L’épidémie de la maladie Coronavirus Disease 19 (COVID-19), consécutive à l’infection virale du Severe Acute Respiratory Syndrome-Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) a particulièrement mis sous pression les systèmes de santé occidentaux, notamment en termes de ressources de soins aigus et de compétences en soins intensifs. Un certain nombre de patients atteints ont nécessité par la suite une phase de réadaptation, en raison de limitations fonctionnelles multiples, consécutives, soit à un séjour prolongé aux soins intensifs, soit aux conséquences de l’infection elle-même. Le but de cet article est de rapporter l’expérience genevoise en réadaptation post-COVID-19, à travers 2 vignettes cliniques, illustrant l’hétérogénéité des symptômes et déficits qui peuvent se rencontrer suite à cette maladie.
La maladie (Coronavirus Disease 19 (COVID-19)) à coronavirus 2019 (Severe Acute Respiratory Syndrome-Coronavirus 2 (SARS-CoV-2)) initialement identifiée en Chine en décembre 2019 fait son apparition en Suisse en février 2020. Le canton de Genève a été un foyer important de la pandémie dans le pays avec une incidence à fin juin de 1052 cas pour 100 000 habitants.1 Les hôpitaux universitaires de Genève ont admis leurs premiers patients le 27 février, pour totaliser 1052 hospitalisations de patients COVID-19 à fin juin 2020.
La survenue d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SRAS) a contraint un nombre important de patients à un séjour hospitalier long et 148 patients (14 %) ont nécessité un passage en unité de soins intensifs avec, pour la plupart, une intubation orotrachéale. Au décours de cette phase aiguë, la sévérité de l’infection, la survenue de complications, la décompensation de comorbidités, et la baisse de fonctionnalité ont imposé une poursuite de l’hospitalisation. Ainsi 147 (14 %) patients ont été transférés dans une unité de réadaptation post-COVID-19 et 45 (4 %) en unité de neurorééducation post-COVID-19. Leur durée moyenne de séjour a été de 21,3±2,8 jours en réadaptation gériatrique et 28,3±15,1 jours en neurorééducation. Ainsi, ces patients ont présenté des besoins divers, pour certains une réadaptation neurologique intensive et pour d’autres, une réadaptation gériatrique visant à récupérer une fonctionnalité compatible avec un retour à domicile. Afin d’illustrer cet état de fait, nous rapportons ici les cas cliniques de 2 patients ayant souffert d’une infection au SARS-CoV-2 et ayant nécessité une réadaptation.
Ce patient de 69 ans, connu pour une hypertension artérielle (HTA), une obésité et un glaucome à angle ouvert, présente une toux sèche et un état fébrile, associés à une dyspnée d’effort et une inappétence, symptômes persistants qui le conduisent aux urgences. La tomodensitométrie (TMD) thoracique montre des infiltrats interstitiels bilatéraux évocateurs d’une broncho-pneumonie virale. Le frottis nasopharyngé confirme le diagnostic d’infection à SARS-CoV-2. Le lendemain, le patient évolue vers une insuffisance respiratoire hypoxémique sévère, motivant un transfert en soins intensifs et une intubation orotrachéale durant 16 jours. Le patient reçoit un traitement antibiotique pour une suspicion de surinfection pulmonaire ainsi qu’un traitement associant azithromycine et hydroxychloroquine.
Le sevrage ventilatoire est difficile (persistance d’un score de Glasgow à 6/15 lors de la levée de la sédation), justifiant une trachéotomie durant 14 jours. La persistance d’un état confusionnel dans le service des soins intermédiaires fait pratiquer une électroencéphalographie (EEG) qui révèle une encéphalopathie modérée à sévère avec une faible réactivité. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) montre une prise de contraste de la paroi de certains vaisseaux extra- et intracrâniens (figure 1), sans lésion ischémique. La ponction lombaire est normale et les Polymerase chain reaction (PCR) virales sont négatives y compris pour le SARS-CoV-2. Ces résultats sont compatibles avec le diagnostic de vascularite parainfectieuse et le patient reçoit une corticothérapie composée d’une dose initiale de prednisone de 1 mg/kg puis d’une diminution progressive pour une durée totale de 3 semaines. L’existence d’une faiblesse musculaire des 4 membres ainsi qu’une biparésie faciale et des réflexes ostéotendineux hypovifs fait suspecter une polyneuromyopathie des soins. L’électroneuromyogramme (ENMG) montre une polyneuropathie sensitivo-motrice axonale, longueur dépendante, de degré modéré pour laquelle une étiologie toxico-métabolique est peu probable. Sur le plan métabolique, on notera une perte pondérale de 17 kg, soit 15 % du poids corporel, correspondant à une malnutrition protéino-énergétique sévère. Dans ce contexte le patient développe deux escarres sacrée et occipitale de stade 2.
