Le bénéfice d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez le patient diabétique de type 2 a été récemment remis en question suite à la publication de l’étude DIAD. Pour le diabète de type 1, il n’y a aucune recommandation sur le dépistage. Chez ces patients, la durée de la maladie ainsi que les complications microvasculaires sont à prendre en compte pour évaluer le risque coronarien. Le contrôle glycémique intensif permet de diminuer la mortalité cardiovasculaire. Les autres facteurs de risque cardiovasculaire sont également à considérer pour évaluer le risque coronarien, et doivent aussi être traités agressivement. Au vu de l’absence d’étude prospective évaluant le bénéfice d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez le patient diabétique de type 1, nous suggérons une évaluation selon le contexte.
Dans les années 1990, des recommandations concernant le dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez le sujet diabétique ont été publiées :1,2 celles-ci proposaient un dépistage en présence d’au moins deux autres facteurs de risque cardiovasculaire classiques. Les arguments étaient qu’un patient diabétique a le même risque coronarien qu’un patient non diabétique ayant des antécédents coronariens.3 Les résultats de l’étude DIAD (détection de l’ischémie myocardique silencieuse chez le sujet diabétique asymptomatique) ont grandement changé le point de vue en 2004. Cette étude a montré trois points importants : a) seulement 20% des patients avec diabète de type 2, asymptomatiques sur le plan coronarien, testés selon ces recommandations, présentent une ischémie silencieuse.4 b) Les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels ne permettent pas d’identifier quels patients seront à risque de présenter un examen de dépistage positif. c) Plus récemment, le collectif de l’étude DIAD, suivi durant cinq ans, révélait une mortalité cardiovasculaire identique chez les patients ayant bénéficié d’un dépistage par scintigraphie myocardique par rapport au groupe contrôle.5 Il faut également relever que le nombre d’événements cardiovasculaires était nettement plus bas que dans les études des décennies précédentes, en raison de l’intensification du traitement des autres facteurs de risque cardiovasculaire.6 Par ailleurs, le dépistage d’une sténose coronarienne ne prédit pas forcément le risque d’infarctus myocardique. En effet, une étude avec un suivi de plus de trois ans après une angioplastie coronarienne pour un syndrome coronarien aigu montre que les événements cardiovasculaires surviennent autant sur un site coronaire avec une sténose non identifiée que sur un site coronaire avec une lésion identifiée.7
Au vu de ces études récentes, l’indication au dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez les patients diabétiques de type 2 a été grandement modifiée. Les nouvelles recommandations ne proposent plus aucun dépistage des patients asymptomatiques.8 Cependant, la maladie coronarienne étant la principale cause de décès des patients diabétiques, le dépistage de la maladie coronarienne silencieuse devrait idéalement être centré sur les sujets à haut risque. Toutefois, nous n’avons actuellement pas d’indicateur pour identifier ces patients.
Pour les patients diabétiques de type 1, il n’y a actuellement aucune étude évaluant les bénéfices d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse, et il n’existe aucune recommandation spécifique. Or, le diabète de type 1 diffère par plusieurs aspects du type 2. D’une part, la durée de l’évolution du diabète joue un rôle très important, le risque cardiovasculaire étant d’autant plus élevé que la maladie débute précocement. Il a en effet été démontré qu’une athérosclérose était déjà présente chez des adolescents avec un diabète de type 1, par rapport à une population contrôle.9 D’autre part, la présence d’une microangiopathie augmente la probabilité de développer une maladie coronarienne.10 Par ailleurs, les facteurs de risque cardiovasculaire favorisent aussi le développement de l’athérosclérose. L’espérance de vie de ces patients étant plus longue qu’auparavant, le problème de la maladie coronarienne devient un sujet de réflexion dans le suivi à long terme, qui a été longtemps centré uniquement sur la microangiopathie.
De ces éléments ressortent plusieurs questions fondamentales :
Les facteurs de risque cardiovasculaire chez les patients diabétiques de type 1 sont-ils les mêmes que ceux de type 2 ? Quels sont leur impact sur le développement d’une maladie coronarienne ?
Existe-t-il des scores de risque spécifiques prédictifs d’une maladie coronarienne silencieuse pour les patients diabétiques de type 1 ?
Avons-nous des indications à dépister la maladie coronarienne chez les patients diabétiques de type 1 ? Pour quels groupes de patients ?
Les mécanismes physiopathologiques impliqués dans le développement de l’athérosclérose chez les patients diabétiques sont résumés dans la figure 1.
