La pandémie de Covid-19 bouleverse la psychiatrie par ses conséquences sociales et par de possibles séquelles psychiatriques. La crise actuelle révèle l’accessibilité de technologies digitales telles que la télépsychiatrie. Des technologies comme la réalité virtuelle, l’actigraphie, la psychiatrie computationnelle combinées aux données cliniques et aux neurosciences révèlent une importante variabilité neurocomportementale même au sein d’une catégorie diagnostique donnée, invitant à une plus grande précision des traitements comme suggéré par les recherches en neurofeedback. La place de l’eskétamine intranasale dans la panoplie thérapeutique médicamenteuse de la dépression résistante doit encore être définie.
M. Preisig et C. Vandeleur
L’actigraphie ou actimétrie mesure et enregistre à l’aide d’un petit boîtier, souvent porté au poignet, des mouvements corporels pendant plusieurs jours. Elle permet d’analyser le rythme veille-sommeil, ses décalages de phases, et la qualité du sommeil. Les actimètres portés au poignet pendant 14 jours ou plus permettent non seulement, comparés aux autoquestionnaires, une mesure plus objective des niveaux d’activité, mais ils ont également l’avantage, par rapport à des mesures de laboratoire, d’acquérir des données dans le milieu habituel de la personne. La recherche en psychiatrie s’est particulièrement servie de ces outils pour étudier les troubles de l’humeur, du déficit de l’attention avec hyperactivité et les maladies démentielles. Ces affections s’accompagnent d’altérations des niveaux d’activité, du rythme nycthéméral et du sommeil. Inversement, une série d’études ont montré que l’activité physique a un effet favorable sur les troubles psychiatriques et peut être utilisée de façon thérapeutique.1,2 Les études récentes ont mis en évidence que, comparées aux personnes sans pathologies psychiatriques, celles avec un trouble bipolaire présentent des niveaux d’activité diminués durant les épisodes dépressifs et les périodes de rémission, alors que leurs niveaux d’activité lors d’épisodes maniaques ou hypomaniaques comprennent des phases d’activation chaotiques.3 La recherche actuelle s’intéresse de plus en plus aux corrélats environnementaux, biologiques et génétiques de l’activité ainsi qu’à ses relations avec le sommeil, l’exercice, l’humeur, l’alimentation et le fonctionnement cognitif. Par conséquent, l’administration concomitante de questions par smartphone (évaluation écologique momentanée, Ecological Momentary Assessment (EMA)) permet de récolter des informations complémentaires sur les variations des états émotionnels, le vécu subjectif du sommeil, le temps passé à l’écran et les habitudes alimentaires. Si l’actigraphie se révélait capable de dépister des symptômes discrets tels des changements des niveaux d’activité, des perturbations du rythme nycthéméral ou du sommeil indiquant le début imminent d’un épisode thymique, elle pourrait devenir une méthode de détection précoce de nouveaux épisodes.
H. Verloo
En 2050, la Suisse dénombrera 2,7 millions de personnes âgées (PA) de 65 ans et plus.4 Les technologies d’assistance (TA) pourraient aider à trouver des solutions pour maintenir l’autonomie et pour « monitorer » l’état de santé.5,6 Les TA, les technologies de la communication et la télésanté permettraient de détecter rapidement un déclin physiologique et fonctionnel7 ou des décompensations aiguës pour ajuster les soins offerts.8,9
Ainsi, des détecteurs de mouvement fixes et des capteurs portables peuvent collecter les données biologiques et cliniques des PA lors de la vie quotidienne10,11 (tableau 1).12 De tels enregistrements en continu à long terme des paramètres biologiques et fonctionnels auprès de PA et notamment des résidents en institution pourraient fournir des informations sur le rythme de vie, les déplacements/chutes, les paramètres biologiques et sur un changement de comportement. L’intégration de tels outils dans la clinique rencontre encore des obstacles liés à la fiabilité de la transmission des données et à la complexité de leur analyse pour les soins.13 Une recherche interdisciplinaire impliquant ingénieurs et usagers finaux (soignants, proches et PA concernés) est nécessaire pour transposer ces développements technologiques dans la pratique clinique.8
P. Kloucek et A. von Gunten
La psychiatrie computationnelle (PC)14 combine des neurosciences, des mathématiques et du traitement informatique de multiples types de données (sensors, actimétrie notamment) afin de mieux comprendre et, in fine, diagnostiquer et traiter les maladies psychiatriques. La PC utilise avant tout l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique (machine learning) et le deep learning. Ces techniques ont une visée explicative ou prédictive. À titre d’exemple, dans le domaine explicatif, la PC pourrait aider à établir une classification diagnostique dimensionnelle en psychiatrie sur la base de données dérivées de nombreuses sources actuellement organisées hiérarchiquement et séparément (par exemple, génome, comportements, environnements). Dans le domaine prédictif, la PC pourrait aider à anticiper la réponse à un traitement antidépresseur à partir de variables cliniques et paracliniques multiples.
