soins de fin de vie ont été mis en place, avec un suivi conjoint par des équipes mobiles palliatives.
L’Hôpital des Trois-Chêne est une structure de 280 lits: s’y ajoute un Service d’urgences dédié aux patients âgés de plus de 75 ans. Dès le 13 mars 2020, les premiers patients Covid-19 ont été admis. Au total, 176 lits de gériatrie aiguë, dont 4 de soins intermédiaires, leur ont été dédiés durant la première vague de la pandémie; 54 lits de gériatrie aiguë et 60 de réadaptation ont continué à être dévolus à la prise en charge des patients sans Covid-19.
Les règles d’orientation appliquées en pré puis intrahospitalier ont constitué un double enjeu clinique et éthique. Avant l’admission dans notre structure, une discussion était conduite, documentée et actualisée avec les patients et/ou leur représentant thérapeutique, prenant en compte leurs préférences, la gravité de la maladie Covid-19, les comorbidités et l’estimation des bénéfices et risques des soins intensifs et intermédiaires ou d’une alternative de soins palliatifs en cas d’aggravation. Les candidats potentiels aux soins intensifs ou à une ventilation invasive étaient orientés vers le site des HUG disposant de soins intensifs en anticipation d’une éventuelle détérioration, les autres étaient admis dans des unités de soins aigus.
Des critères spécifiques ont permis de différencier les flux à la sortie des lits aigus et de diriger les patients vers le domicile, y compris les EMS, ou des unités de réadaptation selon les besoins et le potentiel de contagiosité. Trois unités, pour un total de 78 lits dans un autre site du Département de réadaptation et gériatrie, l’Hôpital de Loëx, ont été réservées aux patients qui nécessitaient une réadaptation après une maladie aiguë à SARS-CoV-2.10
Les équipes médicales et infirmières ont été renforcées par du personnel venant d’autres départements des HUG et par des collègues internistes et gériatres installés. La collaboration interprofessionnelle s’est avérée déterminante, les psychologues, les neuropsychologues, les logopédistes, les codeurs et les assistantes sociales ont modifié leur activité habituelle pour faire face aux besoins spécifiques des patients et des équipes: aide aux repas, soutien psychologique du personnel et des patients, maintien d’un lien entre les patients et leurs proches et communication entre le personnel et les familles (voir ci-après). Des étudiants en médecine, des bénévoles, la protection civile ainsi que des militaires sont également venus prêter main-forte sur le terrain.
Les personnes âgées sont à risque élevé d’isolement social. De plus, de nombreux patients ont été hospitalisés après plusieurs semaines de confinement à domicile qui ont pu avoir des conséquences sur leur santé mentale, les états confusionnels, les troubles cognitifs, la dépression, l’anxiété et les troubles du sommeil. La suspension des visites et les mesures d’isolement en milieu hospitalier les ont aggravées. Afin d’en atténuer les conséquences, nous avons mis en place des mesures pour rapprocher les patients de leurs familles et également favoriser les échanges de celles-ci avec les équipes médico-soignantes. Un protocole d’appels systématiques aux familles a été mis en place. Par ailleurs, les proches qui téléphonaient à l’hôpital étaient orientés en première ligne par les psychologues et, en fonction de la question posée, adressés au bon interlocuteur. L’intérêt était à la fois d’apporter une écoute aux proches, mais aussi de mieux orienter les demandes. Des tablettes numériques connectées, permettant des appels vidéo entre le patient et ses proches, mais aussi entre les équipes soignantes et les familles, ont été mises à disposition. Des bénévoles aidaient à leur réalisation afin que l’âge des patients ne soit pas un frein à l’utilisation de cette technologie. Plusieurs centaines d’échanges ont pu être effectués, avec un retour très positif de la part des différents participants. Enfin, des visites ont été exceptionnellement organisées dans le strict respect des recommandations d’hygiène pour les proches de personnes en fin de vie.
La première vague de la pandémie de Covid-19 a constitué un défi médical, organisationnel et humain pour tous les acteurs de la santé, y compris les hôpitaux accueillant des personnes très âgées. Nous avons décrit notre expérience en espérant qu’elle puisse contribuer à une meilleure connaissance des multiples facettes cliniques du Covid-19 de l’âgé, de ses complications parfois sévères et dramatiques, des facteurs pronostiques et des conséquences humaines et sociales de cette maladie. Le SARS-CoV-2 est encore parmi nous et le nombre de publications sur le sujet dépasse 60 000. Nous devons tenir compte de tout ce que nous avons appris pour continuer à faire face ensemble, et dans la durée, à cette nouvelle maladie.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• La mortalité de l’infection à SARS-CoV-2 chez les personnes âgées est plus importante que dans la population générale
• Les présentations cliniques peuvent parfois être atypiques
• La charge en comorbidités, la fragilité et la dépendance fonctionnelle sont des facteurs de mauvais pronostic
Les personnes âgées ont été les plus touchées par la pandémie de SARS-CoV-2. De plus, cette infection a été responsable d’une mortalité élevée au sein de cette population. Dans cet article, nous avons souhaité décrire les particularités cliniques du Covid-19 que nous avons constatées chez les patients âgés et faire part de plusieurs enjeux et défis auxquels nous avons été confrontés au cours de la pandémie de Covid-19.
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