Des entretiens semi-structurés ont été menés avec 22 patients souffrant de douleurs chroniques dans le cadre d’un programme de thérapie cognitivo-comportementale de groupe se déroulant sur huit séances de 90 minutes. Toutes leurs attentes sont satisfaites, mise à part la diminution de la douleur. Malgré une anticipation souvent négative de la situation groupale, tous les patients ont jugé l’expérience positive : ils se sont sentis moins seuls et ont trouvé écoute et compréhension. Après trois mois, 80% des patients ont opéré des changements dans leurs comportements quotidiens. Après douze mois, 55% des patients témoignent d’un changement durable par rapport à l’emprise que la douleur avait sur leur vie. Même si les patients attendent une diminution de leurs douleurs, leur déception n’est pas un obstacle au processus de changement.
Le Centre multidisciplinaire d’évaluation et de traitement de la douleur des Hôpitaux universitaires de Genève propose à ses patients une approche thérapeutique multimodale. Parmi les diverses interventions proposées, ils ont la possibilité de suivre une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) en groupe. Des réflexions sur la prise en charge proposée par le Centre ont déjà été publiées.1-3
De nombreuses études ont mis en évidence les bénéfices de la TCC – à court ou long termes – chez les patients souffrant de douleurs chroniques, au moyen de méthodes quantitatives basées sur des scores obtenus à des questionnaires investiguant différentes dimensions psychologiques et fonctionnelles ainsi que des comportements de recherche de soins.4-8
A notre connaissance, les attentes et la satisfaction des patients participant à des programmes de TCC de groupe n’ont fait l’objet d’aucune étude permettant de les mettre en évidence afin de proposer certaines adaptations pour y répondre de la manière la plus adéquate. Nous avons donc cherché à les déterminer avant, trois mois et douze mois après un tel programme comportant huit séances hebdomadaires de 90 minutes.
Dès le début de la thérapie, l’identification d’activités spécifiques à chaque patient et l’incitation à en accomplir une nouvelle ou à en aménager une rendue difficile par la douleur, sont les axes principaux. Lors de la première séance, le groupe démarre sur des explications concernant le déroulement de la thérapie (présentations des thérapeutes, dates des séances, gestion des absences, confidentialité). Puis chaque patient se présente, exprime brièvement sa situation, son vécu douloureux, la conséquence principale de sa douleur, le contexte dans lequel il vit et dans lequel sa douleur s’exprime. La deuxième partie de la première séance est une explication générale des buts de la thérapie, d’une part en différenciant douleur aiguë et douleur chronique et en relevant l’aspect individuel des vécus douloureux et, d’autre part, au moyen d’un schéma, celui de la conception de la douleur en TCC qui met en évidence les facteurs pouvant influencer la douleur et dont on tient compte dans la thérapie, principalement les émotions, les comportements, les pensées et des sensations, mais aussi l’attention et la mémoire.9-10 Une fois ces buts discutés, les thérapeutes recherchent pour chaque patient, en fonction des difficultés qu’il a exprimées en début de séance, à lui proposer une tâche à domicile personnalisée qui consiste à observer ce qu’il se passe en lui et pour les autres lorsqu’il rencontre cette ou ces difficultés à cause de sa douleur. Chacune des sept séances suivantes se divise en trois parties : les événements de la semaine précédente sont discutés, de nouvelles stratégies sont expliquées et finalement une tâche à domicile est discutée avec chaque participant, pour laquelle il doit noter et parfois expérimenter une ou plusieurs stratégies durant la semaine, à travers des activités réalistes (réalisables).
Le travail psychothérapeutique porte non seulement sur les ressources et les compétences de chacun, mais aussi sur les limites qui peuvent souvent être perçues comme irrémédiables et sources de démotivation. Ce travail sur les limites peut mener dans le meilleur des cas à une acceptation progressive.
