La complexité croissante de la prise en charge des malformations cardiaques congénitales impose des interventions chirurgicales et des cathétérismes cardiaques interventionnels fréquents. Chacune de ces techniques a ces limitations propres. Les interventions hybrides associent les avantages de la chirurgie cardiaque et du cathétérisme interventionnel. Dans notre expérience, les thérapies hybrides permettent de diminuer le temps de circulation extracorporelle, de diminuer la morbidité des interventions chirurgicales, de raccourcir le séjour du patient aux soins intensifs. Pour certaines malformations cardiaques congénitales complexes pour lesquelles il n’existe pas de chirurgie ou de thérapie interventionnelle idéale, les interventions hybrides sont en train de s’imposer comme la prise en charge incontournable.
Actuellement, la chirurgie cardiaque offre des possibilités de correction ou de palliation pour toutes les malformations cardiaques congénitales. Par conséquent, elle a permis à une majorité d’enfants avec malformation cardiaque congénitale de survivre, grandir et de se développer le plus normalement possible. Les progrès chirurgicaux et médicaux rendent possibles non seulement le traitement des cardiopathies simples, mais aussi le traitement des cardiopathies complexes qui associent de multiples anomalies au niveau intracardiaque et extracardiaque.1
Le cathétérisme cardiaque interventionnel, quant à lui, a connu des développements importants permettant de traiter des malformations cardiaques simples sans plus recourir à la chirurgie. Ces développements sont multiples : ombrelles spécifiques pour la fermeture des communications interauriculaires ou interventriculaires (CIV), stents pouvant être adaptés à l’enfant en croissance, cathéters et systèmes d’implantation pour ombrelle de petits diamètres, etc.2-4
Les deux techniques, que ce soit la chirurgie ou le cathétérisme interventionnel, présentent des limitations (tableaux 1 et 2). Pour la chirurgie, certaines lésions sont difficiles d’accès lors de circulation extracorporelle (CEC), par exemple les CIV musculaires ou les sténoses sur les artères pulmonaires.5,6 De plus, en cas de chirurgie associant des lésions multiples, la durée de la CEC contribue de manière prépondérante à la dysfonction myocardique postopératoire. Pour le cathétérisme, la taille de l’enfant et par conséquent des vaisseaux reste, malgré des progrès importants dans ce domaine, un facteur limitant selon le type de lésion cardiaque à traiter. Une grande partie des malformations cardiaques ne sont simplement pas corrigeables par cathétérisme.2
Face aux limitations de la chirurgie et du cathétérisme et à la nécessité de réduire le nombre d’interventions, une solution semble s’affirmer : les interventions hybrides. Les interventions hybrides sont définies comme une association de techniques chirurgicales et de cathétérisme, afin d’optimiser, simplifier et raccourcir les interventions chez des patients avec malformations cardiaques congénitales. Ce type de prise en charge nécessite de la part des intervenants chirurgiens, cardiologues, anesthésistes et intensivistes, une connaissance des avantages et désavantages des diverses techniques (chirurgicales et interventionnelles), une coordination et une ouverture d’esprit, afin d’envisager pour chaque cas la meilleure thérapie possible.7,8 Depuis 2004, notre équipe a décidé d’offrir ce type d’approche à tous les patients avec malformation cardiaque.
Afin de mieux comprendre ce que signifient les interventions hybrides chez l’enfant avec malformation cardiaque congénitale, quelques exemples marquants semblent nécessaires.
Enfant de trois ans présentant un double arc aortique sans sténose, associé à des multiples larges CIV musculaires, chez qui un cerclage pulmonaire avait été mis en place chirurgicalement dans les premières semaines de vie. Cette première intervention avait permis sur plusieurs années à toutes les CIV musculaires de se fermer spontanément, excepté la plus grande, sans que l’enfant ne développe d’hypertension pulmonaire. Par contre, avec la croissance, le rétrécissement pulmonaire dû au cerclage est devenu important avec des pressions ventriculaires droites de niveau systémique. Cet enfant nécessitait l’ablation du cerclage pulmonaire et la fermeture de la CIV musculaire résiduelle qui mesurait 6 mm. L’anomalie de l’arc aortique rendait la fermeture interventionnelle de la CIV impossible. L’approche chirurgicale classique aurait été d’enlever le cerclage pulmonaire avec, si nécessaire, une plastie de l’artère pulmonaire et de fermer la CIV par un patch de péricarde sous CEC, en sachant que la localisation de la CIV rendait sa reconnaissance par le chirurgien difficile. La procédure hybride choisie a été d’enlever le cerclage chirurgicalement et de fermer la CIV résiduelle par une ombrelle grâce à un abord direct transventriculaire droit de 2-3 mm pratiqué par le chirurgien. Le déploiement de l’ombrelle sur la CIV s’est fait sous contrôle d’une échocardiographie transœsophagienne (figures 1A, B, C). L’enfant a pu donc bénéficier d’une correction complète sans CEC. L’intervention a été de courte durée, bien supportée, l’enfant a pu être extubé le jour même, sans besoin de support cardiaque par amines et est sorti au cinquième jour postopératoire.
