La Belgique est un État fédéral dont l’organisation du système de santé se caractérise par la liberté du choix du prestataire par le patient et la liberté thérapeutique du praticien. L’État social est qualifié de bismarckien teinté de beveridgianisme.1 La quasi-totalité de la population belge est couverte par l’assurance maladie obligatoire, qui est gérée par l’Institut national maladie-invalidité (INAMI). Une partie non négligeable des soins est néanmoins directement à charge des personnes : environ 57,6 % pour les soins dentaires, 29,8 % pour des médicaments, 13,1 % pour des soins hospitaliers, 7,5 % pour l’aide à domicile et 5,6 % pour des soins résidentiels en maison de retraite.2 Le financement est principalement basé sur la rémunération à l’acte.3 L’accessibilité des soins n’est donc pas optimale.2
Depuis 2016, l’organisation et la coordination des soins de santé primaires sont une compétence déléguée aux 3 régions : Bruxelles-Capitale, Flandre et Wallonie, alors que d’autres domaines du système de santé sont de compétence fédérale (par exemple, le financement des soins) ou communautaire selon les 4 communautés linguistiques – flamande, française bicommunautaire et germanophone, par exemple, la formation des prestataires). Cela rend la prise de décision au niveau du pays particulièrement complexe.
Selon le rapport cité plus haut,2 la Belgique ne se situe pas en bonne place, parmi d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour ce qui est des indicateurs des soins primaires. Notamment pour le suivi des patients ayant une maladie chronique (diabète insulinodépendant…) ou la prescription d’antibiotiques (données de 2018). Une des raisons avancées est le faible niveau de structuration de la première ligne.4,5 En réponse à cette faiblesse, la région flamande a créé 61 zones de première ligne en 2017 (61 Eerstelijnszones), chacune dotée de missions et de structures de gouvernance spécifiques.6 Notamment les tableaux de bord, permettant de suivre en temps réel les besoins de la population, suscitent beaucoup d’intérêt des autres régions, curieuses d’apprendre des expériences du nord du pays. Dans la partie francophone du pays et dans une logique davantage de bas en haut, des initiatives intéressantes existent mais sont éparses et peu connues, car peu structurées entre elles.7
Dès la fin du mois de janvier 2020, les autorités belges signalent l’identification d’un nouveau coronavirus (2019-nCoV) à Wuhan, en Chine. Le nombre de cas identifiés croît de manière exponentielle à partir du 1er mars, comme le montrent les données de Sciensano, l’institut scientifique belge de santé publique (figure 1). Celui-ci rend publiques des rapports quotidiens de nombreuses données liées au Covid-19.8 Ceci permet au grand public de suivre l’évolution de l’épidémie.
Dès janvier 2020 également, un comité scientifique Covid-19 est mis en place, afin de préparer au mieux la réponse à l’évolution de l’épidémie. Face aux réponses hétérogènes en fonction des différentes régions, la Belgique passe en « phase fédérale » le 12 mars. Les décisions sont désormais prises dans le cadre d’une cellule de gestion de crise rassemblant les différents niveaux de pouvoir. Ceci devrait permettre une meilleure coordination et communication. Ensuite, des mesures restrictives sont mises en place par le Conseil national de sécurité depuis le 13 mars 2020 pour endiguer la propagation du Covid-19 dans la population. Notamment par la mise en œuvre des mesures de distanciation physique. Le pays rentre dès lors en « phase 2 » : les cours sont suspendus dans les écoles, donnés à distance dans les hautes écoles et universités, les commerces sont fermés et les activités dites récréatives (sportives, culturelles, folkloriques, etc.) sont annulées. La seule exception concerne les magasins d’alimentation et les pharmacies. Le travail doit se poursuivre dans la mesure du possible, mais le télétravail doit être privilégié et renforcé si nécessaire. En parallèle, la communication au sujet des mesures d’hygiène (gestes barrières) est renforcée, ainsi que le contrôle de l’application des mesures.
