La paralysie faciale est une pathologie peu fréquente qui nécessite une démarche diagnostique et une prise en charge standardisées. Nous proposons une mise au point du sujet, essentiellement clinique, afin que le médecin de premier recours puisse entreprendre le début de la prise en charge des paralysies faciales avant d'adresser le patient au spécialiste.
Le visage est la partie du corps humain qui transmet la majeure partie des émotions et de la personnalité d'un individu. Le changement même minime de l'esthétique et de l'expression du visage amène une inquiétude importante du patient qui n'hésite pas à consulter en urgence.
La plus grande étude réalisée à ce jour sur plus de 2500 paralysies faciales (PF) montre une incidence annuelle non négligeable d'environ 50/100 000 personnes.1
Le nerf facial est complexe et véhicule des fibres motrices (muscles de la face et muscle stapédien), des fibres gustatives (2/3 antérieurs de la langue via la corde du tympan), des fibres sécrétoires (glandes lacrymales, nasales et salivaires) ainsi que des fibres sensitives (région de Ramsay-Hunt comprenant la conque et la partie postérieure du conduit auditif externe). Le nerf naît du tronc cérébral qu'il quitte au niveau de l'angle pontocérébelleux. Il présente ensuite un long trajet intrapétreux, traditionnellement schématisé en trois segments : le segment horizontal est situé dans le conduit auditif interne, à proximité du nerf VIII, puis près du labyrinthe ; le segment tympanique est en relation avec l'oreille moyenne ; le segment vertical chemine dans la mastoïde. Une atteinte faciale peut ainsi être associée à un déficit cochléaire ou vestibulaire. Le nerf facial quitte le crâne par le trou stylo-mastoïdien et traverse la parotide où il se bifurque en rameaux temporal, zygomatique, buccal, mandibulaire et cervical.
La paralysie faciale périphérique résulte d'une lésion nucléaire ou infranucléaire et touche toute l'hémiface. Elle se distingue de la paralysie faciale centrale épargnant la motricité frontale qui est contrôlée par les deux hémisphères.
L'atteinte motrice du nerf facial d'origine périphérique peut être partielle (parésie) ou complète (paralysie). La parésie correspond à un défaut de conduction incomplet et réversible du nerf facial qui reste intègre. La récupération est presque toujours rapide et complète. En cas de paralysie, l'atteinte neuronale peut provenir de trois états différents, souvent combinés :
* La neurapraxie : axones viables mais avec un bloc de conduction au sein de ceux-ci en raison d'une atteinte myélinique segmentaire. Récupération complète.
* L'axonotmésis : dégénérescence axonale étendue (dégénérescence de Waller) avec conservation du tissu de soutien. Récupération lente mais complète.
* La neurotmésis : dégénérescence axonale et du tissu de soutien. Dans ce cas la régénération peut être partielle et aberrante avec séquelles fonctionnelles (syncinésies, spasmes faciaux, déficit de lacrymation, épiphora).
Le pronostic de récupération d'une paralysie faciale complète dépend du nombre de fibres fonctionnelles restantes (neurapraxie et/ou axonotmésis). L'électroneuronographie (EnoG) 2,3 est un test électrophysiologique qui permet de quantifier approximativement le pourcentage de fibres dégénérées et en état de bloc. Malheureusement l'axonotmésis et la neurotmésis ne sont pas différentiables. Si la dégénérescence nerveuse n'excède pas 90% (10% ou plus de neurapraxie), le pronostic est bon et la paralysie récupère en général complètement dans les six à huit semaines. Si la dégénérescence dépasse 90%, la récupération est plus tardive (trois à six mois), et souvent partielle avec des séquelles fonctionnelles.
L'électromyographie (EMG) à l'aiguille est une autre méthode électrophysiologique pour évaluer le degré de dénervation : potentiels de fibrillation si la dégénérescence axonale est complète, présence de potentiels d'action volontaires si elle est partielle.
Les causes sont nombreuses et Peitersen1 cite trente-huit étiologies différentes. Le tableau 1 résume les étiologies les plus importantes (liste non exhaustive).
