L’impact des épidémies virales sur le système cardiovasculaire est connu depuis longtemps en particulier lors des épidémies de la grippe saisonnière due au virus influenza.1 La maladie COVID-19 (CoronaVirus Disease 2019) suite à une infection par le virus SARS-CoV-2 semble, en plus de l’atteinte pulmonaire, déclencher une intense réaction inflammatoire, avec un impact multisystémique incluant notamment le système cardiovasculaire. Le présent article résume les effets cardiovasculaires directs du SARS-CoV-2 ainsi que l’interaction entre les maladies cardiovasculaires préexistantes et le COVID-19.
Nous savons aujourd’hui que les virus SARS-CoV ont un tropisme pour le système cardiovasculaire. En effet, les SARS-CoV pénètrent dans les cellules via les récepteurs protéiques attachés à la membrane appelés enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) qui sont exprimés dans les poumons mais aussi dans le myocarde et les cellules endothéliales.2,3 Des effets directs du SARS-CoV-2 ont été rapportés chez certains patients qui semblent présenter une atteinte principalement cardiaque avec une inflammation myocardique primaire. Il existe ainsi quelques cas rapportés de myocardite fulminante traitée par corticoïdes, immunoglobulines et même oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO).4,5 De manière intéressante, ce type d’évolution peut se manifester même après résolution de la phase initiale de la maladie.6 Cet effet direct du SARS-CoV-2 sur le myocarde est actuellement hypothétique et pourrait aussi être le reflet d’une tempête inflammatoire de cytokine, voire d’une hypoxémie sévère.
L’élévation des biomarqueurs cardiaques tels que la troponine est associée à un mauvais pronostic dans une étudebasée sur 416 patients hospitalisés dans la région de Wuhan. Une élévation de la troponine (19,7 %) chez les patients infectés par le SARS-CoV-2 était associée à un taux de mortalité hospitalière significativement plus élevé (51,2 %) par rapport à ceux sans lésion myocardique (4,5 %).7 Ces résultats ont été confirmés dans d’autres études, notamment dans une série de 187 sujets démontant une élévation significative de la troponine chez plus de 25 % des patients.8 De manière intéressante, plus la troponine était élevée, plus le taux de mortalité augmentait. De ce fait, il n’est pas surprenant de constater qu’une élévation de la troponine a été observée chez environ 25 % des patients nécessitant un séjour aux soins intensifs mais chez près de 50 % des patients avec une évolution fatale.7,8 Dans ces études, les patients à risque de lésion myocardique étaient plus âgés et présentaient plus souvent une hypertension, une coronaropathie, une insuffisance cardiaque ou du diabète si bien que l’élévation des troponines est possiblement le reflet de la surreprésentation de ces comorbidités. À noter également que l’élévation des troponines semble avoir une implication pronostique différente en fonction de la présence ou non de ces comorbidités. En effet, une élévation des troponines n’est pas liée à la même mortalité selon qu’elle soit associée à une maladie coronarienne préexistante (69,4 %) ou non (13,3 %).8
La survenue d’arythmies cardiaques est une complication relativement fréquente de l’infection du virus SARS-CoV-2 avec une prévalence de 16,7 % dans une série de 138 patients admis à l’Hôpital Zhongnan de Wuhan.9 Une catégorisation systématique des arythmies liées à cette infection n’est pas disponible pour l’heure, mais des données préliminaires montrent une association significative entre l’apparition d’arythmies ventriculaires malignes pendant la phase aiguë de la maladie et le niveau d’atteinte myocardique estimé par l’élévation de la troponine T.8 Plusieurs mécanismes pathogéniques paraissent impliqués dans cette atteinte myocardique et donc dans la formation d’un substrat arythmogène. Par exemple, les phénomènes inflammatoires locaux liés à l’action directe du SARS-CoV-2 ainsi que les effets de la tempête inflammatoire médiée par les cytokines sur le tissu myocardique seraient à l’origine du développement d’un tableau de myocardite.10 En outre, une atteinte ischémique, déclenchée par la réponse inflammatoire, et une accentuation du tonus sympathique ont été mis en relation avec une augmentation du risque arythmique.11 En l’état actuel, le pronostic des patients infectés par le virus SARS-CoV-2 présentant des arythmies cardiaques reste inconnu et la prise en charge thérapeutique doit suivre les recommandations établies par les sociétés de cardiologie selon le type d’arythmie documentée.