À l’entrée du patient en réadaptation, 56 jours après les premiers symptômes, l’examen des fonctions supérieures montre une désorientation spatio-temporelle, des déficits attentionnels et de la mémoire de travail, de la mémoire épisodique prédominant en récupération, et des troubles exécutifs sévères. Le Montreal Cognitive Assessment (MoCA) test est mesuré à 11/30.2 La faiblesse musculaire prédomine aux quatre membres et est sévère. Il y a un déficit de la sensibilité superficielle aux extrémités des deux membres inférieurs, des réflexes ostéo-tendineux normovifs, des réflexes cutanéo-plantaires en flexion des deux côtés, un discret tremblement d’action aux deux membres supérieurs. Monsieur reste dépendant du fauteuil roulant, et la mesure de l’indépendance fonctionnelle (MIF) est évaluée à 44/126, soit une autonomie sévèrement perturbée dans toutes les activités quotidiennes. L’état de malnutrition est toujours sévère avec un Nutritional Risk Screening (NRS) à 6, justifiant une alimentation entérale en complément de la reprise per os avec texture adaptée. Les deux escarres nécessitent toujours une cicatrisation dirigée avec pansement.
Le patient bénéficie d’un programme de neurorééducation stationnaire, intensif et pluridisciplinaire durant 38 jours. L’évolution est marquée par une disparition de la désorientation. Il persiste quelques difficultés attentionnelles et une fragilité en mémoire épisodique. Le score MoCA à la sortie est à 24/30. En physiothérapie, le renforcement musculaire et l’entraînement cardiorespiratoire permettent une récupération de la marche sans moyen auxiliaire sur un périmètre de près de 200 mètres et l’utilisation des escaliers en autonomie. La force est évaluée à M5 aux 4 membres. L’autonomie dans les activités de la vie quotidienne (AVQ) est acquise et la MIF de sortie est mesurée à 112/126. L’amélioration de la déglutition a autorisé l’arrêt de l’alimentation artificielle. L’escarre occipitale est guérie, et l’escarre sacrée relève encore de pansements simples qui seront effectués en ville. Le patient regagne son domicile avec poursuite de la physiothérapie d’endurance, et suivi par son médecin traitant.
Ce patient de 78 ans, connu pour un diabète de type 2 traité, une hypertension traitée et un syndrome dépressif, consulte dans une permanence pour toux, asthénie et diarrhées. Un frottis nasopharyngé est positif pour le SARS-CoV-2. Son état se dégrade progressivement avec péjoration de sa pneumopathie qui devient oxygéno-requérante et il est transféré aux urgences. Le CT thoracique met en évidence des infiltrats interstitiels bilatéraux, avec une atteinte touchant plus de 50 % des poumons ; il n’y a pas d’embolie pulmonaire associée.
Transféré en service de médecine aiguë, le patient est mis au bénéfice d’une antibiothérapie et d’un traitement de remdésivir selon un protocole d’étude clinique. La combinaison lopinavir/ritonavir (Kaletra) et l’hydroxychloroquine ne sont pas introduits du fait d’un QT corrigé (QTc) trop long chez ce patient sous deux antidépresseurs. Durant son séjour, il est alité et mis au fauteuil. Dès la baisse de l’oxygénothérapie, la prise en charge en rééducation est initiée. Elle tient compte de la dyspnée majeure à l’effort. Le patient perd 4,3 kg en 13 jours. La mobilisation à la marche reprend le 17 avril après 6 jours d’alitement. Il fait alors 2 allers-retours dans les barres parallèles.
