Le monitoring thérapeutique de médicaments (TDM) est bien établi en psychiatrie, mais des recommandations générales pour son utilisation optimale font défaut. Le groupe AGNP-TDM a analysé la littérature concernant les études pharmacocinétiques des psychotropes et celles qui avaient pour but de mettre en évidence une relation taux plasmatiques - effets cliniques du médicament chez des patients psychiatriques. Ces recommandations présentent des notions fondamentales sur la pharmacocinétique et la pharmacogénétique des psychotropes et sur leur analyse, ainsi qu'une description des différentes étapes du processus TDM, depuis la demande d'analyse jusqu'à l'interprétation clinique. Ces recommandations, fruit d'un consensus, ont pour but d'améliorer la psychopharmacothérapie.
Plus de cent médicaments psychotropes sont actuellement à disposition pour le traitement de maladies mentales. Cependant, malgré les progrès considérables de la psychopharmacothérapie, les pourcentages d'amélioration et de rémission cliniques sont loin d'être optimals. Il y a donc nécessité d'optimiser l'efficacité des médicaments disponibles. Ils diffèrent par leur profil pharmacologique et par leur devenir dans l'organisme. Ce dernier dépend de facteurs environnementaux (régime alimentaire, fumée de tabac, comorbidités, comédications) et génétiques. Le phénotype pharmacocinétique d'un individu peut être mesuré par l'analyse des concentrations plasmatiques du médicament dans le sang du patient. Le monitoring plasmatique du médicament psychotrope à des fins thérapeutiques (therapeutic drug monitoring (TDM)) a été introduit il y a plus de trente ans, suite à la publication d'une première étude sur la relation taux plasmatique-efficacité clinique de la nortriptyline.1 D'autres auteurs ont démontré l'importance de facteurs génétiques dans le métabolisme de ce tricyclique et les avantages cliniques d'une combinaison de TDM avec des tests pharmacogénétiques 2,3 une stratégie d'ailleurs de plus en plus recommandée dans des publications récentes.4,5 Cependant, des recommandations valides et universelles sur l'utilisation adéquate du TDM pour améliorer le traitement médicamenteux d'affections psychiatriques sont rares,6,7 bien qu'en psychiatrie de nombreux consensus guidelines aient été publiés dans des domaines très divers.
Le groupe AGNP-TDM (Arbeitsgemeinschaft für Neuropsychopharmakologie und Pharmakopsychiatrie, Association de neuropsychopharmacologie et de pharmacopsychiatrie), constitué de chimistes, biochimistes cliniques, pharmacologues cliniques et psychiatres, a réuni toute information utile à partir de la littérature scientifique et élaboré des recommandations (consensus guidelines) afin d'assister les médecins, les chefs et techniciens de laboratoire dans l'optimisation du TDM de médicaments psychotropes.8 Ces recommandations concernent principalement les antidépresseurs, les antipsychotiques, les régulateurs d'humeur et les médicaments utilisés pour le traitement de substitution en cas de dépendance aux opiacés. Elles présentent les fondements théoriques du TDM, sa place actuelle dans le cadre d'une pharmacothérapie, et elles proposent des procédures pour son utilisation optimale dans le contexte clinique.
Ces recommandations ont pour objectif de contribuer à l'optimisation du TDM de médicaments en psychiatrie. Elles traitent aussi de l'utilisation combinée de TDM et de tests pharmacogénétiques (phénotypage, génotypage). Les domaines suivants font l'objet d'une attention particulière, en ce qui concerne la théorie et les applications pratiques du TDM en psychiatrie :
* définition des indications du TDM, en général et en tenant compte des différentes classes de médicaments psychotropes.
* Définition des niveaux de recommandations pour le TDM.
* Présentation de concentrations à l'état d'équilibre (steady-state) des médicaments à des doses cliniquement significatives.
* Présentation de concentrations plasmatiques de référence : les «fenêtres thérapeutiques».
* Recommandations pratiques concernant le TDM.
Les psychotropes diffèrent considérablement par leur structure chimique, ce qui explique les différences dans leur pharmacocinétique et leur métabolisme. Cependant, la plupart d'entre eux partagent une lipophilicité élevée et un poids moléculaire situé entre 200 et 500. Par conséquent, malgré de nombreuses exceptions, ils ont souvent en commun :
* une bonne absorption depuis le tractus gastro-intestinal avec une latence courte pour obtenir un taux plasmatique maximal (tmax : environ 0,5 à 4 heures).