Plusieurs médicaments en cours d’investigation pour le traitement de l’infection du virus SARS-CoV-2, dont la chloroquine, l’hydroxychloroquine, l’azithromycine et la combinaison lopinavir/ritonavir, peuvent potentiellement prolonger l’intervalle QT et donc exposer les patients à un risque accru de « torsades de pointes » et de mort subite. Un screening électrocardiographique de base ainsi qu’un monitorage strict de l’intervalle QT s’avère donc nécessaire en cas d’utilisation de ces médicaments afin de stratifier et monitorer le risque arythmique. Selon l’algorithme de prise en charge thérapeutique proposé récemment par le groupe de la Mayo Clinic12 la documentation d’un QTc ≥500 ms ainsi qu’un ΔQTc ≥ 60 ms pendant le traitement identifie les sujets à haut risque d’arythmie. Dans ce cas, l’évaluation du rapport risque-bénéfice du traitement s’impose ainsi que la mise en place de mesures de surveillance rythmique en continu (télémétrie), éventuellement associées à l’utilisation de défibrillateurs portables (LifeVest).
Au vu de l’association entre hypertension et évolution défavorable de la maladie, la question du rôle des inhibiteurs de l’angiotensine dans la maladie et la nécessité de leur éventuel arrêt s’est posée. Néanmoins, en l’absence de données solides et au vu du très net bénéfice de ces molécules en cardiologie, les différentes sociétés professionnelles de cardiologie et d’hypertension se sont positionnées clairement pour la poursuite de ces médicaments chez les patients en bénéficiant de routine.13
En outre, par analogie à ce qui s’observe dans le traitement antirétroviral du VIH, il existe un risque théorique d’interaction pharmacologique entre les antiviraux utilisés contre le SARS-CoV-2 et les antiplaquettaires, en particulier le clopidogrel et le ticagrélor.14-16 Cette interaction peut se traduire soit par une perte d’efficacité (clopidogrel), soit par un gain (ticagrélor). De ce fait, chez les patients au bénéfice d’une de ces 2 molécules et chez qui un de ces antiviraux est introduit, il semblerait légitime - sur avis cardiologique et au cas par cas - d’envisager un remplacement par le prasugrel en suivant les modalités recommandées par la Société Européenne de Cardiologie.17
Depuis le début de l’épidémie, le virus semble toucher plus sévèrement les patients souffrants de comorbidités cardiovasculaires telles que l’hypertension, le diabète ou la présence d’un syndrome coronarien chronique.
En effet, dans une étude basée sur 191 patients,18 les facteurs de risques cardiovasculaires fréquents que sont l’hypertension artérielle ou le diabète étaient significativement associés à une plus haute probabilité de développer un SDRA (syndrome de détresse respiratoire aiguë). Par ailleurs, une autre étude19 a montré que la présence d’un antécédent de maladie coronarienne était associée à une plus haute probabilité de décès. Une première méta-analyse publiée sur le sujet et incluant plus de 40 000 patients, retrouve également l’hypertension et la maladie coronarienne comme facteurs de mauvais pronostic.20 La plupart de ces études étant réalisées sur un nombre limité de patients, il est actuellement difficile de déterminer si ces facteurs contribuent par eux-mêmes au mauvais pronostic ou s’ils sont le reflet d’un état de fragilité plus important.
Finalement, de manière non anticipée, une importante baisse du nombre de patients se présentant avec un infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST (STEMI) a été observé dans de nombreux pays atteints par la pandémie.21 Si certaines personnes estiment que la baisse de la pollution atmosphérique ou que le fait de rester à domicile sans effectuer d’efforts est une explication possible, il existe une potentielle explication alternative plus inquiétante. Ainsi de nombreux centres estiment au contraire que les patients présentant des symptômes d’infarctus restent à domicile par peur de se rendre à l’hôpital. Différentes campagnes de prévention ont d’ores et déjà débuté en Suisse en insistant sur le fait que malgré la pandémie, les autres maladies continuent d’exister et que les ignorer peut s’avérer très dangereux.
L’infection à SARS-CoV-2 semble avoir un impact tout particulier sur le système cardiovasculaire. Les patients souffrants de pathologies préexistantes telles qu’hypertension ou maladie coronarienne semblent plus vulnérables et plus susceptibles de développer une atteinte myocardique, elle-même associée à une mortalité plus élevée. Dans ce sens, l’Ordonnance 2 du Conseil Fédéral sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) semble adéquate puisque ces patients y sont identifiés comme personnes vulnérables. Il existe également un risque arythmique ainsi que de myocardite fulminante, cette dernière présentation semblant toutefois la plus rare.
Il est important de noter que les connaissances actuelles évoluent rapidement mais sont limitées et basées sur des séries de petits nombres de patients. De ce fait, dans ce contexte d’effervescence scientifique actuelle, la compilation future de ces données devra se faire avec une attention toute particulière puisqu’une possible publication multiple des mêmes collectifs de patients a déjà été évoquée.22 Cet etat de fait pourrait bien evidemment alterer la validite de futures meta-analyses.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
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