Introduction
Les soins intensifs ont été un secteur particulièrement sollicité durant la crise du COVID-19. À partir de fin février 2020, en prévision de la catastrophe qui s’annonçait, les préparatifs ont pu débuter, permettant d’anticiper l’arrivée des patient·e·s. Quel a été le « prix à payer » pour les patient·e·s, leur entourage et la communauté ?
Ce qu’on sait
- En temps normal, le CHUV dispose de 35 lits de soins intensifs. En transformant certaines salles d’opération et en convertissant des lits d’urgence, cette capacité a été augmentée à 83, avec des plans pour aller jusqu’à 120 lits. Toutes les places n’ont heureusement pas dû être utilisées.
- Il y a eu une importante implication des équipes de logistique pour créer et transformer des espaces non destinés à recevoir des patient·e·s de soins intensifs.
- L’augmentation de la capacité d’accueil des soins intensifs est allée avec une hausse drastique du personnel soignant qui a pu se faire grâce au « prêt » de la part d’autres services (anesthésie, bloc opératoire, écoles de soins…) (figure 1). Cela a créé des réels défis au niveau de la formation du personnel soignant, non spécialisé, et un challenge important pour faire travailler ensemble des équipes qui ne se connaissaient pas dans des situations de stress.
Fig 1
Augmentation des ressources en personnel aux soins intensifs durant la pandémie
ALG : service d’anesthésie ; ASCC : assistants soins santé communautaire ; CDC : chefs de clinique ; MA : médecins assistants ; NEMS : Nine Equivalent of Nursing Manpower Score ; PRN : projet de recherche en nursing (NEMS et PRN système de scoring de la lourdeur des cas aux soins intensifs).
- La création de multiples directives a permis une prise en charge standardisée des patient·e·s (par exemple, critères d’admissions aux soins intensifs ou intubation) avec mises à jour régulières de ces directives en fonction de la littérature et des recommandations nationales ou internationales.1
- Le nombre de personnes admises aux soins intensifs a augmenté de façon exponentielle pour se stabiliser ensuite, avec un pic à 41 personnes admises (en plus de 22 patient·e·s non COVID-19). Au total 120 patient·e·s COVID-19 ont été admis·e·s aux soins intensifs du CHUV entre le début de la pandémie et le 2 juillet 2020.
- Comme l’unité n’a jamais été saturée (grâce à l’augmentation des capacités d’accueil), les critères d’admission conventionnels ont pu être utilisés et aucun patient n’a dû être refusé en raison d’un manque de place.
- Les patient·e·s COVID-19 ont bénéficié de techniques qui sont considérées comme des standards aux soins intensifs (ventilation mécanique « protectrice », curarisation et ventilation en décubitus ventral). En revanche, l’ampleur de leur utilisation a été exceptionnelle.
- Les caractéristiques des 120 patient·e·s admis·e·s aux soins intensifs sont présentées dans le tableau 1.
Tableau 1
Caractéristiques des patient·e·s aux soins intensifs du CHUV (n = 120)
a Poids manquants pour 3 patients ; b Score de gravité tenant compte du nombre de systèmes atteints et gravité (minimum 0 – maximum 24) ; c données manquantes pour 20 patients. IECA : inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.
- Concernant le devenir des patient·e·s, 26 décès sont à déplorer (figure 2), 92 personnes sont sorties vivantes et 2 étaient encore admises au 2 juillet 2020. Cette mortalité est dans la moyenne basse de celle décrite dans la littérature.2
Fig 2
Répartition des décès et taux de mortalité aux soins intensifs
Répartition des décès en fonction de l’âge et taux de mortalité par tranche d’âge.
- Des difficultés liées à l’isolement, l’enfermement (espaces fermés), et l’absence de visite ont été observées pour ces patient·e·s qui ont vécu « dans une bulle » durant une période relativement longue.
Ce qu’on ignore encore
On ignore encore quelles sont les séquelles à long terme pour les personnes qui ont survécu :
- Polyneuropathie (très fréquente en raison de l’alitement prolongé et de la curarisation) ?
- Diminution des fonctions pulmonaires ?
- Conséquences des thromboses veineuses et artérielles (observées en aigu chez 25 % des patient·e·s) ?
- Syndrome de stress post-traumatique et autres problèmes psychologiques ?
Conflit d’intérêts :
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Implications pratiques
▪ Il est intéressant de connaître ce qui s’est passé aux soins intensifs, les défis logistiques et organisationnels que la pandémie a posés ainsi que les solutions apportées
▪ Pour la pratique, il est important de comprendre le vécu des patient·e·s hospitalisé·e·s aux soins intensifs qui ont survécu au Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (soit les 80 %), et de surveiller les séquelles que pourra laisser cette maladie après un séjour souvent prolongé