Jeune fille de huit ans avec syndrome de Williams, qui présentait une large CIV périmembraneuse de 14 mm, une large CIV musculaire de 12 mm, associé à des sténoses pulmonaires au départ de chaque artère pulmonaire et au départ de chaque artère lobaire pulmonaire. Ces sténoses pulmonaires ont protégé pendant longtemps les poumons d’une surcharge consécutive au shunt G-D. Elle présentait depuis quelques mois une fatigue plus importante, un fléchissement de la courbe pondérale et des épisodes de malaises. L’évaluation effectuée, par échocardiographie et cathétérisme cardiaque, a montré un shunt G-D important avec rapport Qp/Qs de 4 : 1, des résistances pulmonaires basses et des pressions ventriculaires droites systoliques à des valeurs systémiques. Les artères pulmonaires étaient légèrement hypoplasiques, sans sténose à leur départ, les artères lobaires pulmonaires de chaque côté présentaient des sténoses de divers degrés (figure 2A). Lors du cathétérisme diagnostique, la patiente était très instable d’un point de vue hémodynamique et a nécessité un soutien d’amines afin de stabiliser sa tension artérielle et sa saturation. L’approche classique aurait été de fermer les CIV par chirurgie et dans un deuxième temps d’effectuer des angioplasties au niveau des artères pulmonaires lobaires. La fermeture des deux CIV par patch, vu la taille de celles-ci aurait eu pour inconvénient de diminuer la compliance du ventricule droit hypertrophié, ajouté à la dysfonction ventriculaire consécutive à la CEC. L’approche hybride choisie a été d’effectuer une fermeture chirurgicale de la CIV périmembraneuse par patch, de fermer la CIV musculaire par une ombrelle via l’abord chirurgical employé pour la CIV périmembraneuse (figures 2B, C). Lors du réchauffement, pour le sevrage de la CEC, un mini-abord transpulmonaire effectué par le chirurgien a permis de mettre en place un introducteur artériel, puis sous scopie d’effectuer avec divers cathéters à ballon des angioplasties au niveau des artères lobaires des deux côtés. La patiente a été extubée au premier jour postopératoire et est sortie de l’hôpital au huitième jour postopératoire. Les contrôles successifs n’ont pas montré de CIV résiduelle et les pressions ventriculaires droites systoliques étaient à des valeurs mi-systémiques avec régression de l’hypertrophie ventriculaire droite.
Nouveau-né de deux jours se présentant avec une clinique de coarctation de l’aorte, ayant été mis au profit d’une perfusion continue de prostaglandine E1, afin de maintenir le canal artériel ouvert. Le cathétérisme cardiaque a permis de définir exactement l’anatomie de la cardiopathie complexe : CIV périmembraneuse, arc aortique G avec anomalie du branchement des gros vaisseaux, interruption de l’arc aortique, aorte thoracique descendante D avec artère sous-clavière aberrante D, perfusion de l’aorte descendante par un canal artériel D. Présence d’un deuxième canal artériel G provenant de l’arc aortique qui perfuse directement l’artère pulmonaire G isolée (figure 3A). L’enfant était donc dépendant des prostaglandines pour la perfusion de l’aorte descendante. Il n’existe pas d’approche chirurgicale définie pour une pathologie si complexe et rare. Une option purement chirurgicale aurait été de connecter l’aorte ascendante à l’aorte descendante avec interposition de matériel synthétique et de reconnecter l’artère pulmonaire gauche au tronc pulmonaire dans un premier temps. Ce type de chirurgie est associé à un risque élevé, nécessite une CEC avec arrêt circulatoire en hypothermie profonde, de plus le matériel synthétique entre aorte ascendante et descendante devrait être remplacé régulièrement avec la croissance de l’enfant. L’option thérapeutique prise a été de placer un stent dans le canal artériel, afin de pouvoir stopper les prostaglandines et, le lendemain, d’effectuer la mise en place d’un cerclage au niveau de l’artère pulmonaire D, afin de protéger le poumon D d’une surcharge et de maintenir une bonne perfusion de l’aorte thoracique (figures 3B, C). L’enfant a pu être extubé le jour de l’intervention et il est rentré à domicile une semaine plus tard. Ce type d’intervention a permis de faire grandir l’enfant afin d’effectuer une correction complète dans un deuxième temps.
