Les infections à Bartonella doivent être évoquées face à des tableaux cliniques très différents : la maladie des griffes du chat en cas d’adénopathie et de contact avec un chat ; la bactériémie chronique chez tout sans-abri même asymptomatique ; l’endocardite lors d’endocardite à hémocultures négatives ; l’angiomatose bacillaire et la péliose hépatique chez les patients immunosupprimés avec de la fièvre et la maladie de Carrion dans la population native des Andes et chez les touristes fébriles au retour de ces régions. Le test diagnostique de choix (sérologie, culture, PCR) dépend du type de bartonellose et du status immunitaire du patient. Le traitement est à adapter à chaque situation clinique.
Bartonella est une bactérie intracellulaire facultative qui infecte les cellules endothéliales et les globules rouges.1 Grâce à une protéine appelée BadA (Bartonella adhesin A), Bartonella stimule l’angiogenèse en induisant la production par les cellules endothéliales de différents facteurs proangiogéniques.2 BadA permet également l’adhésion à la matrice extracellulaire et aux cellules endothéliales et prévient la phagocytose de Bartonella par les macrophages.2
Chaque Bartonella a un réservoir mammifère spécifique (l’homme pour B. quintana, le chat pour B. henselae). La bactérie est transmise à l’homme par griffure ou morsure de chat (B. henselae) ou par différents vecteurs (poux de corps pour B. quintana) (tableau 1). Le genre Bartonella comprend à ce jour 24 espèces dont 12 sont considérées pathogènes chez l’homme (tableau 1). B. henselae est responsable de la maladie des griffes du chat, de l’angiomatose bacillaire, de la péliose hépatique, de bactériémies chroniques et d’endocardites. B. quintana cause la fièvre des tranchées, l’angiomatose bacillaire, des bactériémies chroniques et des endocardites. Bartonella bacilliformis est à l’origine de la maladie de Carrion qui se présente comme une maladie aiguë (fièvre d’Oroya) ou chronique (verrues péruviennes) selon l’exposition préalable (tableau 2).
La maladie des griffes du chat, causée par B. henselae est l’infection à bartonelles la plus fréquente. Le premier patient a été décrit en 1950 et l’étiologie bactérienne de la maladie a été découverte en 1983.3,6,7 Cependant, déjà en 1889, Parinaud en avait décrit une forme particulière, le syndrome oculo-glandulaire. 3,7
Cette zoonose est mondialement distribuée. Le chat est le principal réservoir de B. henselae, qui lui est transmise par les puces de chat (Ctenocephalides felis). La fréquence des bactériémies à Bartonella chez les chats, qui sont généralement asymptomatiques, dépasse 50% dans les régions où les puces sont endémiques.8
Un contact avec des chats (le plus souvent avec des chatons) est rapporté dans 90 à 99% des cas.6,9 Ils infectent l’homme par une griffure, une morsure ou par le léchage d’une plaie. Une transmission par le biais de leurs puces est également possible.3,7 La maladie touche généralement des personnes en bonne santé, surtout des enfants, plus exposés aux griffures de chat.6
Une papule ou pustule apparaît au site d’inoculation trois à dix jours après la blessure et persiste pendant une à trois semaines. Quelques jours plus tard, une ou plusieurs adénopathies souvent inflammatoires apparaissent dans le territoire de drainage de la griffure (figure 1).6,7,9,10 Elles persistent pendant deux à six mois avant de se résoudre spontanément ou, parfois, évoluer vers une suppuration.6,7,9-11 La maladie est généralement bénigne et modérée (myalgies, anorexie, asthénie) et la plupart des patients présentent un état fébrile (tableau 3).6,9 Dans 5-10% des cas, on observe des complications (tableau 3), qu’il faut rechercher en cas d’état fébrile prolongé (>2 semaines).7,9,10,12-16 Les facteurs de risque pour une maladie sévère sont l’immunosuppression et le jeune âge.6,10,12 Par ailleurs, un cas d’endocardite à B. henselae sur valve artificielle a été diagnostiqué six mois après une maladie des griffes du chat.17 Si l’inoculation a lieu par la conjonctive, la maladie se manifeste par une adénopathie pré-auriculaire et une conjonctivite ou une neuro-rétinite, définissant le syndrome oculo-glandulaire de Parinaud (tableau 3).18,19
