L’épidémie de COVID-19 a nécessité de la part des services d’urgence préhospitaliers des adaptations rapides et fréquentes. L’exposition des intervenants au risque infectieux est significative, notamment en cas de procédures à risque d’aérosolisation (réanimation cardiopulmonaire, gestion des voies aériennes supérieures). Les moyens de protection individuelle ont dû être adaptés en conséquence et leur manipulation entraînée. Les transferts interhospitaliers médicalisés de patients COVID-19 concernent surtout des patients intubés et sont complexes. L’éventuelle pénurie des ressources motiverait la mise en application de directives préhospitalières spécifiques rédigées en cohérence avec les processus de triage hospitaliers.
Le contexte de travail singulier des services de secours préhospitaliers opérant à l’interface entre la communauté et l’hôpital, sous la pression du temps et dans l’incertitude diagnostique, a désigné, dans l’esprits des professionnels, dès le début de la crise liée au COVID-19, ces services de premier recours comme les lignes de front de la réponse sanitaire.
Un fonctionnement en mode de gestion de crise s’est imposé dans les semaines suivant l’émergence du COVID-19 dans nos cantons, nécessitant des adaptations rapides et fréquentes de l’organisation, de la structure et des processus selon l’évolution de l’épidémie
Cet article résume les répercussions de l’apparition du COVID-19 sur le secteur préhospitalier de nos services d’urgences. L’accent est mis sur les impacts directs sur nos pratiques et sur les stratégies implémentées ou anticipées, souvent inspirées des expériences de nos collègues urgentistes de pays touchés plus précocement ou durement.
La régulation des appels sanitaires urgents (via les centrales 144) – premier maillon de la chaîne de survie – doit rester opérationnelle en toutes circonstances. L’un des risques identifiés en situation de crise est d’être submergé d’appels et de ne plus pouvoir répondre et prioriser les moyens vers les urgences vitales. Les cantons ont donc mis en place des lignes téléphoniques spécifiques pour préserver les centrales d’urgences. Malgré cela, le volume d’appel aux centrales a augmenté (de 2 à 5 fois plus pour les centrales 144 Vaud-Neuchâtel et Genève), alors que le volume d’engagement des secours augmentait, mais dans une proportion bien moindre.
L’absentéisme potentiel des collaborateurs est un autre risque précocement identifié durant cette crise. La régulation, bien qu’assistée par ordinateur, ne saurait se passer d’opérateurs qualifiés et donc difficilement remplaçables au pied levé. La centrale 144 VD-NE a par exemple restreint son accès aux seuls régulateurs et superviseurs, comme première mesure de protection. Une augmentation des capacités de travail à distance a en outre été réalisée, pour anticiper les éventuelles quarantaines à domicile ou la fermeture des frontières. Le manque potentiel de ressources humaines et de vecteurs de transport sur le terrain a aussi retenu l’attention des planificateurs, conduisant à développer des transports assis pour les cas de faible gravité, libérant ainsi des ambulances pour les cas les plus graves. Des étudiants en master de médecine ont été intégrés au 144 GE, dans le but de laisser aux régulateurs habituels le triage des urgences vitales.
Si une pénurie des ressources de soin devait s’installer, la régulation médicale (via les centrales 144) aurait sans doute un rôle à jouer, en cohérence avec les directives médicales préhospitalières et hospitalières, pour allouer les forces d’interventions au cas prioritaires et orienter les bénéficiaires de soins vers la structure la plus appropriée.1 Selon les circonstances, on pourrait même par exemple imaginer être contraint à ne plus proposer une aide par téléphone à la réanimation ou à restreindre l’engagement de premiers répondants dans certains types d’arrêt cardiaque. À Genève, un médecin trieur H24 a été mis en place dès le début de la crise, avec l’objectif de préserver l’ensemble des structures préhospitalières et hospitalières du canton. Il évalue systématiquement en visiophonie les patients pouvant rester à domicile, et représente une aide permettant d’allouer les forces d’interventions aux cas prioritaires et d’orienter directement les bénéficiaires de soins vers les structures les plus appropriées.1
Le 4 mars, le virus a fait irruption dans nos service mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR). Ce même jour, le médecin du SMUR de Lausanne pratiquait sans protection additionnelle particulière une intubation orotrachéale chez un patient en arrêt cardiorespiratoire, qui se révélera a posteriori porteur du SARS-CoV-2. Le lendemain une situation similaire expose un médecin d’urgence dans le canton de Genève lors d’une prise en charge pour insuffisance respiratoire. L’incertitude vis-à-vis du statut infectieux de nos patients est devenue depuis lors une caractéristique incontournable de l’activité préhospitalière en période d’épidémie. Elle dicte une partie des procédures décrites ici et s’ajoute aux autres contraintes classiques de cette activité médicale urgente au contact des gens, faite d’écoute, de sens clinique et de gestes techniques souvent invasifs, dans le confinement de la cellule arrière d’une ambulance ou d’un hélicoptère.
