Les anti-TNFα sont des traitements immunomodulateurs dont l’indication est retenue dans la prise en charge de certaines maladies rhumatologiques inflammatoires (par exemple : spondylarthropathie, polyarthrite rhumatoïde). Les études randomisées ont montré une augmentation du risque infectieux chez les patients suivant ce traitement. Néanmoins, les registres de surveillance objectivent des données plus rassurantes. Après une revue non exhaustive des principaux résultats concernant les risques infectieux liés aux anti-TNFα, nous proposerons des conseils pratiques d’utilisation.
Le TNFα joue un rôle central dans la cascade pathophysiologique inflammatoire, en stimulant la production de cytokines et la maturation des cellules inflammatoires, dont il favorise également l’influx au site inflammatoire en promulguant l’expression de molécules d’adhésion.1
Les inhibiteurs du TNFα sont d’une efficacité remarquable dans certaines maladies inflammatoires (par exemple : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie) dont ils ont radicalement modifié la prise en charge et le pronostic. Cinq anti-TNFα sont disponibles en Suisse : infliximab (IFX/Remicade), adalimumab (ADA/Humira), certolizumab pegol (Cimzia), golimumab (Simponi) et étanercept (ETN/Enbrel).2
Les études randomisées ont montré une augmentation du risque infectieux chez les patients sous anti-TNFα. Les registres de surveillance dédiés au suivi quotidien des patients sous anti-TNFα semblent plus rassurants. Ces molécules transformant la vie et l’avenir des patients souffrant d’une maladie inflammatoire chronique, nous devons considérer ces problèmes infectieux dans notre décision et suivi thérapeutique. Après une revue non exhaustive des principales données concernant les risques infectieux liés aux anti-TNFα, nous proposerons des conseils pratiques d’utilisation.
Toute étude pivot de mise sur le marché d’un médicament comporte des données sur son efficacité et sa sécurité. Comparativement au placebo, chacune a montré un risque infectieux augmenté pour les anti-TNFα. Les patients bénéficiant de ce traitement ont néanmoins, en soi, un risque infectieux augmenté et ce, même en l’absence d’un traitement immunomodulateur.1 Par exemple, dans une étude rétrospective longitudinale, le risque infectieux global lié à la polyarthrite rhumatoïde s’est avéré augmenté de 1,45 fois (IC 95%, 1,29-1,64)1 par rapport à un groupe contrôle sans polyarthrite rhumatoïde, matché pour l’âge et le sexe. Ce risque infectieux est mis sur le compte de traitements multiples et de l’activation chronique du système immunitaire. Il est donc important d’interpréter les données suivantes en gardant à l’esprit les caractéristiques particulières de cette population.
L’évaluation du risque infectieux est la préoccupation principale des registres de surveillance. Le groupe multidisciplinaire français (RATIO) a répertorié 167 cas d’infections opportunistes apparues chez les patients sous anti-TNFα sur une période de trois ans (2004-2007). 71% de ces infections sont d’origine bactérienne (69 tuberculoses, 5 listérioses, 5 nocardioses, 4 à mycobactéries atypiques, 2 septicémies à salmonelles), 21% virales (27 VZV (Varicella-zoster virus), 6 herpès simplex, 2 CMV (Cyto-mégalo virus)), 7% fongiques et 1% parasitaire. Ainsi, les germes à multiplication intracellulaire représentent une proportion exagérée des infections.3 Le registre CORRONA (Consortium of rheumatology researchers of North America) a analysé le risque infectieux de 5596 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, dont 3012 sous anti-TNFα (48% IFX, 40% ETN, 12% ADA). Après un ajustement tenant compte de l’âge, du sexe, de la durée et de l’activité de la polyarthrite, des comorbidités, du traitement antérieur de DMARD (Disease-modifying anti-rheumatic drugs) et de prednisone, il décrit un taux d’infections légèrement plus élevé chez les patients sous anti-TNFα (RR : 1,16, IC 95%, 1,06, 1,28, p = 0,002).
Les infections pulmonaires et cutanées, particulièrement herpétiques, sont plus fréquentes chez les patients sous anti-TNFα, alors que le nombre d’infections digestives ou articulaires ne semble pas plus élevé.4
L’association entre infections sévères et anti-TNFα n’est pas clairement établie car les données de la littérature divergent. Les auteurs tombent d’accord en considérant qu’une infection est dite sévère si elle conduit à une hospitalisation, une antibiothérapie intraveineuse ou si elle se complique d’un décès. Le biais persistant est d’hospitaliser plus rapidement un patient présentant une infection parce qu’il est sous anti-TNFα.
