Les troubles urinaires de l'hyperplasie bénigne de la prostate, la dysfonction érectiles et les troubles éjaculatoires sont fréquemment associés. Plus les troubles urinaires sont importants, plus les troubles érectiles et éjaculatoires sont marqués. Les divers traitements de l'hyperplasie bénigne de la prostate ont des effets variables, positifs comme négatifs, sur la fonction sexuelle. Cela doit pris en compte lors du choix du traitement chez un patient désirant conserver une pleine capacité sexuelle.
Entre 40 et 70 ans, 59% des hommes souffrent de troubles urinaires désormais réunis sous la dénomination de LUTS (Low Urinary Tract Symptoms) provoqués par une HBP (Hyperplasie bénigne de la prostate) et plus de 50% souffrent à divers degrés de troubles érectiles.
Ces deux pathologies sont donc extrêmement fréquentes pour cette population précise et le nombre de patients qui les présentent va augmenter dans le futur en raison du vieillissement de la population : en 1997, 13% des hommes avaient plus de 65 ans, en 2050, ce pourcentage atteindra 25%.
Y a-t-il une origine commune à ces deux affections ? Quel est l'impact de l'une sur l'autre ? Quelles sont les répercussions des traitements de la HBP sur la sexualité ? Cet article va tenter de répondre à ces questions.
Les troubles érectiles et les troubles mictionnels prostatiques (LUTS) semblent avoir une origine commune. L'hypothèse physiopathologique qui est avancée pour expliquer cette origine commune repose sur un dysfonctionnement de la cellule musculaire lisse.
L'adénome de la prostate est un fibroadénome composé de fibres musculaires lisses pour 70% et de glandes pour 30%. L'obstruction urinaire est secondaire à la contraction de la musculature lisse via le système adrénergique et ses récepteurs alpha 1.
La musculature lisse joue également un rôle très important dans l'érection qui pour être ferme, nécessite la relaxation complète de la musculature lisse des artères caverneuses entraînant un afflux massif de sang dans les corps caverneux, phénomène amplifié par la relaxation des trabéculations intracaverneuses jouant le rôle d'une pompe à vide.
De ce fait, toute altération de la relaxation de la cellule musculaire lisse peut entraîner des troubles mictionnels et érectiles. Des travaux expérimentaux récents sur le lapin ont mis en évidence des modifications ultra-structurales et biochimiques des cellules musculaires lisses : augmentation de leur taille, désorganisation de leur arrangement, hypercontraction secondaire à une augmentation de la rho-kinase et augmentation de la sensibilité au calcium.1
Le système adrénergique joue également un rôle capital dans l'éjaculation que l'on subdivise en deux phases distinctes : l'émission et l'éjaculation. Lors de l'émission, c'est lui qui propulse le sperme en direction de la prostate par les contractions qu'il induit dans les voies spermatiques. Lors de l'éjaculation, c'est lui qui projette le sperme dans l'urètre prostatique par la contraction des vésicules séminales et de la prostate, ferme le col vésical empêchant le reflux du sperme dans la vessie (éjaculation rétrograde) et propulse le sperme hors de la verge par la contraction des muscles ischio- et bulbo-caverneux.
Plusieurs études épidémiologiques mettent en évidence une association entre les LUTS provoqués par une hyperplasie bénigne de la prostate et les troubles de l'érection et de l'éjaculation. Ainsi dans la Cohorte de Cologne (Cologne Male Survey), qui regroupe 8000 hommes de 30 à 80 ans, la prévalence des LUTS est de 38% chez les hommes ayant une fonction érectile normale et de 72% chez ceux qui souffrent de dysfonction érectile.2
Il est désormais admis que les LUTS sont un facteur de risque de dysfonction sexuelle, indépendant d'autres facteurs de morbidité (diabète, hyperlipidémie, tabagisme, HTA...) et de l'âge. La prévalence et l'importance des troubles de l'érection sont de plus corrélés à la sévérité des troubles mictionnels : plus les troubles mictionnels sont élevés, plus les troubles érectiles sont importants. Il existe également une corrélation entre l'importance des troubles mictionnels et le degré de satisfaction sexuelle : le taux d'insatisfaction sexuelle augmente de deux fois en cas de LUTS modérés et de quatre fois en cas de LUTS sévères.3-5
Les troubles de l'éjaculation (dysconfort, douleur, etc.) sont également extrêmement fréquents chez les patients souffrant de LUTS secondaires à une HBP. Ils ont cependant été moins bien étudiés d'un point de vue épidémiologique que les troubles érectiles. Leur prévalence est de 5% en l'absence de troubles mictionnels et de 17% lorsque des troubles mictionnels sont présents. A nouveau il existe une corrélation entre troubles mictionnels et troubles éjaculatoires : plus les troubles mictionnels sont importants et plus les troubles éjaculatoires sont grands.6
Pour l'OMS, la qualité de vie est la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C'est un concept très large, influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement.
