La téléconsultation assistée, une des composantes de la télémédecine, est un type de pratique médicale amené à se développer dans les prochaines années. Dans cette nouvelle forme de relation interprofessionnelle, la triade patient-soignant-médecin connaît de nouveaux enjeux. À travers cet article, nous nous intéressons aux compétences requises pour cette nouvelle pratique et tentons de proposer quelques bonnes pratiques à partir de notre expérience pilote.
La crise du Covid-19 a contribué à un important déploiement de la télémédecine dans le monde et en Suisse. Dès fin 2017, les HUG investissent dans le développement puis le déploiement de l’application de télémédecine HUG@home à travers un projet pilote, qui a débuté en mai 2019 avec l’Institut de maintien à domicile (Imad) et deux établissements médico-sociaux (EMS) du canton de Genève. Il s’agissait d’évaluer la faisabilité technique et médicale d’un projet de téléconsultation assistée (TLCA) par des infirmières intervenant au domicile ou en EMS, auprès de patients sortis d’une récente hospitalisation aux HUG. À travers cette application, les infirmières peuvent solliciter un avis médical pressant par vidéo, audio ou chat auprès d’un médecin interniste généraliste des HUG. L’objectif est de favoriser le maintien à domicile ou en EMS et d’éviter un transfert parfois inutile de ces patients aux urgences.
La télémédecine se définit comme une pratique médicale à distance, fondée sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Dans cet article, nous nous intéressons à la TLCA, soit une consultation à distance entre un professionnel de santé (par exemple, un médecin) et un patient, assisté par un tiers soignant (infirmière ou autre thérapeute) se trouvant en présence du patient.
En nous appuyant sur notre expérience durant la phase pilote de TLCA, durant laquelle 57 patients ont été pris en charge, nous soulignerons les enjeux dans cette nouvelle forme de relation interprofessionnelle. Nous tenterons d’apporter quelques recommandations de bonnes pratiques pour une TLCA.
Mme S., 96 ans, a chuté à domicile, ce qui a engendré une plaie superficielle à l’arcade sourcilière gauche. Son infirmière à domicile souhaite une évaluation neurologique et de la plaie, et se questionne sur le maintien de son traitement par Aspirine cardio. La TLCA a permis de conclure à un traumatisme crânien bénin sans perte de connaissance chez une patiente avec 2 facteurs de risque (âge et présence d’un traitement antiagrégant). La surveillance sera effectuée par la fille de la patiente et les « drapeaux rouges » ont pu être transmis à la famille et à l’infirmière. La plaie superficielle a pu être traitée par désinfection et pose de Steri-strips.
Dans le contexte d’une TLCA, la différence significative avec une consultation dite « traditionnelle » est le fait que la TLCA ne se fait pas en présentiel et que le duo médecin-patient est remplacé par une triade médecin-patient-soignant.1 Pour chacun de ses acteurs, les enjeux sont différents et sont résumés dans le tableau 1.
Dans le contexte du projet pilote HUG@home, l’infirmière Imad connaît son patient. Elle est habituée aux visites à domicile et est à l’aise dans l’environnement du patient. Elle doit s’assurer que la situation médicale relève d’une TLCA et répond aux prérequis :
L’infirmière Imad doit être en mesure de faire une évaluation clinique infirmière et de décrire la situation médicale au médecin à distance2 (figure 1). Elle facilite la prise en main par le patient de ce nouvel outil de télémédecine en mettant à sa disposition son téléphone professionnel et s’assure d’une bonne couverture 4G avant de demander la TLCA. Elle transmet au médecin à travers l’application sécurisée des informations afin qu’il puisse consulter le DPI du patient avant de débuter la TLCA.
Le médecin télétravaille depuis son domicile, tout en maintenant des conditions de consultation garantissant la confidentialité et le calme nécessaires. Il a dû lier un partenariat avec un nouveau patient et une infirmière à distance. Il avait accès au DPI de ce patient et a pu prendre connaissance de son dossier avant la TLCA.
La distance physique avec le patient a d’abord déstabilisé le médecin. Il ne pouvait pas s’aider de son examen physique, ce qui a accentué son sentiment d’incertitude.