* Un important métabolisme de premier passage (disponibilité systémique entre 10% et 70%).
* Une distribution rapide entre le plasma et le système nerveux central, avec des concentrations cérébrales 10 à 40 fois plus élevées dans le cerveau comparées à celles du sang.
* Une forte liaison aux protéines plasmatiques (L 90%).
* Un haut volume apparent de distribution (entre 10 et 50 l/kg).
* Des concentrations plasmatiques basses (état d'équilibre : environ 0,5 à 500 ng/ml).
* Un métabolisme hépatique lent (cytochrome P450, UDP-glucuronosyltranférases), condition pour une élimination rénale (demi-vie de 12 à 36 heures).
* Une pharmacocinétique linéaire à des doses thérapeutiques.
* Effet faible d'une insuffisance rénale, mais plus prononcé en cas d'insuffisance hépatique.
Il comprend souvent une étape de phase I, par une réaction oxydative ou réductive ou une hydrolyse (hydroxylation, N- et O-déalkylation, N- et O-oxydation en N-oxydes, S-oxydation en sulfoxides et sulfones, etc.). L'introduction d'un groupe fonctionnel permet une réaction de phase II du type glucuronidation 9,10 ou sulphatation. Les amines tertiaires comme l'amitriptyline et l'olanzapine peuvent former des glucuronides (ammonium quaternaire).
Les médicaments sont principalement métabolisés dans le foie, mais aussi dans l'intestin et même dans le cerveau. Les différences intra- et interindividuelles dans leurs concentrations plasmatiques peuvent être expliquées par des activités différentes des enzymes impliqués dans le métabolisme. L'activité enzymatique peut diminuer avec l'âge, et aussi être influencée par des maladies hépatiques et rénales, tandis que l'importance clinique de l'effet du sexe du patient sur le sort du médicament reste à démontrer. Bien entendu, l'activité enzymatique peut être influencée par la comédication ou par d'autres xénobiotiques (fumée de tabac).
Le TDM doit inclure la détermination de métabolites actifs, par exemple dans le cas de la clomipramine (norclomipramine), de la fluoxétine (norfluoxétine) ou de la rispéridone (9-hydroxyrispéridone). L'analyse de métabolites, dont le rôle clinique est moins clair reste néanmoins utile, afin d'obtenir des informations sur le statut métabolique du patient et sur son observance : par exemple sertraline (norsertraline) ou clozapine (norclozapine).
Les individus diffèrent par leur bagage génétique et donc aussi par leur capacité de métaboliser des médicaments. Le nombre de gènes actifs détermine l'expression de l'enzyme (phénotype). D'une manière générale, les métaboliseurs lents (poor metabolisers ; PM), rapides (extensive metabolisers ; EM) ou ultrarapides (ultrarapid metabolisers ; UM) présentent respectivement une activité enzymatique faible, normale ou très élevée.
Un polymorphisme génétique (défini par une déviation des allèles dans au moins 1% d'une population) d'une enzyme impliquée dans le métabolisme de médicaments est important au niveau clinique : le risque d'effets secondaires et de toxicité est élevé chez un PM, en relation avec des taux plasmatiques élevés du médicament ; une non-réponse est probable chez un UM, en relation avec des taux bas.11-15
Le cytochrome P450 (CYP) constitue un système comprenant des centaines d'enzymes, dont certains parmi eux sont impliqués dans le métabolisme de médicaments psychotropes, comme le CYP1A2, CYP2D6, CYP2C19 et le CYP3A4/5.16,17 La spécificité peut dépendre de la concentration du médicament, comme illustré par l'halopéridol, qui à basse, respectivement à haute dose, est principalement métabolisé par le CYP2D6 ou par le CYP3A4.18
Le polymorphisme génétique du CYP2D6 implique que dans une population de Caucasiens, environ 5 à 8% sont des PM et environ 1-7% des UM.19-21 Le CYP3A4 montre des différences interindividuelles considérables dans son activité, et le CYP3A5 est exprimé seulement chez un tiers de la population caucasienne.22 L'inductibilité du CYP1A2 (par exemple par la fumée de tabac), qui constitue une influence environnementale sur le métabolisme, présente également un polymorphisme génétique,23,24 son importance clinique est illustrée par des études avec la clozapine.25,26
Parmi les tests pharmacogénétiques, le phénotypage fournit un résultat qui peut être considéré comme un marqueur d'état (state marker), influençable par des facteurs environnementaux tels que la fumée ou des comédications, tandis que le résultat du génotypage peut être considéré comme un marqueur de trait (trait marker). A l'avenir, l'utilisation combinée de TDM et de tests pharmacogénétiques, qui concernent des paramètres réglant la pharmacodynamie, la pharmacocinétique et le transport des médicaments, gagnera en importance au niveau clinique.4,5,27
Dans certaines études effectuées chez des volontaires sains ou des patients traités avec des doses fixes de médicaments psychotropes, les taux plasmatiques à l'état d'équilibre du médicament ont été déterminés mais aucun paramètre clinique n'a été mesuré. Néanmoins, ces données cinétiques peuvent être précieuses pour le clinicien, car elles le renseignent sur la plausibilité du taux mesuré chez le patient, et en particulier sur son observance.
