Une mauvaise nouvelle est considérée comme une «information qui affecte inéluctablement et sérieusement la vision du futur d’une personne».1 Entre 1990 et 2010, 284 articles répertoriés dans Pubmed et 96 dans Psychinfo traitent de l’annonce de mauvaises nouvelles (breaking bad news). Ils permettent d’appréhender les enjeux émotionnels, éthiques et juridiques et d’apprendre les stratégies essentielles pour que cet instant se déroule dans les conditions les plus favorables possibles. Ces annonces font partie du quotidien de bon nombre de médecins, qu’ils soient ou non formés à cela. Elles constituent également une part importante de la réalité professionnelle des infirmières,a non seulement du fait qu’elles assurent fréquemment les entretiens de reprise nécessaires à l’accompagnement de la personne qui a reçu une mauvaise nouvelle,2 mais aussi parce qu’elles annoncent et accompagnent généralement les pertes du quotidien en lien avec l’évolution d’une maladie. La formation à l’annonce de mauvaises nouvelles est donc essentielle pour ces deux groupes disciplinaires et devrait idéalement être organisée de manière interprofessionnelle afin de favoriser le partage de réalités complémentaires et apprendre à réaliser ces annonces en binôme médico-infirmier (en milieu hospitalier par exemple).b
En tant qu’infirmière et médecin d’une équipe mobile de soins palliatifs, nous sommes régulièrement confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles. La progression de la maladie, l’impossibilité de poursuivre des traitements curatifs, un retour impossible à la maison ou encore une fin de vie imminente sont fréquemment l’objet d’annonce, ou réannonce, lors d’entretiens avec les patients et/ou leurs proches. En tant que consultants, nous nous engageons également dans le soutien d’équipes de première ligne se sentant parfois démunies face à cette pratique et le cortège d’émotions ou l’embarras qu’elle suscite.
Cette pratique quotidienne, associée à des formations et à une attention toute particulière portée à la communication, nous a conduits à devenir formateurs dans le domaine. Nous avons reçu, dans le cadre d’une formation interdisciplinaire en soins palliatifs,c le mandat de monter un dispositif de cours sur la thématique. Hormis l’incontournable révision de certaines bases de la communication, de la relation et des mécanismes de défense3–8 proposée, nous nous inspirons des travaux du Dr R. Buckman, auteur du célèbre moyen mnémotechnique «SPIKES»9,d auquel nous recourons dans notre pratique. Cependant, une adaptation française de l’acronyme nous a paru profitable sur le plan pédagogique afin d’en faciliter la mémorisation et l’intégration. C’est donc sur la base de l’acronyme «EPICES» que nous proposons de détailler ici les six éléments clés de l’annonce de mauvaises nouvelles.
En plus de transmettre une information accessible et compréhensible au patient, l’entretien d’annonce de mauvaises nouvelles doit permettre d’évaluer le niveau de connaissances et les attentes de ce dernier. Ce moment doit également lui offrir un soutien en mobilisant les compétences relationnelles et l’empathie des soignantse afin de permettre l’expression des émotions. Il doit enfin ouvrir une porte sur les stratégies de traitement et/ou d’accompagnement possibles. L’entretien d’annonce de mauvaises nouvelles est donc un processus pas à pas qui s’adapte au rythme et aux besoins du patient.
Cette étape inclut tant la préparation de l’environnement extérieur que l’attention aux dispositions intérieures des soignants. Autrement dit, il est nécessaire de prendre un temps pour relire le dossier du patient, pour visualiser comment l’entretien se déroulera, qui le débutera, comment les différents temps seront répartis entre les soignants et d’anticiper les réactions émotionnelles possibles. Il faut prévoir un endroit qui favorise une certaine intimité (salle à part, rideaux tirés autour du lit, s’asseoir…) et un endroit suffisamment protégé des nuisances récurrentes (arrêter TV et radio, déposer les bips, ne pas répondre au téléphone). Concernant l’environnement du patient, il est de la responsabilité des soignants d’évaluer si celui-ci souhaite qu’un de ses proches soit présent à l’entretien et, si tel est le cas, de s’engager à ce que les informations ne soient pas transmises sans cette personne significative.
C’est l’étape essentielle qui permet d’explorer ce que le patient a intégré de sa situation. Des questions ouvertes de type : Pouvez-vous nous dire ce que vous avez compris jusqu’à présent de votre situation ? Quelles informations avez-vous déjà reçues ? Savez-vous pour quelle raison cet examen a été réalisé ? permettent de rejoindre le patient là où il se trouve pour faire la suite du chemin avec lui et éviter ainsi les malentendus et les incompréhensions. En fonction de la connaissance du patient qu’ont les soignants, cette étape peut mettre en évidence les mécanismes de défense qu’il mobilise afin d’en tenir compte pour la suite de la prise en charge. Ce moment permet aussi d’identifier les craintes et les attentes du patient.
Si la plupart des patients disent vouloir tout connaître de leurs diagnostic et pronostic, cela ne vaut pas pour tous. Une information partielle ou fractionnée sera parfois plus indiquée. Ce besoin peut d’ailleurs varier pour un même patient au fil de la maladie, il est donc important de reconsidérer cela à chaque nouvelle annonce. Cette étape permet aux soignants d’évaluer les capacités du patient à entendre ce qui doit lui être dit et de respecter son rythme. Offrir au patient cette possibilité de nommer ses limites permet de le renforcer dans la mise en place de stratégie de coping. Lorsque le patient ne souhaite pas connaître une partie (ou l’entier) de l’information, il est important d’explorer avec lui quelles en sont les raisons afin d’assurer un accompagnement adapté lors des prochaines rencontres et de conserver une porte ouverte pour des questions posées ultérieurement. A ce moment, il peut être utile de demander, par exemple : Qu’aimeriez-vous savoir à propos de ce qui vous arrive ? Quel niveau d’information souhaitez-vous ? Avez-vous plutôt besoin de beaucoup de détails sur votre situation, ou alors une image plutôt globale ?
