A propos de l’éditorial du 10 février 2010 : Bounameaux H, de Moerloose P, Mazzolai L. Stenting carotidien : place à l’evidence-based medicine. Rev Med Suisse 2010;6:275-6.
Nous avons lu avec intérêt l’éditorial de Bounameaux et coll. récemment paru dans votre journal, concernant le stenting carotidien.1 Une phrase de l’éditorial était mise en évidence : «le coup est dur pour le stent qui fait deux fois moins bien que la chirurgie». En effet, une méta-analyse des études randomisées que nous avons récemment publiée démontre que le stenting carotidien est inférieur à la chirurgie pour ce qui concerne le taux de mortalité ou d’attaque vasculaire cérébrale à 30 jours.2 Bien que les études randomisées soient, à juste titre, considérées comme le gold standard de l’investigation clinique, leur conception peut malgré tout influencer les résultats.
Des cinq études qui ont randomisé plus de 300 patients au stenting carotidien ou à la chirurgie (CAVATAS, SAPPHIRE, SPACE, EVA-3S, and ICSS), à l’exception de SAPPHIRE, toutes permettaient à des opérateurs ayant fait au moins dix procédures de stenting carotidiens dans leur vie, de traiter des patients avec pathologie vasculaire sévère. De plus, ces études toléraient l’inclusion de patients par des centres dont les interventions ont été supervisées par un tuteur, si les investigateurs n’atteignaient pas les critères minimaux d’expérience endovasculaire. A noter que ces critères ne répondent pas à l’expérience minimale recommandée selon les consensus sur le stenting carotidien.3,4 Il est inquiétant de lire que le protocole de la dernière grande étude randomisée (ICSS), qui
va bientôt être publiée dans The Lancet, décrit le concept de «probationary centers» et affirme que «the trial protocole recognises that many centers may lack the necessary experience of carotid stenting».5 Est-ce éthique ? Il nous semble évident que dans ce contexte, le but principal de l’investigation clinique a été négligé. En effet, pour comparer de façon équitable le stenting carotidien au gold standard (la chirurgie), il aurait fallu recruter uniquement des centres avec une grande expérience (endovasculaire et chirurgicale).
Bounameaux et coll. suggèrent que l’expérien c e des opérateurs n’était pas responsable des résultats décevants du traitement endovasculaire car «…aucune corrélation n’a pu être démontrée entre le résultat clinique et le degré d’expérien c e du médecin interventionnel». Les auteurs font probablement référence à l’analyse de l’étude SPACE qui n’a pas démontré de différences significatives entre les centres qui ont traité, dans le cadre de l’étude, plus de 25 patients, entre 20 et 24 patients ou moins de dix patients.6
Cette analyse est limitative car le nombre de patients inclus dans l’étude n’est pas révélateur du niveau d’expérience des opérateurs ou des centres, données sur lesquelles on n’a aucune information. L’autre argument fréquemment utilisé pour affirmer qu’il n’y aurait pas de relation entre l’expérience des opérateurs et les résultats du stenting carotidien est une analyse de l’étude EVA-3S qui n’a pas documenté une différence du taux de complications selon le degré d’expérience totale des opérateurs : plus de 50 procédures de stenting carotidien, moins de 50 procédures, ou opérateurs en phase d’entraînement (!).7 Dans le manuscrit, il n’était pas mentionné que 84% des patients – cela est effrayant – ayant bénéficié d’un stenting carotidien dans l’étude EVA-3S avaient été traités par des opérateurs dont l’expérience totale avant le début de l’étude était en dessous de 50 cas ; une quarantaine de patients seulement ont été traités par des investigateurs expérimentés (50 procédures représentent probablement une expérience adéquate pour la pose de stent carotidien dans la pratique clinique mais sûrement pas optimale pour traiter des patients dans une étude randomisée).
Avec d’autres collègues cardiologues, radiologues, chirurgiens, neurologues et angiologues, nous avons récemment pris position pour démon trer les faiblesses de l’evidence-based medicine dans le cadre de la revascularisation carotidienne, dont celles susmentionnées.8 Tant que nous n’aurons pas des données randomisées issues d’opérateurs expérimentés, le choix du traitement (chirurgie ou stent) devrait se baser sur les risques (chirurgicaux et endovasculaires) du patient ainsi que sur l’expertise locale dans les deux domaines.