Heureusement aucun des deux médecins exposés pour la première fois n’a été contaminé. Ces deux situations illustrent bien le besoin d’adaptation rapide des services de médecine d’urgence. Les dernières semaines nous montrent que les options choisies un jour peuvent être obsolètes le lendemain. Là où les quelques patients positifs isolés et initialement tracés pouvaient conduire à la mise en place d’équipes spécialisées,2 la dissémination du virus a fait en quelques semaines de tout patient un suspect et de toute mission préhospitalière une exposition à risque potentielle. La veille littéraire et les échanges avec les pairs à travers le monde ont à cet effet joué un rôle important dans l’anticipation des mesures à prendre.2-6
L’analyse des impacts immédiats et attendus de l’épidémie sur l’activité médicale préhospitalière nous a conduit à définir nos missions prioritaires avant tout et à assurer les fonctions clés (tableau 1). La médicalisation H24 des interventions préhospitalières terrestres et héliportées a été retenue en priorité, suivie de l’anticipation d’un besoin accru de transferts interhospitaliers médicalisés. Enfin, de par leur polyvalence, les urgentistes sont appelés dans la mesure du possible à soutenir les autres secteurs de l’hôpital qui en auraient besoin.
Mesures prises dans le secteur préhospitalier
(Image : N. Beysard, R. Junod & L. Maudet)
À ce jour, dans l’attente de l’afflux redouté, nous observons une diminution globale de nos interventions préhospitalières, exception faite des situations de COVID-19 suspectées ou avérées (péjoration secondaire à domicile, essentiellement sur le plan respiratoire). Ces prises en charges COVID-19 sont spécifiquement recensées afin de tracer l’exposition des collaborateurs aux cas confirmés.
Le constat récurrent partagé par plusieurs médecins du préhospitalier en Suisse et à l’étranger, est celui d’une présentation brutale et hyper-intense des cas de COVID-19 lors de ces interventions.7 Plusieurs retours d’expérience rapportent des détresses respiratoires hypoxémiques rapidement progressive en insuffisance respiratoire, pouvant conduire à un arrêt cardiorespiratoire durant, voire avant, la prise en charge médicale. La coexistence d’embolies pulmonaires massives constatée chez certains cas COVID-19 pourrait expliquer certaines de ces présentations cliniques.
Définir la composition pertinente d’un équipement de protection individuelle adapté à la diversité des situations rencontrées en préhospitalier, cohérent avec l’interface que sont les services hospitaliers d’aval et rationnel par rapport aux stocks et dans la durée, a été un défi. La manipulation correcte de ces équipements de protection individuelle a nécessité un entraînement, une systématique bien rodée et un travail en binôme. Alors que le COVID-19 nécessite régulièrement une prise en charge des voies respiratoires, les intervenants sont paradoxalement appelés à surseoir aux procédures à risque d’aérosolisation (ventilation non invasive en particulier).8-10 Si celles-ci sont nécessaires, toutes les précautions permettant de diminuer le risque de transmission doivent être prises (figure 1,tableau 2).4 Les intervenants sont également invités à limiter le risque de transmission du virus durant toute l’intervention en exposant le minimum de ressources (matériel et personnel). La désinfection de tout l’équipement déployé, le nettoyage pluriquotidien des surfaces de travail et des véhicules et l’augmentation de la fréquence de nettoyage des tenues ont renforcé l’arsenal des mesures d’hygiènes. Ces considérations concernent évidemment également le personnel ambulancier, exposé aux mêmes risques, et qui effectue la majorité des interventions préhospitalières.
