La dépression et la schizophrénie s’accompagnent de dysfonctions sexuelles qui peuvent être aggravées par les antidépresseurs et les antipsychotiques, conduisant souvent à l’arrêt du traitement. Les stratégies pour diminuer ces effets délétères des psychotropes sont : 1 ) la réduction de la posologie ; 2) le remplacement des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), qui retardent l’éjaculation, par le moclobémide, le trazodone, le bupropion ou la mirtazapine ; ou de l’antipsychotique par la quétiapine, l’olanzapine ou l’aripriprazole qui sont sans effets sur la prolactine ; 3) l’arrêt momentané (un ou deux jours du psychotrope) et 4) l’adjonction d’un médicament favorable à l’érection (sildénafil) ou, en cas d’hyperprolactinémie, d’un agoniste dopaminergique partiel (aripripazole) ou complet (cabergoline).
L’effet des médicaments psychotropes sur la sexualité est difficile à évaluer du fait que la dépression et les psychoses s’accompagnent fréquemment de dysfonctions sexuelles, indépendamment de toute prise médicamenteuse. Toutefois les aspects iatrogènes des psychotropes liés à leurs effets secondaires, en particulier sur la sphère sexuelle, ne doivent pas être sous-estimés puisqu’ils sont une cause importante d’abandon des traitements.1 Le but de cet article est de passer en revue le type d’atteinte sexuelle observé selon les différents psychotropes utilisés et les moyens d’y remédier.
On admet que 10 à 25% des femmes et 4 à 12% des hommes auront un épisode dépressif majeur au cours de leur vie. Or la dépression est caractérisée par une anhédonie, c’est-à-dire l’incapacité de ressentir du plaisir, une asthénie et une diminution globale de l’énergie et de la libido, qui vont retentir sur les différents aspects de la sexualité. A cela, s’ajoutent une baisse de sa propre estime et une tendance au repli sur soi conduisant à des troubles relationnels peu propices aux rapports sexuels. On peut observer en outre chez l’homme déprimé une anxiété de la performance qui va favoriser les troubles érectiles. La dysfonction sexuelle va alors entraîner un cercle vicieux en diminuant l’estime de soi, ce qui va renforcer l’anxiété de performance et l’impuissance.2 Il faut distinguer deux formes d’impuissance : celle concernant l’érection, l’autre l’éjaculation.
Chez la femme, les dysfonctions sexuelles ont été classées de la façon suivante :3
une baisse du désir (libido) et d’intérêt pour la sexualité ;
une diminution de la réceptivité et de l’excitation (arousal), de la capacité de répondre à une stimulation et de ressentir du plaisir ;
des difficultés à atteindre l’orgasme ;
la souffrance résultant de ces difficultés sexuelles.
Dans une étude portant sur plus de 4000 patients déprimés, 35% ont spontanément rapporté des dysfonctions sexuelles et 69% lorsqu’ils étaient spécifiquement interrogés sur ce sujet.4 Cela montre l’importance d’en parler ouvertement avec le patient.
Parmi les dysfonctions sexuelles, on relevait une baisse de la libido et des capacités érectiles chez l’homme, une baisse du désir, de l’excitabilité et une anorgasmie chez la femme.2,4 La prévalence de dysfonctions sexuelles chez les déprimés est difficile à évaluer du fait des nombreuses variables qui peuvent interagir avec la sexualité, à commencer par les antidépresseurs. Parmi ces variables, on peut noter en outre la gravité de la dépression, le cadre du traitement (hospitalier ou ambulatoire), l’existence de maladies concomitantes neurologiques, métaboliques ou néoplasiques qui sont parfois à l’origine de la dépression. Il faut tenir compte également de l’âge des patients (femmes ménopausées avec hypoœstrogénisme et sécheresse vaginale ; artériopathie favorisant l’impuissance) ; l’existence ou non d’un partenaire et l’évolution de la relation avec ce dernier au cours de la dépression. Par ailleurs, il faut relever une augmentation de la prévalence de dépression chez les patients consultant pour une dysfonction sexuelle.