Dans le diabète de type 1, l’effet du contrôle de l’hyperglycémie sur la réduction du risque coronarien est resté longtemps controversé. L’étude randomisée contrôlée DCCT (Diabetes control and complications trial) (groupe avec une insulinothérapie intensive et groupe contrôle durant six ans), dont le suivi des patients s’est étendu sept à neuf ans après la fin de la période interventionnelle (cohorte DCCT/EDIC) (EDIC : Epidemiology of diabetes interventions and complications), a révélé une diminution drastique (57%) du nombre d’événements cardiovasculaires dans le groupe traité intensivement, alors que le contrôle glycémique était identique dans les deux groupes dans le suivi postétude (figure 2).11,12 A noter que les sujets hypertendus ou dyslipidémiques étaient exclus dans la moitié du collectif. Cette étude confirme que l’hyperglycémie seule participe au développement d’une athérosclérose précoce. Cette hypothèse est renforcée par l’étude des scores calciques des artères coronaires effectués par CT-scan13 (sept à neuf ans de suivi postétude DCCT) : ceux-ci sont significativement plus bas chez le groupe ayant été traité intensivement.
DCCT/EDIC : Diabetes control and complications trial/Epidemiology of diabetes interventions and complications.
Tout comme chez les patients avec un diabète de type 2, les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels influencent le risque coronarien des patients diabétiques de type 1. Plusieurs études de cohorte, dont EURODIAB14 (Epidemiology, aetiology and public health aspects of diabetes mellitus) (suivi de 2787 patients diabétiques de type 1 durant sept ans, en Europe) et EDC15 (suivi de 603 patients diabétiques de type 1 durant dix ans, aux Etats-Unis) mettent en évidence un lien entre des facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, dyslipidémie, rapport taille/hanche élevé, âge) et une mortalité cardiovasculaire augmentée. Par contre, le genre n’était pas un facteur associé. En résumé, ces études de cohorte montrent que les autres facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels jouent un rôle important sur le risque de maladie coronarienne et devraient donc être traités.
Il y a une vingtaine d’années, le groupe du Steno Diabetes Center a mis en évidence que l’atteinte rénale est prédictive de l’augmentation du risque cardiovasculaire chez les sujets diabétiques de type 1.16 Les processus physiopathologiques ne sont pas complètement élucidés. L’atteinte rénale va péjorer d’autres facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels (tension artérielle, lipides, marqueurs inflammatoires entraînant un stress oxydatif). La microalbuminurie prédit significativement le risque de maladie coronarienne.10 Une autre complication associée à la maladie coronarienne est la neuropathie cardiaque autonome. En effet, la diminution de la variabilité du rythme cardiaque augmente significativement le risque de mortalité cardiovasculaire.17 Il existe une corrélation entre la neuropathie cardiaque autonome et l’atteinte rénale. Finalement, la présence d’une rétinopathie ou d’une polyneuropathie périphérique est également un facteur prédictif indépendant d’une maladie coronarienne chez le patient diabétique de type 1.14
Ce syndrome, du nom de l’héroïne d’une nouvelle de Isaac Bashevis Singer, qui se déguise en garçon afin de se faire admettre dans une école religieuse juive exclusivement réservée aux hommes, a été décrit suite aux publications relatant la disparité de la prise en charge d’un syndrome coronarien aigu selon le genre. En effet, une étude rétrospective menée dans les Etats du Maryland et du Massachusetts aux Etats-Unis a montré que les femmes hospitalisées pour un syndrome coronarien aigu bénéficiaient moins souvent d’une revascularisation invasive des artères coronaires que les hommes.18 Les femmes diabétiques de type 1 sont particulièrement victimes de ce syndrome, alors que leur risque de maladie coronarienne est identique à celui des hommes, même avant la ménopause. En effet, lors de l’étude DCCT/EDIC, le contrôle glycémique et le traitement des facteurs de risque cardiovasculaire étaient moins appliqués chez les femmes. De plus, les femmes étaient moins nombreuses à recevoir de l’aspirine, une statine, un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II.19
Le risque de maladie coronarienne est fortement augmenté et représente la première cause de mortalité chez les patients diabétiques de type 1. Toutefois, il n’existe aucune étude permettant d’identifier les indications à un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse. Les études de cohorte montrent que la durée du diabète, les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels et la survenue de complications microvasculaires servent d’indicateurs pour la survenue d’une maladie coronarienne. Par contre, les hommes ne sont pas plus à risque que les femmes.15 Actuellement, les calculateurs de risque développés pour la population générale (Framingham) ou pour les sujets diabétiques de type 2 (UKPDS) ne peuvent pas être appliqués au diabète de type 1, en raison de l’âge plus précoce de l’apparition du diabète et de l’influence des complications microvasculaires, comme la néphropathie.
Un outil de prédiction de la maladie coronarienne chez les patients avec un diabète de type 1 a été développé à partir des données épidémiologiques de la cohorte EDC, puis validé par celles de la cohorte EURODIAB.20 Ce modèle inclut d’autres données, comme le rapport taille/hanche, la présence d’une microalbuminurie et la durée du diabète. Cependant, cet outil n’a pas été évalué par des études prospectives et ne permet pas d’identifier si un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse permet de diminuer la mortalité cardiovasculaire chez ces patients. A l’heure actuelle, aucune donnée ne permet donc de valider l’intérêt de ce modèle.
