Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est une pathologie fréquente qui ne nécessite dans la majorité des cas pas d’examen complémentaire. La pH-métrie est surtout utilisée quand les symptômes sont atypiques ou lorsque le patient ne répond pas aux traitements. Pendant de nombreuses années, la pH-métrie a été considérée comme le gold standard pour le diagnostic de RGO. Cependant, elle présente de nombreuses limites car elle ne mesure qu’une durée d’exposition acide. La pH-impédancemétrie est une nouvelle technique qui définit les reflux en fonction de leur contenu liquide et/ou gazeux et de leur caractère acide ou peu acide. Elle permet ainsi d’identifier des patients présentant des symptômes liés à des reflux peu acides que la pH-métrie seule n’aurait pas décelés.
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est défini par la remontée du contenu gastrique dans l’œsophage. Ce contenu est un mélange de sécrétions produites par tout le tube digestif haut : sécrétions buccales (salive), sécrétions gastriques (acide chlorhydrique, pepsine), hépatiques (acides biliaires) et pancréatiques (trypsine, lipase).1
Le RGO est physiologique : il survient chez tous les sujets sains plusieurs fois par jour, surtout après les repas. Il doit être différencié du reflux-maladie qui se caractérise par la survenue de symptômes et/ou de lésions muqueuses. Cette pathologie est fréquente dans la population générale. En effet, près de 40% des sujets ressentent des remontées acides régulières ou des régurgitations et 10% s’en plaignent quotidiennement.2
Les symptômes typiques du reflux sont le pyrosis (sensation de brûlure qui irradie le long du sternum) et les régurgitations. Les manifestations atypiques sont variées : elles peuvent être digestives (dysphagie) ou extradigestives (douleurs thoraciques, pulmonaires, ORL). Leur relation avec le reflux est moins forte et sujette à discussion (figure 1).
Le diagnostic de RGO est le plus souvent clinique en présence de signes typiques.
L’endoscopie permet avant tout de rechercher des complications muqueuses (œsophagite, sténose, muqueuse de Barrett, cancer). Sa sensibilité dans le diagnostic de RGO est faible (alors que sa spécificité est excellente).
La pH-métrie est principalement utilisée en présence de symptômes atypiques ou en cas de résistance au traitement. Son principe repose sur la détection des reflux, définis comme des chutes du pH œsophagien en dessous de 4. La sonde de pH est placée par convention 5 cm au-dessus du sphincter œosophagien inférieur. Le seuil d’exposition acide est défini comme pathologique si le pourcentage de temps à un pH < 4 est supérieur à 5% du temps total (enregistrement sur 24 h 00).2 L’association temporelle entre la présence d’un reflux acide et la survenue des symptômes peut être étudiée. Les deux index les plus utilisés sont l’index symptomatique et le calcul de la probabilité d’association symptomatique (PAS). L’index symptomatique (IS) est le rapport entre le nombre de reflux symptomatiques et le nombre de symptômes. Il est positif s’il est supérieur à 50%. Le score PAS permet de déterminer si l’association symptôme-reflux est liée au hasard ou non. Il est considéré comme positif s’il est supérieur à 95%. La pH-métrie était jusqu’à présent la technique de référence pour le diagnostic de reflux. Cependant, elle méconnaît 20% des reflux en cas de symptômes typiques. En effet, il ne permet, par définition, que la détection des composés acides des reflux. Or, les reflux gastro-œsophagiens ne sont pas composés uniquement d’acide.