Le diagnostic repose principalement sur l’anamnèse d’exposition aux chats et la présence d’une adénopathie. L’histologie (ganglion, foie, rate) est suggestive, montrant une réaction granulomateuse.3 La sérologie est le test diagnostique de référence.9,20,21 La culture des bartonelles dans des tissus ganglionnaires ou hépatiques est peu sensible, mais l’amplification des acides nucléiques (PCR) à partir de ces biopsies tissulaires a une meilleure sensibilité (tableau 4).3,20,22,23
In vitro, B. henselae est sensible à la plupart des bêtalactames, aux aminoglycosides, aux macrolides, aux tétracyclines et à la rifampicine.24 Bartonella est moins sensible aux pénicillines pénicillinases-résistantes (oxacilline), aux céphalosporines de première génération et à la clindamycine. La sensibilité aux fluoroquinolones est variable.25 Cependant, la sensibilité in vitro des bartonelles aux différents antibiotiques ne corrèle pas avec la réponse clinique au traitement.26 Cette discrépance pourrait être expliquée par la position des bartonelles à l’intérieur des globules rouges et par l’absence d’effet bactéricide de la plupart des antibiotiques (excepté les aminoglycosides).27
Au vu d’une évolution spontanément favorable chez la plupart des patients, une antibiothérapie n’est pas recommandée dans les cas simples.6 L’azithromycine permet d’accélérer la disparition des adénopathies (tableau 5).24,28 Une association de doxycycline et rifampicine ou un traitement combiné comprenant un aminoglycoside devraient être envisagés en cas de rétinite ou d’atteinte disséminée.3,24,29 Lors d’adénopathie suppurative, une aspiration à l’aiguille fine peut soulager rapidement les douleurs, mais parfois, une réaspiration ou une adénectomie sont nécessaires.11,24
La fièvre des tranchées, causée par B. quintana, a été décrite chez des soldats par les Anglais pendant la Première Guerre mondiale, sous le nom de «Trench fever».3,30 La maladie est réapparue lors de la Seconde Guerre mondiale. 30 Plus récemment, des bactériémies chroniques à B. quintana ont été observées chez les alcooliques et les sansabri (tableau 2).31-33
L’homme est le réservoir de la bactérie et le pou de corps, Pediculus humanus corporis, son vecteur.31
La bactériémie chronique à B. quintana comporte une phase aiguë, comparable à la fièvre des tranchées, caractérisée par un état fébrile récurrent (périodes libres de 4-6 jours), des céphalées et des douleurs des membres inférieurs pendant 4-6 semaines.31-32 Parfois, après résolution de la première phase, il y a une deuxième phase chronique sans fièvre caractérisée par une bactériémie prolongée pauci-symptomatique et par conséquent sous-diagnostiquée (tableau 3).31,32,34 Malgré la fréquence de cette maladie (14% des sans-abri), aucun cas fatal n’a été décrit.31 Certains cas peuvent se compliquer d’une endocardite, même en l’absence de valvulopathie, justifiant un dépistage systématique chez les sans-abri.
Les hémocultures avec culture sur agar et incubation prolongée sont le test diagnostique de référence.3,20 La sérologie est beaucoup moins sensible (tableau 4).20,35 La sensibilité de la PCR sur le sang EDTA reste à préciser.
La sensibilité in vitro de B. quintana aux antibiotiques est similaire à celle de B. henselae.25 Il est recommandé de donner une bithérapie antibiotique, à base de gentamicine et doxycycline pour 28 jours (tableau 5).24,35,36 En effet, bien que la relation entre bactériémie et endocardite n’ait pas été démontrée, l’antibiothérapie prévient probablement la survenue de cette complication.35,36 Il est également important d’éradiquer les poux des vêtements afin de prévenir les réinfections.
