Nous évoquions il y a peu l’histoire hors du commun de cet homme qui avait, à tort, été considéré pendant 23 ans comme étant dans un état végétatif chronique (Revue médicale suisse du 9 décembre 2009). L’histoire donc (avec son immanquable mise en scène médiatique) de Rom Houben, citoyen belge qui fut victime en 1983 d’un accident de la circulation chez qui on porta bientôt le diagnostic d’état végétatif chronique et qui, depuis près de trois ans (grâce à une série d’investigations spécialisées en imagerie cérébrale et une prise en charge adaptée), parvient à communiquer avec son entourage.
«Je criais, mais aucun son ne sortait, avait en décembre dernier expliqué Rom Houben à Der Spiegel. J’ai été le témoin de ma propre souffrance lorsque les médecins et infirmières tentaient de me parler et finissaient par renoncer. Tout le temps je rêvais à une vie meilleure. La frustration est un mot trop faible pour exprimer ce que je ressentais.»
Au-delà de ce seul dossier, une question de fond était soulevée par l’équipe médicale concernée et dirigée par le Dr Steven Laureys (Centre de recherche Cyclotron, Université de Liège, Belgique), spécialiste renommé de neurologie et d’imagerie cérébrale. Cette équipe expliquait avoir développé une méthode originale de neuro-imagerie établissant des cartographies fonctionnelles cérébrales qui permettent de faire la part entre l’état dit «végétatif chronique» et un autre, dit de «conscience minimale» (MCS).
Fin 2009, on annonçait aussi un prochain livre signé de Rom Houben et racontant son calvaire moderne. Bien évidemment certains estimèrent que l’histoire était trop belle. Ainsi le Pr Arthur Caplan, spécialiste de bioéthique à l’Université de Pennsylvanie, faisait publiquement savoir qu’il était hautement septique quant à la valeur à accorder aux résultats d’une telle «communication facilitée», les mots et les phrases résultant plus selon lui du choix de l’assistant que du patient lui-même.
On aimerait savoir ce que va dire (ou ne pas dire) le Pr Caplan au vu de la dernière publication, sur le site du New England Journal of Medicine, du Pr Laureys et de son équipe.1 Grâce à l’IRM fonctionnelle, il apporte en substance la démonstration qu’une petite proportion de patients plongés dans des états comateux considérés comme profonds présentent des capacités d’activation cérébrale reflétant la rémanence d’une conscience et d’une cognition. Réunissant des spécialistes britanniques (Wolfson Brain Imaging Centre, University of Cambridge ; Division of Academic Neurosurgery Adden-brooke’s Hospital, Cambridge) et belges (Université et Centre hospitalier universitaire de Liège), cette équipe rappelle toutes les difficultés rencontrées dans le diagnostic différentiel des troubles de la conscience où les taux d’erreurs peuvent être estimés à environ 40%. Elle souligne aussi la nécessité qu’il y a à user de nouvelles méthodes complémentaires.
Les deux centres de référence de Cambridge et de Liège ont donc, dans cette optique, réalisé entre novembre 2005 et janvier 2009 une étude sans précédent. Elle a porté sur 54 personnes considérées comme étant en état végétatif (23) ou en état de conscience minimale (31), toujours après traumatisme cérébral majeur. La méthode a également été testée chez seize volontaires sains, ne présentant pas d’antécédents de troubles neurologiques. Les examens d’imagerie cérébrale par IRM fonctionnelle (IRMf) cherchaient ici à évaluer pour chaque patient la capacité à générer une réponse intentionnelle caractérisée de manière spécifique d’un point de vue neuro-anatomique via un afflux d’oxygène dans la zone sollicitée par la réponse, au cours de deux tâches d’imagerie mentale, motrice et spatiale ; par exemple et respectivement : «imaginez-vous sur un court de tennis en train de servir»; «imaginez-vous marchant et passant d’une pièce à une autre dans votre appartement» (tâche d’imagerie spatiale). A cela on a ajouté des tâches de communication (avoir ou pas un frère ou une sœur) faisant évoquer une image motrice en cas de réponse positive, image spatiale en cas de réponse négative.
Parmi les 54 patients de leur étude, les chercheurs en ont identifié cinq capables, selon les critères retenus, de moduler leur activité cérébrale en générant à la demande des réponses volontaires, fiables, dépendantes de l’oxygénation dans des régions neuro-anatomiquement définies. Sur ces cinq patients, quatre avaient été initialement admis à l’hôpital avec un diagnostic d’état végétatif. Ainsi donc, «dans une minorité de cas», des patients répondant aux critères diagnostiques d’état végétatif conservent une fonction cognitive et disposent bel et bien d’une conscience que l’on peut (mais a-t-on raison ?) qualifier de «résiduelle».
Parmi les 49 autres patients, il n’y a pas eu de modification significative de l’IRMf au cours des tests d’«imagerie stimulée» sans que les auteurs puissent trancher sur le fait de savoir si ce résultat négatif est dû à une faible sensibilité de la méthode ou si c’est le reflet d’une réduction massive des aptitudes cognitives.
Cette recherche avait un autre but : déterminer si une telle approche peut être utilisée pour établir une communication chez une personne considérée comme étant dans un état de conscience profondément altéré. L’un des malades en état végétatif, qui avait répondu de manière fiable et constante à l’examen par IRMf (et à qui des tests supplémentaires, composés de six questions autobiographiques, ont été proposés), a répondu correctement cinq fois sur six. Une telle approche pourra-t-elle bientôt être utilisée pour améliorer la vie des grands comateux ne serait-ce qu’en leur demandant s’ils éprouvent ou non de la douleur ? On aimerait le penser. Et à ce moment précis, on imagine déjà que d’autres pourraient songer à user de cette approche au service d’un nouveau droit, résolument moderne : le suicide médicalement assisté après consultation par IRMf.