Les patients ont participé individuellement à trois entretiens semi-structurés, avant, trois mois après et douze mois après le groupe. Les dialogues ont été enregistrés et retranscrits, puis soumis à une analyse de contenu. Après avoir identifié les différents thèmes de chaque entretien, nous les avons regroupés autour de thèmes centraux dont nous avons vérifié dans un deuxième temps l’homogénéité et la centralité. Cette procédure qualitative d’investigation est très fréquemment utilisée dans le domaine de la recherche psychosociale lorsqu’il s’agit d’étudier les représentations.11-12
Les attentes de 22 patients (5 groupes, 5 hommes et 17 femmes de 30 à 77 ans ayant des douleurs chroniques d’origines diverses) ont été classées autour de quatorze thèmes. Selon les patients, le nombre d’attentes exprimées variait de 1 à 9 thèmes (moyenne 4,6) parmi les quatorze thèmes proposés. Aucune n’était exprimée par la totalité des patients, mais dix-huit d’entre eux (81%) espéraient apprendre de nouvelles astuces et onze (50%) espéraient que leur douleur allait diminuer. A part un patient qui pensait que ses proches sauraient (ou exprimeraient) mieux que lui quelles étaient ses attentes (tout en nous permettant d’en identifier sept dans ses réponses), les patients donnaient l’impression de bien cerner leurs désirs. Ces attentes se manifestaient d’une part autour de la relation avec les autres membres du groupe (espoir relationnel ou appréhension) et, d’autre part, autour de la douleur (tableau 1).
Trois mois après le groupe (participation à 6,5 séances en moyenne), vingt patients se sont présentés pour les entretiens individuels. Seize thèmes ont été identifiés. Les remarques critiques étaient en nombre inférieur (30) à celui des remarques mettant en évidence la satisfaction et les progrès ressentis par les patients (69) : dix patients ont exprimé leur frustration de n’avoir pas reçu de solution pour atténuer leurs douleurs, mais en contrepartie, douze ont mentionné que le groupe les avait sortis de leur isolement (tableau 2).
Onze patients se sont présentés pour les entretiens après douze mois. Parmi les neuf thèmes identifiés, les remarques critiques étaient en nombre inférieur (8) à celui des remarques mettant en évidence la satisfaction et les progrès ressentis par les patients (24) (tableau 3).
Il y a trois catégories d’attentes : d’une part, ce qu’un groupe de personnes peut apporter (attentes de type relationnel) et en miroir, une crainte de ce qu’il implique comme révélation de soi, et d’autre part, ce que la thérapie peut leur apprendre sur la gestion de la douleur, avec, spécifiquement, l’espoir d’une diminution de la douleur, exprimée initialement par onze patients (50%) et par six autres lors du premier entretien postgroupe (77% au total). Lorsque l’on a des douleurs chroniques, presque tout ce que l’on entreprend l’est dans le but de diminuer la douleur. Ce souhait est légitime et les thérapeutes ne doivent pas ignorer que la grande majorité des patients espèrent toujours que quelqu’un ou une technique leur apportera une résolution de leur souffrance.
Or, ces patients se trouvent dans la situation où ce n’est pas leur douleur qui va changer. Ce sont les comportements qu’ils ont en fonction de leur douleur et les conséquences de la douleur sur leur qualité de vie qui vont changer leur perception de la douleur. Ils ne peuvent que trouver des soulagements temporaires (décentration, relaxation) ou travailler à changer leurs exigences vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres pour tenir compte, dans leurs activités, des douleurs qui les handicapent. L’amélioration de leur qualité de vie passe par une acceptation de la douleur comme faisant partie inéluctablement de leur vie et qu’il va falloir gérer. C’est aussi faire le deuil de la personne qu’ils étaient avant les douleurs, accepter de changer leurs comportements plutôt que la douleur, tempérer leur révolte contre cette situation injuste. Mais tout patient espérera toujours, secrètement ou non, voir sa douleur disparaître, même s’il est dans la plus profonde «acceptation».13
La notion d’acceptation («acceptance» en anglais) appliquée à la douleur chronique14 renvoie à une volonté et un effort actifs visant à accepter la présence de la douleur, sans avoir besoin de la réduire ou de l’éviter, attitude qui permet au patient de focaliser ses efforts sur les aspects positifs de la vie quotidienne ou sur les actions qui soutiennent les valeurs du patient. Opposée au «catastrophisme», l’acceptation de la douleur chronique est un processus important pour réduire la souffrance qui résulte de la lutte constante contre la douleur et des autres expériences indésirables. Elle permet, au moyen d’exercices de pleine conscience, de rediriger les efforts comportementaux vers des buts plus satisfaisants. Bien que notre programme n’ait pas été conceptualisé de cette manière, nos patients ont presque tous pu trouver des moyens nouveaux de faire face à leurs symptômes même s’ils ne diminuent pas : huit patients ont mentionné spontanément l’apparition d’une acceptation à un moment ou un autre (accepter, relativiser ou penser autrement la vie).
