Nicolas, S., Holguera, J., G. (2022). '– Cobénéfices : une alimentation saine et durable' in Santé et environnement.

33 – Cobénéfices : une alimentation saine et durable

Impacts environnementaux de la production alimentaire

La production alimentaire est une source majeure de dégradations environnementales autour du monde et contribue au dépassement de plusieurs des limites planétaires 1 - 2 . Par exemple, on estime que l’agriculture et l’élevage sont en effet responsables de 20-30 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES) 3 - 5 . Ces émissions sont composées principalement d’émissions de protoxyde d’azote (N2O) dues aux épandages d’engrais et des effluents d’élevage, et des émissions de méthane (CH4) dues à la fermentation entérique des ruminants. La conversion d’habitats naturels en terres agricoles est la cause majeure de déforestation, de fragmentation d’habitats naturels et de perte de biodiversité autour du monde. Ces pratiques menacent de plus les puits de carbone naturels et contribuent d’autant aux émissions de GES. L’apport massif d’engrais de synthèse et de fumiers conduit à des excédents d’azote et de phosphore dans les lacs ou les zones côtières, qui résultent en une prolifération d’algues et de plantes qui en se décomposant asphyxient ces milieux (eutrophisation). L’utilisation de pesticides contribue au déclin de la biodiversité 6 et à la pollution des sols et des réserves d’eau.

La production d’aliments d’origines animales est généralement plus intensive en ressources utilisées et plus émettrice en GES que les produits d’origines végétales 2 . Par exemple, les légumineuses, les œufs, les produits laitiers, la volaille et la viande de ruminants ont des empreintes moyennes de 0,3, 6,8, 9,1, 10,0 et 62,3 g CO2 g-1 de protéines 2 . À noter toutefois que les pratiques agricoles et le transport influencent également l’empreinte carbone effective des aliments.

Les tendances globales montrent que les régimes évoluent vers une consommation de produits plus carbonés, avec notamment une large augmentation de la consommation de produits d’origines animales 1 , 4 , 6 , 7 . En se basant sur une augmentation projetée de la population mondiale d’environ 30 % (8,5-10 milliards en 2050), et une évolution des régimes qui suit l’évolution projetée du niveau de vie, d’ici à 2050 les émissions de GES liées à l’alimentation pourraient augmenter de 80-90 %, les surfaces agricoles de 67 %, l’utilisation d’eau potable de 65 % et l’application de phosphore et d’azote par 54 et 51 % respectivement 2 , 4 .

Si la production alimentaire a un impact majeur sur l’environnement, la FAO estime pourtant que 20 à 30 % des aliments produits sont gaspillés ou perdus au cours de la chaîne d’approvisionnement ou par les consommateurs 8 . La nourriture produite mais non consommée utilise ainsi près de 30 % des terricoles agricoles mondiales, avec une empreinte carbone estimée autour de 4 gigatonnes de CO2-eq par année 9 .

Régimes alimentaires et impacts sur la santé

Globalement, les problèmes de malnutrition sont répartis dans un paradoxe entre sous-nutrition et obésité. D’un côté le déficit en nourriture touche environ 820 millions de personnes et 2 milliards d’individus souffrent de déficits en micronutriments 1 . De l’autre, plus de 2 milliards de personnes souffrent de surpoids et d’obésité liés à des régimes qui deviennent trop riches en calories, en sucres raffinés, en viande et en graisses d’origine animale ou hydrogénées 1 . Cela s’accompagne d’un accroissement de la prévalence des maladies chroniques. On estime par exemple que le diabète a doublé en trente ans et affecte plus de 10 % de la population occidentale, l’hypertension en affecte 33 % et l’hypercholestérolémie 25 % 10 . Des régimes mal équilibrés, apportant trop de calories, ou contenant insuffisamment de fruits, de légumes, de légumineuses, de céréales complètes, de noix et de graines, d’acides gras insaturés, de calcium et de fibre, ainsi que des apports trop élevés en viande rouge, viande transformée, boisson sucrée, graisses hydrogénées et en sodium sont les facteurs de risque les plus importants pour les maladies non communicables liées à l’alimentation. Les risques liés à une alimentation déséquilibrée sont ainsi responsables de 11 millions de morts et de 255 millions de DALY annuellement (estimation pour 2017) 11 .