Chez l’homme, la dépression et surtout les états dysthymiques (qui constituent une forme de dépression chronique) peuvent s’accompagner d’une baisse de la déhydro-épiandrostérone (DHEA) et d’une baisse modérée de la testostérone (T)5,6 (taux sériques entre 7 et 10 mmol/l, pour des valeurs normales entre 8 et 28 mmol/l – valeurs labo Unilabs). Les dépressions sévères s’accompagnent d’une augmentation de la sécrétion du cortisol qui inhibe la sécrétion de T par le testicule. Par ailleurs, l’hypogonadisme (T< 7 mmol/l) peut se manifester par une baisse de l’élan vital, de la libido, une fatigue et des troubles érectiles qui recoupent en partie les symptômes observés dans la dépression. Dans ces cas, on note une très bonne réponse de la thymie aux androgènes. En cas de dépression avec des taux de T > 8 mmol/l, les androgènes n’ont pas d’effet antidépresseur en monothérapie, mais ils peuvent potentialiser l’effet d’un traitement antidépresseur en augmentant la sécrétion intracérébrale de sérotonine.5,7,8 La DHEA (à de fortes doses, de 90 puis 450 mg/j) a montré en monothérapie une action antidépressive en l’absence d’hypogonadisme.9
Chez la femme, la dépression peut entraîner une aménorrhée, en particulier lors d’amaigrissement, associée à un hypoœstrogénisme, une baisse de la libido et une anorgasmie.10 Toutefois à part un discret hypoœstrogénisme en phase folliculaire, d’autres études n’ont pas montré de dysfonction hormonale ni de diminution de la pulsatilité de la LH chez les déprimées.10 L’administration d’œstrogènes améliore la dépression survenant dans la périménopause.11 Des patchs de testostérone augmentent la libido chez les femmes ayant subi une ovariectomie.12 A notre connaissance, ils n’ont pas été testés en cas de baisse du désir faisant suite à une dépression. La DHEA (à la dose de 50 mg/j) a montré un effet positif sur l’humeur et la sexualité de femmes ayant une insuffisance surrénalienne primaire ou secondaire.12
Des troubles de l’érection qui surviennent chez plus de 25% des déprimés sont observés dans plus de 50% des cas lors de traitements antidépresseurs.2,4 En particulier, les antidépresseurs (AD) tricycliques, ayant une action anti-cholinergiques telles l’amitryptiline, l’imipramine, la clomipramine, favorisent l’impuissance.2 Celle-ci peut aussi être secondaire à un problème d’éjaculation.
Des troubles de l éjaculation, qui est retardée, ont été observés chez deux tiers des patients sous AD agissant sur la sérotonine, tels les AD tricycliques, en particulier la clomipramine et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS).13,14 On les a même proposés pour traiter l’éjaculation précoce.15 La paroxétine a le plus d’effet freinateur sur l’éjaculation, comparativement à la fluoxétine et la sertraline, alors que le fluvoxamine a moins d’effet.13-15 D’autres AD, qui agissent à la fois sur la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (NA) comme la venlafaxine et la duloxétine, retardent également l’éjaculation.2 Dans une étude portant sur plus de 1000 patients, des dysfonctions sexuelles ont été observées dans 70% des cas avec la paroxétine et le citalopram, 67% avec la venlafaxine, 58% avec la fluoxétine, 24% avec la mirtazapine, 6,9% avec l’amineptine et 3,9% avec le moclobémide.13
Les mécanismes responsables de ces dysfonctions sexuelles sont à mettre en relation avec la sérotonine. Cette dernière a globalement un effet inhibiteur sur l’activité sexuelle, via les récepteurs 5HT2, alors qu’elle la stimule via les récepteurs 5 HT1.15 D’autre part, la dopamine a un effet stimulant sur la sexualité (cf. ci-dessous).
Une absence de dysfonction sexuelle nette, par rapport au placebo, a été observée lors de traitement par un inhibiteur de la monoamine oxydase A (IMAO), le moclobémide, par des AD agissant sur la NA (réboxétine, bupropion) et par la trazodone qui bloque les récepteurs 5 HT2 et peut améliorer la fonction érectile.2,9,16,17 L’agomélatine et la mirtazapine, qui bloquent aussi ces récepteurs, ont peu d’effets négatifs sur la sexualité mais la mirtazapine induit prise de poids et somnolence (du fait de son action anti-histaminique) ; l’agomélatine améliore la qualité du sommeil (non REM) en agissant sur les récepteurs de la mélatonine.18 Le pramipexole (agoniste dopaminergique) et la séligiline (IMAO B), qui ont tous deux un effet antidépresseur dans la maladie de Parkinson et dans les syndromes bipolaires, n’induisent pas de dysfonction sexuelle.19,20 Quant à l’apomorphine, un agoniste dopaminergique, elle est utilisée pour traiter l’impuissance mais elle ne semble pas avoir d’effet antidépresseur.