Depuis le 15 avril, les Belges sont rentrées en « phase 3 », signifiant que les mesures de distanciation sont maintenues mais la plupart des activités ont repris. Le 1er juillet, le pays relâche encore les mesures en « phase 4 », en ouvrant la « bulle » de sécurité à 15 personnes maximum mais, face à la recrudescence de l’épidémie, la réduit ensuite à 5.
Tous les hôpitaux ont été invités à activer leur plan d’urgence pour pouvoir accueillir ces patients dès le 14 mars. Cela impliquait l’augmentation de leur capacité en Unité de soins intensifs (USI), avec 1500 lits disponibles au total en Belgique, et la suppression de toutes les consultations, examens et interventions électives non urgents. Les ressources libérées (nombre de lits, personnel) étaient affectées à la création d’unités Covid-19. Des transferts de patients entre hôpitaux étaient prévus en cas de saturation.
En première ligne, les patients qui craignaient d’être infectés étaient invités à contacter leur médecin généraliste par téléphone pour un triage. Sur base de la sévérité des symptômes, celui-ci décidait si le patient devait être hospitalisé ou non. Si les symptômes le nécessitaient, le médecin pouvait procéder à un examen physique, pour peu qu’il ou elle soit équipé·e d’équipement de protection individuelle (EPI), de préférence au domi cile du patient. Si ce n’était pas le cas, le patient était renvoyé à l’un des centres de triage ou à l’hôpital. Au maximum, 152 centres de triage ont été mis en place en Belgique. Grâce à l’évolution favorable de l’épidémie, plusieurs de ces centres ont été convertis en centres de dépistage ou désaffectés. Plusieurs mesures sont venues soutenir le travail des médecins qui effectuaient le dépistage : parmi elles, le remboursement de la consultation à distance et la mise en œuvre d’une application SafeLink, permettant au médecin de suivre les symptômes du patient atteint de Covid-19 – le patient ajoutant des données cliniques lui-même dans l’application au fil du temps. Cette application sécurisée permettait l’échange de données cliniques pluriquotidiens, et ainsi de suivre l’évolution clinique du patient. Depuis le mois de mai, les infirmiers à domicile ayant un lien thérapeutique avec le patient ont également accès à ces données.
La Belgique a manqué de façon importante d’EPI durant cette crise. Dans ce contexte, la priorité lors de la distribution des masques a été accordée aux hôpitaux puis aux médecins généralistes. Les autres : structures d’hébergement pour personnes âgées, pour personnes en situation de handicap, les infirmiers à domicile, les kinésithérapeutes, les aides familiales, parmi d’autres, ont dû se débrouiller avec les moyens du bord. En mettant l’accent sur la réponse hospitalière, les structures d’hébergement pour les personnes âgées et celles pour les personnes en situation de handicap sont passées au second plan, alors que les premières ont été rapidement touchées par l’épidémie. En effet, la moitié des décès attribués au Covid-19 sont des résidents de ces maisons de repos (4836 sur un total de 9897 décès, soit 48,9 %.a Pour les personnes vivant en situation de handicap, la situation était également dramatique en raison du confinement. Comme les visites de la famille et les retours à domicile étaient interdits, les familles ont dû choisir « entre la peste et le corona » : soit ne plus voir leur proche handicapé durant plusieurs mois, soit le faire vivre chez eux, au prix d’un travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, face à des personnes parfois lourdement handicapées et nécessitant des soins constants.9
La capacité de testing a augmenté au fil du temps. Début mars, seules les personnes présentant des symptômes sévères étaient testées, ainsi que les soignants présentant des symptômes, faute de capacité suffisante. Depuis début mai, toutes les personnes présentant des symptômes, ainsi que leurs proches, sont testées. Les médecins sont invités à signaler, via une application intégrée dans le dossier médical électronique, les cas suspects. Début septembre, la moyenne de tests quotidiens était de 17 442. Enfin, le traçage individuel des contacts a été compliqué à mettre en place et ne fonctionne pas encore tout à fait correctement à l’heure actuelle. De nombreux débats ont eu lieu sur le respect de la vie privée et la déontologie de la mise en place de ces systèmes, mais aussi sur l’adhésion de la population.
