Au sein d’un pays de près de 8,6 millions d’habitants, le système sanitaire suisse est considéré comme l’un des plus performants au monde, si l’on en croit les indicateurs d’espérance de vie et de satisfaction des patients1. Néanmoins, il est également l’un des plus coûteux, avec des dépenses par habitant les plus élevées des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et une quote-part incombant au patient parmi les plus importantes.1 La gouvernance sanitaire fonctionne avec une répartition des compétences entre cantons et confédération. Le patient bénéficie d’une couverture maladie universelle. Dans ce cadre, il contracte une assurance de base obligatoire auprès de sociétés d’assurance privées à but non lucratif. Les assurés doivent néanmoins supporter une partie des dépenses de soins au travers d’une franchise et d’une quote-part.2,3
Le domaine ambulatoire relève du secteur privé. Il est largement non régulé, non encadré et repose sur un paiement à l’acte et à la durée de consultation. Les patients ont le libre choix du prestataire de soins et la liberté de recourir aux spécialistes (même si de plus en plus de modèles d’assurance proposent des formules plus restrictives en termes de choix). Malgré des volontés affichées de virage ambulatoire, le système demeure toujours très hospitalo-centré avec des parcours de soins fragmentés.2,3 Par ailleurs, la part de PIB allouée aux activités de santé publique et de prévention est l’une des plus basses du monde.
Les premiers cas de Covid-19 sont apparus en Suisse tout à la fin du mois de février 2020. La stratégie de test a évolué tout au long de cette première phase aiguë, ce qui rend difficile l’interprétation et la comparaison de l’évolution du nombre de cas entre pays et au sein du même pays. Initialement réservés aux groupes à risque de complications et aux professionnels de soins en mars et avril, les tests étaient étendus à l’ensemble de la population présentant les critères requis (cliniques et/ou épidémiologiques) en mai et juin. Fin juin, l’incidence observée depuis le début de la pandémie en Suisse était de 377 cas pour 100 000 habitants, ce qui la plaçait parmi les pays à plus forte incidence en Europe. En revanche avec un peu moins de 1700 décès enregistrés fin juin, la mortalité y est restée assez faible.
Au niveau sanitaire, dès l’augmentation du nombre de cas dans les pays frontaliers, notamment dans le nord de l’Italie, les hôpitaux ont rapidement anticipé la menace d’afflux de patients en réactivant les plans sanitaires définis lors de précédentes pandémies. Ainsi sur l’ensemble de la Suisse, les capacités en lits de soins intensifs ont été relevées rapidement de 240 en temps normal à 395. Un maximum de 550 lits aurait été possible. Une réaffectation des professionnels au sein des différents secteurs a été mise en place. Ces services n’ont à aucun moment été saturés.4 Le principe de séparation stricte des patients suspects des autres patients a servi de base à la réorganisation des structures hospitalières. Dans le canton de Vaud, ceci était assorti de directives assez claires d’hospitaliser le moins possible les personnes âgées vivant en établissements médico-sociaux, même atteintes du Covid-19.
Les premières mesures populationnelles ont concerné la limitation des rassemblements (effectifs) ainsi que les mesures d’hygiène à adopter. Dès la mi-mars, la population a été invitée à rester confinée à domicile (non obligatoire, on a parlé de semi-confinement). Les écoles, magasins (hors alimentation), et structures récréatives ont été fermés. Après environ 6 semaines de confinement, le déconfinement a été progressif en trois phases, respectivement au 27 avril (reprises des activités des structures de soins et réouvertures de certains magasins), 11 mai (réouvertures des écoles et de l’ensemble des magasins) et 8 juin (réouvertures des structures de loisirs) (figure 1).
La diffusion des informations et directives sanitaires, aussi bien pour les professionnels que pour la population, était à la fois assurée par les autorités de santé publique de la Confédération et par les autorités cantonales, permettant des spécificités locales.
L’ensemble des aspects évoqués est résumé dans le tableau 5 « S » proposé pour chacun des quatre pays (figure 2). L’ordonnance fédérale 2 du 13 mars 2020 abordait pour la première fois les aspects sanitaires de la crise, avec l’obligation des cantons d’une remontée au niveau de la Confédération d’informations concernant les capacités sanitaires et la disponibilité en matériel de protection. Elle ne mentionnait rien de spécifique, en revanche, pour les cabinets de médecine de premier recours. Très vite cependant (le 16 mars), un premier amendement demandait aux cabinets médicaux de « renoncer aux activités et interventions non urgentes ». Face à un certain flou concernant la définition du « non urgent » ayant entraîné la fermeture de certains cabinets, une clarification mentionnait quelques jours plus tard que les cabinets restaient ouverts et qu’ils étaient invités à prendre en charge des patients suspects de Covid-19 dans la mesure où une filière dédiée pouvait être aménagée au sein de leurs locaux, c’est-à-dire la séparation physique (salle d’attente, circuit au sein du cabinet) des patients suspects de Covid-19 et des patients non suspects). Les patients n’ayant pas de médecin de famille, ou un médecin dont le cabinet ne pouvait ou ne souhaitait pas prendre en charge de patients suspects de Covid-19, pouvaient se rendre dans des centres de tests (structures hospitalières et cliniques privées – regroupements de cabinets).
