Le pied plat dégénératif est une pathologie fréquente de l'arrière-pied de l'adulte. Il résulte le plus souvent de la dégénérescence du tendon tibial postérieur (TTP), se rencontre surtout chez les femmes et est souvent associé à l'obésité. Il existe quatre stades de sévérité basés sur l'atteinte du TTP, le degré de réductibilité de la déformation et les altérations articulaires. Le traitement conservateur n'est fonctionnellement efficace que dans les stades précoces mais peut tout de même participer à l'antalgie dans les stades avancés. Le traitement chirurgical vise le maintien de la fonction et de la mobilité du pied dans les stades précoces et la stabilisation antalgique dans les stades avancés. La collaboration entre le chirurgien et le médecin traitant est essentielle dans le choix du traitement et dans la maîtrise des facteurs aggravants.
Le pied plat dégénératif ou pied plat acquis de l'adulte occupe une position dominante dans les pathologies de l'arrière-pied. La cause de loin la plus fréquente en est la dysfonction du tendon tibial postérieur (TTP), observée plus souvent chez les femmes (prévalence de 10% chez les femmes de plus de quarante ans) que chez les hommes, et associée fréquemment à l'obésité. En seconde position étiologique, on trouve les arthrites inflammatoires avec la polyarthrite rhumatoïde en tête de liste. D'autres étiologies plus rares incluent un status post-traumatique, des facteurs neurologiques et métaboliques.
Le but de cet article est de donner un aperçu pragmatique de l'approche et de la prise en charge du pied plat acquis de l'adulte sur la base d'une insuffisance du TTP.
La ténosynovite du TTP a été décrite pour la première fois en 19361 mais il a fallu attendre les années 1960 pour que son association au pied plat acquis soit mise en évidence.2 Aujourd'hui, la pathogenèse de la dégénérescence du TTP n'est pas définie de manière unanime. On a pu néanmoins établir qu'au passage de la malléole interne autour de laquelle il fait un virage serré, le TTP était couvert d'une fine couche cartilagineuse. Les contraintes importantes appliquées à cet endroit sont probablement responsables de l'apparition de fissures longitudinales dans cette couche de cartilage.3 Une fois établies, ces fissures ne demandent qu'à s'étendre distalement pour affaiblir le tendon. Les deux facteurs favorisant l'apparition de ces fissures sont d'une part une faible vascularisation de cette couche3 et, d'autre part, un excès de contraintes comme en cas d'obésité. Le tendon affaibli ne remplit plus son rôle d'initiateur du verrouillage du pied et un cercle vicieux s'installe : le triceps sural agit comme une force valgisante, les structures ligamentaires internes s'étirent, la tête du talus «plonge» en inféro-médial et la déformation finit par se fixer.
Le pied plat acquis sur la base d'une dégénérescence du TTP se présente comme une déformation en trois dimensions : planus valgus abductus/supinatus, soit affaissement de l'arche longitudinale, déviation latérale de l'arrière-pied et déviation latérale avec supinatus de l'avant-pied (figure 1). L'apex de la déformation se situe le plus souvent dans l'articulation talo-naviculaire.
1. Localisation de la douleur ? La souffrance du TTP est associée à des douleurs sur son trajet rétro- et inframalléolaire de même qu'à son insertion principale sous le naviculaire. En demandant au patient de réaliser une adduction-inversion de son pied contre résistance, on peut souvent reproduire ces douleurs insertionnelles. Un valgus important de l'arrière-pied est régulièrement associé à des douleurs infra-malléollaires externes synonymes de conflit calcanéo-malléolaire.
2. Réductibilité ? Il faut définir la réductibilité active et passive. On doit observer le patient debout, depuis l'arrière, et quantifier le valgus du talon (normal = valgus de 5°). L'examen de la réductibilité active se fait en demandant au patient de s'élever sur la pointe d'un seul pied (Single heel rise test) (figure 2). Si le valgus de l'arrière-pied se réduit (varisation du talon), on sait alors deux choses : le TTP est fonctionnel et la déformation est réductible. Si ce n'est pas le cas, il existe trois hypothèses : le TTP est insuffisant, la déformation est rigide ou ces deux éléments sont combinés. Il faut alors tester passivement (manuellement) la réductibilité de l'arrière-pied : s'il se réduit, la déformation est souple et le TTP est insuffisant ; s'il ne se réduit pas, la déformation est rigide et, en général, associée à une insuffisance du TTP.
3. Planus, abductus et supinatus ? En observant l'affaissement de la voûte plantaire interne longitudinale, on sera également attentif à la présence de callosités sous le bord interne du pied, en particulier sous le naviculaire. Pour estimer l'importance de l'abductus de l'avant-pied, on se place derrière le patient debout et on observe le nombre d'orteils visibles latéralement ; du côté pathologique, on pourra observer davantage d'orteils que du côté sain du fait de l'abduction de l'avant-pied (to many toes sign) (figure 1A). Pour connaître la réductibilité du supinatus de l'avant-pied, il faut réduire passivement l'arrière-pied et établir si, dans cette position, l'avant-pied peut être amené en position plantigrade.