À l’entrée du patient en réadaptation, 20 jours après les premiers symptômes, le bilan met en évidence une asthénie subjective avec sarcopénie objectivée par un test du levé de chaise à 16,5 secondes pour une normale inférieure à 15 secondes et un hand Grip à 18 kg pour une normale supérieure à 27 kg. Nous notons une perte de poids de 5,5 kg avec un NRS-2002 à 5/7. Le patient présente une oxygéno-dépendance à l’effort, il marche sur 12 mètres sans oxygène en désaturant à 84 %. La marche sur 50 mètres avec oxygénothérapie à 1,5 l/min est possible tout en maintenant une saturation au-dessus de 91 %. La pratique de l’escalier n’est pas testée en raison du risque de défaillance respiratoire. La MIF est à 95/126.
Un projet thérapeutique individualisé sur 15 jours est établi en colloque interprofessionnel visant à récupérer une autonomie permettant un retour à domicile. La prise en charge allie l’intervention d’une diététicienne avec monitoring de la prise de repas et l’introduction de suppléments nutritifs oraux pour atteindre un apport en calories de 30 kCal/kg/j et un apport en protéines de 1 g/kg/j ; un programme physiothérapeutique journalier avec renforcement musculaire global et plus spécifiquement du train porteur et travail de l’endurance sous surveillance de la saturation. L’intervention ergothérapeutique teste la mise en situation et évalue les besoins à domicile. Les soignants veillent à stimuler le patient pour les actes de la vie quotidienne.
À la sortie pour le domicile le patient n’est plus asthénique ni oxygéno-dépendant. Son poids est stabilisé (+500 g). La marche se fait sur 300 mètres sans oxygène. Il monte et descend 18 marches. La saturation reste au-dessus de 90 % avec une fréquence cardiaque entre 125 et 129 à l’effort. La MIF est à 100/126. Un suivi est mis en place avec un programme interprofessionnel coordonné à domicile et physiothérapie.
La réadaptation post-COVID-19 peut donc prendre plusieurs formes, selon les déficits consécutifs à l’infection ou à un séjour prolongé aux soins intensifs. Les services de rééducation des patients post-COVID-19 ont dû s’organiser avec une prise en charge modifiée par les mesures de distanciations, l’isolement des patients de leur famille, la mise en place de protections adaptées au risque de contagiosité et des unités ont été spécialement dédiées pour accueillir ces patients.3 D’un point de vue neurologique, plusieurs séries récentes de cas rapportent des symptômes divers, alliant troubles centraux (agitation, vertiges, céphalées, troubles dysexécutifs) et périphériques (faiblesse musculaire, altérations du goût, de l’odorat et douleurs neuropathiques).4,5 Parmi les 45 patients admis en neurorééducation, 25 cas présentaient une atteinte du système nerveux central (10 cas de vasculite, 12 AVC ischémique, 2 états confusionnels persistant sans anomalie à l’IRM, 1 méningo-encéphalite). Dans ce sous-groupe, le score moyen au MoCA était de 17,0±6,4/30, illustrant la sévérité des troubles cognitifs. Des signes d’atteinte du tractus corticospinal ont été retrouvés dans 10 cas et un tremblement d’action nouvellement apparu chez 15 patients.
Ces observations viennent donc apporter des arguments en faveur d’un neurotropisme central du SARS-CoV-2. Les mécanismes de ce neurotropisme sont encore mal connus, mais certains auteurs évoquent le rôle des récepteurs de l’enzyme de conversion 2 localisés non seulement au niveau des poumons, du cœur et des reins mais aussi des cellules endothéliales.6 Les sévères conséquences sur le système nerveux central, telles que nous avons pu les constater dans notre expérience, pourraient donc être en lien avec une infection directe des cellules endothéliales. Le dysfonctionnement microvasculaire en résultant pourrait induire une vasoconstriction, une ischémie localisée ou une inflammation avec œdème tissulaire et majoration d’un état procoagulant.
