Lors d’une hépatite virale C chronique, le taux de progression vers une fibrose avancée est variable selon les patients et dépend de la présence de certains cofacteurs. Dans ce contexte, un intérêt croissant s’est focalisé autour de la résistance à l’insuline. En fait, le virus de l’hépatite C est désormais reconnu responsable d’une interférence directe dans la voie de signalisation de l’insuline : cette résistance à l’insuline d’origine virale peut s’ajouter à celle éventuellement associée à un syndrome métabolique concomitant, parfois accélérant son évolution vers un diabète de type 2. Quelle que soit sa pathogenèse, la résistance à l’insuline lors d’une hépatite C cause l’apparition d’une stéatose, contribue à la progression vers une cirrhose et diminue les chances de réponse au traitement, d’où l’intérêt de la reconnaître et de la corriger.
L’infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC) est une cause majeure de lésions hépatiques évolutives conduisant à long terme à la progression vers une cirrhose et au carcinome hépatocellulaire. Toutefois, le taux de progressions histologiques de ces lésions est variable selon les patients et dépend de la présence ou non de certains cofacteurs, tels que l’âge, le sexe masculin, une consommation éthylique abusive, l’accumulation de fer, ou encore une co-infection par les virus de l’immunodéficience humaine ou de l’hépatite B. Depuis une dizaine d’années, un intérêt croissant s’est focalisé autour du syndrome métabolique, et plus particulièrement de l’insulino-résistance, un facteur pathogénétique central de cette condition. Cet intérêt est non seulement lié à l’actuelle pandémie de surcharge pondérale/obésité, et donc aux chances d’interactions entre syndrome métabolique et hépatite C, mais aussi au fait que le virus de l’hépatite C a démontré être capable d’interagir directement avec la voie de signalisation de l’insuline au niveau des hépatocytes. Cette résistance à l’insuline d’origine virale va non seulement s’ajouter à celle éventuellement associée à un syndrome métabolique concomitant, parfois accélérant son évolution vers un diabète de type II, mais surtout a deux conséquences majeures sur la maladie du foie. En fait, quelle que soit sa pathogenèse, la résistance à l’insuline au cours d’une hépatite C chronique contribue à la progression vers une cirrhose, et diminue les chances de réponse au traitement antiviral. Dans cet article, nous allons discuter de la littérature sur le sujet, avec une attention particulière sur les retombées concernant la prise en charge des malades atteints d’une hépatite C chronique.
Le syndrome métabolique est défini comme un ensemble de facteurs de risque métabolique regroupant l’obésité, la dyslipidémie (élévation des triglycérides et abaissement de la fraction HDL du cholestérol), l’hypertension artérielle, la résistance à l’insuline avec ou sans diabète de type II et la présence d’un état pro-inflammatoire. Ces facteurs de risque ont pour résultante une élévation de la mortalité par événement cardiovasculaire. Il est communément admis que la résistance à l’insuline est considérée comme l’élément pathogénétique central du syndrome métabolique. Elle peut être définie comme une condition dans laquelle des concentrations plus importantes d’insuline sont nécessaires pour assurer une homéostasie normale du glucose. Dans la pratique clinique, son estimation peut se faire par la simple (bien qu’approximative) mesure du score HOMA (Homeostasis model assessment) défini comme suit : HOMA = insulinémie à jeun (μU/ml) x glycémie à jeun (mmol/l)/22,5. La valeur normale du HOMA étant spécifique à chaque population étudiée, il n’y a pas dans la littérature un seuil de référence universellement accepté. D’un point de vue pratique, nous avons adopté l’attitude de rechercher la présence d’un syndrome métabolique à partir d’un score HOMA de 3, bien que des valeurs plus basses puissent parfois avoir des conséquences cliniques lors d’une hépatite C. On signale par exemple (voir ci-dessous) que le taux de réponses au traitement antiviral baisse à partir d’un seuil de HOMA égal à 2.
