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ISO 690 | Berna, C., Desmeules, J., Modulation cognitive et émotionnelle de la douleur : mécanismes de certaines approches cliniques révélés par les neurosciences, Rev Med Suisse, 2009/208 (Vol.5), p. 1352–1355. DOI: 10.53738/REVMED.2009.5.208.1352 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-208/modulation-cognitive-et-emotionnelle-de-la-douleur-mecanismes-de-certaines-approches-cliniques-reveles-par-les-neurosciences |
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MLA | Berna, C., et al. Modulation cognitive et émotionnelle de la douleur : mécanismes de certaines approches cliniques révélés par les neurosciences, Rev Med Suisse, Vol. 5, no. 208, 2009, pp. 1352–1355. |
APA | Berna, C., Desmeules, J. (2009), Modulation cognitive et émotionnelle de la douleur : mécanismes de certaines approches cliniques révélés par les neurosciences, Rev Med Suisse, 5, no. 208, 1352–1355. https://doi.org/10.53738/REVMED.2009.5.208.1352 |
NLM | Berna, C., et al.Modulation cognitive et émotionnelle de la douleur : mécanismes de certaines approches cliniques révélés par les neurosciences. Rev Med Suisse. 2009; 5 (208): 1352–1355. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2009.5.208.1352 |
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Cognitive and affective strategies are frequently used in clinical practice to modulate pain perception. They seem to rely on a descending neural system, which is able to inhibit the afferent nociceptive signal. Herein, we will review experiments on healthy volunteers, which explored the central mechanisms involved in the change in pain perception due to the modulation of attention, expectations or mood. A growing understanding of the cognitive and emotional modulation of pain perception has validated empirical practices in the acute pain context. This body of work, associated to the investigation of the dysfunction of this modualtion in chronic pain patients, could lead to developing new therapies, which would complement current treatments.
La perception douloureuse peut être modulée par des techniques cognitives et affectives couramment utilisées en pratique clinique. Cet effet repose sur un système inhibiteur descendant capable de contrôler le signal nociceptif afférent. L’amélioration de la compréhension des mécanismes régulateurs centraux, impliqués dans la modification de la perception douloureuse par une modulation de l’attention, des attentes ou de l’humeur, a permis de valider des pratiques empiriques dans le contexte de la douleur aiguë. Ces connaissances, associées à l’investigation de la dysfonction de ces mécanismes régulateurs chez les patients souffrant de douleur chronique, pourraient permettre de développer de nouvelles thérapies qui complémenteraient les soins habituels.
En 2015, un patient souffrant de douleurs chroniques vous demande à être adressé dans un centre d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle afin d’apprendre à mieux gérer sa douleur. Science-fiction ou anticipation ? Des chercheurs travaillent actuellement au développement de ce type d’approche.1 Celle-ci repose sur une meilleure compréhension de la douleur, de sa perception et de sa modulation. Grâce à des recherches neuroscientifiques récentes, nous savons à présent qu’un stimulus nociceptif est perçu comme une douleur après une intégration cognitive et émotionnelle complexe. La douleur est une sensation subjective. Dès lors, les causes de la sensation algique, le contexte, les expériences antérieures et d’autres paramètres variables entre individus, sont tous des éléments qui participent à la création de l’expérience douloureuse. Ainsi, un marathonien ou un yogi ne décrirait pas certaines sensations physiques intenses ressenties durant sa pratique sportive comme de la douleur, ou ne se laisserait pas détourner de son activité par celle-ci. De nombreux chercheurs sont interpellés par ces phénomènes, car une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents et de leur modulation pourrait être bénéfique pour des patients souffrant de douleurs, en complément d’une prise en soins adéquate.
Cet article recense les connaissances actuelles expliquant comment une intervention cognitive ou émotionnelle peut moduler la perception de la douleur. Nous présenterons quelques anecdotes cliniques faisant le lien entre la pratique quotidienne des méthodes de modulation de la perception douloureuse et leur étude dans un contexte expérimental.