Au niveau respiratoire, les lésions sont la conséquence de l’effet cytopathogénique direct du virus, d’atteinte vasculaire avec microthrombi et/ou d’embolies pulmonaires. Par ailleurs des lésions liées à la ventilation mécanique peuvent se surajouter. En phase aiguë, la rééducation respiratoire est mal tolérée et une stabilisation est souvent de mise avant de commencer.7 Actuellement il n’y a pas de protocole de rééducation spécifique. La réadaptation à l’effort profite de l’expérience cardiopulmonaire avec utilisation, pour l’évaluation, des tests habituels (test de marche de 6 minutes avec saturomètre, débimétrie et échelle de dyspnée). Les thérapies physiques utilisées sont mises en place en fonction de chaque indication comme l’aide à l’expectoration, le soutien ventilatoire et le renforcement des muscles respiratoires.8 Les activités aérobies sur appareil sont à mettre en place progressivement en fonction de la tolérance du patient. Un bénéfice de cette thérapie sur la force, l’endurance et sur la consommation d’oxygène maximale (VO2 max) a été mis en évidence en cas d’atteinte pulmonaire dans un essai randomisé contrôlé.9
Que ce soit en raison de l’atteinte respiratoire, du risque de complications infectieuses, d’un séjour prolongé aux soins intensifs ou de la cachexie induite par l’infection elle-même, le risque de dénutrition est important suite à la maladie COVID-19. Bien que non spécifiques, la société européenne de nutrition entérale et parentérale (ESPEN) a récemment publié une liste de 6 recommandations à appliquer hors soins intensifs dans le cadre d’une infection à SARS-CoV-2.10 Celles-ci vont de la nécessité de dépister la dénutrition au moyen d’outils reconnus (NRS-2002),11 de la diagnostiquer selon la dernière définition au traitement alliant supplémentation calorique, protéiques et de micronutriments en fonction des besoins individuels et selon différentes modalités (enrichissement des repas, suppléments nutritifs oraux, alimentation entérale ou parentérale).12
D’un point de vue fonctionnel, en post-COVID-19 comme pour les autres pathologies entraînant un retentissement fonctionnel, une prise en charge globale et adaptée au bilan doit aboutir à un projet thérapeutique individualisé. La principale différence est la mise en place d’un dispositif tenant compte du risque infectieux et limitant la présence des aidants et l’accès aux thérapies de groupe. Dans la littérature, on retrouve l’importance de réaliser un bilan complet avec mesure de la force, évaluation des amplitudes articulaires et évaluation de l’équilibre.3,13 La mobilisation des patients au lit et le renforcement musculaire peuvent commencer en soins aigus et se poursuivre en service de réadaptation. Elles comprennent le travail en actif et en passif.3 Un monitoring du patient sur le plan respiratoire par saturomètre peut être utile si le patient est toujours oxygéno-requérant ou si le sevrage en oxygène est proche. Un bénéfice est visible sur la récupération de la force, l’endurance ou la VO2 max.9 Le travail de réadaptation des AVQ pratiquées par les ergothérapeutes débute dès la stabilisation des paramètres vitaux.14 La réadaptation des AVQ et l’évaluation du domicile doivent être pratiquées de façon parallèle à la prise en charge en physiothérapie en vue de récupérer une indépendance fonctionnelle et d’organiser le retour à domicile du patient.15
La réadaptation post-COVID-19 doit être adaptée individuellement aux déficits présentés par le patient et peut donc prendre des formes aussi diverses que les symptômes de la maladie elle-même. Sans être spécifique à cette maladie, l’approche nécessite une évaluation structurée et une prise en charge multidisciplinaire visant à récupérer le maximum de fonctionnalité. Du fait du peu de recul sur l’épidémie, la littérature reste actuellement cruellement pauvre sur les risques de séquelles à moyen ou long terme.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Les déficits fonctionnels post-COVID-19 sont divers et dépendent de la durée et de la sévérité de la maladie
• La réadaptation post-COVID-19 est individualisée et s’adapte aux déficits fonctionnels, sans pour autant être spécifique à cette maladie
• Les atteintes neurologiques sont particulièrement prévalentes dans la maladie COVID-19
L’épidémie de la maladie Coronavirus Disease 19 (COVID-19), consécutive à l’infection virale du Severe Acute Respiratory Syndrome-Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) a particulièrement mis sous pression les systèmes de santé occidentaux, notamment en termes de ressources de soins aigus et de compétences en soins intensifs. Un certain nombre de patients atteints ont nécessité par la suite une phase de réadaptation, en raison de limitations fonctionnelles multiples, consécutives, soit à un séjour prolongé aux soins intensifs, soit aux conséquences de l’infection elle-même. Le but de cet article est de rapporter l’expérience genevoise en réadaptation post-COVID-19, à travers 2 vignettes cliniques, illustrant l’hétérogénéité des symptômes et déficits qui peuvent se rencontrer suite à cette maladie.
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