L'émergence de souches de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (MRSA) communautaires, porteuses de la toxine de Panton-Valentine (PVL), constitue actuellement une vraie menace. Ces germes sont responsables d'infections cutanées sévères à évolution nécrotique et de pneumonies nécrosantes. Les MRSA communautaires, dont la dissémination est favorisée par certains facteurs (comme séjour en collectivité et promiscuité), sont désormais impliqués aussi dans la survenue d'infections nosocomiales. A part le traitement antibiotique, le drainage chirurgical, voire l'excision des lésions sont importants et parfois indispensables. La prévention de la transmission des bactéries est essentielle et repose sur le respect des règles d'hygiène élémentaires.
Les infections bactériennes cutanées superficielles constituent un problème fréquemment rencontré en pratique médicale. Selon le niveau de l'atteinte cutanée, on distingue :
* Des infections cutanées superficielles, touchant l'épiderme et le derme, à type d'impétigo, de folliculites, de furoncles ou d'anthrax.
* Des infections cutanées profondes, pouvant s'étendre plus en profondeur jusqu'au fascia et au plan musculaire, comprenant l'érysipèle, la dermo-hypodermite et la fasciite nécrosante.
Exception faite pour la fasciite nécrosante, ces infections sont habituellement bénignes. Néanmoins, leur gravité potentielle n'est pas à banaliser compte tenu de la virulence de certaines bactéries et du développement de résistances aux antibiotiques usuels.
En effet, l'émergence de plus en plus importante d'infections cutanées sévères à methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA) communautaires et/ou porteurs de la toxine Panton-Valentine (PVL), avec de véritables épidémies dans différents pays (Etats-Unis, Algérie, Grèce), pose un nouveau défi. Par exemple, dans la région d'Atlanta, plus de 60% des infections cutanées communautaires à staphylocoques sont causées par des souches MRSA.1
La toxine Panton-Valentine est une leucotoxine produite par le Staphylococcus aureus, principalement la souche communautaire MRSA. Le gène codant pour cette toxine peut être tout de même retrouvé aussi chez les souches de S. aureus sensibles à la méticilline.2,3 Cette toxine agit par formation de pores sur la membrane cellulaire des neutrophiles, des monocytes et des macrophages, mais également par l'activation calcium-dépendante des polynucléaires neutrophiles, avec libération d'enzymes et formation de ions superoxydes.2 Elle est responsable d'infections cutanées et pulmonaires sévères, avec une morbidité élevée.
Un patient de 48 ans, en bonne santé habituelle, développe à la rentrée d'un voyage de plongée aux Philippines deux nodules inflammatoires de l'avant-bras droit, sans état fébrile ni frissons. L'évolution clinique est défavorable malgré une antibiothérapie par amoxicilline-acide clavulanique p.o. 1 g 2 x/j pendant une semaine. L'examen clinique met en évidence deux lésions nodulaires très inflammatoires, ulcérées au centre et suppuratives (figure 1). Le frottis bactériologique montre un MRSA PVL positif. Le diagnostic d'anthrax à MRSA PVL positif est retenu. Le patient bénéficie d'une antibiothérapie avec co-trimoxazole forte 2 x/j pendant cinq jours avec une évolution clinique rapidement favorable.
Un patient de 49 ans, en bonne santé habituelle, présente des lésions papulo-érythémateuses au niveau thoracique antérieur droit, prurigineuses, survenues après un épisode de gastroentérite. Les lésions s'aggravent progressivement avec formation d'éléments nodulaires douloureux. L'examen clinique retrouve des lésions ulcérées, suppuratives et purulentes (figure 2A). Le frottis bactériologique ainsi que la culture tissulaire au départ d'une biopsie cutanée mettent en évidence un S. aureus sensible à la méticilline (MSSA), PVL positif. L'aspect clinique et les examens complémentaires permettent de retenir le diagnostic d'anthrax à MSSA PVL positif. Le patient est traité avec amoxicilline-acide clavulanique 1,2 g i.v. 3 x/j pendant sept jours. L'évolution est favorable pour les plus petites lésions, tandis que la lésion principale plus tumorale a nécessité une excision chirurgicale avec fermeture en première intention (figure 2B).