Notre compréhension des bases neurales de la perception douloureuse et de sa modulation s’est améliorée au cours des dernières années en partie grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. Ainsi, les voies afférentes du signal nociceptif (dont les relais centraux principaux sont des noyaux du tronc cérébral, le thalamus, les cortex somatosensoriels primaires et secondaires, l’insula, et le cortex cingulaire antérieur (CCA)) sont maintenant reconnues comme étant modulées par un système descendant inhibiteur (figure 1).2 Ce système inhibiteur exerce principalement son effet dans la corne dorsale de la moelle épinière via des endorphines. Les relais centraux de ce circuit descendant incluent les cortex préfrontaux ventro- et dorsolateraux, le CCA, le thalamus et la matière grise périaqueducale. Une analyse de tractographie, technique d’IRM fonctionnelle permettant de suivre des faisceaux d’axones dans la substance blanche cérébrale, a prouvé la présence de connexions entre les différentes aires de ce système inhibiteur descendant.3 Il peut être activé volontairement ou automatiquement, comme dans les différentes situations que nous décrirons ici.
Un jeune enfant nécessite des points de suture à la main. Le pédiatre l’installe dans les bras de sa mère, et le laisse regarder un dessin animé pendant la procédure.
Le centre de notre attention détermine ce que nous percevons de notre environnement interne et externe. Nos ressources perceptuelles (la quantité d’informations que nous pouvons percevoir et élaborer de manière simultanée) sont limitées mais peuvent être orientées. Ainsi, si nous portons notre attention sur un interlocuteur précis, il nous sera possible de l’entendre parler à voix basse même dans un environnement bruyant. Ce processus sélectif permet donc d’amplifier certains signaux relevants, au détriment d’autres.4 Bien que la douleur soit généralement interprétée comme un signal d’alerte et attire l’attention en tant que tel, il reste possible de se distraire volontairement de cette sensation. De ce fait, les ressources cognitives et perceptuelles attribuables à un stimulus algique peuvent être limitées si notre attention est dirigée vers une histoire racontée dans un film ou un livre. Différentes expériences scientifiques ont investigué ce phénomène et ont démontré qu’un effort cognitif comme le calcul, un exercice mnésique ou la concentration sur une autre modalité sensorielle pouvait diminuer l’activité dans des aires afférentes de la douleur (cortex somatosensoriel, thalamus, insula et cortex angulaire antérieur (CCA)) et augmenter l’intensité des interactions entre des aires du système de contrôle descendant de la douleur (CCA, thalamus, matière grise périaqueducale), résultant en une diminution de l’intensité ressentie du stimulus.5,6
Une patiente a un rendez-vous préopératoire avec un anesthésiste. Elle demande quels antalgiques seront à sa disposition au réveil, une amie lui ayant décrit ses propres douleurs comme intolérables suite à une intervention similaire. L’anesthésiste lui explique à quoi s’attendre en phase postopératoire à l’aide d’exemples d’autres patients qui ont vécu une expérience plus positive.
Lorsqu’un volontaire est prévenu à l’avance de la survenue d’un stimulus douloureux, la plupart des régions cérébrales afférentes (cortex somatosensoriel primaire, CCA, insula, thalamus, matière grise périaqueducale) présentent déjà une activité augmentée par rapport à une phase de repos.7 De plus, les attentes de l’individu, par rapport à l’intensité du stimulus algique à venir, ont une influence sur la perception même du stimulus : ainsi, la même stimulation est perçue comme plus intense si elle est attendue comme une forte douleur plutôt qu’une douleur faible. L’activité cérébrale pendant le stimulus est alors semblable à celle provoquée par une forte douleur.8 L’anxiété développée pendant la phase anticipatoire semble avoir un rôle important dans l’hyperalgésie résultante et l’hippocampe, une structure du système limbique pourrait être responsable de cette modulation.9
Un patient, ayant récemment bénéficié de la réduction chirurgicale d’une fracture compliquée, se présente chez son médecin pour des douleurs au niveau de la cicatrice. Il pense que de pareilles douleurs doivent être le signe d’une infection. Suite à un examen soigneux, le médecin le rassure : il s’agit d’une cicatrisation normale, dont on s’attend, vu l’ampleur du processus de réparation, qu’elle soit douloureuse. Il lui rappelle de prendre les antalgiques qui lui ont été prescrits quand il en ressent le besoin.