Pour le registre britannique (BSRBR : British society for rheumatology biologics register),5 les patients sous anti-TNFα auraient un taux d’infections sévères plus élevé, principalement pulmonaires, surtout les six premiers mois du traitement. Sur un suivi de sept ans, il a répertorié le nombre d’infections sévères chez 15 396 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde dont 11 798 étaient sous anti-TNFα (IFX, ETN, ADA) et 3598 sous DMARD. Les deux cohortes avaient un indice d’activité inflammatoire de polyarthrite rhumatoïde élevé (DAS28 > 4,2). 36% des patients sous DMARD et 23% des patients sous anti-TNFα avaient plus de 65 ans. Au total, 1808 patients ont développé au moins un épisode d’infection sévère. L’incidence chez les patients sous anti-TNFα était de 42/1000 patients-année (IC 95%, 40-44) et sous DMARD de 32/1000 patients-année (IC 95%, 28-36). Le hazard-ratio ajusté pour les infections sévères était 20% plus élevé dans la cohorte sous anti-TNFα (adjHR : 1,2 (IC 95%, 1,1-1,5)). Le risque ne semblait pas différer significativement entre les trois anti-TNFα. Par contre, le risque était plus élevé les six premiers mois de traitement (adjHR 1,8 (IC 95%, 1,3-2,6)). Il n’y avait pas de différence concernant la durée des séjours hospitaliers entre les deux cohortes ni concernant la mortalité au cours des 30 premiers jours d’hospitalisation (anti-TNFα 7% ; DMARD 16% ; p < 0,001 ; odds ratio ajusté 0,5, IC 95%, 0,3-0,8).5 Le risque d’hospitalisation augmentait en cas de comorbidité ou de corticothérapie, celle-ci étant d’ailleurs considérée comme un facteur de risque majeur conduisant à une complication infectieuse sévère pour les registres Tenncare (Etat du Tennessee)6 et CORRONA.7 Dans le registre Tenncare, seule la corticothérapie influence le risque infectieux et non le fait d’être sous anti-TNFα ou DMARD. Le registre CORRONA montre un risque infectieux plus grand chez les patients sous corticoïdes, avec un risque de 1,52 (1,3-1,78) dans le groupe anti-TNFα vs 1,3 (1,12-1,5) dans le groupe DMARD.
Historiquement, la réactivation tuberculeuse avec manifestation extrapulmonaire a été une des premières complications infectieuses sévères préoccupantes. Comparativement à la population générale et à une population de polyarthritiques sans anti-TNFα, l’incidence de la tuberculose est augmentée chez les patients sous anti-TNFα.8 Cette incidence semble plus élevée chez les patients traités par IFX et ADA comparativement à l’ETN (registres RATIO et BSRBR). Ce risque diminue grâce à l’introduction du screening et la prophylaxie des patients ayant une tuberculose latente avant de débuter l’anti-TNFα.
Les études cliniques analysant l’impact des anti-TNFα sur les autres infections granulomateuses sont difficiles à élaborer. En effet, le problème persistant à ce jour est l’absence de test valable pour détecter des infections granulomateuses latentes autres que la tuberculose.9
Chez des patients sous anti-TNFα (registre RATIO), le risque de développer une pneumonie à Legionella pneumophila serait plus élevé. Ce risque relatif reste difficilement chiffrable.10 En cas de pneumonie, il est recommandé de rechercher une légionellose et d’initier rapidement une antibiothérapie ciblant aussi ce germe.10
L’administration d’un anti-TNFα chez des patients atteints d’hépatite C chronique n’est pas contre-indiquée.9,11 Sa prescription doit toutefois faire l’objet d’un avis spécialisé, qui indiquera le suivi des transaminases et de l’ARN et du HCV ainsi que la nécessité d’instaurer un traitement antiviral.
Quant à l’hépatite B, des cas de réactivation sont décrits sous anti-TNFα. Selon des données concordantes récentes, la prise concomitante d’une thérapie antivirale ciblée peut prévenir cette réactivation. Dans un récent travail prospectif,12 131 patients ont été suivis pour évaluer l’impact de l’anti-TNFα sur le virus ou la vaccination antivirale B ; dix-neuf patients étaient vaccinés, dix-neuf considérés comme guéris d’une ancienne hépatite B et quatorze porteurs de l’infection virale B chronique avec présence d’antigène HbS. Le suivi a été de 2 ± 1,4 an. 38% des patients étaient sous ETN, 37% sous ADA et 25% sous IFX. Une diminution du titre d’anticorps (Ac) a été globalement observée chez les dix-neuf patients vaccinés. Seul un patient avait ses Ac sous la valeur-seuil considérée comme protectrice. Chez les dix-neuf patients considérés comme guéris, il n’y a eu aucune cytolyse hépatique, ni détection virale. Huit des quatorze patients avec hépatite B chronique avaient une maladie inactive. Un traitement antiviral spécifique a été initié pour chaque patient. Dans un seul cas, les auteurs ont noté une réactivation virale due à l’émergence d’une souche résistant à la lamivudine.