La PC apporte la compétence analytique nécessaire pour extraire les informations cliniquement utiles à partir de signaux complexes récoltés dans le contexte écologique dans lequel évolue le malade. La PC va au-delà des analyses statistiques habituelles des enregistrements pour en extraire des caractéristiques intrinsèques à l’évolution temporelle des signaux (par exemple, dimension temporelle fractale). Ces extractions sont des indicateurs de la complexité des processus psychophysiologiques sous-jacents et, en tant que tels, de meilleurs indicateurs de l’état de santé. En plus, la PC peut combiner les indicateurs de complexité de plusieurs variables physiologiques et comportementales (par exemple, ceux de la fréquence cardiaque et de données actimétriques). Cette approche peut visualiser des patterns caractéristiques d’un individu donné et différencier par exemple des états d’activité physique des états de stress mental15,16 (figure 1). À partir de cela, la PC a le potentiel théorique de prédire des évolutions pathologiques ou sociales sur la base de changements précoces des indicateurs de complexité.17
Index de Hurst
L’actimétrie permet d’analyser le rythme veille-sommeil et des fluctuations d’activité en milieu naturel. D’autres capteurs permettent de mesurer des modifications physiologiques ou environnementales. Combinées à des approches mathématiques et neuroscientifiques, ces données, dans le cadre de la PC, permettent d’élaborer des modèles de compréhension des fluctuations des états psychiques.
L’actimétrie couplée à l’EMA et à d’autres corrélats environnementaux ou biologiques aident à mieux appréhender les troubles psychiatriques. Elle confirme que l’activité physique peut être utilisée à visée thérapeutique. La PC permet de différencier les fluctuations de l’activité de modifications liées au stress.
T. Ros et Y. Khazaal
Le neurofeedback (NFB) consiste à enregistrer l’activité de l’EEG en temps réel, puis à la présenter à une personne sous forme d’information visuelle ou auditive sur un ordinateur. Le NFB d’abord pratiqué en laboratoire peut désormais être offert depuis le milieu naturel des personnes. L’objectif de ce feedback est d’entraîner le sujet à moduler son activité cérébrale. Les résultats des derniers essais cliniques randomisés et contrôlés sur le NFB ont conduit à des réponses mitigées. Un récent consensus propose des améliorations des méthodes de recherche (placebo, démonstration d’une autorégulation réussie).18
Par ailleurs, les analyses de « big data » et d’apprentissage automatique montrent des hétérogénéités neurobiologique et neurocomportementale considérables non seulement entre les diagnostics psychiatriques, mais aussi à l’intérieur de ceux-ci.19 Il sera crucial pour les études futures de tester et d’optimiser le(s) protocole(s) de NFB pour des sous-groupes et/ou des patients individuels en tenant compte de cette diversité. Le NFB pourrait évoluer en tant qu’outil thérapeutique en parallèle avec les nouvelles connaissances de la neuropsychiatrie.
Il est possible qu’un sujet module son activité cérébrale en réponse à un feedback EEG.
