Les maladies chroniques et les ajustements biopsychosociaux associés placent le monde médical face à ses limites et à la nécessité de mobiliser de nouvelles ressources. Parmi celles-ci, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR – Mindfulness-based stress reduction) est une méthode thérapeutique développée depuis plus de 30 ans. Conçu comme un adjuvant aux soins médicaux, notamment lors de douleurs chroniques qui nous intéressent ici, ce traitement généralement dispensé en groupe est basé sur une pratique méditative. Simple, brève, peu onéreuse, la MBSR est potentiellement applicable à une grande variété de maladies chroniques et s’inscrit dans une médecine participative. Après avoir présenté cette méthode, nous aborderons des résultats d’études permettant d’asseoir sa légitimité comme démarches laïque et scientifique pour le traitement d’affections variées.
Les maladies chroniques et les ajustements biopsychosociaux qui les accompagnent placent souvent le monde médical face à ses limites et à la nécessité de mobiliser de nouvelles ressources.1 Parmi celles-ci, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness-based stress reduction – MBSR) développée par Kabat-Zinn,2,3 est décrite par Rosenfeld 4 comme «une des méthodes thérapeutiques la plus prometteuse du début du XXIe siècle». Interrogés par Kabat-Zinn il y a plus de 30 ans, trois médecins de l’Hôpital médical universitaire du Massachusetts (un généraliste, un orthopédiste et un spécialiste de la douleur) estimaient pouvoir aider seulement 10-20% de leurs patients souffrant d’affections chroniques 5 et se disaient prêts à adresser leurs patients au programme MBSR, conçu comme adjuvant aux soins médicaux. Kabat-Zinn créa donc la clinique de réduction du stress en 1979 et a depuis traité par cette méthode un grand nombre de patients souffrant de maux divers, notamment de douleurs persistantes.
La MBSR est un programme structuré, basé sur l’entraînement systématique de la méditation de la pleine conscience. La pleine conscience, composante centrale des pratiques méditatives bouddhistes, a été intégrée depuis plusieurs années dans la psychologie clinique, la médecine comportementale et fait l’objet d’un grand intérêt de la part des neurosciences. Pleine conscience signifie «diriger son attention d’une certaine manière, délibérément, au moment voulu et sans jugement de valeur».6 Plus qu’une simple technique de centration de l’attention sur l’instant présent, la pleine conscience est une «façon d’être» invitant à ne pas se laisser piéger par des attitudes automatiques visant à supprimer l’inconfort ou à éradiquer la douleur, et à développer une nouvelle façon de vivre une expérience, même difficile, en l’accueillant avec bienveillance. Les efforts consentis par l’individu pour éviter la souffrance jouent un rôle majeur dans le développement et le maintien de ses difficultés. L’attention curieuse accordée aux parties du corps affectées et l’acceptation offrent un soulagement et permettent de dégager les ressources nécessaires pour agir sur les choses qu’il est possible de changer.
Il est généralement dispensé sur huit séances, d’une durée approximative de 2 h 30 chacune, à un rythme hebdomadaire, avec une séance additionnelle d’une journée, en groupe fermé de 10-40 participants guidés par un instructeur. Ces groupes peuvent être homogènes ou non selon les difficultés présentées par les personnes. Les taux de complétion du programme MBSR sont relativement élevés : de 77% à 90% selon Shigaki et coll.7
La pleine conscience est accessible à un grand nombre de personnes mais elle requiert un engagement régulier dans la pratique méditative, tant lors du programme (45 minutes de pratique par jour, complétées par d’autres exercices et lectures) qu’une fois celui-ci terminé. Une large gamme d’exercices de méditation (assise, couchée, en mouvement) est proposée, permettant d’adapter la pratique aux limitations individuelles éventuelles.
Ce traitement simple, bref, peu onéreux, potentiellement applicable à une grande variété de maladies chroniques, dans lequel il s’agit plus de soulager que de guérir, peut déclencher un changement positif radical dans la vision de la santé et de la maladie.1 Il s’inscrit dans une médecine participative où l’individu mobilise ses ressources internes et est un partenaire actif de son propre traitement.