Dans le canton de Vaud, une forme particulière de structure spécifique à la prise en charge de patients suspects a vu le jour : les Centres ambulatoires renforcés (CAR). Il s’agissait soit de regroupements de cabinets de médecine de famille ne pouvant prendre en charge dans leurs locaux les patients suspects, soit de réorganisations de cabinets existants. Ces CAR devaient recevoir l’aval de la Santé publique du canton afin d’apparaître comme centre de test. Un mois plus tard (fin avril), les cabinets médicaux étaient invités à reprendre une « activité normale », tout en continuant de respecter les critères d’une filière dédiée. À nouveau, un mois plus tard (20 mai), une filière dite rapide était créée. Celle-ci permettait la réalisation d’un test sans consultation médicale. Les cabinets de médecine de premier recours (MPR) pouvaient, s’ils le souhaitaient, mettre en place un tel système. À la fin juin, une nouvelle filière avec consultation médicale rapide (ou médico-déléguée) était créée et pouvait être mise en œuvre dans les cabinets médicaux avec une prise en charge financière totale des coûts par la Confédération.
Du fait du fonctionnement libéral de la médecine de famille et de l’absence d’enregistrement de données d’activité pour les cabinets, il est extrêmement difficile de décrire ce qu’il s’est passé dans les cabinets de MPR. Il est par exemple impossible de connaître le pourcentage de cabinets qui n’ont pas pris en charge de patients suspects de Covid-19, voire qui ont complètement fermé durant la phase de restriction aux activités urgentes.a
Les instances de santé publique des différents cantons ne se sont pas appuyées d’emblée et de manière systématique sur les cabinets de MPR ; leur implication a donc été laissée à leur libre choix. De ce fait, les cabinets ayant choisi de participer à la prise en charge de patients suspects, comme dans les cantons de Vaud ou de Genève, n’ont pas reçu immédiatement de directives claires pour cela, aussi bien pour ce qui concerne les mesures d’hygiène que pour la prise en charge clinique des patients.5 Ces directives et informations sont souvent venues en décalage selon certains médecins qui se sont sentis « un peu abandonnés ». Dans ce domaine de la transmission de l’information vers les acteurs de terrain, deux éléments sont à souligner : en premier lieu, le fédéralisme qui a conduit à des directives parfois différentes entre cantons ; même si la gestion territoriale offre des avantages comme une meilleure adéquation à la situation sanitaire, elle peut aussi générer un certain flou ; en second lieu, le circuit de l’information depuis la santé publique vers les acteurs de terrain qui n’a pas été complètement linéaire. Dans le canton de Vaud, celle-ci a impliqué trois acteurs : la Direction générale de la santé, les associations professionnelles et Unisanté qui est un Centre universitaire de médecine générale et de santé publique. Les missions de bases de ces trois acteurs étant bien différentes, l’équation a pu être parfois compliquée et retarder le transfert d’informations.
Par ailleurs, pour de nombreux cabinets, l’approvisionnement non seulement en matériel de protection mais aussi en matériel de test a limité la prise en charge possible des patients suspects. Le manque de matériel de protection a conduit les cabinets à utiliser le système D (usage de matériel très ancien pas toujours stocké dans de bonnes conditions, utilisation de matériel de cabinets de seconde ligne ayant fermé, voire recours à du matériel issu d’autres secteurs d’activité tels que le bâtiment et les travaux publics (BTP) ou le secteur alimentaire, rapidement en rupture de stock également). Pour ce qui est du matériel de test, pour certains cabinets du canton de Vaud par exemple, ils ont été limités à 5 par jour faute de kits disponibles.
Au sein des cabinets prenant en charge les patients suspects de Covid-19, les tests pouvaient être effectués par les médecins, une infirmière dans les rares cas où il y en avait, ainsi que par les assistantes médicales, selon le choix des médecins et l’évolution de la stratégie de test (avec consultation médicale ou en « filière dite rapide »). Il semble néanmoins que les médecins sont demeurés les acteurs principaux pour la réalisation des tests.