Il s'agit d'une patiente de 70 ans, hospitalisée en raison d'une maladie de Parkinson avancée. Par ailleurs, elle a souffert d'un carcinome canaliculaire invasif du sein gauche traité par tumorectomie et radiochimiothérapie. Elle développe pendant son hospitalisation de multiples lésions abcédées et nécrotiques en regard de la cicatrice de tumorectomie du sein gauche (figure 3A). L'examen histologique nous a permis d'écarter une prolifération tumorale sous-jacente en relation avec son ancien carcinome canaliculaire du sein. Par contre, le frottis bactériologique et la culture tissulaire ont mis en évidence un MSSA PVL positif, permettant de faire le diagnostic d'anthrax à MSSA PVL positif. Malgré un traitement d'amoxicilline-acide clavulanique 1,2 g i.v. 3 x/j et par la suite de flucloxacilline par voie intraveineuse, les lésions ne régressent que partiellement, raison pour laquelle une excision des lésions avec fermeture en première intention s'avére nécessaire (figure 3B).
Alors que la contamination par MRSA a été longtemps considérée comme un problème presque exclusivement du milieu hospitalier, au cours des dernières années la survenue et l'identification au sein de la communauté de souches de MRSA particulièrement virulentes est en train de devenir un problème de santé publique majeur. Une étude effectuée aux admissions des Hôpitaux universitaires de Genève entre janvier et août 2003 a montré une prévalence de 9/10 000 pour le portage de MRSA communautaire.4,5,6
La résistance à la méticilline est due à la production d'une «penicillin binding protein» (PBP2a) altérée, codée par le gène mecA, présent sur un élément génétique mobile appelé Staphylococcal cassette chromosome (SCC). Jusqu'à présent, cinq types de SCC ont été identifiés, chacun conférant un profil particulier de susceptibilité aux antibiotiques.2
Les souches MRSA communautaires se différencient de celles nosocomiales par deux caractéristiques :
1. La présence du SCCmec de type IV (Staphylococcal cassette chromosome), gène qui lui confère une résistance aux bêtalactames, mais une sensibilité fréquente à la gentamicine, aux quinolones et aux macrolides (attention : les souches CA- MRSA USA 300 sont souvent résistantes aux macrolides).2,4,5
2. La présence d'un gène codant pour la toxine Panton-Valentine.2 Cette puissante leucotoxine agit par formation de pores sur la membrane cellulaire des neutrophiles, des monocytes et des macrophages, mais également par l'activation calcium-dépendante des polynucléaires neutrophiles, avec libération d'enzymes et formation de ions superoxydes. Le gène codant pour cette toxine peut se retrouver également chez les souches MSSA, mais principalement chez celles communautaires MRSA.
Les souches de S. aureus PVL positifs ont un tropisme cutané marqué et peuvent être responsables d'infections cutanées sévères,2 à type de furoncles, mais parfois également d'anthrax, d'abcès, de dermohypodermites, de fasciite nécrosante et d'impétigo.
Des pneumonies nécrosantes sévères2 ont été décrites chez les enfants et les adultes en bonne santé habituelle. Une étude récente7 a montré que la toxine Panton-Valentine seule est en mesure de produire des pneumonies nécrosantes sévères dans un modèle murin. De plus, son expression agit sur la régulation de molécules d'adhésion très importantes (Spa) pour la virulence du germe.
Des arthrites, des médiastinites, des ostéomyélites pelviennes et des thrombophlébites septiques sont également possibles.2
Les facteurs de risque2,4,5 pour un portage de MRSA communautaire en Suisse sont mal connus. Une étude réalisée à Genève4 a montré que seulement l'origine du patient (non suisse et non UE) pouvait prédire un portage. Une autre étude genevoise en cours d'analyse a confirmé l'importance de l'origine des patients (séjour touristique à l'étranger y inclus) comme l'un des facteurs de risque les plus importants (figure 4). D'autres investigations internationales ont décrits les facteurs de risque suivants :
* utilisation de drogues i.v. ;
* activités sportives de groupe (contacts interhumains fréquents) ;
* séjour en prison ou camp militaire ;
* homosexualité ;
* contact rapproché avec des personnes présentant ces facteurs de risque.
A noter enfin que des cas de transmission de MRSA PVL positif par des animaux domestiques (chiens, chats, chevaux, oiseaux, etc.) pouvant ainsi servir de «réservoirs» ont également été récemment rapportés.8,9
Du point de vue dermatologique, le traitement dépend du type de lésions cutanées.