Bien que 80 % des diagnostics soient posés sur la base de l’anamnèse,3 le médecin bénéficie d’avoir un soignant sur place. Ce dernier connaît souvent mieux le patient et prend alors un rôle primordial de facilitateur-médiateur, ou « les yeux et les mains du médecin » auprès du patient : d’une part, le soignant à domicile a accès aux comportements non verbaux du patient, d’autre part, il est l’interlocuteur spontanément privilégié par le patient, de par sa proximité physique. Il est donc amené à reformuler ou expliciter les informations transmises par le médecin et prendra parfois le rôle du patient advocate en verbalisant l’état émotionnel ou les priorités du patient.4 D’autre part, à l’image des advanced nurses practitioners,5 formées pour des actes cliniques tels que l’examen physique ou la prescription de certains médicaments, les soignants sur place peuvent pallier la distance entre le médecin et le patient. Ainsi, le médecin à distance peut déléguer certaines tâches médicales, contribuant également à l’acquisition de nouvelles compétences chez le soignant présent sur site.6
Cette redéfinition des rôles et de l’identité de chacun des professionnels de santé ne va pas toujours de soi. Par exemple, le médecin perd en autonomie et dépend d’un soignant à domicile inconnu pour l’évaluation et la prise en charge. Il peut donc développer une forme de frustration. À l’inverse, en renonçant à la vision hiérarchique de la collaboration médico-infirmière, le médecin et l’infirmière (ou d’autres professionnels de santé) peuvent mettre en place une collaboration interprofessionnelle basée sur un partenariat horizontal où les compétences et les informations des deux parties se complètent et intègrent le patient.7
Afin de faciliter cette transition, la formation à la collaboration interprofessionnelle se développe rapidement depuis quelques années dans les cursus prégradués des différentes professions de santé, permettant aux jeunes diplômés d’aborder leur future pratique en équipe interprofessionnelle horizontale, entre autres, en améliorant l’entraide et le soutien au sein d’une équipe, ainsi que la négociation d’objectifs partagés.8
Le médecin a dirigé l’infirmière pour réaliser un examen clinique neurologique de base. Lors d’une prochaine TLCA, l’infirmière sera certainement plus autonome pour cette évaluation.
L’infirmière était tout à fait à l’aise avec la délégation de tâches. Selon elle, le fait d’avoir la vidéo permet au médecin de se rendre compte de l’état du patient en sus des éléments apportés par elle (paramètres vitaux, évaluation neurologique) : « Nous étions complémentaires chacun dans notre domaine de compétences. »
Le renforcement du partenariat interprofessionnel entre le médecin et le soignant sur place met cependant le patient à risque de devenir un objet clinique n’ayant pas de rôle actif dans la TLCA et qui ne bénéficierait pas de l’attention attendue dans une consultation individuelle. Il est donc nécessaire pour le médecin de trouver un équilibre, en tissant une relation de confiance avec le soignant tout en gardant le patient comme partenaire central de la consultation.
Le médecin s’est appuyé sur la description de l’infirmière et sur son observation vidéo afin d’évaluer la plaie et la possibilité de mettre des Steri-strips. Ensuite, avec l’infirmière, ils ont validé la décision avec la patiente, en lui présentant les avantages et inconvénients d’un soin de plaie sans suture.
L’infirmière s’est sentie tout à fait impliquée dans la prise en charge et la décision : « J’ai présenté mon évaluation clinique (…) au médecin qui a pu évaluer le degré de gravité du traumatisme crânien ainsi que la plaie par vidéo. Il a donné les directives pour la pose de Steri-strips et nous avons organisé conjointement une visite le lendemain matin afin de nous assurer de l’évolution favorable. »
Comme dans toute situation de consultation ponctuelle, il est nécessaire de garantir une continuité dans la prise en charge du patient et de s’assurer que les décisions thérapeutiques sont compatibles avec sa réalité, le but étant d’éviter une fragmentation de la prise en charge.9
La triade médecin-patient-soignant a assuré une continuité de la prise en charge grâce au réseau préexistant du patient, soit le proche aidant, qui a réalisé la surveillance neurologique d’un traumatisme crânien selon une fiche remise à la patiente. À la fin de la TLCA, le médecin de garde a transmis un rapport à l’infirmière via l’application et une copie a été adressée au médecin traitant par courriel sécurisé. Une copie du rapport est enfin conservée dans le DPI des HUG et un exemplaire est transmis dans le dossier patient électronique (DPE).