Malgré une appréhension par rapport à la situation de groupe, l’expérience du groupe thérapeutique a été positive pour les vingt patients revus trois mois après le groupe : 85% ont trouvé au moins une réponse à leurs attentes et 80% ont estimé que le groupe avait changé quelque chose dans leur manière de gérer leur vie, souvent au-delà de la gestion de la douleur ; 68% avaient le sentiment d’avoir trouvé compréhension et soutien, loin de la stigmatisation qu’ils redoutent ou subissent. Toutefois, seize patients ont aussi fait des remarques négatives : le manque d’évolution positive de leurs douleurs, le manque de motivation des autres participants au groupe (ressenti comme une trahison) ; la disparité de l’origine des douleurs. A ce sujet, on peut émettre l’hypothèse que penser que cela aurait facilité l’émergence d’une solution pour diminuer leurs douleurs est une illusion. Les autres critiques visent leur confort personnel (horaire des séances, confort des sièges).
Trois mois après le groupe, seize patients (80%) indiquaient faire autrement (oser dire et faire selon ses limites, oser tous les jours un petit peu, accepter de l’aide) et relativiser ou accepter la douleur ; neuf mois plus tard, 55% des patients mentionnaient toujours des changements. Outre faire autrement, l’apprentissage de la décentration était signalé comme une ressource importante. Un autre changement est apparu à douze mois : penser autrement la vie. On peut donc affirmer que 50% au moins des patients interrogés ont retiré un bénéfice à long terme du groupe thérapeutique, qui allait au-delà de leurs attentes initiales, manifestant un réel processus de changement : leurs actions ont modifié leurs perspectives de vie avec la douleur, pour passer d’un état passif à celui de personnes engagées dans la maîtrise de leurs vies.
Dans l’ensemble, on peut affirmer que la plupart des attentes ont été satisfaites, à part la diminution de la douleur. Cette déception n’est toutefois pas un obstacle au changement. Les patients, même ceux qui avaient peur de la confrontation avec le groupe, se sont sentis moins seuls et ont eu du plaisir à se retrouver régulièrement pour trouver écoute et compréhension de la part des autres patients et des thérapeutes.
Après trois mois, 80% des patients avaient opéré des changements dans leurs comportements quotidiens. Après douze mois, on peut estimer que pour 55% des patients, il y a eu un changement durable par rapport à l’emprise que la douleur avait sur leur vie, soit dans leur manière de penser, soit dans celle de faire face à la douleur, et cela audelà de leurs attentes.
Le bénéfice d’une prise en charge des patients douloureux chroniques au moyen d’une TCC en groupe semble donc aussi validé par notre étude qualitative. Même si tous les patients attendent une diminution de leurs douleurs, ils sont susceptibles de tirer profit et de changer leur approche de la douleur au moyen des outils et du processus qui leur sont proposés pendant le groupe thérapeutique.
Quant aux adaptations permettant de mieux répondre à cette population, il serait peut-être intéressant d’introduire quelques éléments de relaxation comme une alternative aux autres méthodes de décentration. Du point de vue théorique, une initiation aux techniques de pleine conscience, visant à mettre plus explicitement en évidence le concept d’acceptation, pourrait aussi être un apport utile.
> Les patients souffrant de douleurs chroniques ont de nombreuses attentes quant à ce qu’un groupe thérapeutique pourrait leur apporter : en termes d’une diminution des douleurs mais aussi en termes de ce que la relation avec les autres pourrait engendrer (espoir relationnel ou appréhension)
> Opposée au «catastrophisme», l’acceptation de la douleur chronique est un processus important pour réduire la souffrance qui résulte de la lutte constante contre la douleur et d’autres expériences indésirables. Elle permet de rediriger les efforts comportementaux vers des buts plus satisfaisants
> Malgré une appréhension par rapport à la situation de groupe, l’expérience du groupe thérapeutique est fréquemment décrite par les patients comme une incitation à apporter des modifications dans la manière de gérer leur vie, souvent audelà de la gestion de la douleur. Le groupe est également décrit comme un lieu de compréhension et de soutien, loin de la stigmatisation qu’ils redoutent ou subissent
> Le bénéfice à plus long terme du groupe thérapeutique va au-delà des attentes initiales des patients, qui font de fait état du déclenchement d’un réel processus de changement
Twenty-two patients suffering from chronic pain have participated to a behavioural and cognitive group therapy, over 8 weekly sessions, each of 90 minutes. Semi-structured interviews revealed that all of their expectations were satisfied, except for pain decrease. Although they had often negatively anticipated the group situation, all patients evaluated positively the experience : they felt less lonely ; they were listen to and understood by the other participants. After 3 months, 80% of the patients had modified some of their daily behaviours. After 12 months, 55% of the patients witnessed a lasting change over the impact that pain had on their life. Even if patients expect a decrease of their pain, disappointment is not an obstacle to the process of change.