4. Triceps sural ? Un raccourcissement du triceps sural, et en particulier des gastrocnémiens, est souvent associé au pied plat dégénératif et agit comme une force déformante additionnelle. La question du raccourcissement du triceps sural est surtout importante dans les stades souples (1 et 2). L'examen clinique est simple : on place le patient assis, on réduit passivement son arrière-pied en bonne position puis on étend la cheville au maximum alors que le genou reste tendu. Chez l'homme, on attend 0-5° d'extension dorsale de la cheville, chez la femme 5-10°. Si on peine à atteindre cette extension genou tendu et qu'elle augmente significativement (> 5-10°) lorsqu'on fléchit le genou, on sait alors qu'il existe des gastrocnémiens courts.
5. Facteurs associés ? On doit être attentif à d'autres troubles du morphotype des membres inférieurs (genua valga en particulier) et passer en revue des éléments significatifs de la condition physique, comme l'état pondéral, le status vasculaire, neurologique et cutané.
A l'examen clinique, on associera bien sûr un bilan radiologique. Celui-ci doit être réalisé en charge (patient debout). Le bilan radiologique comprendra des incidences face/profil du pied et face de cheville (figures 3-5). Sur la vue du pied de profil (figure 3), on observera un affaissement de la voûte longitudinale (angle talo-premier métatarsien négatif de plus de 6°). Sur l'incidence du pied de face (figure 4), on observera une découverture naviculo-talienne et une divergence talo-calcanéenne augmentée. Sur la cheville de face (figure 5), on évaluera l'usure du compartiment externe de la cheville, la présence d'un conflit calcanéo-péronier pouvant même aller jusqu'à une fracture de fatigue de la malléole externe.
Johnson et Strom4 ont établi une classification en trois stades du pied plat acquis, selon l'atteinte du TTP, la déformation du pied et sa réductibilité. A cette classification universellement reconnue, Myerson 5 a ajouté un quatrième stade qui tient compte des atteintes dégénératives de la cheville. Cette classification permet non seulement d'établir la sévérité de la pathologie mais offre également les bases de conduite du traitement (tableau 1).
Le traitement conservateur est applicable à tous les stades. Néanmoins, le but recherché varie d'un stade à l'autre.6 Au stade 1, on vise à diminuer les contraintes sur le TTP. Au stade 2, on cherche à corriger la déformation encore souple de l'arrière-pied. Aux stades 3 et 4, on recherche la stabilisation de l'arrière-pied à but antalgique. A l'exception du traitement appliqué au stade 1, il s'agit d'un appareillage relativement lourd, nécessitant souvent l'association d'un support plantaire à des chaussures spéciales ou à une orthèse rigide de cheville. Ceci contribue à expliquer la compliance réduite du patient dans 30% des cas7 et la fréquence des indications chirurgicales posée dès le stade 2.
Stade 1
Le principe du traitement est de modifier l'attaque du pied au sol et de soutenir discrètement la voûte longitudinale tout en permettant au patient de garder ses habitudes en matière de chaussures et d'activités. La prescription inclut un support plantaire souple avec effet varisant le talon, petit renfort de contre-appui latéral, soutien discret de la voûte longitudinale. On doit aussi, le cas échéant, prescrire des exercices d'étirement du triceps sural (stretching).
Stade 2
Il s'agit de restaurer l'alignement du pied durant la déambulation. L'appareillage est nettement plus conséquent qu'au stade 1 et obligera le patient à modifier ses habitudes de chaussage. La prescription inclut un support plantaire semi-rigide, avec effet varisant fortement le talon, coque latérale de contre-appui (empêche le talon de glisser latéralement hors du support) et soutien marqué de la voûte longitudinale, voire du premier rayon (en cas de supinatus fixé de l'avant-pied). Comme le support est volumineux, il nécessite souvent une association à des chaussures orthopédiques de série. Le libellé exact de l'ordonnance permettant une participation de l'AI ou de l'AVS est : «une paire de chaussures orthopédiques de série avec lit plantaire incorporé». Il n'est pas rare que les chaussures doivent être montantes pour apporter un soutien additionnel dans le plan frontal. Ce rôle complémentaire peut aussi être rempli par une chevillière rigide ou semi-rigide. Comme pour le stade 1, des exercices d'étirement du triceps sural sont recommandés.