Cependant, le TDM est basé sur l'hypothèse principale, qu'il existe une relation entre le taux plasmatique du médicament et ses effets cliniques (effet thérapeutique, effets secondaires, toxicité). La littérature fournit de nombreuses études de ce type en relation avec le lithium, les antidépresseurs tricycliques et les antipsychotiques classiques, mais souvent, les résultats sont peu convaincants à cause de problèmes méthodologiques.28-32
Une étude adéquate devrait tenir compte des conditions méthodologiques suivantes :33,34
* une méthode chimique-analytique adéquate.
* Une échelle de mesure psychopathologique adéquate.
* Au début de la période de traitement, un degré de sévérité de la maladie suffisant.
* Un enregistrement approprié de modifications psychopathologiques.
* L'exclusion de non-répondeurs connus.
* Une présentation des critères de sélection et d'exclusion des patients.
* Une présence de taux plasmatiques du médicament qui sont représentatifs de conditions rencontrées en clinique.
* Une information claire sur les doses utilisées, la période de wash-out avant la randomisation, la prémédication et la comédication.
* Enfin, un nombre suffisamment grand de patients doit être inclus.
Les concentrations des médicaments psychotropes sont faibles, ce qui nécessite des méthodes très sensibles, sélectives et appropriées pour leur quantification dans le plasma ou sérum, qui constituent le milieu généralement analysé.35-38 Les méthodes les plus fréquemment utilisées aujourd'hui sont basées sur une procédure de séparation des composés par chromatographie gazeuse (GC) ou liquide (HPLC). Leur quantification est ensuite réalisée à l'aide de détecteurs UV, électrochimiques ou de fluorescence. La GC-MS (spectrométrie de masse) ou davantage encore la LC-MS (voire la MS-MS (tandem mass spectrometry)) constituent aujourd'hui les méthodes d'analyses les plus performantes.39 L'utilisation d'une précolonne permet l'application de la technique d'injection directe (column switch) et cela signifie donc un degré supérieur d'automatisation.40-43
En effet, les méthodes utilisées doivent permettre l'analyse séparée de la substance-mère et des métabolites actifs. Dans le cas de la rispéridone, la connaissance des concentrations de rispéridone et de 9-OH-rispéridone permettra aux pharmacologues cliniques et aux psychiatres de formuler une hypothèse sur le statut pharmacogénétique du patient ou sur une interaction pharmacocinétique.27,44,45 En ce qui concerne l'analyse stéréosélective de médicaments chiraux, celle de la méthadone est probablement la seule qui a été introduite en routine.46
L'analyse d'un seul médicament psychotrope coûte entre 20 et 80 , en tenant compte du coût du personnel, des appareils d'analyse, des produits chimiques et d'autres frais. Peu d'études ont été consacrées aux aspects coûts/bénéfices du TDM, mais dans l'ensemble,47-49 il présente des avantages, par une diminution de la durée d'hospitalisation des patients, notamment chez le patient âgé et par la prévention d'effets secondaires.
Le TDM de médicaments psychotropes est un processus complexe. Il débute avec la décision du médecin de préparer une demande pour un TDM, et il se termine par une modification ou non de la pharmacothérapie. Une étude prospective50 a récemment montré que dans de nombreuses situations, les ajustements de dose étaient inadéquats et que les résultats de laboratoire n'étaient pas pris en considération. Un résultat de TDM clair, mais qui suite à la mauvaise observance du médecin n'est pas pris en considération pour la suite de la thérapie est trop coûteux et inutile.
Le phénotypage et le génotypage sont des applications coûteuses. Cependant, des études préliminaires montrent que le traitement de patients présentant une particularité génétique du métabolisme de médicaments est plus coûteux.51 Des tests pharmacogénétiques, combinés avec le TDM peuvent aider à éviter des complications.