Nous ne pouvons dresser une liste sur la totalité de la mobilisation des soins primaires à ce stade, ni en faire encore une analyse en profondeur ou mesurer ses effets. D’autant plus que les soins primaires souffrent d’un déficit de visibilité.7 Néanmoins, nous avons choisi de présenter quelques faits saillants de cette mobilisation, en les regroupant selon les 5 « S » cités par Paul Farmer, qui caractériseraient une première ligne forte en cas d’épidémie : « Space, Systems, Staff, Stuff & Surveillance ».10 Pour cet auteur, en plus des 4 fonctions « C » de Barbara Starfield (accessibles, continus, globaux, coordonnés et centrés sur les objectifs de vie de la personne),11 le renforcement des systèmes de soins (primaires), en cas d’épidémie, a besoin des ressources suivantes :
À ces 4 « S », l’épidémie d’Ebola a démontré la nécessité :
En Belgique francophone, bien qu’il existe une longue expérience de pratique pluridisciplinaire, en équipe, au niveau des maisons médicales, la première ligne est peu structurée au niveau de territoires locaux.7 Les cercles de médecine générale et ceux des pharmaciens organisent les postes de garde et bénéficient, dans la plupart des cas, d’un bon niveau de structuration, en particulier lorsque la coordination est articulée avec les ressources hospitalières. Là où ces cercles fonctionnaient bien, leur réactivité face à l’épidémie a été remarquable, comme le montrent les initiatives permettant d’organiser en très peu de temps les centres de triage et de dépistage. Des interactions proactives ont alors pu avoir lieu avec, par exemple, les structures d’hébergement pour personnes âgées, pour assurer la continuité des soins pour les résidents âgés. De même, au plus fort de la crise, la solidarité locale a battu son plein et s’est manifestée sous des formes très diverses. L’effet inverse fut observé là où il n’existait pas un tel niveau de coordination locale. Les résidences se trouvant sur ces territoires ont expérimenté un sentiment d’abandon de soins pour leurs pensionnaires âgés. De plus, comme le niveau de structuration actuel est pensé en fonction des disciplines, peu de répartition des tâches a eu lieu, laissant l’organisation du testing sous la seule responsabilité des médecins généralistes, créant par là un risque de surcharge de travail important.
En règle générale, les professionnels étaient disponibles et disposaient des compétences requises pour faire face aux réaménagements nécessaires pour organiser le dépistage, le diagnostic et le traitement des personnes au début de la crise. Une exception notoire concerne les structures d’hébergement pour les personnes âgées, au sein desquelles les compétences en matière d’hygiène institutionnelle ont manqué, causant plus que probablement des contaminations évitables. Face à ce constat, le renfort est venu d’une part des hôpitaux, dont le volume de travail avait diminué dans les unités non atteintes par le Covid-19. En même temps, l’ONG Médecins Sans Frontières est venue à la rescousse de ces institutions, en mettant justement à profit son expertise en matière de lutte contre les épidémies. Elle a formé des équipes de la fédération des maisons médicales et de la Croix-Rouge pour prendre le relais de son initiative. Enfin, pour soutenir les soignants dans les structures d’hébergement pour les personnes âgées, un vademecum de recommandations a été coécrit par le Collège de médecine générale, l’association des médecins coordinateurs et conseils, avec l’appui scientifique de chercheurs universitaires.
La gestion proactive du gouvernement, le soutien des pharmaciens et de leurs réseaux, ont évité le manque absolu de médicaments. En revanche, comme nous l’avons décrit, le manque d’EPI a été important en début de crise. En réaction, des mouvements de solidarité locale, mais aussi des institutions, ont été observés, afin de réaliser des blouses et des masques jetables pour les soignants par des personnes en chômage temporaire ou de simples citoyens bénévoles.
