Nous sommes, en France, moins de trois ans après les faits. Et la spectaculaire, l’incompréhensible affaire des «bébés congelés» arrive déjà à son terme judiciaire. A l’heure où nous écrivons ces lignes, Mme Véronique Courjault, mère de deux enfants, arrivera devant la cour d’assises d’Indre-et-Loire, à Tours, pour avoir tué trois de ses enfants dans les heures (minutes ?) qui ont suivi les trois accouchements. Et l’on parlera immanquablement ces jours prochains, avec l’aide de quelques psychiatres, du «déni de grossesse».
Principaux éléments d’un dossier hors du commun qui avait suscité une intense émotion tant en France qu’en Corée du Sud. A Séoul, le 23 juillet 2006, Jean-Louis Courjault travaille en tant qu’ingénieur pour l’équipementier automobile Delphi. Ce jour-là, il découvre – par le plus grand des hasards – les corps de deux nouveau-nés dans un tiroir de son congélateur. Il alerte la police. Des tests ADN effectués à Séoul le désignent comme étant le père ; d’autres tests diront que son épouse est la mère.
De retour en France, le couple est entendu par la police tourangelle puis relâché. M. Courjault nie que sa femme ait pu accoucher de ces nouveau-nés. Elle a, dit-il, subi une ablation de l’utérus en décembre 2003. C’était compter sans les vertus du grand froid. La machinerie judiciaire se met en marche : le premier avocat du couple se gausse publiquement des compétences des médecins légistes coréens Mais la médecine légale et la génétique étant ce qu’elles sont, la vérité biologique éclate bientôt : des tests ADN pratiqués en France confirment les premiers résultats. Les deux corps congelés sont bien les enfants du couple Courjault.
Octobre 2006 : le couple est placé en garde à vue et Mme Courjault avoue un double infanticide par «strangulation». Elle affirme aussi que son mari n’était au courant de rien. Nouveau rebondissement : elle avoue un troisième infanticide commis en juillet 1999, en France cette fois. Mme Courjault précise qu’elle n’avait pas alors congelé mais brûlé le corps. Mise en examen, elle est écrouée à Orléans (Loiret), poursuivie pour «assassinats».
L’enquête démontrera que dans leur entourage proche, à Séoul, personne n’avait – ne serait-ce qu’un instant–soupçonné que cette femme ait pu être enceinte. Quant à l’autopsie des deux nouveau-nés elle révèle qu’ils étaient morts par «asphyxie» et non par «étranglement». Le mari, mis hors de cause par la justice, n’a jamais cessé de soutenir son épouse.
«Déni de grossesse» ? Devant la Cour d’assises d’Indre-et-Loire, on va, dans les prochains jours, immanquablement l’invoquer. Me Hélène Delhommais, l’avocate de l’accusée espère que le procès ne se résumera pas à ce nouveau concept. «J’attends que cette femme puisse s’exprimer sereinement dans le calme, si possible, a-t-elle déclaré à l’Agence France-Presse. L’agitation autour d’elle pourrait la gêner. Or le principal, c’est que devant les jurés, elle puisse exprimer ses émotions, et elle a beaucoup de choses à dire. Elle peut raconter beaucoup plus de choses qu’au départ du dossier parce qu’elle a travaillé avec des psychiatres. Elle est dans une souffrance différente et aujourd’hui elle peut l’exprimer. Je ne pense pas que le "déni de grossesse" va alimenter tous les débats sinon, à mon sens, ce serait une erreur. Mais il est certain que nous allons en parler, que les experts vont en parler. Pour autant le cas de Mme Courjault ne se résume pas à cette notion et j’ai peur qu’elle devienne l’emblème d’un thème, une espèce d’étendard de thèse, qui ne lui correspond pas.»
Les craintes de Me Delhommais sont tout sauf infondées. «Déni de grossesse» ? Ne serait-ce que parce qu’une jeune association française1 milite pour que l’on reconnaisse enfin officiellement que le corps humain puisse avoir ses raisons que la raison ignore. Le corps féminin en l’espèce.
(A suivre)