L'utilité du TDM varie avec la situation clinique et le médicament concerné. Quelques-unes de ses indications comme la suspicion d'une mauvaise observance, une intoxication, ou le TDM dans un programme de pharmacovigilance sont valides pour la majorité des médicaments et pour tous les groupes de patients (tableau 1). Pour ces indications et les autres, une demande de TDM ne devrait être formulée que lorsque le résultat promet de répondre à une question précise, et lorsque les critères présentés ci-dessus sont respectés. Ils le sont certainement pour le lithium, plusieurs antidépresseurs et antipsychotiques, ainsi que pour la méthadone.
Cependant, pour de nombreux médicaments, des études sur les avantages du TDM manquent ou elles sont incomplètes ou inconsistantes. La littérature scientifique a été triée et les rapports ont été sélectionnés selon leur priorité décroissante : 1) recommandations (guidelines) (par exemple, lithium) ; 2) méta-analyses (par exemple, halopéridol, amitriptyline) ; 3) études prospectives sur l'efficacité des médicaments et comprenant des mesures de leur taux plasmatique et 4) études pharmacocinétiques. Bien entendu, l'absence de données cliniques ne devrait pas autoriser la définition d'intervalles thérapeutiques.
Cinq niveaux de recommandations pour le TDM ont ainsi été définis, puis pour chaque médicament, un niveau de recommandations a été élaboré. Le TDM est recommandé pour tous les médicaments lors d'une suspicion de mauvaise observance.
Intervalle thérapeutique de référence établi (fenêtre thérapeutique).
Niveau de preuves : les avantages du TDM ont été démontrés par des études cliniques, et notamment l'existence de taux thérapeutiques ; rapports sur des effets toxiques à des concentrations plasmatiques «suprathérapeutiques».
Conséquences cliniques : avec une plus grande probabilité, une réponse favorable est observée à des taux plasmatiques thérapeutiques ; à des taux plasmatiques «subthérapeutiques», la réponse thérapeutique est comparable à celle d'un placebo ; aux concentrations plasmatiques plus hautes que celles considérées comme thérapeutiques, le risque d'effets secondaires augmente.
Il existe des marges thérapeutiques indicatives, l'intervalle thérapeutique indicatif, qui est déterminé par les taux plasmatiques observés à des doses cliniquement efficaces (études à doses fixes).
Niveau de preuves : il existe au moins une étude prospective solidement planifiée et dans laquelle les critères de réponse thérapeutique sont bien définis ; rapports sur des intoxications à des taux plasmatiques élevés.
Conséquences cliniques : le TDM devrait très probablement permettre d'optimiser la réponse thérapeutique chez des non-répondeurs ; à des concentrations «subthérapeutiques», risque de réponse insuffisante ; risque d'effets secondaires et/ou de réponse thérapeutique diminuée lors de concentrations plasmatiques élevées.
Les marges thérapeutiques indicatives sont déterminées par les taux plasmatiques observés à des doses cliniquement efficaces, lors d'études pharmacocinétiques dans des conditions steady-state.
Niveau de preuves : données cliniques obtenues par une analyse rétrospective de résultats de TDM, par des études de cas ou par l'expérience clinique non systématique.
Conséquences cliniques : le TDM est utile pour vérifier, si les taux plasmatiques sont plausibles pour une dose donnée ; optimisation possible de la réponse clinique chez des non-répondeurs, qui présentent des taux plasmatiques bas.
Les marges thérapeutiques indicatives sont déterminées par les taux plasmatiques observés à des doses cliniquement efficaces, lors d'études pharmacocinétiques dans des conditions steady-state.
Niveau de preuves : des données cliniques valides manquent ou les résultats disponibles ne sont pas consistants.
Conséquences cliniques : le TDM est utile pour vérifier si les taux plasmatiques sont plausibles pour une dose donnée.
Pharmacologie très particulière du médicament qui ne justifie pas le TDM plasmatique, par exemple, lors d'une inhibition irréversible d'une enzyme ou lors d'un dosage flexible en fonction des symptômes cliniques.
Niveau de preuves : connaissances basiques de pharmacologie.
Conséquences cliniques : le TDM ne devrait pas être utilisé.
Certaines indications pour le TDM (tableau 1) n'exigent pas nécessairement l'existence de marges thérapeutiques bien définies. La connaissance de taux plasmatiques publiés suite à des études réalisées à des doses définies peuvent être utiles au clinicien, lorsqu'il suspecte un problème lié aux situations suivantes : observance douteuse, passage d'un produit original à un générique, particularité génétique du métabolisme, etc. De telles données pharmacocinétiques obtenues dans des conditions steady-state sont présentées dans les tableaux 2 et 3. Elles sont aussi précieuses dans des situations, où les niveaux 3 et 4 des recommandations s'appliquent.