L’impression qu’une douleur est gérable ou contrôlable modifie fortement sa perception. Plusieurs études ont exploré ce phénomène : si l’on donne la possibilité à des volontaires d’arrêter un stimulus douloureux, ou que l’on donne l’illusion d’avoir ce contrôle, la douleur ressentie est moins importante que dans un contexte sans cette possibilité. De manière intéressante, que ce contrôle soit réel ou illusoire, on note une diminution de l’activité dans des aires afférentes de la perception douloureuse (insula, cortex somatosensoriel secondaire et CCA) et une augmentation de l’activité du cortex préfrontal ventrolatéral, structure qui semble pouvoir diriger le système inhibiteur descendant.10,11
La possibilité de contrôler ou d’interrompre le stimulus douloureux modifie probablement le danger que celui-ci représente, et le sens plus global qui est donné à la douleur ressentie.12 L’évaluation de la menace représentée par la douleur dépend d’expériences et de connaissances antérieures, de la personnalité et de l’histoire personnelle de chacun, ainsi que des informations obtenues sur le stimulus algique. Avec ces éléments, chacun crée une interprétation plus ou moins menaçante du processus causant une douleur en particulier. Plus généralement, il a été démontré que la mise en perspective ou la réévaluation positive d’une information négative implique également les cortex préfrontaux ventro- et dorso-latéraux.13
Fait intrigant, des mécanismes centraux semblables sont impliqués dans la diminution de la perception d’une douleur expérimentale rapportée par des personnes croyantes en présence d’une image religieuse.14
Dans notre exemple, le médecin a rappelé au patient qu’il pouvait prendre des antalgiques, et donc contrôler une partie de sa douleur. De plus, l’interprétation a été corrigée en insérant la sensation dans le contexte d’un processus de guérison.
Un homme a des céphalées. En attendant que le médicament fasse effet, il se remémore des souvenirs agréables de ses dernières vacances.
Dans le contexte expérimental, différentes formes de modulation de l’humeur (souvenirs heureux ou tristes, films, photos, odeurs, musique) ont été utilisées pour étudier l’effet de l’humeur sur la perception de la douleur. Une humeur positive fait percevoir le même stimulus comme moins désagréable que s’il est reçu dans une humeur plus triste.15 Les recherches effectuées dans ce domaine se sont efforcées de distinguer les effets de l’humeur de ceux de la distraction, et ont mis en évidence des circuits neuronaux distincts.16 La modulation émotionnelle semble impliquer le cortex préfrontal ventrolatéral, région également engagée dans l’interprétation de la douleur.16 Ces mécanismes restent à l’heure actuelle encore peu compris, mais sont en cours d’investigation.
En clinique, l’utilisation de la modulation émotionnelle a aussi un effet sur l’attention portée à la douleur.
Une patiente parle à son médecin de son projet de prendre un nouveau médicament issu de la médecine alternative pour des gonalgies occasionnelles dues à de l’arthrose. Le médecin a entendu parler de ce produit inoffensif dont les mécanismes d’action n’ont pas encore été étudiés de manière scientifique. La patiente est enthousiaste de débuter ce traitement, dont elle a beaucoup entendu parler.
Lorsqu’une substance placebo est donnée avant une procédure douloureuse expérimentale, l’activité cérébrale de l’insula, du thalamus et du CCA est diminuée et la connectivité entre les aires impliquées dans le système descendant de contrôle de la douleur est augmentée.17 Evidemment, ce n’est pas la substance inactive qui induit cet effet, mais le changement des attentes du sujet, de son humeur ou du sens qu’il donne au stimulus.18 Il apparaît donc que la plupart des mécanismes de modulation cognitive et émotionnelle de la douleur décrits ci-dessus sont impliqués lorsqu’une substance placebo est donnée. Cette constatation a mené à une réévaluation du potentiel de l’effet placebo.
Lorsqu’on croit dans un traitement, on recrute donc apparemment toutes les capacités d’autorégulation cognitive et émotionnelle décrites ci-dessus. Les recherches sur les substances placebo donnent par ailleurs des indications intéressantes sur certaines convictions des patients. Ainsi, une étude a démontré que le prix d’un placebo a un impact sur son efficacité : le même comprimé sans substance active a un meilleur effet antalgique s’il est présenté comme étant cher.19
Tandis que les mécanismes neuronaux impliqués dans l’effet placebo renforcent probablement les effets thérapeutiques de la plupart des médicaments, la prescription d’une thérapie sans substance active pose des problèmes éthiques évidents.