Ce projet pilote nous a permis de mettre en lumière des compétences spécifiques à acquérir pour un médecin souhaitant développer cette pratique. Nous en proposons une liste non exhaustive, tirée de notre expérience récente et des compétences interprofessionnelles que le cursus genevois enseigne (tableau 2).8
Les recommandations de bonnes pratiques pour une téléconsultation de l’American Telemedicine Association (ATA) et de la Haute Autorité de santé (HAS) française s’appliquent également lors d’une TLCA.10,11
À partir de notre expérience lors de ce projet pilote, nous suggérons quelques bonnes pratiques pour une TLCA dans le tableau 3. À noter que, durant le projet pilote, nous avons encouragé les médecins à porter la blouse blanche car, même si d’un intérêt limité lors d’une téléconsultation, elle a été plébiscitée par les infirmières de l’Imad pour rassurer le patient qui identifie mieux ainsi ses différents interlocuteurs.
Comme pour une téléconsultation classique, la TLCA suppose un accès à des outils de communication sécurisés, mais également un partage des informations médicales à travers un DPE partagé avec l’ensemble des acteurs du réseau de soignants prenant en charge le patient, dont le médecin traitant, l’équipe soignante à domicile et le médecin des HUG (par exemple, MonDossierMédical.ch). Ce partage d’informations garantit une continuité de l’information médicale et améliore la sécurité des soins et donc la qualité du suivi.12-14
La TLCA par une infirmière ou un autre professionnel de santé apparaît comme une nouvelle pratique qui vient renforcer le réseau de soins autour du patient en facilitant l’accès à un avis médical rapide, et permet d’éviter un transfert du patient aux urgences. Elle comporte de nombreux enjeux pour chacun des acteurs impliqués dans la relation de soins et implique de nouvelles compétences, en particulier interprofessionnelles et de communication. Le recours à des TLCA par des infirmières ou d’autres professionnels de santé ne devrait plus être réservé aux zones géographiques éloignées des grands centres hospitaliers, mais être intégré dans l’offre des prestations de base des soins à domicile. Un projet de TLCA par un pharmacien devrait également voir le jour à Genève, mais pour développer la TLCA à large échelle, il faudra s’assurer de la faisabilité sur le plan organisationnel et technique d’une telle pratique et du recours généralisé au DEP pour s’assurer d’une continuité de l’information médicale. Il faudra également accompagner les professionnels de santé dans ce changement de pratique et l’enseigner dans le cursus de formation, à l’instar des États-Unis.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• La triade patient-soignant-médecin, illustrée dans une téléconsultation assistée (TLCA), est plus complexe que la relation médecin-patient d’une consultation dite « traditionnelle » en présentiel, rendant d’autant plus importante la communication verbale
• Les critères de bonnes pratiques d’une TCLA impliquent particulièrement de poser un cadre à la consultation, d’être dans un environnement adapté et, enfin, de réserver ce mode de consultation à un certain type de patients
• Les compétences à acquérir pour les soignants sont multiples, telles que la délégation de tâches et l’adaptation à une nouvelle pratique impliquant le développement rapide d’une relation interprofessionnelle à distance
• Il est nécessaire d’être attentif à ce que le patient ne devienne pas un objet clinique et qu’il soit mis au centre de la consultation, notamment en l’intégrant dans la prise de décision
La téléconsultation assistée, une des composantes de la télémédecine, est un type de pratique médicale amené à se développer dans les prochaines années. Dans cette nouvelle forme de relation interprofessionnelle, la triade patient-soignant-médecin connaît de nouveaux enjeux. À travers cet article, nous nous intéressons aux compétences requises pour cette nouvelle pratique et tentons de proposer quelques bonnes pratiques à partir de notre expérience pilote.
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