1. Infections cutanées superficielles banales à type de folliculites ou furoncles.
* Le traitement se base avant tout sur l'éviction et la prise en charge optimale des facteurs favorisants locaux (frottement, macération, rasage, épilation, traitement par dermocorticoïdes, application de topiques irritants) ou généraux (obésité, diabète, déficit immunitaire congénital ou acquis, insuffisance rénale).10
* Les folliculites superficielles sont traitées par des applications de produits antiseptiques 2 x/j (chlorhexidine, dérivés iodés, hypochlorite de sodium, hexamidine ou triclosan).10,11 Plusieurs antibiotiques topiques présentent une bonne activité antistaphylococcique, en particulier l'acide fusidique, la mupirocine, l'érythromycine, la clindamycine et la néomycine. Néanmoins, leur utilisation reste critiquée en raison du risque de sélection de germes résistants ainsi qu'à des sensibilisations potentielles.10-12 En cas d'atteinte plus profonde, l'adjonction d'une antibiothérapie systémique doit être discutée.
* En cas de furoncle ou d'anthrax, l'application de compresses humides et tièdes ou de sulfobituminate d'ammonium favorise le drainage spontané de l'infection. L'incision avec drainage est importante et indiquée en cas de collection purulente sans drainage spontané. Comme pour les folliculites, l'utilisation d'une antibiothérapie locale reste controversée.10,11 L'antibiothérapie orale est indiquée en cas de furoncles multiples disséminés ou survenant sur un terrain d'immunosuppression, de diabète, en cas de localisation médio-faciale, en cas d'anthrax ou de symptômes systémiques comme l'état fébrile.10
2. Infections cutanées superficielles à MRSA
En ce qui concerne les souches PVL positives, nos observations confirment qu'une antibiothérapie bien conduite peut s'avérer insuffisante, probablement en relation avec une mauvaise pénétration tissulaire suite aux dégâts et à la nécrose tissulaire liée à la toxine Panton-Valentine. Pour le choix des antibiotiques, l'antibiogramme est essentiel : les souches communautaires de MRSA en Suisse, par rapport aux souches nosocomiales, sont en général sensibles au co-trimoxazole, aux quinolones et à la clindamycine.2 Le recours à une excision chirurgicale des lésions avec fermeture en première intention est parfois nécessaire.
De manière générale, tout patient se présentant avec des lésions cutanées évocatrices d'une infection staphylococcique devrait bénéficier d'un prélèvement bactériologique avant de débuter un éventuel traitement antibiotique. Des frottis à la recherche d'une colonisation par MRSA sont également indiqués chez les patients présentant les facteurs de risque sus-décrits.
Des prélèvements microbiologiques sont surtout indiqués chez les patients qui se présentent lors :
* d'épisodes récidivants ;
* d'une évolution rapide des lésions ;
* d'un épisode ne répondant pas à un traitement antibiotique classique (par exemple amoxiclav Augmentin, céfuroxime Zinat) ;
Devant un résultat positif pour MRSA au niveau des lésions cutanées ou des frottis de dépistage, l'attitude préconisée est la suivante :13
* mise en route d'un traitement antibiotique adéquat, local ou systémique ;
* traitement de décolonisation : toilette avec un savon antiseptique (chlorhexidine 4%, Hibiscrub) 1 x/j pendant sept jours et application d'une pommade (mupirocine, Bactroban) au niveau des fosses nasales 2 x/j pendant sept jours. L'efficacité du traitement de décolonisation devrait être vérifiée par des frottis de contrôle au niveau des fosses nasales et des plis inguinaux après un mois. A noter néanmoins que la prévalence du portage nasal semble être bien plus faible avec les souches MRSA par rapport à celles sensibles à la méthicilline (0,84% vs 31,6 %) ;14
* éventuel isolement, règles d'hygiène : en ce qui concerne les professionnels dans le domaine de la santé, on attire l'attention sur l'importance d'une hygiène correcte au niveau des mains (désinfection régulière avec une solution hydro-alcoolique) ;
* recherche de personnes colonisées dans l'entourage : la famille et l'entourage proche d'un patient colonisé par MRSA devraient bénéficier de frottis de contrôle. En cas de résultats positifs, le même traitement effectué en même temps devrait être débuté.a
L'émergence de la souche de MRSA communautaire portant la toxine Panton-Valentin impose une vigilance accrue dans la pratique quotidienne du dermatologiste, en particulier vis-à-vis de patients présentant des lésions cutanées staphylococciques. La prévention de la transmission des bactéries est essentielle et repose sur le respect des règles d'hygiène élémentaires.
a Pour de plus amples informations, voir par exemple le site de la Direction générale de la santé (Genève) décrivant les mesures préconisées à Genève pour la prise en charge des patients colonisés ou infectés par le MRSA communautaire : http:// etat.geneve.ch/des/site/master-list.jsp?topicId=50