Un autre aspect a eu un impact assez important sur la réalisation des tests diagnostiques : le mode de financement. Celui-ci a évolué au cours du temps. Au moment de la création de la filière dite rapide, la Confédération prenait en charge uniquement les tests des patients ne nécessitant pas de consultation médicale. Dans le cas contraire (patients dits « vulnérables » ou pour lesquels on pouvait craindre des complications), c’est l’assurance individuelle du patient qui devait prendre en charge le coût du test, avec donc pour le patient l’éventuelle franchise à payer. Fin juin 2020, la Confédération a annoncé une prise une charge pour tous les patients (répondant aux critères de test en vigueur). Un rebond impressionnant de demandes de tests était observé dès le lendemain. Le mode de financement a donc probablement eu un impact sur la propension des patients à aller se faire tester. Cet aspect a finalement aussi en partie conditionné la participation des cabinets à la prise en charge des patients suspects. En effet, au moment de la création d’une possibilité de filière dite rapide, sans consultation médicale à valoriser financièrement, certains cabinets ont considéré que sa mise en place n’était pas financièrement acceptable.
Pour ce qui est des établissements pour personnes âgées, une stratégie de soutien communautaire a été mise en place par les autorités de santé publique du canton, avec, en particulier, une réallocation de professionnels du domaine médico-social, des formations en lignes et une hot-line.
Pour les raisons précédemment évoquées, l’impact sur la prise en charge des patients non Covid-19, en particulier les patients malades chroniques, est également difficile à mesurer.
La période de renoncement aux activités non urgentes a évidemment réduit le nombre de consultations en MPR pour les patients non suspects de Covid-19 dans de nombreux cabinets. Néanmoins, en plus d’annulations du fait de la directive imposée aux cabinets, il semble que les patients eux-mêmes ont très souvent renoncé à consulter (crainte de venir au cabinet). De plus, lorsque les cabinets ont été invités à reprendre une activité normale, les patients ont continué à limiter leurs visites au cabinet durant au moins encore deux à trois semaines.
Cependant, la diminution du nombre de consultations n’a pas été uniforme et certains cabinets ont pu maintenir une activité soutenue auprès de leurs patients souffrant de maladies chroniques. Cette possibilité est venue d’une interprétation large de la notion d’« urgence ». Si certains cabinets ont pu s’offusquer de cette directive, d’autres s’en sont accommodés, considérant qu’un suivi de patients chroniques pouvait s’apparenter à une activité indispensable pour un cabinet de médecine de premier recours. Des consultations par téléphone ou à domicile ont alors remplacé les consultations au cabinet pour ces patients.
Les conséquences des reports des consultations sont observées de manière retardée dans les cabinets et il est malheureusement difficile de les documenter via les cabinets qui voient progressivement apparaître les conséquences. Les statistiques annuelles de décès n’ont pas montré globalement d’excès de mortalité en 2020 par rapport aux cinq dernières années ; une surmortalité a néanmoins été observée dans les cantons de Genève, Vaud et du Tessin. Par ailleurs, une étude réalisée sur les admissions aux urgences de l’Hôpital universitaire de Berne a montré une augmentation des décès (diagnostic de sortie) d’environ 300 % par rapport au mois de mars de l’année précédente.6
Les téléconsultations se sont développées en MPR en Suisse, surtout par téléphone, moins par visioconsultation. Cependant, il semble que cet épisode n’ait pas donné lieu à un changement de pratiques durable, en tout cas uniforme. Il nécessiterait en premier lieu un aménagement du système tarifaire actuellement en vigueur. Par ailleurs, certains cliniciens et probablement de nombreux patients, semblent particulièrement attachés aux liens développés en présentiel pour une prise en charge optimale des patients.
Malgré une incidence de Covid-19 élevée, le système sanitaire suisse semble avoir bien répondu à la première vague de cas du printemps dernier ; sans saturation et avec une limitation des décès. L’intégration des soins primaires, en particulier des cabinets de MPR, dans le dispositif de gestion de cette première vague n’a été ni immédiate ni systématique. Le mode de fonctionnement libéral explique probablement en partie cette situation. Les premières données sur le retour d’expérience des médecins, faisant aussi apparaître de grandes disparités d’attitudes, confortent finalement peut-être aussi ces choix. Il est également intéressant de noter que si le système hospitalier a « tenu le coup », avec l’augmentation du taux de pratique de tests dans la population, c’est essentiellement la MPR qui est sollicitée. Ainsi, il apparaît crucial de la renforcer dans une perspective de seconde vague.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Cet article fait partie d’un ensemble de 4 papiers, écrits parallèlement par les membres du Groupe international francophone en soins primaires. Ce groupe, dont les membres sont issus de France et des régions, cantons et provinces francophones de Suisse, du Canada et de Belgique, a voulu décrire comment les systèmes de santé et particulièrement de soins primaires ont réagi face au choc de la pandémie de Covid-19 dans leurs pays ou régions.
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