La dopamine inhibe la sécrétion de prolactine, qui est augmentée sous l’effet des neuroleptiques (du fait de leur action antidopaminergique). La prolactine inhibe la sécrétion de gonadolibérine et des stéroïdes sexuels. Elle s’élève légèrement (de 6,4 à 10 ng/ml) lors de l’administration aiguë d’ISRS (fluoxétine) mais pas lors de traitement chronique. On mesure toutefois des taux > 16,5 μg/ml chez 20% des femmes traitées par la fluoxétine.21 Les AD tricycliques n’augmentent pas la prolactine à l’exception de la clomipramine et de l’amoxapine, qui possèdent une action antidopaminergique.2,22 Quant à la fluoxétine, elle ne modifie pas la sécrétion de LH ni celle de testostérone.21 Le citalopram en injection i.v. augmente la sécrétion de prolactine et de cortisol mais pas lors de l’administration orale.23 Les autres ISSR, la venlafaxine et la mirtazapine n’augmentent pas la sécrétion de prolactine.
Dans une étude portant sur plus de 6000 patients dont la moitié recevaient des AD, on a observé que les femmes présentaient plus souvent que les hommes des troubles de l’excitabilité mais moins souvent des troubles du désir ou de l’orgasme.9,24 Tout comme les hommes, elles présentent fréquemment des dysfonctions sexuelles sous ISRS,24-26 en particulier sous venlafaxine ou sous escitalopram (48% de dysfonctions), sous duloxétine (33%), par rapport au placebo (16%).25 Par ailleurs, on observe moins de dysfonctions sous bupropion ou sous réboxétine, le bupropion pouvant augmenter un peu la libido.27
Les stratégies suivantes ont été proposées:26
changer d’AD (par exemple remplacer l’ISRS par le bupropion ou le moclobémide) ;
diminuer les doses de l’AD ;
prendre l’AD après le rapport sexuel (pas valable pour les ISRS à longue demi-vie comme la fluoxétine) ;
stopper l’AD deux à trois jours (drug holiday). Toutefois, il existe un risque de baisse de la compliance et de symptômes de sevrage. De plus, on a rapporté des cas de dysfonction sexuelle persistante après arrêt de l’AD ;28
ajouter un autre médicament: la mirtazapine peut diminuer les effets indésirables des ISRS et de la venlafaxine en bloquant les récepteurs 5-HT2 ;29 la buspirone a un effet favorable par une stimulation des récepteurs 5-HT1 ;30 le sildénafil et le tadanafil se sont montrés efficaces pour améliorer la fonction érectile chez les déprimés ne recevant pas d’AD et chez ceux présentant une impuissance secondaire aux AD.31,32
A noter enfin le rôle de facteurs génétiques: la paroxétine est un substrat de CYP2D6 et les patients qui ont une déficience de cette enzyme ont des taux sériques plus élevés et donc davantage d’effets secondaires que les métaboliseurs rapides.33 De plus, la paroxétine diminue l’oxyde nitrique (NO) peut-être par une action sur la NO synthase, ce qui peut expliquer les troubles érectiles fréquents avec cet AD.
Les dysfonctions sexuelles chez les schizophrènes sont très fréquentes, rapportées dans 50 à 80% des cas ; elles sont attribuées en partie aux antipsychotiques (AP).34-36 Ces dysfonctions sont une cause majeure de non-adhérence au traitement.37
Selon certaines études la sexualité des schizophrènes ne s’écarte pas de façon significative de celle des sujets normaux.37,38 Toutefois, leur vie sexuelle est entravée par le début souvent précoce de la maladie, avec les difficultés de contact qui en résultent, l’incompréhension de l’entourage et le repli autistique.37 La sexualité des schizophrènes peut être perturbée par les idées délirantes, les sentiments de persécution, les problèmes de contact, la froideur affective ou les symptômes déficitaires tels qu’une absence d’intérêt et une anhédonie.34-36
Du point de vue hormonal, on a mesuré des taux relativement bas de gonadotrophines et de testostérone chez des hommes schizophrènes non médiqués ainsi qu’une hypoprolactinémie.39,40 Chez les femmes, on observe fréquemment des troubles du cycle menstruel. Il semble que les œstrogènes puissent jouer un rôle protecteur contre le développement de la maladie.41 Toutefois, l’adjonction d’œstrogènes aux AP n’a pas permis de prévenir des récidives chez des femmes schizophrènes.42