Des endocardites ont été décrites avec différentes espèces de Bartonella, principalement B. quintana et B. henselae. Rapportées pour la première fois en 1993, plus de 100 cas ont depuis été décrits.37 Cette entité représente environ 3% des endocardites.38
B. quintana est souvent associée à des endocardites chez les patients alcooliques et sans-abri sans cardiopathie sousjacente, alors que l’endocardite due à B. henselae survient généralement chez des patients connus pour une cardiopathie ou/et ayant eu un contact avec des chats (tableau 2).39,40
La présentation clinique est subaiguë et aspécifique. Un état fébrile n’est pas toujours présent (tableau 3).37,39,40 Le diagnostic est donc souvent tardif et la plupart des cas rapportés se présentent avec des emboles septiques, des végétations à l’ultrason cardiaque et des dégâts valvulaires sévères nécessitant une prise en charge chirurgicale.37,39,40 La mortalité s’élève à 8-12% malgré un traitement adéquat (tableau 3).37,39,40
Le diagnostic est à évoquer face à toute endocardite à hémocultures négatives. La sensibilité de la sérologie est excellente et un titre supérieur ou égal à 1:1600 a une valeur prédictive positive de 88% pour une endocardite à Bartonella.3,17,39 Les hémocultures avec incubation prolongée ne sont que rarement positives (tableau 4).20,41 La PCR effectuée sur le sérum a une meilleure sensibilité.41 En cas de prise en charge chirurgicale, la sensibilité de la culture des végétations est moins bonne que celle de la PCR.20,39,41
L’atteinte valvulaire est souvent sévère et nécessite généralement une prise en charge chirurgicale.37,40 Un traitement d’aminoglycosides pour deux semaines au minimum a montré le meilleur taux de succès.24,37 Au vu de l’absence d’étude prospective, il est recommandé d’associer la doxycycline à un aminoglycoside, comme dans le cas des bactériémies chroniques à Bartonella (tableau 5).24,36
L’angiomatose bacillaire peut être causée par B. quintana et B. henselae, alors que la péliose hépatique n’est due qu’à B. henselae.26 Le premier cas d’angiomatose bacillaire a été décrit en 1983 chez un patient infecté par le VIH et présentant des nodules sous-cutanés d’évolution favorable avec un traitement d’érythromycine. Ce n’est cependant qu’en 1990 que les bartonelles sont reconnues comme l’agent étiologique.3,42 Cette maladie, qui entraîne une prolifération vasculaire, est principalement décrite chez les immunosupprimés, le plus souvent en cas d’infection par le VIH avec une immunosuppression avancée (taux de CD4 <100 cell/mm3) (tableau 2).42-44 L’angiomatose bacillaire due à B. quintana est plus fréquente chez les sansabri, alors qu’en cas d’infection due à B. henselae, un contact avec des chats est souvent rapporté (tableau 2).26,43
En cas d’angiomatose bacillaire, une atteinte cutanée est observée dans la plupart des cas, sous la forme d’un nodule sous-cutané ou d’une papule érythémateuse, unique ou multiple, parfois pédiculée.43 Souvent, ces lésions évoquent un sarcome de Kaposi (figure 2). Un état fébrile et une perte pondérale sont parfois présents (tableau 3).43 D’autres organes peuvent être touchés (tableau 3).12,43,45,46 La présence d’adénopathie, souvent dans le territoire de drainage d’une lésion, est plus fréquente en cas de maladie due à B. henselae, alors que la présence d’une atteinte neurologique (méningite aseptique, encéphalopathie, neurorétinite) ou ostéolytique est surtout décrite en cas d’infection par B. quintana (tableau 3).26,43
La péliose hépatique se caractérise par une prolifération vasculaire à l’origine de multiples kystes remplis de sang dans le foie. Elle est souvent associée à l’angiomatose bacillaire cutanée et à une péliose splénique. On observe un état fébrile, des douleurs abdominales et une hépatosplénomégalie. Des complications peuvent survenir sous la forme d’une rupture hépatique ou splénique avec hémorragie intrapéritonéale et d’une pancytopénie lors d’atteinte splénique.46
Le diagnostic doit être évoqué face à tout état fébrile d’origine indéterminée chez un patient immunosupprimé, ainsi qu’en présence de lésions cutanées évocatrices d’angiomatose bacillaire (figure 2). La biopsie d’une lésion cutanée ou de foie met en évidence une prolifération vasculaire. Contrairement à la culture de biopsies cutanées, la PCR a une excellente sensibilité (tableau 4).20 La sérologie n’est que rarement positive, probablement parce que la plupart des patients sont immunosupprimés.3
En cas d’angiomatose bacillaire ou de péliose hépatique, un traitement prolongé d’érythromycine est recommandé (tableau 5). Il permet une régression rapide des lésions cutanées.26,46 En cas de traitement trop court (moins de trois mois), il peut y avoir des récidives.42 Une nouvelle antibiothérapie est alors recommandée pour quatre mois supplémentaires ou à long terme, si elle est bien tolérée.26,42 En cas de contre-indication à l’érythromycine, la doxycycline peut être administrée (tableau 5). Les patients immunosupprimés, notamment ceux infectés par le VIH, devraient éviter les contacts avec les chats.
