Un an déjà. Le 24 avril 2009, l’OMS lançait une alerte sans précédent après l’observation de plusieurs centaines de cas d’infection respiratoire aiguë ainsi que de décès au Mexique et en Californie. Le monde allait rapidement apprendre à connaître le A(H1N1) pdm et tenter de faire avec. On se souvient, sinon de tout, du moins de l’essentiel. Douze mois de progression planétaire du virus, de lancements d’alertes sanitaires, de messages plus ou moins contradictoires. Douze mois de surveillance épidémiologique intensive, de constitution de stocks vaccinaux nationaux, de messages préventifs pluriquotidiens. Douze mois ponctués de controverses parfois violentes (tout particulièrement en France) quant à l’application du principe de précaution et à la surenchère préventive face à un nouveau virus grippal ; un nouveau virus très contagieux certes, mais dont on découvrit progressivement que la virulence n’était pas aussi élevée qu’on avait pu, au début, le redouter.
Et maintenant ? Ce n’est bien évidemment pas parce que les médias d’information générale ne parlent plus de lui que le A(H1N1) pdm a disparu de la planète ; et ce d’autant qu’il semble avoir pris le pas sur les autres souches grippales saisonnières. On évoque dès maintenant sa vraisemblable réémergence dans l’hémisphère sud avec, déjà, les angoisses concernant la Coupe du monde de football. Le moment est venu aussi de la quête institutionnelle des boucs émissaires. Et pour quelques (rares) experts, le moment est aussi venu de réaliser une analyse a posteriori, aussi objective que possible, de la pertinence des décisions prises. C’est notamment le cas, en France, du Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Institut thématique multi-organismes microbiologie et maladies infectieuses (IMMI) au sein de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé. Le Pr Delfraissy était chargé par les ministères français de la Recherche et de la Santé de coordonner les recherches sur ce virus émergent. Dans un entretien qu’il vient d’accorder au Quotidien du Médecin, il admet, non sans un certain courage, s’être à plusieurs reprises trompé dans la gestion de ce dossier hautement délicat.
En France, le gouvernement avait décidé de confier à l’IMMI la coordination de la recherche sur le virus A(H1N1) pdm. Pour le Pr Delfraissy, la communauté scientifique a alors répondu très rapidement. Dès le mois de mai des priorités ont été définies et très vite une trentaine de projets de recherche, en France et à l’étranger, ont été mis en place ; recherches portant notamment sur des essais vaccinaux et sur le suivi de cohortes de patients, femmes enceintes, personnes greffées ou infectées par le VIH. «Des travaux plus fondamentaux de virologie cherchent à comprendre s’il existe des relations entre certaines mutations virales et les formes graves tandis que différentes recombinaisons sont étudiées au laboratoire P4 de Lyon pour tenter d’anticiper un tel événement, rappelle-t-il. Enfin, des études en sciences humaines et sociales ont également été lancées sur la perception du risque par les populations et sur le rôle des médecins généralistes.» La majorité des études ont pu démarrer dès le début du mois de septembre.
Jusqu’au mois de novembre, ces projets ont été construits avant d’être «déconstruits» à partir de janvier, dont «FluCo», cohorte nationale en population générale qui devait comporter 1000 ménages tirés au sort suivis pendant deux ans : la pandémie était nettement moins forte qu’on ne l’avait initialement imaginé. «J’étais à la fois initiateur de la recherche et expert. Je reconnais que je me suis trompé, souligne le Pr Delfraissy. Pas sur le fait que cette pandémie était peu sévère : nous avons toujours affirmé qu’il s’agissait d’une grippe d’intensité modérée mais avec des formes graves chez des sujets plus jeunes. Sur le retentissement sociétal en novembre-décembre : je pensais qu’il serait beaucoup plus important, à l’image de ce qui avait été observé à Mexico ou à Buenos Aires, avec de nombreux arrêts de travail, des fermetures d’écoles, etc. Cela n’a pas été le cas.»
Pas d’erreur pour ce qui fut des formes graves : 1334 cas recensés en France (personnes hospitalisées en réanimation avec une atteinte respiratoire sévère) dont environ 400 chez des personnes jeunes sans aucun antécédent. Une étude est en cours afin de chercher des marqueurs génétiques qui pourraient expliquer la susceptibilité à l’infection. Autre interrogation encore sans réponse : en France, le nombre de formes graves semble moins important que celui observé dans d’autres pays, comme les Etats-Unis ou la Nouvelle-Zélande. Dans la plupart des pays, la grossesse apparaît clairement avoir été un facteur de gravité.
«Nous avons eu très peu de formes graves chez les femmes enceintes, observe encore le directeur de l’IMMI. Peut-être faut-il prendre cela comme un succès des mesures prises et des nombreux messages de sensibilisation qui ont mis l’accent sur les risques pour ces dernières. Elles ont été traitées par le Tamiflu à la moindre suspicion de grippe A(H1N1) pdm. Peut-être cette attitude très agressive en matière de prise en charge a-t-elle contribué à la réduction du nombre de formes graves chez les femmes enceintes.» Le saura-t-on un jour ?
Autre chapitre ayant largement alimenté les controverses : la vaccination. Confidence du Pr Delfraissy : «nous avons recommandé la vaccination mais nous pensions que les vaccins seraient peu efficaces, qu’il faudrait deux injections et probablement un adjuvant. En fait, le vaccin s’est révélé très efficace sur le plan immunogénique : une seule injection suffisait dans la majorité des cas et il n’y a pas eu besoin d’adjuvant. Je comprends que le public ait été désorienté par ces messages contradictoires. Mais nous ne pouvions pas le savoir avant d’avoir les résultats. Nous étions partis sur une analogie entre le vaccin H1N1 et le vaccin H5N1, qui, lui, était peu immunogène.»
En a-t-on définitivement «trop fait» ? «Je répondrais pour la recherche en France, répond le Pr Delfraissy. Hors salaire, elle a coûté 10 millions d’euros contre 20 millions en Allemagne, 14 millions en Grande-Bretagne et 1200 millions de dollars aux Etats-Unis. Si on estime que le coût de la prise en charge et des vaccins est d’environ 700 millions d’euros, c’est tout à fait raisonnable, d’autant plus que les résultats peuvent avoir des conséquences, au-delà de la grippe A(H1N1) pdm, pour les grippes et les maladies infectieuses en général.»