Lorsqu’un patient veut, de sa propre initiative, prendre un traitement dont les mécanismes d’action ne sont pas connus, et qui pourrait être considéré comme un placebo, l’exclusion de contre-indication(s) et une bonne information sont nécessaires. Cependant, au vu de la mauvaise réputation du placebo et de la confusion entre substance et effet, utiliser ce mot peut discréditer l’intention thérapeutique du praticien. Dès lors, dire à un patient qu’il utilise un placebo annulerait très probablement la modulation cognitive et émotionnelle désirée.
Finalement, rappelons que l’inverse de l’effet placebo, soit l’effet nocebo, est tout aussi réel. Lors d’un effet no-cebo dans le contexte de la douleur expérimentale, la prise d’une substance inactive résulte dans la perception du même stimulus comme plus douloureux, et est associée à des activations plus importantes dans l’insula, le CCA, les cortex préfrontaux ventro- et dorso-latéraux et l’hippocampe, suggérant une modulation mixte (attention, attentes, sens donné à la douleur).20 Dès lors, on peut considérer l’effet nocebo comme une modulation cognitive et affective négative soutenue par la prise d’un médicament.21
Quelques limitations générales méritent d’être soulevées quant à l’utilisation de ces techniques de modulation de la douleur. D’une part, elles demandent une collaboration active du patient, qui doit par exemple, dans le cas de l’effet placebo, avoir confiance dans le prescripteur et/ou être conditionné aux effets attendus de la substance. D’autre part, leur effet est très variable de sujet en sujet.
Finalement, des altérations du système nerveux central dues à la douleur chronique représentent la limitation la plus problématique. La douleur chronique semble en effet altérer la capacité des patients à se distraire de leur sensation algique (phénomène appelé hypervigilance ou biais attentionnel).22 De plus, elle est associée à la dépression.23 Dès lors, la modification de paramètres cognitifs et émotionnels chez des patients souffrant de douleurs chroniques implique souvent une thérapie cognitivo-comportementale structurée, ou une autre approche de longue haleine permettant de réexercer des techniques de contrôle de la douleur. C’est dans ce contexte que s’insère le développement décrit dans l’introduction : une technique de feedback par IRM fonctionnelle pourrait aider les patients à regagner le contrôle sur leur système descendant inhibiteur de la douleur. La méthode investiguée propose au patient d’essayer plusieurs techniques cognitives de contrôle de la douleur, sa performance lui étant directement communiquée en fonction de son activité cérébrale dans une aire prédéfinie du CCA.24 Cette technique paraît prometteuse et fait actuellement l’objet d’études approfondies.
Les modulations cognitives et affectives de la douleur sont bien connues et couramment utilisées dans le contexte aigu. Ces approches méritent d’être valorisées à la lumière des connaissances neuroscientifiques actuelles : leurs effets reposent sur des bases neurobiologiques qui sont à présent mieux identifiées. Elles peuvent renforcer et/ou complémenter les effets d’un traitement antalgique et s’inscrire utilement dans les stratégies de gestion de la douleur aiguë.
L’investigation de ces processus cognitifs et affectifs chez des patients souffrant de douleurs chroniques a mis en évidence des altérations du système nerveux central, expliquant pourquoi des modulations simples ne sont que rarement envisageables dans ces contextes complexes.
> En parallèle au système afférent de la douleur, il existe un système inhibiteur descendant
> Ce système peut être activé par différentes stratégies ou conditions émotionnelles et cognitives, comme la modulation de l’humeur, de l’attention ou des attentes
> Dans le contexte douloureux aigu, les techniques de modulation cognitive ou émotionnelle de la douleur sont fréquemment et spontanément utilisées en clinique
> La douleur chronique semble altérer ces capacités d’autorégulation, et requiert souvent une prise en charge spécialisée. Des méthodes de rééducation ciblées sur la capacité à moduler la douleur chez les patients souffrant de douleurs chroniques sont en cours d’investigation
Remerciements
Nous remercions tout particulièrement le Pr A.-F. Allaz pour ses précieux commentaires et sa relecture.
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