F. Vandenberghe
La dépression résistante est définie par la non-réponse à deux traitements de classes différentes (dosage maximum et durée suffisante). Dans ce contexte, différentes options pharmacologiques sont disponibles (combinaison d’antidépresseurs, potentialisation avec d’autres psychotropes).20 La kétamine intraveineuse (IV) a été également longtemps étudiée dans cette indication. Récemment, la Food and Drug Administration (FDA) puis Swissmedic ont approuvé l’eskétamine (EK) intranasale (un énantiomère de la kétamine) pour la dépression résistante associée à un antidépresseur.
La Montgomery-Asberg Depression Rating Scale (MADRS) a été le critère pris en compte par la FDA afin de juger l’efficacité thérapeutique des études randomisées TRANSFORM.21-23 Tous les patients inclus étaient traités pour une dépression résistante avec un antidépresseur. Après 28 jours, le groupe EK présentait, versus placebo, une réduction statistiquement significative du score MADRS d’environ 4 points dans 2 essais cliniques TRANSFORM. L’étude TRANSFORM III (patients gériatriques) n’a pas montré de différence. Les participants des études TRANSFORM I et II ont par la suite été invités à rejoindre l’étude de prévention de rechutes SUSTAIN I.24 En considérant les patients avec rémission, 27 % du groupe EK ont présenté une rechute en comparaison de 45 % dans le groupe placebo après 92 semaines. La possible supériorité de la kétamine IV par rapport à l’EK intranasale, suggérée par une récente méta-analyse,25 reste ouverte, au vu d’un manque d’études randomisées examinant cette question.
Comme pour la kétamine, les effets indésirables de l’EK incluent la sédation, la dissociation et l’augmentation de la pression artérielle, qui apparaissent dans les quelques minutes après administration et s’amendent après 2 heures environ. Sur le plan de la sécurité à long terme de l’EK, une vigilance est nécessaire sur les fonctions cognitives et urinaires et sur le potentiel d’addiction. Le patient doit s’administrer l’EK sous supervision médicale, dans un centre doté d’un équipement de réanimation approprié. Ce traitement est contre-indiqué chez les patients avec une maladie vasculaire anévrismale, des antécédents d’hémorragie intracérébrale ou un événement cardiovasculaire survenu au cours des 6 dernières semaines.
En conclusion, malgré les incertitudes concernant l’efficacité relative de l’EK intranasale comparée à la kétamine IV, mais également à d’autres stratégies de potentialisation, l’autorisation de mise sur le marché de l’EK intranasale par Swissmedic apporte une option thérapeutique avec un mécanisme d’action différent.
La kétamine administrée IV a démontré un effet prometteur dans le traitement de la dépression résistante, en association à un antidépresseur.
Y. Khazaal
De manière générale, chez l’adulte, les thérapies délivrées en visioconférence offrent un impact clinique similaire à celui obtenu dans les traitements en face à face sans compromettre l’alliance thérapeutique.26,27 Malgré sa disponibilité, cette offre de télépsychiatrie est restée longtemps confidentielle.
Le Covid-19 a imposé de privilégier, chaque fois que possible, des soins à distance, généralisant l’usage de cette prestation. Dans ce contexte, afin de guider les cliniciens dans cet exercice, différentes recommandations ont été développées28,29 dont celles-ci :
Chez l’adulte, les interventions via téléconférence (télépsychiatrie) sont disponibles, accessibles et efficaces dans un large spectre de situations cliniques en psychiatrie.
J. Elowe
La réalité virtuelle (RV)30 génère par ordinateur un ensemble d’images et de sons simulant des lieux ou des situations. Récemment rendue accessible via des smartphones et des casques de RV, elle permet d’offrir une immersion interactive dans l’environnement. Cette possibilité est utile en psychiatrie tant sur les plans clinique et diagnostique que thérapeutique en combinaison avec une psychothérapie. La RV propose des espaces d’expérimentation et d’exposition confidentiels et sécurisés. Plus de 80 % des patients parviendraient à transposer les bénéfices acquis en RV dans leur quotidien.