La maladie de Carrion, causée par B. bacilliformis, est décrite dès l’ère précolombienne.47 Daniel Carrion, un étudiant en médecine, a donné son nom à cette maladie puisqu’il a démontré à ses dépens que B. bacilliformis peut causer soit une maladie chronique peu dangereuse (verrues péruviennes), soit une maladie aiguë souvent mortelle sans traitement (fièvre d’Oroya). En effet en 1885, il s’est auto-inoculé des fragments de verrues péruviennes et est mort dans les semaines suivantes d’une anémie hémolytique fébrile, appelée fièvre d’Oroya.47,48
La répartition géographique de la maladie de Carrion dépend de son vecteur, la mouche des sables (Lutzomia verrucarum et autres mouches apparentées). La maladie est endémique dans les vallées fluviales du Pérou, d’Equateur et de Colombie à une altitude de 600 à 3200 m.48,49 L’homme est le seul réservoir de la maladie.
La fièvre d’Oroya se présente environ trois semaines après l’inoculation, sous la forme d’un état fébrile durant deux jours à quelques semaines associé à une anémie hémolytique sévère expliquée par l’invasion des érythrocytes par B. bacilliformis.47,50 On observe souvent une hépatomégalie et des adénopathies.47,50 Des complications non infectieuses surviennent dans un tiers des cas (tableau 3). Des surinfections reflétant probablement une immunosuppression transitoire surviennent également dans un tiers des cas (tableau 3). Les étrangers développent souvent une forme aiguë sévère.48 Après une période de bactériémie asymptomatique pouvant aller jusqu’à plusieurs années, les patients, souvent natifs des Andes, peuvent présenter la forme éruptive chronique caractérisée par des lésions angio-prolifératives appelées verrues péruviennes (verruga peruana) même en cas de traitement antibiotique préalable.49 Ces lésions cutanées sont de taille variable, étant parfois miliaires et millimétriques, parfois nodulaires et centimétriques et parfois pédonculées.47,49
En cas de fièvre d’Oroya, les hémocultures avec temps d’incubation prolongé (moyenne de dix-huit jours) sont souvent positives.47 Pendant la phase aiguë, la sérologie a une bonne sensibilité.47,50 Pendant la phase éruptive, une biopsie de la lésion cutanée montrera une prolifération vasculaire et permettra la mise en évidence de bartonelles par PCR (tableau 4).50
La mortalité de la forme aiguë s’élève à 40-88% sans traitement et à 9% avec un traitement antibiotique adéquat (tableau 3).47,49-51 Le chloramphénicol administré en combinaison avec, dans la plupart des cas, un bêtalactame est le traitement de choix car il couvre également une éventuelle surinfection par des salmonelles.47 Les quinolones ou une monothérapie de rifampicine peuvent aussi être utilisées (tableau 5).24,47,48,50 Récemment, un traitement d’azithromycine a été utilisé avec succès.48 La régression des lésions s’observe après moins d’un mois de traitement. L’antibiothérapie n’élimine pas le risque de développer par la suite la phase éruptive. Il est important de recommander aux voyageurs en région endémique de se protéger contre les piqûres de mouches des sables par le port d’habits couvrants et par l’application d’insectifuges pendant la nuit.
> Lors de maladie des griffes du chat non compliquée, un traitement antibiotique n’est pas nécessaire. En cas d’adénopathie suppurative, une aspiration à l’aiguille fine va accélérer la guérison et soulager les symptômes
> En cas d’endocardite à hémocultures négatives, il s’agit d’évoquer Bartonella chez les sans-abri et en cas de contact avec un chat
> Une anémie hémolytique fébrile chez un touriste au retour des Andes doit faire évoquer une maladie de Carrion
> Tout état fébrile chez un patient immunosupprimé (VIH avec moins de 100 CD4) doit faire penser à une bartonellose (angiomatose bacillaire, péliose hépatique)
The different Bartonella species can cause various human infections such as cat scratch disease, chronic bacteremia (homeless patient with nonspecific symptom), endocarditis, bacillary angiomatosis, peliosis, and Carrion’s disease. Diagnostic approaches include serology, culture and molecular approaches. PCR is especially useful on lymph nodes biopsies from patients with cat-scratch disease and on valvular samples taken from culture-negative endocarditis. Serology exhibits a very high sensitivity in the latter situation. The treatment should be chosen according to the clinical presentation.