Par contre, les niveaux de recommandations 1 et 2 ne sont valables que pour les médicaments pour lesquels il existe des études sur la relation taux plasmatique du médicament-effet clinique, et la démonstration de marges thérapeutiques (fenêtre thérapeutique). Une telle liste a été publiée récemment, mais malheureusement sans citer les sources des études ayant conduit à ces valeurs thérapeutiques.52 Le tableau 4 présente les marges thérapeutiques de la plupart des médicaments psychotropes utilisés aujourd'hui, ainsi que les sources bibliographiques correspondantes, mais il ne tient compte que de leur indication principale.
Les antidépresseurs diffèrent par leur structure chimique et leur mécanisme d'action. Le TDM est bien établi pour les antidépresseurs tricycliques, depuis que des études ont montré une relation taux plasmatique-efficacité clinique pour certains d'entre eux. D'ailleurs, des intoxications peuvent être évitées grâce au TDM (tableau 4). Celles-ci sont plutôt rares dans le cas des antidépresseurs plus récents, et peu d'études ont démontré une relation entre la concentration plasmatique de ces antidépresseurs et le devenir clinique des patients.53-57 Cependant, des études récentes (voir plus haut) ont mis en évidence un avantage économique du TDM des SSRI, s'il est inclus dans l'approche thérapeutique globale du patient.58 Des données sur les taux plasmatiques des médicaments à des doses thérapeutiques sont donc utiles (tableau 2).
Les antipsychotiques se distinguent entre eux aussi par leur structure chimique et leur profil pharmacologique, bien qu'ils soient tous des antagonistes des récepteurs dopaminergiques D2. L'utilité du TDM est bien reconnue pour les antipsychotiques typiques : halopéridol, perphénazine et fluphénazine, ainsi que pour les antipsychotiques atypiques : clozapine, olanzapine et rispéridone (tableaux 3 et 4). Le problème de la toxicité aiguë est moins grand que ne l'est celui des antidépresseurs tricycliques, mais un surdosage peut provoquer des effets extrapyramidaux irréversibles ou, comme dans le cas de la clozapine, des convulsions épileptiformes. De ce fait, le TDM constitue plutôt un outil pour améliorer la qualité de vie des patients.
Dans le cas des antipsychotiques, leurs concentrations plasmatiques, mieux que leurs doses,59 corrèlent avec leur liaison aux récepteurs dopaminergiques D2 cérébraux, comme mesurées par la technique PET (positron émission tomographie).60 Cette technique se révèle ainsi comme une approche précieuse pour la définition de taux plasmatiques thérapeutiques optimaux des antipsychotiques.61
Finalement, le TDM des antipsychotiques est particulièrement recommandé lorsqu'on passe d'une forme orale à une forme dépôt, et vice versa.
Le groupe des stabilisateurs de l'humeur comprend aujourd'hui, à côté du lithium, des médicaments de classes très différentes, dont des anticonvulsivants comme la carbamazépine et le valproate, et des antipsychotiques atypiques comme l'olanzapine.62 Les marges thérapeutiques et toxiques du lithium sont bien définies (tableau 4). Pour un traitement à long terme, des concentrations plasmatiques de 0,5-0,8 nmol/l sont recommandées, mais il peut être nécessaire d'augmenter ces concentrations jusqu'à 1,2 mmol/l.63,64 Peu d'études prouvent l'existence de marges thérapeutiques d'anticonvulsivants dans des indications psychiatriques. On recommande celles en vigueur pour un traitement antiépileptique, surtout dans le but d'éviter, par le TDM, des intoxications.