Cobénéfices d’une évolution durable des régimes et modes de production

Un régime à la fois durable et sain

Les régimes doivent donc évoluer au niveau mondial aussi bien pour la santé des populations que pour assurer la durabilité du système de production alimentaire. La commission EAT-Lancet s’est donc penchée sur le dilemme de nourrir la population mondiale avec une alimentation à la fois saine et durable 1 . Elle propose un régime qui se compose principalement de fruits et de légumes, de céréales complètes, de légumineuses, de noix et de corps gras ajoutés, en particulier des huiles insaturées. Le poisson et les fruits de mer ainsi que la volaille sont envisagés en très petites quantités, et les légumes féculents tels que les pommes de terre et le manioc, les produits laitiers, la viande rouge, le sucre et les graisses saturées doivent jouer un rôle subordonné dans le régime alimentaire. D’un point de vue environnemental, les auteurs se basent sur l’important poids des produits d’origines animales, en particulier la viande rouge et les produits laitiers, sur tous les indicateurs environnementaux et notamment des émissions de GES. En termes de santé, ils relèvent l’importance d’augmenter la consommation de céréales complètes, de fruits, de légumes, de noix, de graines et de légumineuses et de réduire la consommation de viande rouge et de viande transformée. Les auteurs notent également l’importance d’avoir un apport énergétique et un poids équilibré, ce dans quoi les enjeux de durabilité et de santé peuvent se rejoindre. En effet, une fois les besoins nutritionnels couverts, questionner le besoin de consommer plus offre une piste supplémentaire pour diminuer son empreinte environnementale. Le tableau 1 illustre les quantités quotidiennes moyennes des différents aliments pour une assiette saine et durable selon le rapport de la commission EAT-Lancet. Les apports nutritionnels du régime préconisé par la commission EAT-Lancet couvrent les besoins en nutriments et micronutriments. Relativement à une diète moyenne, ce régime augmente la consommation d’acides gras mono- et polyinsaturés et diminue la consommation d’acides gras saturés. Les auteurs suggèrent néanmoins qu’une supplémentation en vitamine B12 peut être nécessaire, en particulier quand les fourchettes basses des apports suggérés en produits d’origines animales sont privilégiées.

Tableau 1.

Régime alimentaire de référence sain et durable, avec les fourchettes possibles, pour un apport de 2 500 kcal/jour. Adapté de la commission EAT-Lancet, 2019

La durabilité des recommandations nationales de nutrition en question

Les recommandations nationales de nutrition font rarement explicitement mention des impacts environnementaux des choix alimentaires préconisés. Pourtant, dans les pays à revenus modérés ou élevés, le suivi de ces recommandations est dans une large mesure aligné avec les objectifs environnementaux : il serait nécessaire de réduire la consommation de viande rouge, de produits laitiers, d’œufs et de nourriture ultratransformée et en général de réduire l’apport calorique 6 , 11 - 12 . Des modèles démontrent que le suivi de ces recommandations dans les pays à haut revenus résulterait dans des réductions de 13-25 % d’émissions de GES, de 10-21 % d’eutrophication et de 6-18 % d’occupation de surfaces 6 .

Néanmoins, l’étude des impacts environnementaux associés à 80 recommandations nationales de nutrition montre que ces dernières restent souvent incompatibles avec les objectifs de réductions de GES, de préservation de la biodiversité et plus généralement du respect des limites planétaires 13 . Ces résultats suggèrent donc que ces recommandations devraient être adaptées pour incorporer des critères environnementaux, avec une marge pour être à la fois plus saines et plus durables. Les auteurs notent en particulier que les recommandations concernant les protéines d’origines végétales, comme les légumineuses, les noix et les graines, sont ou absentes ou trop vagues (voir Figure 1).