De nombreuses études cas-témoin et transversales ont montré une prévalence augmentée du diabète de type II au sein de la population infectée par le VHC. Cette association est significative notamment chez les patients âgés de plus de 40 ans. 1 Lors des études longitudinales, il a été prouvé que l’infection par le VHC précède l’apparition du diabète, et que cette infection augmente le risque de diabète incident d’environ onze fois par rapport à la population non infectée.2 L’association significative avec l’âge laisserait sous-entendre que le diabète serait la conséquence de lésions hépatiques évolutives et non pas de l’effet propre du virus. En fait, dans l’étude de Mason et coll., qui compare la prévalence du diabète auprès de deux populations de patients atteints d’hépatite C ou B, la proportion de malades diabétiques diffère significativement seulement dans les classes d’âge plus avancé.3 En outre, dans l’étude longitudinale de Mehta et coll.2 l’excès de risques dans l’apparition du diabète pendant le suivi concerne essentiellement les patients obèses et âgés de plus de 65 ans, suggérant ainsi que le VHC serait responsable du développement du diabète que chez des patients à risque. Qu’en est-il alors, de cette association chez les malades jeunes et à un stade précoce de l’hépatite C ? Hui et coll. ont mesuré l’insulino-résistance (condition qui généralement précède d’une à deux décennies le diabète) dans une population de 121 patients sans fibrose hépatique ou à un stade débutant de fibrose (limitée aux espaces portes), et ont pu mettre en évidence des niveaux de score HOMA significativement plus élevés que dans le groupe témoin.4 En se basant sur ces études corrélatives, on pourrait donc conclure que l’infection par le VHC serait directement impliquée dans la genèse de l’insulino-résistance retrouvée chez les patients atteints d’une hépatite C chronique, et que cette insulino-résistance pourrait évoluer vers un diabète de type II surtout chez certaines catégories de patients à risque, tels que les patients âgés, obèses, ou avec une maladie hépatique avancée. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’infection par le VHC est un facteur de risque indépendant de développement d’un diabète après transplantation de foie5 ou de rein.6
Récemment, d’intéressantes évidences se sont ajoutées à la littérature existante. Si l’on traite une hépatite C chronique avec des antiviraux, la guérison est associée à une réduction du score d’insulino-résistance par rapport aux valeurs retrouvées avant le traitement.7 En outre, chez les mêmes patients désormais guéris, suivis après la fin du traitement, l’incidence d’intolérance au glucose semble être diminuée par rapport à celle observée chez les patients qui n’ont pas répondu au traitement.8 Une interaction directe entre VHC et signalisation de l’insuline semble être également confirmée par le fait que si l’on mesure – par immunoblot et par immunohistochimie – les niveaux intra-hépatiques des substrats du récepteur à l’insuline (IRS-1 et IRS-2) avant et après traitement antiviral, on observe leur augmentation lors d’une guérison.9 Une dernière évidence en faveur de cette association vient d’une récente étude prospective française, qui a mis en évidence une forte association de la résistance à l’insuline avec les génotypes 1 et 4, suggérant ainsi l’existence de séquences « dia-bétogéniques » dans le génome de ces types viraux.10 Cette même étude fait état d’une corrélation positive entre le score d’insulino-résistance et la virémie en l’absence d’obésité ou de fibrose significative, ce qui laisse encore une fois suggérer que la réplication virale exerce une influence directe sur le développement d’une insulino-résistance.
Les données issues de travaux expérimentaux ont ainsi suggéré la nature des interactions potentielles entre protéines virales (surtout la protéine de la nucléocapside virale) et signalisation de l’insuline. Le mécanisme principal semble être une augmentation de certains facteurs de suppression du signal des cytokines (SOCS, suppressor of cytokine signaling), notamment le 1, le 3 et le 7.11,12
La résistance à l’insuline est associée à une stéatose hépatique : l’hyperafflux d’acides gras libres et la stimulation de certains facteurs de transcription impliqués dans la lipogenèse de novo seraient impliqués dans l’accumulation de triglycérides dans les hépatocytes.13 Cependant, la conséquence la plus redoutable du syndrome métabolique sur l’hépatite C chronique est que l’insulino-résistance, ainsi que le diabète sont des facteurs prédictifs d’une fibrose hépatique sévère et d’une fibrogenèse rapidement progressive.14-16 La résistance à l’insuline est en effet un facteur de risque profibrogénique indépendant des facteurs bien connus que sont l’âge, le sexe masculin, une consommation éthylique chronique (tableau 1). Plusieurs mécanismes expliquent le rôle de la résistance à l’insuline dans la fibrogenèse hépatique. L’hyperglycémie et l’hyperinsulinémie exercent une stimulation sur la prolifération des cellules étoilées du foie (sur lesquelles des récepteurs à l’insuline ont été identifiés) directement impliquées dans la fibrogenèse. En outre, la résistance à l’insuline est associée à un état inflammatoire chronique caractérisé par une sécrétion constante de cytokines pro-inflammatoires par le tissus adipeux : ces cytokines contribuent, entre autre, à la progression du processus de fibrose hépatique. Ce constat démontre donc l’importance du dépistage systématique du diabète et de l’insulino-résistance chez les patients infectés par le VHC, et l’utilité d’une biopsie hépatique chez les patients résistant à l’insuline.