Parmi les médicaments utilisés dans cette indication, la tacrine, le donépézil, la rivastigmine, et la galantamine sont des inhibiteurs de la cholinestérase, tandis que la mémantine est un antagoniste faible des récepteurs du glutamate. Le TDM est peu introduit pour ce type de médicaments, bien que l'hypothèse d'une observance plutôt faible chez les patients traités paraisse justifiée. D'autre part, une étude avec le donépézil suggère une meilleure réponse thérapeutique chez des patients ayant des taux plasmatiques de ce médicament L 50 ng/ml, que chez des patients avec des taux inférieurs.65
La plupart de ces médicaments appartiennent au groupe des benzodiazépines où ils sont des ligands des récepteurs de benzodiazépines, et ils facilitent donc l'action GABAergique. Les effets cliniques corrèlent bien avec leurs taux plasmatiques. Vu leur latence d'action courte, l'observation clinique suffit en général pour adapter leur dose. Le TDM pourrait être utile pour des indications du type attaques de panique, par exemple, pour l'alprazolam.66
Lors d'une dépendance aux opiacés, le TDM est indiqué chez des patients bénéficiant d'un traitement de substitution par la méthadone ou la R-méthadone.27 Le TDM pourrait aussi être utile chez des patients alcooliques traités avec l'acamprosate (tableau 4).
Malgré l'existence de valeurs de référence «universelles» pour des taux plasmatiques de médicaments psychotropes, chez un patient donné dans une situation clinique particulière, elles peuvent ne pas être valables. L'exemple du lithium a déjà été présenté : le taux optimal pour le traitement d'un épisode maniaque aigu peut être différent de celui recommandé pour le traitement de maintenance.
En ce qui concerne d'autres indications pour le TDM (tableau 2), il ne faut pas, par exemple, surestimer les problèmes qui peuvent apparaître lors du passage d'une préparation originale à un générique ; ces problèmes sont plutôt rares.67
Les connaissances sur le métabolisme et la pharmacocinétique de médicaments psychotropes sont faibles chez les enfants, adolescents et les personnes âgées. Chez ces patients, qui présentent souvent une sensibilité particulière au médicament lié à l'âge, il n'y a que le TDM qui permet éventuellement de savoir si elle est en relation avec des facteurs pharmacodynamiques ou pharmacocinétiques.
Le TDM de psychotropes chez la femme qui est enceinte ou qui allaite permet de réduire l'exposition au médicament.68
Enfin, beaucoup d'arguments sont en faveur de l'inclusion du TDM et d'autres mesures pharmacocinétiques dans des études de phase III et IV (European Agency for the Evaluation of Medicinal Products, 1995, www.emea.eu.int/pdfs/human/ ich/037895en.pdf). D'ailleurs, les résultats de ces études, qui sont souvent réalisées par des firmes pharmaceutiques, devraient être davantage mis à la disposition des chercheurs et cliniciens.
Dans certaines situations, la combinaison de TDM avec des tests pharmacogénétiques peut être avantageuse.4,12,21,69,70 Cependant, il existe le besoin d'études prospectives pour confirmer l'efficacité et l'avantage économique de cette stratégie. Parmi les indications déjà reconnues aujourd'hui, on peut mentionner les suivantes :15,71
* le métabolisme du médicament ou de son métabolite actif est sous le contrôle de l'enzyme responsable de sa biotransformation.
* Le patient est traité avec un médicament, dont le métabolisme présente une grande variabilité interindividuelle.
* Le médicament est caractérisé par un index thérapeutique étroit : le risque de toxicité est élevé dans le cas d'un métabolisme génétiquement déficient. Dans le cas d'un métabolisme ultrarapide, le patient risque d'être un non-répondeur, par une incapacité d'atteindre des taux plasmatiques insuffisants.
* Le patient présente des taux plasmatiques du médicament et/ou de son métabolite inhabituels, ce qui permet de suspecter des facteurs génétiques responsables de cette situation.
* Le résultat d'un génotypage est valable pour la vie : ce test paraît donc justifié chez des patients chroniques nécessitant un traitement à long terme.
Un phénotypage, qui dans le cas du CYP2D6 peut être effectué avec des substances-tests comme la débrisoquine, la spartéine ou le dextrométhorphan, permet d'avoir une information sur l'activité actuelle de l'enzyme, en tenant compte de facteurs génétiques et environnementaux (par exemple comédication). D'une manière générale, on recommande la combinaison du TDM avec un phénotypage et un génotypage.
Certaines études ont montré que la formulation d'une demande pour le TDM, l'interprétation des résultats et leur utilisation par le médecin sont souvent inadéquates, ce qui en fait un examen inutile et une dépense économiquement injustifiée.50,72 C'est pourquoi, les recommandations suivantes seront utiles afin d'optimiser le TDM (tableau 1).
Préparation du TDM
Le TDM n'est pas disponible pour tous les médicaments. Un patient «à problèmes» devrait donc être traité avec un médicament pour lequel le TDM est réalisable. De préférence, sa «fenêtre thérapeutique» devrait être connue (tableau 4), sinon ses taux plasmatiques à des doses cliniques (tableaux 2 et 3). Le médecin se rappellera, que les laboratoires diffèrent par leur capacité de communiquer un résultat dans des délais qui peuvent varier entre un et sept jours.