Figure 1.

Comparaison des assiettes du EAT-LANCET et de la Société suisse de nutrition. Emprunté de Delorme et al., RMS 2020

Durabilité des modes de productions et de consommation

Dans une perspective systémique qui lie les choix alimentaires non seulement à la santé de l’individu mais également à la santé communautaire et à la santé des écosystèmes sur le long terme, des évidences encouragent la consommation de produits issus de méthodes agricoles respectueuses de l’environnement et qui limitent l’utilisation de produits phytosanitaires et vétérinaires. Une critique communément adressée à l’agriculture biologique est que, du fait de ses rendements moins élevés par unités de surface comparé à l’agriculture conventionnelle, elle nécessite plus de surface pour nourrir une même population, et qu’elle contribuerait donc à la déforestation si déployée à large échelle. Cependant, en combinant des régimes alimentaires qui limitent la consommation de produits d’origines animales, en diminuant le gaspillage alimentaire et en développant les pratiques d’agroécologie, des modèles démontrent que l’agriculture biologique pourrait nourrir la population mondiale sans contribuer à la déforestation et à la destruction des habitats 14 . Privilégier les produits locaux, de saison et peu transformés permet de plus de limiter la consommation d’énergie et émissions de GES liées au transport des denrées, au chauffage des serres ou à la réfrigération des denrées alimentaires.

Changements de comportements individuels ou changements structuraux ?

Diminuer l’empreinte environnementale de la production alimentaire demande des efforts importants à différents niveaux. Les habitudes individuelles de consommation, comme le choix de diminuer sa consommation de viande ou de privilégier les produits frais, locaux, de saison et issus d’une agriculture raisonnée, sont fortement influencées par le cadre structurel et les normes sociales dans lesquels évolue la population. L’offre de produits, le prix, le manque de menus végétariens appétissants dans la restauration collective ou des recommandations nationales de nutrition qui peinent à intégrer des options végétariennes peuvent freiner les ambitions des individus qui souhaitent modifier leurs régimes alimentaires. Des mesures légales ou politiques ont également un rôle majeur à jouer en amont du consommateur pour favoriser des méthodes de production et la vente de produits durables.

Implications pour la pratique clinique

En clinique, l’appréciation des cobénéfices santé-environnement de certaines habitudes alimentaires encourage d’aborder des recommandations alimentaires dans une double perspective de nutrition et de durabilité. Il s’agirait ainsi de considérer les apports nutritionnels optimaux pour la santé humaine, mais également l’impact environnemental de la production alimentaire, en s’appuyant par exemple sur les travaux du EAT-Lancet.

Figure 2.

Exemples de cobénéfices pour la santé et l’environnement de l’adoption d’un régime sain et durable. Rôle des professionnel•le•s de santé pour influencer : A) les comportements individuels, et B) le cadre structurel. Figure inspirée de la réf. 15

Le défi dans la pratique clinique quotidienne est de prendre en compte la situation des besoins spécifiques et individuels tout en considérant les aspects écologiques. Si les patient•e•s ne veulent plus ou peu manger de viande, cela peut être une occasion importante de réduire l’empreinte écologique. Afin de prévenir les symptômes de carence, un•e ou des professionnel•e•s de santé expérimenté•e•s ou éventuellement un•e nutritionniste pourrait être impliqué•e•s pour apporter un soutien compétent aux patient•e•s.

Les professionnel•le•s de santé peuvent également s’engager pour faire évoluer l’accessibilité au plus grand nombre à une alimentation saine et durable. La Figure 2 illustre ainsi les complémentarités entre les mesures individuelles et structurelles pouvant notamment être initiées par des professionnel•le•s de santé.