Le test thérapeutique avec des inhibiteurs de la pompe à protons a également été proposé pour le diagnostic de RGO, notamment en cas de symptômes atypiques. Cependant, il ne permet pas de faire le lien direct entre les symptômes et les reflux. De plus, la persistance de symptômes (typiques ou atypiques) sous traitement peut être secondaire à la persistance d’un reflux acide malgré le traitement, à la présence de composés peu acides dans le reflux (sels biliaires, pepsine, etc.) ou à l’absence de lien entre les symptômes et le RGO (figure 2).3
Le développement récent de l’impédancemétrie endo-luminale œsophagienne ouvre de nouvelles perspectives en ce qui concerne le diagnostic de RGO. Cette méthode de détection « physique » du reflux (présence de gaz et/ou de liquide dans l’œsophage) permet la mise en évidence de l’ensemble des épisodes de reflux indépendamment de leur composition chimique. Elle est généralement couplée à une mesure du pH œsophagien : ainsi les reflux identifiés par l’impédance sont qualifiés d’acides ou de peu acides.4,5
L’impédance est la résistance au passage du courant électrique entre deux électrodes reliées à un générateur de courant. L’unité de mesure de l’impédance est l’ohm. Dans un organe creux, lorsqu’il y a présence de gaz entre deux électrodes d’enregistrement, la résistance au passage du courant augmente et par conséquent l’impédance augmente. Lorsqu’il y a du liquide entre les électrodes, le passage du courant est facilité et l’impédance diminue (figure 3). La sonde d’enregistrement utilisée pour les mesures dans l’œsophage comporte plusieurs couples d’électrodes répartis sur toute sa hauteur. Cette répartition des couples d’électrode permet d’identifier la progression du bolus et donc de distinguer les épisodes de reflux des épisodes de déglutition (figure 4). Les mesures sont généralement effectuées 3, 5, 7, 9, 15 et 17 cm au-dessus du bord proximal du sphincter inférieur de l’œsophage.4,5
Ces mesures d’impédance intra-œsophagiennes sont couplées à une mesure du pH œsophagien. La sonde d’impédancemétrie comporte une électrode de pH placée 5 cm au-dessus du sphincter inférieur de l’œsophage. D’autres électrodes de pH peuvent être rajoutées et placées dans le pharynx, l’œsophage ou l’estomac.
L’impédancemétrie œsophagienne est parfois utilisée en combinaison avec une sonde de manométrie pour l’analyse de la motricité œsophagienne.
L’enregistrement de pH-impédancemétrie est réalisé en ambulatoire sur 24 heures. Les prises de repas se font normalement au cours de l’enregistrement.
L’analyse des enregistrements de pH-impédancemétrie s’effectue à l’aide d’un logiciel dédié. Comme en pH-métrie classique, l’association entre symptôme et reflux est étudiée à l’aide des différents scores décrits précédemment (IS, PAS).
En somme, l’impédancemétrie permet de préciser la nature du reflux (liquide, gazeux ou mixte) et son extension vers l’œsophage proximal. Couplée à une mesure du pH, elle permet de détecter si les reflux sont acides ou peu acides (figure 5).6
Sifrim et coll.7 ont montré que les patients avec un RGO avaient un nombre total de reflux identique aux volontaires sains. Par contre, les patients avec RGO pathologique ont une proportion plus importante de reflux acides. Les reflux responsables de la survenue de symptômes sont le plus souvent acides et atteignent plus fréquemment le tiers proximal de l’œsophage.8 Cependant, les reflux peu acides peuvent également engendrer la survenue de symptômes typiques (en l’absence de traitement 15% des reflux symptomatiques sont peu acides).8 Bredenoord et coll.9 ont montré que l’impédancemétrie amène à identifier 10% de patients supplémentaires par rapport à la pH-métrie en cas de symptômes typiques en l’absence de traitement.
La pH-impédancemétrie semble très intéressante en cas de symptômes résistant aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).
Deux grandes études multicentriques ont montré l’intérêt de l’impédancemétrie chez les patients présentant des symptômes persistant sous IPP à double dose.10,11 Dans l’étude de Mainie qui incluait 168 patients,10 11% des patients avaient un IS positif pour des reflux acides et 37% avaient un IS positif pour des reflux peu acides. La moitié des patients avait un IS négatif suggérant que les symptômes n’étaient pas en relation avec un reflux qu’il soit acide ou peu acide. Dans l’étude de Zerbib et coll. qui incluait 71 patients sous IPP,11 5% des patients avaient un PAS positif pour des reflux acides seuls, 15% pour des reflux peu acides seuls et 16,7% pour des reflux acides et peu acides. Dans cette série, la persistance des symptômes n’était pas associée à la survenue d’un reflux (acide ou peu acide) dans près de deux tiers des cas.
En somme, sous traitement par IPP, la pH-impédancemétrie permet de mettre en évidence une association entre des symptômes et des reflux peu acides, non détectés par pH-métrie seule, chez 15 à 30% des patients. Les symptômes les plus fréquemment associés aux reflux peu acides étaient les régurgitations et la toux.