Des effets non spécifiques liés à la prise de poids induisent une obésité et rendent les patient(e)s moins désirables. Cette prise de poids est plus marquée avec la clozapine et l’olanzapine alors qu’elle est faible sous aripiprazole et ziprasidone43 (tableau 2). Les symptômes extrapyramidaux peuvent induire une rigidité peu propice à l’activité sexuelle. Ils sont importants avec les AP classiques (halopéridol, phénothiazines, etc.) et avec la rispéridone, et ils sont moins marqués avec les AP dits atypiques, tels que la clozapine et la quétiapine (tableau 2).44 Par ailleurs, les AP classiques ainsi que la rispéridone et le sulpiride induisent une augmentation de sécrétion de la prolactine par leur effet antidopaminergique.45 Cette hyperprolactinémie peut induire chez la femme une aménorrhée-galactorrhée ainsi qu’une baisse de la libido et, chez l’homme, une baisse du désir et parfois une impuissance.45 L’élévation de la prolactine freine la sécrétion de gonadolibérine et celle de stéroïdes sexuels par les gonades.45,46 L’hyperprolactinémie tend à diminuer au cours du temps.47 Elle n’est pas observée avec les AP atypiques (clozapine, quétiapine, aripiprazole) et elle reste faible sous olanzapine et ziprasidone (tableau 2).45
Le rôle pathogène dans la sexualité de l’hyperprolactinémie induite par les AP classiques est controversé,46 mais il est attesté par la proportion plus faible de dysfonction sexuelle observée sous clozapine, comparée aux AP classiques et à la rispéridone.48 Dans une étude portant sur 636 patients comparant différents AP atypiques, la rispéridone a entraîné des dysfonctions sexuelles dans 43% des cas, ainsi que l’halopéridol (38%), l’olanzapine (35%) et la quétiapine (18%).49 Or cela correspond à leurs effets sur la sécrétion sur la prolactine.
On peut envisager les propositions suivantes :
diminuer la dose de l’AP puisque les effets sur la sexualité sont dose-dépendants ;
remplacer un AP par un autre, telle la quétiapine ou l’aripiprazole ;
traiter l’hyperprolactinémie, surtout lorsqu’elle entraîne aménorrhée et galactorrhée, par un agoniste dopaminergique. La cabergoline 2 x 0,5 mg/sem semble la mieux tolérée. 50 On peut également rajouter de l’aripiprazole, qui a une action agoniste dopaminergique partielle ;51
utiliser le sildénafil en cas d’impuissance érectile.52
En conclusion, les ISRS ont considérablement amélioré la qualité de vie des déprimés par rapport aux AD tricycliques, sauf du point de vue des troubles sexuels, notamment de l’éjaculation, car ils peuvent créer une baisse de l’estime de soi et un abandon du traitement. Il est important pour le médecin traitant d’en avertir le patient.
En ce qui concerne les AP, ceux de la deuxième génération ou AP atypiques, ont permis (à l’exception de la rispéridone) de diminuer nettement l’atteinte extrapyramidale ainsi que la sécrétion de prolactine, et ainsi de réduire les perturbations hormonales et les dysfonctions sexuelles qui leur sont associées. La quétiapine, en particulier, évite ces effets indésirables. Toutefois, celle-ci ainsi que la clozapine et l’olanzapine induisent une prise de poids, ce qui favorise à long terme le risque de syndrome métabolique et de diabète. De plus, l’obésité peut altérer l’image et l’estime de soi, ce qui n’est pas sans conséquences sur la sexualité.
> La dépression et la schizophrénie s’accompagnent fréquemment de dysfonctions sexuelles qui peuvent être aggravées par la prise de psychotropes, ce qui peut favoriser l’abandon du traitement
> Dans ces cas, il faut en parler au patient et il peut être utile de changer de psychotropes car certains ont moins d’effets délétères que d’autres sur la sexualité
Depressive and schizophrenic patients frequently suffer from sexual dysfunctions. Antidepressants and antipsychotics can aggravate them leading to discontinuation of the treatment. The strategy to decrease these dysfunctions is the following: 1) reducing the dose of medication ; 2) changing antidepressant : replace SSRI by moclobemid, trazodone, bupropion, mirtazpine, which do not delay ejaculation ; switching to another antipsychotic: quietiapine, olanzapine, aripripazol, which do not increase serum prolactin ; 3) taking a drug holiday for two or three days and 4) adding another drug such as sildenafil if impotence, or a dopaminergic agonist (aripripazol, a partial agonist) or cabergoline, in case of hyperprolactinaemia.