Les études d’intervention manquent et ne seront probablement jamais réalisées selon des critères d’évaluation evidence-based medicine, au vu de la faible prévalence du diabète de type 1 par rapport au type 2. La prise en charge doit donc être basée sur la raison. En présence d’un diabète de longue évolution (plus de quinze à vingt ans), d’une atteinte microvasculaire et de l’association de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire classiques (hypertension, dyslipidémie, tabagisme), nous suggérons de considérer un dépistage même en l’absence de symptômes.
Concernant le patient décrit dans la vignette clinique n˚1, un dépistage par une épreuve de stress nous semble indiqué. En effet, ce patient présente un diabète de longue évolution, compliqué d’une rétinopathie. La reprise souhaitée d’une activité physique peut aussi être considérée comme une indication à un tel examen, afin d’évaluer sa condition physique et de s’assurer qu’il ne développera pas de symptôme cardiaque à l’effort. Pour la deuxième patiente (vignette clinique n˚ 2), au vu d’un risque élevé de maladie coronarienne (longue évolution de la maladie, autres facteurs de risque cardiovasculaire et complications microvasculaires) et des conséquences que celle-ci pourrait avoir sur le déroulement d’une grossesse, un examen de dépistage est également justifié. Par contre, pour un jeune patient avec un diabète de type 1 présent depuis moins de quinze à vingt ans, sans autre facteur de risque cardiovasculaire ni complication, un dépistage ne sera pas proposé d’emblée.
Homme de 42 ans, connu pour un diabète de type 1 depuis l’âge de trois ans. Rétinopathie background de l’œil droit, pas d’autre complication de son diabète. HbA1c environ 7% l’année dernière, sous traitement d’insuline «basal-bolus». Il souhaite reprendre une activité sportive et participer à un marathon.
Femme de 39 ans présentant un diabète de type 1 depuis l’âge de 23 ans, compliqué d’une rétinopathie diabétique background bilatérale et d’une microalbuminurie. HbA1c entre 7,5 et 8% durant l’année, sous pompe à insuline. La patiente est connue également pour une hypertension artérielle et une dyslipidémie traitées, ainsi qu’un ancien tabagisme. Elle est adressée par son gynécologue en raison d’une tentative prévue d’insémination artificielle.
Les sociétés américaines de cardiologie 20 et de diabétologie 8 recommandent de choisir une scintigraphie myocardique en première intention, pour les patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire. Cet examen a de bonnes sensibilité et spécificité et donne des informations sur le territoire atteint et le pronostic.22 L’échocardiographie de stress présente ces mêmes avantages et est nettement moins coûteuse. Une mesure du score calcique par CT coronaire pour établir un score de risque est également proposée par ces deux sociétés mais entraîne une irradiation non négligeable. L’IRM de stress permet également de renseigner sur l’atteinte fonctionnelle et anatomique mais n’est actuellement pas évaluée sur le plan prédictif. Quant à l’ergométrie, cet examen ne devrait pas être proposé chez des patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire, car il indique la probabilité de présenter une maladie coronarienne, mais n’est pas un bon indicateur du risque d’accident coronarien.
Il n’existe actuellement ni étude prospective évaluant les bénéfices d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez les patients avec un diabète de type 1, ni de recommandations spécifiques. En présence d’un diabète de longue évolution (plus de quinze à vingt ans), d’une atteinte microvasculaire (microalbuminurie principalement) en association avec plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire classiques (hypertension, dyslipidémie, tabagisme), nous suggérons de considérer un dépistage de la maladie coronarienne même en l’absence de symptômes.
> Chez les patients diabétiques de type 1, le dépistage systématique de la maladie coronarienne silencieuse n’est pas recommandé
> Le contrôle glycémique intensif permet de réduire la mortalité cardiovasculaire chez les patients avec un diabète de type 1
> Les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels (hypertension artérielle, dyslipidémie) doivent aussi être traités
> Un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse doit être considéré en présence d’un diabète de longue évolution (plus de quinze à vingt ans), d’une atteinte microvasculaire en association avec plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire classiques
Le bénéfice d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez le patient diabétique de type 2 a été récemment remis en question suite à la publication de l’étude DIAD. Pour le diabète de type 1, il n’y a aucune recommandation sur le dépistage. Chez ces patients, la durée de la maladie ainsi que les complications microvasculaires sont à prendre en compte pour évaluer le risque coronarien. Le contrôle glycémique intensif permet de diminuer la mortalité cardiovasculaire. Les autres facteurs de risque cardiovasculaire sont également à considérer pour évaluer le risque coronarien, et doivent aussi être traités agressivement. Au vu de l’absence d’étude prospective évaluant le bénéfice d’un dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez le patient diabétique de type 1, nous suggérons une évaluation selon le contexte.