La pH-impédancemétrie pourrait également être intéressante pour rechercher un RGO pathologique en cas de toux chronique. Sifrim et coll.12 ont montré que les reflux peu acides pouvaient être responsables de la survenue de toux chronique et ce en l’absence de reflux acides. Dans une série de 50 patients présentant une toux persistante sous IPP, Tutuain et coll.13 ont observé une association entre toux et reflux peu acides chez treize patients (26%). Six des patients avec une association positive ont bénéficié d’une chirurgie antireflux laparoscopique selon la technique de Nissen : dans tous les cas, dix-sept mois après la chirurgie en moyenne, la toux chronique avait disparu.
La pH-impédancemtrie pourrait permettre de prédire le succès d’une chirurgie antireflux. Dans une série de dixhuit patients avec une association positive entre les symptômes et la présence de reflux (acides ou peu acides) sous traitement par IPP, Mainie et coll.14 ont rapporté un bon résultat de la fundoplicature de Nissen dans dix-sept cas. Le seul échec était la récidive d’une symptomatologie ORL neuf mois après la chirurgie. Ces résultats nécessitent d’être confirmés dans de plus grandes séries prospectives.
Les limites actuelles de la technique sont liées principalement à son coût et à l’analyse du tracé.
L’analyse des tracés est visuelle. Elle est donc consommatrice de temps et nécessite un apprentissage. Le logiciel d’analyse automatique est actuellement peu performant en ce qui concerne la détection des reflux peu acides, des reflux gazeux et de l’extension proximale des reflux.15 Or, la détection de ces paramètres fait tout l’intérêt de l’impédancemétrie. L’analyse visuelle reste donc indispensable en attendant les améliorations du logiciel.
Enfin, l’analyse du tracé peut être difficile en cas d’œsophagite ou de muqueuse de Barrett en raison d’une impédance basale faible.
L’acide n’est pas le seul composé toxique des reflux gastro-œsophagiens. Les reflux à contenu peu acide semblent également être associés à la survenue de symptômes typiques et atypiques. En particulier, la persistance d’une symptomatologie de reflux sous traitement par IPP doit faire évoquer la possibilité d’un reflux peu acide à l’origine des symptômes. La pH-métrie qui ne mesure qu’un seuil d’exposition acide ne permet pas de détecter les reflux peu acides. La pH-impédancemétrie détecte les reflux en fonction de leur présence physique liquide et/ou gazeuse et donc indépendamment de leur contenu acide. Elle permet donc de relier les symptômes ressentis par les patients à la survenue de reflux peu acides. Progressivement, la pH-impédancemétrie est devenue la technique de référence pour l’exploration du RGO. Sa principale indication actuelle est la persistance de symptômes typiques résistant aux IPP. La toux chronique pourrait également constituer une bonne indication à la pH-impédancemétrie. Les limites actuelles à la diffusion de cette technique sont le coût de cet examen et l’interprétation parfois difficile du tracé.
> Le reflux gastro-œsophagien peut être acide ou peu acide. Il devient pathologique quand il engendre des symptômes ou des lésions muqueuses
> La pH-impédancemétrie permet de mettre en évidence une association entre les symptômes de reflux et la présence de reflux peu acides
> Elle est surtout utile chez les patients qui présentent encore des symptômes sous IPP
> Elle pourrait aider à sélectionner les bons candidats pour une chirurgie antireflux
> La pH-impédancemétrie permet également de démontrer que dans plus de la moitié des cas les symptômes ne sont pas associés à des reflux
Gastroesophageal reflux disease is a common condition that requires no additional exam if the diagnosis is straightforward and no complications is suspected. pH monitoring is often used for atypical symptoms or if there is no response to therapy with proton pump inhibitors. This was considered for decades as a « gold standard », but it shows many limits, especially because it only measures acid exposure. pH-impedance monitoring is a new technique that detects all types of reflux (gas liquid and acid-weakly acid) and evaluates the relationship between symptoms and reflux events. It identifies patients with symptoms related to weakly acid reflux, that is not detected by conventional pH monitoring.