Dans la hiérarchisation des paramètres de la qualité de vie, les relations sexuelles viennent après la vie familiale, la santé et la vie amoureuse, mais avant les finances, le travail et la vie sociale.
Tout trouble sexuel peut altérer la qualité de vie et toute altération de la qualité de vie peut altérer la sexualité. Les troubles de l'érection ont un impact sur la qualité de vie qui varie d'un individu à l'autre. D'un côté, chez certains patients, ils occasionnent un stress très important, une perte d'estime de soi, voire des idées suicidaires comme c'est le cas chez 30% des impuissants. D'un autre côté, 50% des hommes pensent que la dysfonction sexuelle n'est pas grave ou gênante et est le reflet normal de leur vieillissement. Rappelons que 80% des hommes souffrant de dysfonction érectile ne consultent pas !
Les LUTS ou troubles mictionnels, lorsqu'ils sont modérés, ont peu d'impact sur la qualité de vie des patients. Par contre lorsqu'ils sont importants, ils interfèrent avec celle-ci. Une étude récente menée dans quatre pays (Etats-Unis, France, Ecosse et Japon) a montré qu'il existait une corrélation nette entre l'importance des troubles mictionnels, la qualité de vie et le degré de satisfaction sexuelle.7
A nouveau, l'impact des troubles mictionnels sur la qualité de vie varie d'un individu à l'autre. Les symptômes obstructifs comme le jet faible, la latence mictionnelle, la dysurie, les mictions en deux temps, sont relativement peu invalidants. Par contre, les symptômes irritatifs, comme la pollakiurie et la nycturie le sont plus. On est toutefois frappé dans la pratique quotidienne par le nombre de patients qui disent se relever deux à trois fois par nuit pour uriner sans que cela ne les gêne vraiment. La femme qui partage le même lit est parfois plus gênée que l'homme. Par contre, l'impériosité, qui implique de trouver sans retard un lieu pour soulager sa vessie sous peine de s'inonder est beaucoup plus gênante et peut fortement altérer la qualité de vie. Ainsi, certains patients ne se déplacent qu'en fonction de lieux ou de toilettes en tout temps accessibles. Encore une fois, l'impact est différent d'un individu à l'autre : l'impériosité est vécue différemment par un paisible retraité qui passe sa journée dans son jardin et qui a tout loisir pour soulager sa vessie et le PDG d'une multinationale qui court de conseil d'administration en conseil d'administration.
Les patients s'accommodent en général mieux des LUTS que des troubles sexuels. Ainsi, une étude a comparé l'impact des troubles mictionnels et des troubles sexuels chez des hommes souffrant d'hyperplasie bénigne de la prostate. Pour ces hommes, la conservation d'une activité sexuelle et le degré de satisfaction sexuelle sont plus importants que la réduction des troubles mictionnels, de l'insomnie engendrée par la nycturie et du stress lié à l'impériosité qui réduisaient leurs activités en raison du risque d'incontinence urinaire.8
L'introduction d'un traitement médicamenteux en cas de troubles mictionnels engendrés par une hyperplasie bénigne de la prostate vise à diminuer rapidement les symptômes urinaires et à maintenir ou à améliorer la qualité de vie du patient.
La sexualité étant un paramètre important de la qualité de vie, il est donc important de s'assurer si le patient est toujours sexuellement actif et s'il souhaite le rester. La question du maintien ou de l'effacement d'une activité sexuelle devrait toujours être posée au patient, ceci indépendamment de l'âge. Entre 60 et 69 ans, 66,1% des hommes ont un rapport sexuel par semaine et entre 70 et 80 ans, 41,5%. Il faut également informer le patient des impacts, positifs comme négatifs, du traitement sur sa fonction sexuelle.
Dans le traitement médicamenteux de l'hyperplasie bénigne de la prostate, trois classes de médicaments sont prescrites : les alpha-bloquants, les inhibiteurs de la 5 alpha réductase et la phytothérapie.