La réanimation et l’intubation sont des procédures à risque d’aérosolisation
(Image : N.Beysard, R.Junod & L.Maudet)
Pratiques préhospitalières à risque d’aérosolisation et limitation du risque infectieux
Deux raisons principales motivent le transfert interhospitalier médicalisé d’un patient COVID-19. La première est médicale et concerne des patients dont l’état critique nécessite un transfert « centripète » vers un plateau médicotechnique plus complet. Les transferts de patients déjà intubés et ventilés en décubitus ventral sont également possibles, par voie terrestre ou héliportée.11,12 Ils sont d’un niveau de complexité élevé et devraient être anticipés ou évités autant que possible.
La seconde est celle des transferts dits « centrifuges » qui libèrent des places dans les unités les plus spécialisées en déplaçant les patients dont l’évolution est favorable vers des unités de soins intensifs généraux en périphérie ou en clinique privée. Quoique stabilisés sur les plans respiratoire et hémodynamique, ces patients ont en principe encore besoin d’une ventilation mécanique.
Pratiquement, à ce jour, sur le canton de Vaud, les transferts interhospitaliers médicalisés « centripètes » sont réalisés par les ressources courantes du dispositif sanitaire cantonal (hélicoptère ou ambulance médicalisés). Cependant la spécificité et la technicité de ces transferts nécessite des procédures standardisées spécifiques et détaillées ainsi qu’une équipe dédiée et entraînée, y compris idéalement par des simulations.2,13 Le CHUV s’est organisé dans ce sens et dispose maintenant d’une ressource dédiée aux transferts « centrifuges » dans les meilleures conditions possibles (figure 2).
Équipe spécialisée dans le transfert interhospitalier médicalisé de patients COVID-19+
(Image : R. Rotzetter et L. Maudet)
Le transport héliporté de patients COVID-19 est problématique sur le plan des mesures de protection individuelles et sur l’impact des mesures d’hygiène sur la disponibilité des moyens de secours. Certains opérateurs étrangers ne font simplement pas de transport héliporté de cas confirmés COVID-19. D’autres utilisent des systèmes dédiés permettant d’isoler le patient intégralement (p.ex. EpiShuttle). En Suisse, et comme dans plusieurs autres pays, ces transferts restent possibles, dans un cadre strict défini dans des procédures standard exercées par les équipages. Il semblerait toutefois préférable de réserver l’utilisation de l’hélicoptère à des transferts sur de longues distances et de privilégier le transport terrestre pour des distances plus courtes.
Jusqu’à récemment, il n’existait pas de de coordination cantonale ou supracantonale de l’attribution des places de soins intensifs, et la décision de transférer relevait des spécialistes en médecine intensive des différents hôpitaux. La situation liée au COVID-19 a fait évoluer les choses sur ce plan, et ainsi le CHUV annonçait le 3 avril avoir reçu le mandat officiel de la Conférence latine des affaires sanitaires et sociales (CLASS) pour la gestion centralisée des lits de soins intensifs pour toute la Suisse romande. La pandémie a conduit l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) et la Société Suisse de Médecine Intensive (SSMI) à proposer des directives d’aide à l’allocation des ressources de soins intensifs en situation de pénurie.14 Ces directives ont été adaptées au préhospitalier par la Société Suisse de Médecine d’Urgence et de Sauvetage (SSMUS) (tableau 3).1 En cas de pénurie au niveau local ou régional dans le secteur hospitalier, les conditions intercantonales sont à considérer, pour autant que les capacités de transport soient maintenues.1 La capacité à transférer se trouve ainsi au cœur de la notion de pénurie, elle-même tributaire du maintien de la capacité d’orientation primaire et de transfert secondaire de patients nécessitant des soins intensifs, vers des structures ayant une capacité d’accueil préservée. La SSMUS recommande cependant, afin de respecter au mieux la protection individuelle des intervenants, que les patients transférés dans d’autres hôpitaux soient en priorité des patients négatifs pour le COVID-19.14 Au moment de rédiger ces lignes, ces mesures de rationnement ne sont pas encore appliquées.`
Adaptation de la médecine d’urgence préhospitalière en cas de pénurie de ressources hospitalières
Nos services d’urgences préhospitaliers ont été en première ligne suite à l’apparition du COVID-19. Des adaptations rapides et fréquentes des processus et prises en charge ont dû être mises en place au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie, en parallèle aux aspects plus stratégiques de la gestion et de l’anticipation de la crise.