Sans occulter les origines bouddhistes de la pratique méditative, Kabat-Zinn s’est efforcé de la rendre crédible et accessible au public occidental,5 en limitant les risques d’amalgame entre mindfulness et ésotérisme. La MBSR a bénéficié de l’engouement pour les pratiques méditatives dans nos pays dès les années 70 et du mouvement humaniste en psychothérapies. Puis, la publication de premières études a permis d’asseoir la légitimité de la méditation comme démarches laïque et scientifique pour le traitement d’affections variées. Depuis la fin des années 90, l’évolution des publications portant sur les applications de la pleine conscience a connu une courbe exponentielle.
Les indications médicales de cette méthode se sont élargies : céphalées, lombalgies, hypertension, maladies cardiovasculaires, sida, cancer, troubles de l’immunité, greffes chirurgicales… En santé mentale, des applications dans les contextes notamment des troubles anxieux et de l’humeur, de l’abus de substances, des troubles alimentaires, de l’hyperactivité et des comportements autodommageables voient le jour, en combinaison avec d’autres ingrédients thérapeutiques. Son application se généralise à des populations non cliniques (par exemple : entreprises, éducation, sport, armée, prison).8 La MBSR améliore la santé mentale et la qualité de vie chez des populations cliniques et non cliniques, selon deux méta-analyses récentes 9,10 qui montrent une réduction significative de l’intensité des symptômes dépressifs, anxieux et liés au stress, plus particulièrement chez des populations cliniques.
Comme le mentionnent Shigaki et coll.,7 des efforts ont été consentis pour établir l’efficacité de la méthode pour des populations et dans des contextes divers, pour définir et opérationnaliser le concept de pleine conscience et pour examiner les mécanismes neurobiologiques associés à sa pratique. Toutefois, les études menées comportent des limites :1 peu de données sur le taux d’abandon, sur l’existence d’autres interventions durant la période du programme, sur la compétence de l’instructeur, sur la description de l’intervention et les éventuelles adaptations, sur la pertinence clinique des résultats et sur le concept de pleine conscience même (opérationnalisation et mesure).
De nombreuses études non contrôlées, contrôlées et parfois randomisées (Randomized controlled trial – RCT) ont été réalisées pour déterminer l’efficacité de la MBSR dans le traitement des douleurs chroniques. Une étude récente,11 portant sur des patients présentant des douleurs chroniques diverses, montre une diminution significative de l’intensité de la douleur et des limitations fonctionnelles après MBSR, particulièrement pour les patients souffrant d’arthrite. Plus généralement, une méta-analyse récente de travaux évaluant l’impact de la MBSR sur la santé mentale de patients douloureux chroniques indique que la MBSR permet de diminuer la symptomatologie anxio-dépressive et la détresse psychologique.12 Dans le même ordre d’idées, Chiesa et Serretti13 relèvent que les approches basées sur la pleine conscience semblent utiles pour augmenter la tolérance à la douleur et son acceptation, de même que la qualité de vie. Selon ces auteurs, il est toutefois trop tôt pour tirer des conclusions définitives, les études disponibles portant sur des programmes hétérogènes (adaptation ou non du protocole MBSR) et des populations diverses (douleurs chroniques résultant de différentes affections). Le rôle spécifique de la MBSR comparé à d’autres approches devra être étudié plus rigoureusement. Une remarque répétée dans les méta-analyses et les revues de littérature évaluant l’effet de la MBSR chez les patients souffrant de douleurs chroniques1,12-14 est la nécessité d’autres études incluant plus de sujets et méthodologiquement bien contrôlées.
Dans le cas de la fibromyalgie, plusieurs études montrent que les participants bénéficient de la MBSR. Ces apports positifs se traduisent notamment par une diminution du score à un questionnaire mesurant les conséquences de la fibromyalgie sur la santé,15 une diminution de la symptomatologie dépressive16 ou une augmentation de la qualité de vie.17 Certains de ces bénéfices sont même rapportés après trois ans de suivi.17 Toutefois, selon une étude RCT incluant un nombre relativement grand de personnes,18 la MBSR n’aurait pas d’impact sur la qualité de vie liée à la santé.