La paralysie de Bell représente la majorité des paralysies faciales et son diagnostic reste un diagnostic d'exclusion. Elle peut avoir un caractère récurrent dans environ 7 à 9% des cas1,4 et un caractère familial dans 4% des cas. 70% des patients souffrant d'une paralysie de Bell ont une atteinte initiale complète. Cliniquement l'apparition est soudaine et progressive. A l'atteinte motrice s'ajoute par ordre d'importance un épiphora, des douleurs rétro-auriculaires, des troubles du goût et une phonophobie. Une atteinte cochléo-vestibulaire est parfois associée. Par ailleurs, même si la paralysie de Bell est dite idiopathique, il est probable qu'il s'agisse d'une névrite due à une réactivation du virus Herpes simplex.5
Le zona otique est une réactivation du virus latent de la varicelle qui se trouve dans le ganglion géniculé. L'apparition de la paralysie faciale est souvent un peu plus lente que dans la paralysie de Bell (jusqu'à trois semaines), avec un taux de paralysies complètes plus important (88 %).1 Un déficit cochléo-vestibulaire est fréquent (surdité 73% et vertiges 64%). Cliniquement il est important de rechercher des vésicules ou des ulcérations dans la zone de Ramsay-Hunt. Les lésions cutanéo-muqueuses précèdent l'atteinte faciale dans 60% des cas mais peuvent apparaître secondairement chez 15% des patients. Il existe des formes sans vésicules visibles (zona sine herpete) qui rendent le diagnostic différentiel de la paralysie de Bell difficile.
Depuis l'avènement des antibiotiques, les origines infectieuses conduisant à une paralysie faciale sont peu fréquentes avec une incidence de 1/20 000 otites moyennes aiguës. Il n'y a pas d'évidence qu'un germe soit plus pathogène qu'un autre pour le nerf facial.
Les causes traumatiques sont faciles à identifier. Les plus fréquentes sont les chocs crâniens entraînant une fracture du rocher. Les lésions du nerf facial sont le plus souvent un œdème ou une contusion,6 rarement une section.
1. Il est fondamental de déterminer si l'atteinte est d'origine centrale ou périphérique. En cas de paralysie centrale, avec préservation de la mobilité frontale, un examen neurologique s'impose. Le tableau clinique comporte généralement d'autres signes neurologiques centraux. Si la paralysie est d'origine périphérique, son mode d'apparition doit être spécifié en sachant que les origines traumatique, infectieuse et idiopathique s'installent en moins de trois semaines. Dans le cas contraire une origine tumorale doit être exclue.
2. La quantification du degré de paralysie est capitale pour la prise en charge et le pronostic du patient. Plusieurs classifications existent mais la plus utilisée est celle de House et Brackmann 7 (tableau 2).
3. Examen systématique de l'oreille avec otoscopie en recherchant :
4. Si l'anamnèse est évocatrice d'une maladie de Lyme (piqûre de tique), rechercher l'antécédent d'un érythème migrant.
5. Une tuméfaction parotidienne uni- ou bilatérale doit être systématiquement recherchée et une palpation cervicale effectuée. Certains facteurs à rechercher (tableau 3) font suspecter une tumeur.
6. Evaluation des troubles oculaires (épiphora, yeux secs, éventuelle érosion cornéenne). La paralysie faciale peut décompenser une pathologie palpébrale préexistante telle qu'une lagophtalmie ou un ectropion.8
Si la paralysie faciale survient sans contexte étiologique évident, les examens sanguins suivants sont demandés de routine : VS ou CRP, formule sanguine complète, glycémie, sérologies des groupes virus Herpes simplex (VHS) et virus Herpes zoster (VHZ), VIH, TPHA (Treponema pallidum haemaglutination assay) et Borrelia burgdorferi (maladie de Lyme). Si des vésicules sont présentes, il est plus utile de faire un frottis virologique des lésions, à la recherche de VHZ et de VHS. En cas de suspicion de maladie autoimmune, envisager un bilan immunologique.
D'une manière générale, nous recommandons d'adresser le patient vers un spécialiste ORL pour un bilan audio-vestibulaire complémentaire. Le patient sera en tout cas référé à un spécialiste (ORL ou neurologue) en cas de paralysie faciale complète pour une EnoG, si possible entre le septième et le dixième jour après l'installation de la paralysie. Comme précédemment expliqué, cet examen permettra d'établir le pronostic de récupération et d'orienter la prise en charge ultérieure.