La règle veut que le TDM se fasse dans des conditions plateau (état d'équilibre), immédiatement avant la prise (matinale) du médicament (trough level) ; c'est-à-dire la collecte de sang s'effectuera en principe après une période correspondant à cinq demi-vies du médicament, après le début du traitement ou après un changement de dose, et 12-16 heures (ou 24 heures, si le médicament est administré en dose journalière unique) après la dernière prise de médicament. La majorité des médicaments psychotropes ayant une demi-vie de 12 à 36 heures (exceptions : par exemple, fluoxétine, quétiapine, venlafaxine), leur taux à l'état d'équilibre est atteint en cinq jours. Si une collecte de sang matinale n'est pas réalisable, le patient reportera la prise de médicament jusqu'à ce qu'il ait donné son sang. Notamment chez le patient ambulatoire, il sera important de noter et l'heure de la prise de sang et celle de la dernière ingestion de médicament, pour en tenir compte dans l'interprétation du résultat.
Lors d'une modification de la dose et après la prescription d'une comédication, qui peut inhiber ou accélérer le métabolisme du psychotrope, le TDM ne devrait être effectué que lorsque l'état d'équilibre est de nouveau atteint, mais l'apparition d'effets secondaires du médicament peut justifier le non-respect de ce délai.
Chez des patients traités avec un antipsychotique dépôt, la prise de sang sera effectuée juste avant la prochaine injection.
Le laboratoire devra mettre à disposition du médecin des recommandations techniques précises, que celui-ci devra ensuite strictement respecter : choix de l'anticoagulant (sérum, plasma), conditions d'envoi par la poste, mises en garde concernant l'influence de la température et de la lumière sur l'échantillon). La plupart des médicaments sont stables pendant 24 heures.73
La qualité de l'analyse peut être influencée par les comédications. Le médecin a donc intérêt à communiquer au laboratoire toute information concernant la présence d'autres médicaments, ce qui permettra au laboratoire d'éviter des problèmes analytiques. Si le laboratoire offre une interprétation du résultat, le formulaire de demande d'analyses devra être rempli d'une manière adéquate et complète (diagnostic, effets secondaires, comorbidités, comédications, durée du traitement, doses, sexe et âge du patient, motifs pour la demande de TDM).
Appréciation clinique des résultats
Naturellement, un traitement pharmacologique doit d'abord être guidé par le bon sens clinique, en tenant compte des traitements pharmacologiques antérieurs du patient, etc. Le TDM ne constitue qu'un outil parmi d'autres pour optimiser la thérapie. De toute façon, le médecin a avantage à confier l'analyse à un laboratoire qui offre en plus une consultation de psychopharmacologie clinique, notamment lorsque le TDM est combiné avec des tests pharmacogénétiques.
Si le médicament est mesuré plusieurs fois chez le même patient, mais dans des laboratoires différents, le médecin devra être conscient que les laboratoires diffèrent par la méthode d'analyse utilisée et que la qualité de leur travail peut être variable. Bien qu'aujourd'hui, la plupart des laboratoires participent à un projet qualité ou sont même accrédités (par exemple, ISO 17025), des programmes de contrôle de qualité externe introduits au niveau mondial ont montré des différences considérables entre les laboratoires quant aux résultats d'analyse.
Le clinicien devra être attentif à la forme de présentation du résultat par le laboratoire, en ce qui concerne les unités utilisées (ng/ml, mg/l, mmol/l, nmol/l).
Interprétation du résultat et traitement du patient
Une interprétation experte du résultat du dosage plasmatique du médicament et l'utilisation adéquate de l'information qui est fournie sont essentielles pour garantir un bénéfice clinique optimal du TDM. Le médecin devra être conscient que la communication du résultat et d'une interprétation par le laboratoire (et si possible par un pharmacologue clinique) doit être guidée par la meilleure preuve disponible, mais que ses partenaires n'ont qu'une connaissance limitée du dossier du patient. Il devra en outre être attentif au type de valeurs de référence communiquées. S'agit-il d'un intervalle thérapeutique indicatif (tableaux 2 et 3) ou d'un intervalle thérapeutique de référence établi (fenêtre thérapeutique) (tableau 4) ? Il importe aussi de tenir compte du niveau de recommandations pour un médicament donné (tableau 4). Bien entendu, même si le taux plasmatique est situé dans l'intervalle thérapeutique, le médecin décidera de modifier la dose si le patient souffre d'effets secondaires ou s'il est un non-répondeur.