Selon les travaux cités précédemment, la MBSR semble avoir un effet favorable sur un certain nombre de mesures chez des patients souffrant de douleurs chroniques. La compréhension des mécanismes liés à la méditation permettant de tels changements doit toutefois être approfondie. Le concept de reperceiving, lié à la métacognition, a été proposé.19 Il exprime la capacité de se détacher de ses propres expériences pour les observer sans réaction ni jugement. Au travers du processus de reperception, le sujet est capable de vivre avec ses pensées, émotions et sensations, sans être défini/dirigé par elles. Les personnes pratiquant la pleine conscience apprennent à se désengager des expériences présentes et à les percevoir avec un regard neuf, ce qui réduit la réactivité. De ce nouveau point de vue, il est possible d’observer l’expérience actuelle de manière plus objective et, de ce fait, d’y répondre avec une flexibilité somatique, cognitive et émotionnelle accrue.
Malgré les études réalisées, l’impression clinique des soignants que les patients bénéficient de la MBSR et les propres dires de ces derniers, les preuves de l’efficacité de cette approche sont encore limitées. Les méthodes d’évaluation utilisées ne sont peut-être pas les meilleures et les processus sous-jacents de la méditation, encore à identifier, font l’objet d’études en cours.20 Les critères d’indications et contre-indications, ainsi que le taux minimal requis de pratique à domicile et son rôle sur les bénéfices tirés, restent à préciser.21 Si une étude récente,21 chez une population clinique d’adultes (souffrant de stress, anxiété, douleurs chroniques, maladies), montre que les scores prétraitement sur diverses mesures (de pleine conscience, des symptômes médicaux et psychologiques, de stress perçu et de bien-être psychique) ne permettent pas de prédire quels sujets vont s’engager le plus dans la pratique méditative, le temps consacré à la pratique de la pleine conscience à domicile y est significativement corrélé au degré d’amélioration sur la plupart de ces mesures. La révélation des exigences élevées en termes d’engagement à domicile peut constituer un obstacle à la participation pour certaines personnes. D’autres, au contraire, manifesteront un enthousiasme excessif quant à leur capacité à pratiquer seules chez elles, voyant la pleine conscience comme la panacée qui les délivrera enfin de leurs souffrances.
Constatant, 30 ans après la création de la clinique du stress, la quantité d’articles sur cette approche, ses nouvelles applications et adaptations, Jon Kabat-Zinn5 revient sur ses motivations initiales et sur la nécessité que cette approche préserve son intégrité. Pour cela, il a mis sur pied une formation structurée (Curriculum training) pour les instructeurs et insiste sur la nécessité d’une pratique personnelle régulière de ceux-ci afin d’incarner cette attitude de pleine conscience au quotidien. Les bénéfices de la pratique de la pleine conscience pour le soignant doivent aussi être soulignés : elle peut l’aider à mieux accueillir la souffrance de l’autre, à être plus à l’écoute de ses propres expériences, notamment d’impuissance, sans vouloir à tout prix trouver une réponse au problème, au risque d’aller jusqu’au «burn-out». Enfin, signalons qu’à Genève, des interventions cliniques basées sur la pleine conscience (groupes MBSR et MBCT – thérapie cognitive basée sur la pleine conscience) sont proposées depuis 2002 au sein des Hôpitaux universitaires de Genève, premier hôpital universitaire francophone associant cette offre clinique à des activités de recherche.
> Les efforts consentis par l’individu pour éviter la souffrance jouent un rôle majeur dans le développement et le maintien de ses difficultés
> La réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR) est un programme structuré, basé sur la méditation de la pleine conscience, invitant à développer une nouvelle façon de vivre une expérience, même difficile, en l’accueillant avec bienveillance
> Généralement dispensée en groupe de 10-40 personnes, sur huit séances hebdomadaires d’environ 2 h 30, avec une séance additionnelle d’une journée, la MBSR est applicable à une grande variété d’affections, mais requiert un engagement régulier dans la pratique méditative
Les maladies chroniques et les ajustements biopsychosociaux associés placent le monde médical face à ses limites et à la nécessité de mobiliser de nouvelles ressources. Parmi celles-ci, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR – Mindfulness-based stress reduction) est une méthode thérapeutique développée depuis plus de 30 ans. Conçu comme un adjuvant aux soins médicaux, notamment lors de douleurs chroniques qui nous intéressent ici, ce traitement généralement dispensé en groupe est basé sur une pratique méditative. Simple, brève, peu onéreuse, la MBSR est potentiellement applicable à une grande variété de maladies chroniques et s’inscrit dans une médecine participative. Après avoir présenté cette méthode, nous aborderons des résultats d’études permettant d’asseoir sa légitimité comme démarches laïque et scientifique pour le traitement d’affections variées.