Pendant la période de traitement par anti-TNFα, un monitoring de la virémie (par PCR) et des transaminases, conjointement à une prise en charge spécialisée, est maintenant recommandé.
Vingt-trois à vingt-cinq pour cent des patients sous anti-TNFα développent une complication dermatologique13 dont les plus fréquentes sont les réactions au site d’injection, les rashs allergiques et les infections.
Les manifestations de réactions au site d’injection sont le prurit, l’œdème ou l’érythème. La plupart de ces réactions sont minimes, apparaissent le plus souvent dans les premiers mois de traitement et durent trois à cinq jours. Peu de patients arrêtent leur traitement pour ce genre de motif (0,3-0,7%). On retrouve aussi des manifestations allergiques dues au dérivé de latex contenu, par exemple, dans les seringues préremplies d’ETN ou ADA.13 L’incidence d’infections cutanées sous anti-TNFα n’est pas connue précisément. Pour les registres allemand et anglais (avec ADA, ETN, IFX), la peau est le deuxième site le plus souvent infecté. Le registre anglais a montré une augmentation d’infections cutanées et des tissus mous sous anti-TNFα.
Les infections à herpès zoster, varicelle et herpès simplex sont retrouvées chez 0,8-5% des patients sous anti-TNFα alors que les cellulites, érysipèles, abcès et pharyngites apparaissent chez 0,1-7%. La concentration de l’anti-TNFα, les thérapies immunosuppressives concomitantes et les comorbidités (par exemple : diabète mal contrôlé) contribuent à cette augmentation.13
Le risque de développer une infection cutanée persiste durant le traitement et semble plus élevé les six premiers mois du traitement anti-TNFα (registre BSRBR). La mise en suspend du traitement doit être considérée tant que l’infection est présente.
Avant une intervention chirurgicale, l’arrêt de tous les traitements de fond du patient n’est aujourd’hui plus conseillé. Suite à certaines études rétrospectives,14 l’anti-TNFα devrait être suspendu en peropératoire, idéalement au moins quatre semaines avant le geste chirurgical. Sa réintroduction est possible dès cicatrisation des plaies (au plus tôt deux semaines après l’intervention), en l’absence de signes de surinfection.15
Les différentes études émettent des résultats peu uniformes pour le risque infectieux lié à l’administration d’anti-TNFα. Pour le diminuer, des mesures simples de prévention sont proposées par le biais de dépistage (par exemple : hépatite B/C, VIH) et de vaccination (par exemple : grippe saisonnière, pneumocoque). L’administration de vaccins vivants ou vivants-atténués est contre-indiquée pendant la durée du traitement. Si les patients ne sont pas immunisés efficacement, ces vaccins doivent être proposés avant d’initier l’anti-TNFα.
Concernant la tuberculose, une radiographie du thorax (face/profil) et un TB-spot versus Mantoux sont recommandés avant de débuter tout traitement avec un anti-TNFα. En cas de tuberculose latente, un traitement d’isoniazide, associé à la vitamine B6, doit être prescrit neuf mois. L’anti-TNFα pourra alors être administré conjointement un mois après le début de cette antibiothérapie (recommandations de la Société suisse de rhumatologie).
Il est recommandé d’être attentif à toute manifestation clinique suspecte et de considérer la mise en suspend momentanée du traitement anti-TNFα jusqu’à résolution complète de l’événement infectieux.
Les patients font partie intégrante de cette gestion. Le prescripteur doit leur apprendre à déceler tout symptôme de surinfection et leur rappeler l’importance de lui transmettre leurs constatations.
CAVE : Dans un contexte infectieux, l’interprétation de la CRP est toujours possible sous traitement anti-TNFα. Par contre, le tocilizumab atténue, voire supprime la fièvre et l’augmentation de la CRP rendant non fiable leur interprétation.
> Le risque infectieux sous anti-TNFα semble moins élevé «dans la vraie vie» que dans les études randomisées contrôlées
> Les infections pulmonaires cutanées et sévères surviennent plus fréquemment dans les six premiers mois de traitement par anti-TNFα
> Le dépistage de la tuberculose latente et des hépatites virales doit être systématique avant l’initiation d’un traitement par anti-TNFα
> La collaboration médecin/patient est primordiale afin de détecter et de traiter rapidement une infection survenant sous anti-TNFα
Anti-TNFα are immunomodulatory treatments prescribed for some rheumatologic inflammatory diseases (ex : spondylarthropathy, rheumatoid polyarthritis). The randomised studies suggested that anti-TNFα therapy is associated with an overall risk of infectious diseases. The results of the observational studies are more reassuring. In this article, we will describe some results of theses studies and propose some practical recommendations in use of the anti-TNFα therapy.