Procédures analytiques
Il peut être avantageux pour un laboratoire d'être accrédité, mais au minimum, il doit inclure dans son activité des contrôles de qualité interne et externe. Les méthodes d'analyse doivent être précises, exactes et robustes les coefficients de variation, respectivement la déviation de la valeur nominale, ne devraient pas dépasser 15%. Les méthodes doivent être validées par rapport aux paramètres : linéarité, sélectivité, exactitude, précision, récupération et sensibilité (limites de détection (LOD) et de quantification (LOQ)).36-38
A part la détermination de la substance-mère, celle de métabolites actifs est indispensable (par exemple, clomipramine + déméthylclomipramine ; fluoxétine + norfluoxétine ; rispéridone + 9-hydroxyrispéridone (tableaux 2-4), et celle de métabolites inactifs (par exemple, norclozapine, norsertraline) est recommandée, afin d'obtenir des informations sur l'observance du patient ou sur son statut métabolique.
Rapport sur les résultats
La concentration plasmatique du médicament et de son métabolite actif doit être communiquée avec les valeurs de référence appropriées (tableaux 2-4), en utilisant des unités de masse ou molaires (SI, système international d'unités). Lorsque les concentrations sont inférieures à la limite de quantification (LOQ), celle-ci devrait être indiquée. Les résultats devraient être mis à disposition dans un délai raisonnable du point de vue clinique, en particulier lorsque l'on se trouve dans une situation d'intoxication probable.
Le groupe AGNP-TDM recommande de joindre au rapport une interprétation et un conseil de pharmacologie clinique, qui doivent être guidés par la meilleure preuve possible. Des adaptations de dose, l'analyse d'interactions entre médicaments et l'estimation de la signification clinique d'un résultat pharmacogénétique présupposent souvent des connaissances particulières de la part du thérapeute. Bien entendu, comme il l'a déjà été mentionné, l'interprétation du résultat et la décision à prendre concernant la suite du traitement doit prioritairement tenir compte du contexte clinique. Dans la situation de taux plasmatiques suggérant une intoxication, le laboratoire communiquera le résultat dans les meilleurs délais afin de permettre une intervention rapide et appropriée auprès du patient.
Une concentration basse du médicament suggère soit une prise irrégulière du médicament, soit un métabolisme ultrarapide (ce qui justifiera un test pharmacogénétique). Il est recommandé de refaire une ou deux prises de sang pour le TDM, à la même dose : un taux variable permet de conclure à un manque d'observance de la part du patient.
Lorsque chez un patient, on diagnostique une déficience génétique du métabolisme (par exemple, CYP2D6), il n'est pas nécessaire de remplacer le médicament substrat de cet enzyme par un non-substrat,74 mais sa dose devrait être adaptée, en se basant sur le jugement clinique et le TDM.4
Ces dernières années, les connaissances sur le métabolisme du médicament dans l'organisme, ainsi que sur les facteurs pharmacogénétiques et environnementaux qui expliquent la grande variabilité intra- et interindividuelle de son devenir ont considérablement augmenté. En même temps, on admet que des traitements à long terme sont de plus en plus courants en psychiatrie, et le TDM constitue un outil puissant pour les optimiser.75
Pour la rédaction de ces recommandations,8 un groupe de spécialistes a effectué une analyse détaillée de la littérature scientifique concernant les études sur les relations taux plasmatiques-effets cliniques des psychotropes, en tenant compte de la méthodologie clinique et analytique. Il est apparu nécessaire d'introduire cinq niveaux de recommandations, afin de tenir compte des différences de qualité des données disponibles pour chaque médicament. En effet, pour certains médicaments, des valeurs de référence recommandées (fenêtre thérapeutique) sont disponibles. Pour d'autres, en l'absence d'études cliniques impliquant l'utilisation d'échelles psychopathologiques, des valeurs de référence indicatives peuvent être actuellement proposées. Finalement, ce n'est que par le respect des recommandations qui s'adressent aux médecins et aux responsables de laboratoire que le TDM pourra être utilisé d'une manière optimale, du point de vue scientifique, clinique et économique.
* Ce rapport constitue un résumé des recommandations publiées in extenso dans : Baumann P, Hiemke C, Ulrich S, et al. The AGNP-TDM expert group consensus guidelines : Therapeutic drug monitoring in psychiatry. Pharmacopsychiatry 2004;37:243-65.