C’est l’étape de l’annonce en soi, où l’on partage avec le patient les informations qu’il souhaite recevoir sur sa situation. Il est important de prévenir le patient que la nouvelle n’est pas celle qu’on espérait lui donner (Nous aurions voulu vous annoncer de bonnes nouvelles, mais malheureusement la situation est plus compliquée) et de laisser ensuite un temps de silence pour évaluer sa réaction. L’information doit ensuite être donnée graduellement en évaluant constamment les réactions du patient et de son entourage, en s’ajustant à leur niveau de compréhension. Une question de type : Est-ce que vous me suivez ? permet de s’assurer de sa compréhension. Un langage accessible doit être utilisé en évitant le jargon médical, mais en nommant la maladie par son nom (cancer et non grosseur, par exemple). Il est important de faire preuve d’honnêteté, même si le diagnostic est sombre, et d’éviter les formulations de type : il n’y a plus rien à faire. Il peut être parfois nécessaire de répéter certains points et, dans tous les cas, de laisser place aux questions potentielles. Ces nouvelles mettent généralement les personnes en état de choc, altérant leur capacité à mémoriser l’information. Il est probable qu’il faille revenir sur certains aspects lors d’un deuxième entretien. Les silences «invitants» ou «compassionnels »10 ont leur importance tout au long de l’échange afin que le patient puisse exprimer ses émotions et intégrer au mieux l’information.
L’accueil des réactions émotionnelles (stupéfaction, pleurs, cris, colère…) est l’un des défis les plus difficiles lors de l’annonce de mauvaises nouvelles. L’empathie est alors une attitude relationnelle essentielle qui permet de reconnaître l’autre dans sa souffrance en identifiant son émotion, la cause de celle-ci, et de lui offrir une validation sociale de son vécu.11 Une phrase de type : Vous semblez totalement abattu par cette nouvelle et c’est tout à fait compréhensible permet cette identification et cette validation. La fausse réassurance (Vous avez de multiples métastases cérébrales, mais rassurez-vous, on peut irradier et tout ira bien) doit absolument être évitée. C’est un moment d’émotions souvent intenses à partager sans autre intention que celle d’être là pour l’autre.
Avant d’entrer dans cette dernière étape, il est nécessaire d’évaluer avec le patient s’il est prêt pour une telle discussion, sachant qu’un plan pour la suite, aussi clair que possible, permettra de diminuer son anxiété. S’il peut aller plus loin dans l’entretien, il faut alors identifier ses ressources tant au niveau de ses stratégies de coping (comment a-t-il fait face à d’autres situations difficiles dans le passé ?) qu’au niveau du soutien extérieur dont il peut bénéficier (famille, amis, communauté religieuse, assistante sociale…). Les stratégies de traitement, qu’elles soient curatives ou palliatives, et d’accompagnement doivent être abordées pour que le patient ne se sente pas abandonné. L‘ultime phase, comme pour tout autre entretien d’ailleurs, consiste en une synthèse du contenu et du vécu du temps passé ensemble. Elle se conclut par un prochain rendezvous fixé pour pouvoir reprendre les éléments incompris et répondre aux questions qui émergent fréquemment à distance de l’annonce.
L’annonce de mauvaises nouvelles est une pratique susceptible d’ébranler plus ou moins fortement des valeurs inhérentes à la relation soignant-soigné comme l’honnêteté, la confiance ou le courage. Elle induit un rapport asymétrique et projette parfois les différents interlocuteurs dans une posture inconfortable. Apprendre à développer une meilleure habileté dans cette pratique peut rendre les soignants plus à l’aise et peut-être moins exposés au risque de burn out.12 Le développement de compétences dans «l’art d’annoncer les mauvaises nouvelles» permet également d’encourager les patients à prendre part plus activement à la prise de décision et aux choix de traitements, le professionnel acceptant d’adopter une posture relationnelle attentive et plus égalitaire. Enfin, favoriser la pratique de l’annonce en binôme médico-infirmier permet de développer le travail en réseau interdisciplinaire, pierre angulaire d’une prise en charge constructive et cohérente. L’étape de l’annonce de mauvaises nouvelles ne constitue certainement pas l’épilogue de la relation thérapeutique que l’on se représente parfois ! Il s’agit, bien au contraire, du début d’une succession d’événements (rechutes, progressions, pertes, complications, fin de vie) qui vont générer des réactions émotionnelles denses au fil de la maladie. Une annonce de mauvaises nouvelles réalisée dans les meilleures conditions permettra ainsi de poser les premières pierres d’un accompagnement thérapeutique et humain.
A Nicolas Jayet pour sa fidélité et son efficacité de relecteur et correcteur.
> Les médecins et les infirmières se trouvent fréquemment confrontés à l’annonce de mauvaises nouvelles, une pratique interdisciplinaire doit être favorisée
> La formation est un élément essentiel pour que l’annonce de mauvaises nouvelles se passe dans les meilleures conditions possibles
> «EPICES» est un moyen mnémotechnique pour guider cette pratique délicate