Les alpha-bloquants sont actuellement le traitement le plus souvent prescrit depuis la commercialisation de la terazocine en 1992. Les symptômes présents dans une HBP résultent d'une obstruction infravésicale, mécanisme faisant intervenir des facteurs anatomiques et fonctionnels. La composante fonctionnelle de l'obstruction est due à une tension des muscles de l'adénome de la prostate, tension sous contrôle du système adrénergique, via les récepteurs alpha 1.Tout relâchement de la musculature lisse entraîne une amélioration de la miction et une diminution des symptômes. Les quatre alpha-bloquants disponibles, alfusosin, terazocin, doxasocin, tamsulosin n'ont aucun effet sur la libido. Ils n'entraînent pas plus de troubles érectiles qu'un placebo. Ils provoquent par contre des troubles éjaculatoires chez environ 1% des patients. L'incidence des troubles éjaculatoires varie cependant d'un alpha-bloquant à un autre : l'alfusosin entraîne même à long terme moins de 1% de troubles éjaculatoires, la tamsulosin voit par contre l'incidence des troubles éjaculatoires augmenter au cours des mois, passant de 6% après six semaines à 30% après 64 semaines.9
Les inhibiteurs de la 5 alpha-réductase bloquent la transformation de la dihydrotestostérone (DHT) inactive en testostérone active. La croissance de la prostate étant androgéno-dépendante, toute suppression de la DHT entraîne une involution de la composante épithéliale de l'adénome avec une réduction du volume de l'ordre de 30%. Deux types d'inhibiteurs de la 5 alpha réductase sont commercialisés : le premier, le plus ancien, est le finastéride qui est un inhibiteur de type 2 et le second, plus récent, est le dutastéride, qui est un inhibiteur de type 1 et 2. Le finastéride comme le dutastéride provoquent respectivement une baisse de la libido dans 6,4% et 3,7% des cas, des troubles érectiles chez 8,1% et 6,0% et des troubles éjaculatoires chez 2% des patients.10,11
La phytothérapie tant décriée par certains, reste largement prescrite et des études récentes lui reconnaissent une certaine efficacité. Elle ne provoque pas d'effet délétère sur la fonction sexuelle.
Plusieurs études faites avec les alpha-bloquants montrent que s'ils peuvent perturber tant soit peu l'éjaculation, ils améliorent par contre la fonction érectile.12 Cela est facilement compréhensible : la levée du tonus alpha adrénergique diminue ou supprime les contractions indispensables aux phases d'émission et d'éjaculation. Par contre ils améliorent l'érection en augmentant l'afflux de sang dans la verge.
Rappelons que dans le traitement chirurgical de l'adénome, quelle que soit la technique employée (chirurgie ouverte ou endoscopique, laser, thermothérapie) seule la partie centrale de la prostate, siège de l'adénome, est enlevée, la partie périphérique, à savoir la capsule prostatique étant laissée en place.
La chirurgie ouverte (prostatectomie transvésicale ou transcapsulaire), la TURP (résection endoscopique de la prostate) la TUIP (incision cervico-prostatique) provoquent respectivement des troubles érectiles chez 15,6%, 13,6% et 4,6% et une éjaculation rétrograde chez 65 à 81%, 70% et 39%.13 Les troubles érectiles sont généralement secondaires à des lésions des nerfs érectiles. Ces derniers, accolés à la capsule prostatique, peuvent être «brûlés» par l'application thermique utilisée lors de l'intervention.
La destruction du col vésical entraîne une éjaculation rétrograde.
La destruction de l'architecture interne de la prostate peut entraîner rarement une diminution du volume de l'éjaculat ainsi que des douleurs ou un dysconfort lors de l'éjaculation.
Les traitements dénommés minimally invasive treatment ont la réputation d'engendrer moins de troubles sexuels que la chirurgie endoscopique. Cependant, les données manquent et celles qui sont disponibles sont parfois discordantes. Une première étude comparant la résection endoscopique et le laser par contact a montré que les taux de troubles sexuels engendrés par ces deux méthodes étaient similaires.14 Une seconde étude a montré que les patients qui avaient eu une résection endoscopique de la prostate, avaient par la suite une meilleure érection et moins de douleurs ou de dysconfort lors de l'éjaculation que ceux qui avaient été traités par laser.15 Enfin une troisième étude a confirmé que chez des hommes sans troubles sexuels avant l'intervention, l'incidence des troubles de l'érection et de l'éjaculation était la même après la TURP et le laser.
Les troubles mictionnels engendrés par une hyperplasie bénigne de la prostate ainsi que la dysfonction érectile et les troubles éjaculatoires sont très fréquents et coexistent très souvent. Suivant leur importance, ces troubles peuvent altérer la qualité de vie. Les traitements de l'HBP, médicamenteux comme chirurgicaux, peuvent entraîner des effets positifs comme négatifs sur la fonction sexuelle. Lorsque le médecin envisage d'introduire un traitement médicamenteux ou lorsqu'une intervention est programmée, il doit s'enquérir de la fonction sexuelle de son patient et doit lui expliquer les répercussions positives comme négatives que ces traitements peuvent entraîner. En fonction des souhaits de son patient, le médecin peut choisir un traitement plutôt qu'un autre.