Décidément, le Covid-19 polarise mes pensées, peut-être mes peurs. Je n’arrête pas de lire la presse, d’écouter la radio, de regarder divers journaux télévisés tous les soirs. En glanant ici et là, je constate que la pandémie a mobilisé des médecins dans la construction de stratégies efficaces – peut-être plus que dans le partage du questionnement éthique sociétal autour des priorités que la maladie impose à notre système de santé. Le débat autour de nos responsabilités spécifiques nous incitait à soigner bien et vite. Les gouvernements ont adhéré à cet objectif médical d’efficacité. Vers quel but ? Celui de préserver au maximum la vie biologique du sujet ? Mais la vie ne peut être réduite à cette seule dimension.
Des choix tragiques se sont d’emblée imposés. Il a été suggéré de fixer une limite d’âge à la prise en charge dans les soins intensifs où il n’est pas « efficace » de traiter des personnes très âgées et malades. En Europe, on les a laissées dans les EMS en les privant de soins hospitaliers : elles y sont mortes dans la solitude. C’était injuste. Maintenant il est très efficace de traiter ces mêmes personnes par la vaccination.
La fracture sociale (dont les écarts se sont creusés), les inégalités, la précarité cédaient le pas dans nos pensées « médicales » face à l’urgence de soigner. Les personnes les plus défavorisées sur le plan socio-économique sont également celles dont la mortalité est la plus élevée. Dans cette situation, où on évoque la nécessité d’une vaccination planétaire, les migrants, par exemple, sont encore plus privés de leur dignité et de leurs droits. Ils vivent dans des conditions inhumaines. Pourtant, pour une majorité d’entre eux, ils sont porteurs d’un projet héroïque et désespéré de répondre au devoir de solidarité à l’égard des générations qui sont restées au pays. Notre responsabilité humaine nous obligerait-elle à nous limiter aux conséquences de la pandémie sur la seule santé biologique ou sur la surcharge de nos hôpitaux ?
Aujourd’hui, les jeunes sont en souffrance. On comprend leur besoin légitime de vie, de divertissement dans le sens pascalien1 du terme, mais on sous-estime leur peur de la mort pour eux-mêmes et pour leurs familles. Mais oui, pour leurs parents et leurs grands-parents pour qui – malgré leur apparent cynisme – ils éprouvent des inquiétudes indicibles. J’en tiens entre autres pour témoignage ce que me disent des enseignants : des enfants, même petits, sont en souci à l’école. Ils ne supportent pas de rester à la maison, mais en même temps ils savent que la fréquentation de l’école pourrait porter préjudice à leurs parents par la transmission du virus en famille. Des enfants souffrent par ailleurs d’aggravation de la violence au sein des familles à la suite du confinement.
Les personnes âgées semblent être peu conscientes de la préoccupation des jeunes à leur égard : certaines pensent que l’insouciance et l’irresponsabilité leur font du tort. Les jeunes se demandent pour leur part s’ils ne sont pas exagérément sacrifiés au profit des personnes âgées. La violation d’une exigence de réciprocité serait plus forte dans le cas des jeunes que pour d’autres classes d’âge.2 Et les politiques de vaccination actuelles peuvent leur donner raison, tout en sachant qu’il y a aussi parmi les jeunes beaucoup de réfractaires. Seul le gouvernement indonésien vaccine en priorité les personnes qui ont l’âge d’être parents. Il pense ainsi à l’équité avec des générations qui ne sont pas encore nées.
Quelles seraient, plus largement, les stratégies efficaces pour corriger les inégalités devant la vie, la maladie, la mort et pour mettre en place une solidarité entre les générations ? Comment favoriser la construction d’un futur plus juste ? Les médecins ont, je pense, une contribution singulière à apporter à ce questionnement en réfléchissant au dilemme cornélien entre efficacité et justice : tout ce qui est juste n’est pas nécessairement efficace, mais tout ce qui est efficace n’est pas nécessairement juste.
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