Une IRM cérébrale sera effectuée en cas de paralysies faciales récidivantes, de pathologies tumorales parotidiennes et chez un enfant.
Dans les cas de paralysie de Bell et de zona otique, un traitement précoce est instauré, idéalement dans les trois premiers jours. On prescrira de la prednisone 1 mg/kg et du valacyclovir 3 x 1 g/j ou de l'acyclovir 5 x 800 mg/j durant une semaine.
Selon deux méta-analyses récentes à propos de la paralysie de Bell,10,11 le traitement d'acyclovir avec stéroïdes semble accélérer la récupération de la paralysie et diminuer les syncinésies à quatre mois. En cas de déficit vestibulaire important un traitement de bétahistidine 3 x 16 mg/j peut être donné. D'une manière générale, le patient est ensuite adressé à un ORL pour un examen audio-vestibulaire complémentaire.
Lors d'une otite moyenne aiguë compliquée d'une paralysie faciale, le patient doit être immédiatement envoyé dans un centre hospitalier où sera effectuée une paracentèse avec pose de drain transtympanique associé à un traitement antibiotique intraveineux et des corticoïdes. Une mastoïdectomie peut être discutée d'emblée, mais est en tout cas indiquée après 48 heures si l'évolution n'est pas favorable.
Le traitement en cas de paralysie faciale en relation avec un cholestéatome ou une otite externe maligne est chirurgical.
La prise en charge des paralysies faciales sur fracture du rocher se fait dans la plupart des cas en milieu hospitalier. Le patient est d'emblée mis sous corticothérapie. Si la paralysie est totale (primaire ou secondaire), une EnoG et un EMG seront effectués pour évaluer le degré de la dénervation. Si la dégénérescence axonale est sévère (L 90% à l'EnoG, absence de potentiels d'action volontaire à l'EMG), une décompression chirurgicale est indiquée12 (idéalement dans les deux premières semaines13).
Les lésions pénétrantes extracrâniennes et les lésions iatrogènes avec paralysie immédiate nécessitent une révision chirurgicale.
Pour les cancers parotidiens avec atteinte du nerf facial, une parotidectomie totale avec sacrifice du nerf facial est nécessaire avec reconstruction par greffe nerveuse. D'une manière générale, la récupération fonctionnelle à long terme reste partielle avec paralysie séquellaire de grade III selon House-Brackmann (tableau 2).
L'électrothérapie est controversée, car elle pourrait augmenter le taux de contractures au long cours.1
Il est fondamental d'éviter toute sécheresse et kératite cornéennes. Ainsi le patient doit être initialement instruit des signes d'irritation cornéenne : prurit, rougeur, sensation de corps étranger et vision trouble. Un lubrifiant ophtalmique est nécessaire plusieurs fois par jour et le soir une application de vitamine A est recommandée. Lors de fermeture incomplète de l'il, il faut prescrire une chambre humide oculaire. En cas de paralysie au long cours, d'hypoesthésie cornéenne, de pathologie palpébrale préexistante et de symptômes persistants, un avis ophtalmologique est nécessaire.
En règle générale, les paralysies faciales partielles ont un excellent pronostic et récupèrent complètement. En cas de paralysie totale, le pronostic dépend du résultat des tests électrophysiologiques (EnoG, EMG). Globalement, la paralysie totale récupère complètement dans 61% des cas pour le Bell, et dans seulement 21% des cas lors d'un zona otique.1
Le pronostic de la paralysie faciale, même partielle, en relation avec une tumeur, un cholestéatome ou une otite externe maligne est beaucoup plus réservé car l'intégrité du tissu de soutien du nerf est souvent altérée.14-17
En cas de paralysie faciale, nous proposons une démarche diagnostique standardisée. Le traitement est dirigé par l'étiologie et ne doit jamais oublier la prise en charge oculaire. Hormis les étiologies chroniques ou tumorales moins fréquentes, le pronostic reste souvent bon.