Les principaux obstacles à l’utilisation de la RV sont liés à l’inconfort occasionné par l’univers virtuel. La cinétose touche près de 40 % des utilisateurs de casques de RV, entraînant une fatigue oculaire, des céphalées, des nausées et une hypersudation. Une solution logicielle consistant à ajouter une ligne d’horizon fictive suivant les mouvements de la tête pourrait réduire ce risque.
Les difficultés d’interaction avec le monde et les autres sont au cœur de nombreuses pathologies mentales. C’est pourquoi, le rétablissement implique des changements dans les modes de pensée et de comportement dans ces situations. La RV pourrait faciliter de tels changements dans différents troubles mentaux. Des bénéfices sont établis pour les phobies spécifiques, la phobie sociale et le trouble panique avec agoraphobie. Des applications sont notamment étudiées pour l’évaluation et le traitement des addictions, des troubles alimentaires et psychotiques.
La RV permet une immersion dans des environnements simulés utiles à l’évaluation et au traitement de certains troubles psychiques, en particulier anxieux. La cinétose est un effet secondaire courant.
M. Tadri
Le virus de la pandémie SARS-CoV-2 peut toucher le système nerveux central (SNC). Cette atteinte pourrait s’expliquer par le passage du virus dans le SNC ou par des mécanismes immuno-inflammatoires périphériques ou centraux31 décrits dans les formes sévères de Covid-19. Cette réponse immunologique excessive est médiée par une production de cytokines pro-inflammatoires (interleukines 6 (IL-6), 1bêta (IL-1b), 8 (IL-8) ou 10 (IL-10)).31-33 Ces dernières, impliquées pour des sous-groupes de personnes avec des troubles psychiatriques, pourraient affecter l’humeur, la cognition et le comportement en modifiant le métabolisme des neurotransmetteurs, en activant l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, en majorant le stress oxydatif et en réduisant la plasticité synaptique.34 On peut donc interroger l’implication des cytokines produites en réponse à l’infection systémique par SARS-CoV-2 dans la genèse d’atteintes neuropsychiatriques aiguës ou tardives.35 Cette perspective doit faire l’objet d’études. Cela permettrait d’identifier des sous-groupes de patients présentant des troubles psychiatriques associés à des phénotypes sérologiques et immunologiques communs au SARS-CoV-2, ce qui pourrait aider au développement de stratégies thérapeutiques ciblées.31
Le virus SARS-CoV-2 peut toucher le SNC. Des mécanismes inflammatoires sont retrouvés parmi certains sous-groupes de personnes avec des troubles psychiatriques.
L’article montre la disponibilité de différentes technologies qui pourraient s’avérer particulièrement utiles en psychiatrie. Pour l’instant, la plupart de ces approches ont encore un usage limité en clinique, en dehors de la télépsychiatrie récemment popularisée par la pandémie de Covid-19.
Cette crise serait-elle une crise systémique qui nous inviterait à améliorer la cohérence de l’usage de nos progrès et à préserver nos liens sociaux ?
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
La pandémie de Covid-19 bouleverse la psychiatrie par ses conséquences sociales et par de possibles séquelles psychiatriques. La crise actuelle révèle l’accessibilité de technologies digitales telles que la télépsychiatrie. Des technologies comme la réalité virtuelle, l’actigraphie, la psychiatrie computationnelle combinées aux données cliniques et aux neurosciences révèlent une importante variabilité neurocomportementale même au sein d’une catégorie diagnostique donnée, invitant à une plus grande précision des traitements comme suggéré par les recherches en neurofeedback. La place de l’eskétamine intranasale dans la panoplie thérapeutique médicamenteuse de la dépression résistante doit encore être définie.
Recevez une fois par semaine, le résumé des actualités Covid-19 par email.
Je m’inscrisRetrouvez les conférences du colloque du 2 Juillet 2020 organisé par Unisanté dans la rubrique Colloques/Unisantéil.
Accéder aux conférences