Stades 3 et 4
La déformation est irréductible de sorte que le traitement conservateur n'aura aucune influence sur la morphologie du pied. Il visera surtout l'antalgie dans les cas de patients ne pouvant être soumis à une sanction chirurgicale. Le principe de l'appareillage est la stabilisation de l'arrière-pied et la médialisation des contraintes passant par la cheville et l'arrière-pied. Le support plantaire, avec les mêmes spécifications que pour le stade 2, doit toutefois être plus rigide et souvent plus montant. Il doit bien sûr être associé à des chaussures montantes, souvent sur mesure, avec médialisation de l'appui du talon, tige renforcée ou à une orthèse rigide.
Autres mesures thérapeutiques
L'immobilisation plâtrée transitoire a aussi été décrite comme mesure de soulagement d'une période douloureuse aiguë, surtout dans le stades 1 et 2.2,8 Elle peut se justifier par exemple sous forme d'une botte de marche pour quatre semaines et doit être suivie, en général, de l'adaptation d'un support plantaire tel qu'il a été décrit plus haut.2
Finalement, le traitement conservateur inclut aussi des mesures générales d'hygiène de vie comme le maintien d'une activité physique régulière et la lutte contre l'obésité.
Le traitement chirurgical est indiqué en cas d'échec des mesures conservatrices. C'est souvent le cas à partir du stade 2. La stratégie chirurgicale est dépendante, avant tout, du degré de sévérité du pied plat dégénératif. Deuxièmement, elle doit s'adapter à l'état de santé du patient, à son âge, à sa demande fonctionnelle et aux conditions tissulaires locales. Troisièmement, la technique utilisée dépend bien entendu des habitudes du chirurgien, en d'autres termes de son école.9
Les buts à atteindre sont l'antalgie et l'amélioration fonctionnelle. Alors que les stades 1 et 2 permettent la plupart du temps une chirurgie conservatrice, c'est-à-dire dont le résultat se rapproche du fonctionnement physiologique du pied, les stades 3 et 4 doivent faire l'objet d'une chirurgie dont le but est d'améliorer la fonction par une stabilisation antalgique de l'arrière-pied.
Chirurgie conservatrice
Au stade 1, elle se limite à une synovectomie du TTP. Dès le stade 2, elle comprend la substitution du TTP insuffisant par un tendon voisin, c'est-à-dire soit par le long fléchisseur de l'hallux (FHL), soit par le long fléchisseur des orteils (FDL). Comme le tendon transféré est plus faible que l'original, ce geste doit en principe être augmenté d'une procédure osseuse. Au nombre des techniques les plus utilisées, on compte l'ostéotomie de médialisation de la grande tubérosité du calcanéus10 (figure 6), l'allongement de la colonne externe du pied2,5 (figure 7) et l'arthrodèse sous-talienne11 (figure 8). Le principe de la première est de modifier l'attaque du pied au sol et son appui en réduisant le valgus de l'arrière-pied ; il s'agit d'une technique relativement simple associée à un faible taux de complications. Le principe de la seconde est de placer un greffon gagné à partir de la crête iliaque dans l'articulation calcanéo-cuboïdienne ce qui a pour effet de réduire l'abductus de l'avant-pied par allongement de la colonne externe ; si cette technique est conceptuellement séduisante, elle présente néanmoins le désavantage de la morbidité associée à la prise de greffe et celui des contraintes importantes appliquées au greffon. Le principe de la troisième est de stabiliser l'arrière-pied en empêchant la divergence talo-calcanéenne tout en conservant une bonne mobilité à l'endroit du Chopart.
Chirurgie stabilisatrice
De manière simplifiée, elle comprend les arthrodèses redressantes de l'arrière-pied. Elle va de la simple arthrodèse sous-talienne (figure 8B), avec interposition ou non de greffe osseuse dans les cas simples à la triple arthrodèse (sous-talienne, talo-naviculaire et calcanéo-cuboïdienne) dans les déformations les plus sévères5,11 (figure 9). Toute enraidissante qu'elle soit, cette chirurgie n'en apporte pas moins une amélioration fonctionnelle par son effet antalgique et aussi grâce aux capacités compensatoires des articulations voisines.
Que la technique chirurgicale soit fonctionnelle ou qu'elle soit stabilisatrice, bien des chirurgiens pratiquent en outre un allongement du tendon d'Achille ou des tendons gastrocnémiens, selon l'origine de l'équin, dans le but de diminuer les contraintes valgisantes.11
Les recommandations d'évaluation radio-clinique du pied plat acquis de l'adulte, la classification et la connaissance résumées des options conservatrices et chirurgicales présentées dans cet article peuvent permettre de faciliter l'approche de cette pathologie par le praticien. Les algorithmes de traitement présentés n'ont toutefois qu'une valeur indicative et ne s'apparentent pas à une règle absolue. En effet, le choix du traitement dépend de bien d'autres facteurs que des seules considérations morphologiques et fonctionnelles à commencer par les attentes du patient, ses comorbidités et sa compliance qui doivent faire l'objet d'une évaluation concertée entre le chirurgien et le médecin traitant.