Ces quelques exemples sont évocateurs des avantages de la prise en charge de type hybride chez l’enfant ou le patient avec malformation cardiaque congénitale complexe. On peut les résumer ainsi : réduction du nombre d’interventions, diminution des temps de circulations extracorporelles, réduction de la morbidité liée à la chirurgie, diminution du séjour en soins intensifs, du temps de ventilation artificielle, de la durée du support myocardique par des médicaments intraveineux (tableau 3)5,7,9
De telles interventions ne sont pas limitées à la prise en charge au cas par cas. En effet, pour des malformations complexes où il n’existe pas de chirurgie ou de cathétérisme interventionnel idéal, on développe des stratégies hybrides spécifiques, par exemple pour l’hypoplasie du cœur gauche. Cette malformation complexe, qui associe une hypoplasie du ventricule gauche et de l’aorte ascendante, est une malformation où le ventricule gauche et tout le système artériel sont tellement peu développés qu’ils sont dans l’incapacité d’assumer un quelconque débit, rendant toute survie impossible sans intervention. Depuis la première palliation exécutée dans les années 80 par Norwood, qui proposait une intervention néonatale où l’aorte ascendante et l’arc aortique étaient reconstruits à partir du tronc pulmonaire et connectés au ventricule droit qui devient le ventricule systémique, la perfusion pulmonaire étant assurée par un shunt de type Blalock-Taussig, peu de changements chirurgicaux ont eu lieu. Or, cette opération était grevée au départ d’une mortalité aussi élevée que 80%. Avec l’amélioration des techniques chirurgicales, les améliorations de la connaissance de la physiopathologie, les améliorations de la prise en charge aux soins intensifs, la mortalité de cette intervention palliative reste aujourd’hui aux environs de 20% même dans les très grands centres.10,12 Certains groupes américains et européens ont alors développé une approche hybride néonatale, permettant d’éviter une chirurgie à haut risque dans les premiers jours de vie. Cette approche comme dans le troisième exemple comprend la mise en place d’un stent au niveau du canal artériel par le cardiologue interventionnel, la mise en place de cerclages au niveau de chaque artère pulmonaire par le chirurgien cardiaque et une atrioseptostomie par ballonnet effectué par le cardiologue. Actuellement, ces trois interventions sont effectuées dans le même temps opératoire en salle d’opération ; elles permettent au nouveau-né de passer la période périnatale, de sortir de l’hôpital et de grandir afin de pouvoir effectuer la première chirurgie à haut risque à l’âge de six mois. Les études comparant la prise en charge chirurgicale classique à la prise en charge hybride dans les cas les plus graves (avec une aorte ascendante mesurant < 3 mm) montrent clairement une survie augmentée dans le groupe ayant bénéficié d’une intervention hybride, avec une diminution du temps de séjour à l’hôpital et une diminution claire de la morbidité jusqu’à la deuxième intervention palliative qui est commune aux deux prises en charge.11,13,14
La thérapie hybride dans la prise en charge des malformations cardiaques congénitales est appelée à jouer un rôle de plus en plus important. Elle nécessite un travail d’équipe multidisciplinaire important, où chirurgien et cardiologue ne mettent par leur technique en compétition, mais les associent pour obtenir le meilleur résultat possible, en diminuant la morbidité et le nombre d’interventions nécessaires au traitement du patient.
La complexité croissante de la prise en charge des malformations cardiaques congénitales impose des interventions chirurgicales et des cathétérismes cardiaques interventionnels fréquents. Chacune de ces techniques a ces limitations propres. Les interventions hybrides associent les avantages de la chirurgie cardiaque et du cathétérisme interventionnel. Dans notre expérience, les thérapies hybrides permettent de diminuer le temps de circulation extracorporelle, de diminuer la morbidité des interventions chirurgicales, de raccourcir le séjour du patient aux soins intensifs. Pour certaines malformations cardiaques congénitales complexes pour lesquelles il n’existe pas de chirurgie ou de thérapie interventionnelle idéale, les interventions hybrides sont en train de s’imposer comme la prise en charge incontournable.