Le remboursement de la consultation à distance, via le système du tiers payant, a été d’une aide très appréciée par les professionnels et les patients. Dans le futur, une coexistence de cette modalité, à côté des consultations en face à face, est discutée. Ce mécanisme de financement a été activé pour les médecins, les infirmiers en éducation thérapeutique, les psychologues et les sages-femmes. Il conviendra bien entendu de définir les modalités de poursuite de ce type de financement, afin qu’il puisse s’inscrire dans la logique du Quadruple Objectif : contribuer à la qualité de vie de la personne et des populations, à une expérience positive des soins par les personnes, à une utilisation optimale des ressources disponibles, tout en contribuant à la qualité de vie du prestataire.12 Un premier rapport scientifique a permis d’établir que la qualité des soins ne serait pas inférieure à celle qui est dispensée lors de consultations en face à face.13
En revanche la gouvernance au niveau du pays, dans la gestion de la crise, a été problématique. En raison de la complexité institutionnelle décrite plus haut, et malgré le passage en « phase fédérale », plusieurs étapes ont été difficiles. Parmi celles-ci, notons la communication et la distribution chaotique des EPI (décrite plus haut), l’absence de prise en compte de l’expertise des non-médecins dans la gestion de la crise (par exemple, les pharmaciens, qui disposent pourtant de cir cuits bien rodés permettant la traçabilité des EPI auprès de la population, n’ont été que peu mobilisés malgré les appels du pied répétés), la définition des « soins urgents et essentiels » laissée à l’appréciation des organisations professionnelles, parmi d’autres. Dans un registre plus positif, le partage d’informations au sujet d’un patient avec son accord, via le réseau informatique régional (Réseau Santé Wallon et Abrumet), a été très apprécié.
Dès le début de la crise, la déclaration des cas identifiés a été recensée par Sciensano (figure 1). Cela a permis le suivi dynamique de l’évolution de l’épidémie et est utilisé par le Conseil national de sécurité. En revanche, nous constatons l’absence d’outils pour informer les politiques ou les gestionnaires de réseaux (là où ils existent en première ligne) quant aux ressources nécessaires pour prodiguer des soins en première ligne (absence de registre public recensant les professions exerçant sur un territoire hormis les médecins, par exemple). Mis à part un recensement demandé au sein des structures d’hébergement au sujet de leurs EPI et ressources humaines, rien n’a pu être mis en place au niveau de la première ligne francophone. Un plan de mise en œuvre de cellules locales contre l’épidémie est prévu, mais la manière dont le besoin en ressources pourra être suivi n’est pas encore clairement définie.
Ces résultats sont résumés dans la figure 2.
À ce stade, nous pouvons affirmer que le système de soins primaires belge a révélé ses forces et ses faiblesses au travers de la crise du Covid-19. Sur base des forces et faiblesses, analysées au travers du prisme des 5 « S » de Farmer, nous pouvons affirmer que la capacité du système de soins primaires belge à résister au choc de la pandémie a été mixte, au sein même des 5 dimensions. Il revient aux responsables politiques, administrations, gestionnaires et professionnels de la première ligne de tenir compte des leçons tirées de la pandémie, afin de renforcer le système là où il a été défaillant. Ceci devrait non seulement aider les soins primaires à mieux faire face lors des défis futurs, mais également renforcer le système de santé dans sa globalité.14
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Cet article fait partie d’un ensemble de 4 papiers, écrits parallèlement par les membres du Groupe international francophone en soins primaires. Ce groupe, dont les membres sont issus de France et des régions, cantons et provinces francophones de Suisse, Canada et Belgique, a voulu décrire comment les systèmes de santé et en particulier de soins primaires ont réagi face au choc de la pandémie de Covid-19 dans leurs pays et régions.
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