Une gestion correcte du syndrome métabolique commence par un contrôle de l’excès pondéral et une augmentation de l’activité physique, qu’il y ait ou non de lésions hépatiques associées. La perte pondérale améliore la résistance à l’insuline et de ce fait peut induire une diminution de la fibrose.17 La question de savoir si une réduction de la résistance à l’insuline peut s’accompagner d’une augmentation de sensibilité à l’interféron-α, et par conséquent à une meilleure chance de réponse virale soutenue, est débattue mais de plus en plus d’études tendent à suggérer que ce serait le cas.7,18 Cette constatation a été faite initialement par Romero-Gomez et coll.,7 qui ont démontré que la résistance à l’insuline (indiquée par un score HOMA ̾ 2) est un facteur prédictif indépendant d’une mauvaise réponse virale au traitement, de même que le sont la fibrose et le génotype 1 (tableau 2). Les mécanismes régissant cette interaction ne sont pas encore totalement élucidés. Il devient dès lors primordial pour le patient et le thérapeute de déployer tous les moyens dans le but de parvenir à une amélioration de la sensibilité à l’insuline. La diminution de l’IMC et l’exercice physique sont à la base de la prise en charge des malades. Ces mesures pourraient dans le futur être renforcées par un traitement médicamenteux améliorant cette sensibilité. Deux classes d’agents sensibilisateurs à l’action de l’insuline sont actuellement en phase d’étude préliminaire : la metformine et les thiazolidinédiones, qui pourraient être envisagées en parallèle ou avant un traitement d’interféron-α dans le but d’améliorer les chances d’une réponse.
La prévalence du diabète est augmentée chez les patients infectés par le VHC. La résistance à l’insuline en est la principale cause et résulte d’une altération dans la voie de signalisation de l’insuline. La résistance à l’insuline est également un déterminant majeur de la fibrose puisque sa présence est corrélée avec une fibrose plus sévère et une fibrogenèse plus rapide, et donc à un risque accru de carcinome hépatocellulaire. Enfin, la présence d’une résistance à l’insuline réduit les chances de réponse aux traitements antiviraux. Il est dès lors recommandé de dépister le syndrome métabolique et de rechercher une résistance à l’insuline chez tout patient infecté par le VHC, particulièrement en présence de facteurs de risque (âge avancé, obésité, anamnèse familiale positive pour le diabète, etc.). En présence d’une résistance à l’insuline ou d’un diabète, un suivi précis de la fibrogenèse par biopsie hépatique est justifié de même qu’un contrôle strict des habitudes de vie (contrôle du poids, régime alimentaire, exercice physique, apport alcoolique modéré, etc.).
> La prévalence du diabète de type II est significativement augmentée chez les patients infectés par le virus de l’hépatite C âgés de plus de 40 ans, chez lesquels un dépistage systématique par mesure de la glycémie à jeun et du score HOMA doit être de rigueur
> La résistance à l’insuline est un facteur prédictif majeur d’une fibrogenèse progressive chez les patients infectés par le virus de l’hépatite C : il convient donc d’effectuer un suivi échographique régulier et le cas échéant une biopsie hépatique
> Dans le syndrome métabolique, la perte pondérale et l’exercice physique améliorent la résistance à l’insuline et peuvent de ce fait induire une diminution de la fibrose hépatique
> L’insulino-résistance diminue les chances de réponse au traitement antiviral d’une hépatite C chronique : il est possible – bien qu’il ne soit pas prouvé à ce jour – que la correction de l’insulino-résistance, surtout par des mesures visant à modifier le style de vie des malades, ait un effet bénéfique aussi sur le taux de réponses au traitement
In the course of a chronic infection with the hepatitis C virus, the fibrosis progression rate varies among individuals, and depends on the existence of certain co-factors. In this context, a growing interest has emerged and has focused on insulin resistance. In fact, the hepatitis C virus is now recognized as being responsible for a direct interference with the insulin signalling pathway. This insulin resistance of viral origin, in combination with an eventual insulin resistance associated with an existing metabolic syndrome, can therefore accelerate its evolution to a type II diabetes. Independently of its pathogenesis, insulin resistance occurring in chronic hepatitis C causes a fatty liver, contributes to the progression towards cirrhosis, and narrows the chances of a successful antiviral therapy. It is therefore crucial to recognize it in order to correct it.