Les effets de la pandémie sur la médecine d’urgence préhospitalière décrits ici sont les préoccupations actuelles de nos services. Quelle que soit l’évolution de l’épidémie, nous aurons sans doute à affronter dans les mois à venir les répliques du séisme sanitaire actuel et les conséquences indirectes de la focalisation légitime mais intense des soins sur le COVID-19. Persévérance et flexibilité restent de mise.
Il nous faudra ensuite apprendre à revenir à une activité normale, réinvestir du temps dans la formation et la recherche, et last but not least rétablir dans la population la confiance qui amenais il y a quelques semaines encore des inconnus à débuter sans réserve une réanimation cardiorespiratoire en rue là où aujourd’hui un obstacle invisible les retient.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Face à la crise sanitaire causée par le COVID-19, la médecine d’urgence préhospitalière fait preuve d’anticipation, de flexibilité et d’inventivité pour assumer dans la durée sa mission prioritaire : la médicalisation de toutes les urgences vitales dans la communauté
▪ La régulation des appels sanitaires urgents préserve ses capacités en renforçant ses outils techniques, en protégeant ses ressources humaines et grâce à l’appui capital des hotlines déployées par l’état
▪ La maladie, sa contagiosité et ses présentations brutales et sévères en préhospitalier imposent un équipement de protection individuel complet et des changements de pratique des intervenants
▪ La formation d’équipes dédiées aux transferts interhospitaliers médicalisés de patients COVID-19+ répond à la complexité des transports critiques entre unités de soins intensifs
▪ Face à l’évolution de la pandémie et au risque de pénurie des ressources, la médecine d’urgence préhospitalière se prépare comme les autres disciplines aiguës à l’éventualité de devoir rationner les soins dès l’avant
Triage et soins préhospitaliers en cas de pénurie de ressources dans le secteur hospitalier (plus particulièrement enmédecine intensive) pendant la pandémie de COVID-19. Recommandations de la Société Suisse de Médecine d’Urgence et de Sauvetage (SSMUS), 25 Mars 2020.(sgnor.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente/SGNOR-Empfehlung_Covid19-Triage_V1.1FRmit.pdf)
Centers for Disease Control and Prevention. Interim Guidance for Emergency Medical Services (EMS) Systems and 911 Public Safety Answering Points (PSAPs)
for COVID-19 in the United States. Updated March 10, 2020. (https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/guidance-for-ems.html)
Norwegian Air Ambulance Foundation. Editor: Hans Morten Lossius. 2020. (airambulance-forum.info/)
Garcia-Castrillo L, Petrino R, Leach R, et al. EUSEM Position paper on Emergency Medical Systems response to COVID-19. 2020 Wolters Kluwer Health, Inc. All rights reserved. (doi:10.1097/ MEJ.0000000000000701)
Scheidegger D, Fumeaux T, Hurst S, Salathé M. Académie Suisse des Sciences Médicales et Société Suisse de Médecine Intensive. Pandémie Covid-19: Triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie des ressources. Directives du 20 Mars 2020. (samw.ch/fr/Ethique/Apercu-des-themes/Medecine-intensive.html)
L’épidémie de COVID-19 a nécessité de la part des services d’urgence préhospitaliers des adaptations rapides et fréquentes. L’exposition des intervenants au risque infectieux est significative, notamment en cas de procédures à risque d’aérosolisation (réanimation cardiopulmonaire, gestion des voies aériennes supérieures). Les moyens de protection individuelle ont dû être adaptés en conséquence et leur manipulation entraînée. Les transferts interhospitaliers médicalisés de patients COVID-19 concernent surtout des patients intubés et sont complexes. L’éventuelle pénurie des ressources motiverait la mise en application de directives préhospitalières spécifiques rédigées en cohérence avec les processus de triage hospitaliers.
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