L’hypertension est un facteur de risque clé pour le développement des maladies cardiovasculaires et rénales ainsi qu’une des causes les plus importantes de morbidité et de mortalité dans le monde. La méthode proposée par les organisations internationales et nationales pour le diagnostic de l’hypertension est la mesure clinique répétée de la pression artérielle à des moments différents. Cependant, les données actuelles suggèrent que ni la mesure clinique au cabinet, ni l’automesure de la pression artérielle à domicile par le patient lui-même ne sont suffisamment sensibles et spécifiques pour être recommandées comme seul test diagnostique d’une hypertension. Un diagnostic plus précis permettrait une réduction des coûts imputables aux complications cardiovasculaires, mais aussi au traitement de sujets diagnostiqués de façon erronée comme hypertendus. Par conséquent, la MAPA tend à devenir l’examen de référence pour poser le diagnostic d’hypertension.
L’hypertension est l’affection chronique la plus fréquente au niveau mondial et le principal motif de consultation en médecine de premier recours. Elle est considérée comme un facteur de risque clé pour le développement des maladies cardiovasculaires et rénales ainsi qu’une des causes les plus importantes de morbidité et de mortalité dans le monde entier.
La méthode de référence actuelle proposée par les recommandations nationales et internationales pour le diagnostic de l’hypertension artérielle est la mesure répétée de la tension artérielle au cabinet médical (mesure clinique) à des moments différents. Cependant, des études récentes montrent que l’automesure à domicile par le patient et la mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) sont mieux corrélées aux complications cardiovasculaires et à l’atteinte d’organes cibles. La MAPA est la seule méthode qui permette d’estimer précisément la vraie charge tensionnelle d’un sujet tout au long du nycthémère et de poser le diagnostic d’hypertension masquée comparée aux autres mesures.
Par conséquent, la MAPA tend à devenir l’examen de référence pour poser le diagnostic d’hypertension, même si l’automesure à domicile peut être une alternative de choix pour diagnostiquer l’hypertension et une méthode complémentaire et utile pour le suivi des patients et pour améliorer leur observance au traitement.1-4
Selon les données épidémiologiques actuelles, plus d’un quart de la population adulte est hypertendue et cette proportion tend à augmenter. La prévalence de l’hypertension est plus marquée dans les pays développés, environ 37%, comparée à 23% dans les pays en voie de développement. Cependant, les projections pour 2025 indiquent une inversion de cette distribution géographique avec 1,15 milliard d’hypertendus principalement dans les pays en voie de développement (Amérique latine 35%, Afrique subsaharienne 35%, Chine 20%-30% et 25% en Inde). Cette hétérogénéité a été attribuée à plusieurs facteurs, dont l’urbanisation, les modifications du style de vie (alimentation, activité physique), l’explosion mondiale de l’obésité et le prolongement de l’espérance de vie (figure 1).5,6
RAF : région africaine ; RAM : région des Amériques ; RASE : région de l’Asie du Sud-Est ; REU : région européenne ; RMEO : région méditerranée orientale ; RPAO : région du Pacifique occidental. Statistiques de l’OMS.
A l’échelle de la Suisse, l’étude populationnelle de Marques-Vidal, qui a inclus 17 879 participants (50% de femmes, âge moyen de 54,4 ± 17,6 ans), a montré une prévalence de l’hypertension chez l’homme qui varie entre 24,3 et 30% dans les différentes régions analysées (moyenne de 26,8%).7 Dans la région de Genève, les données publiées de l’étude de Guessous et coll. montrent une augmentation de la prévalence de l’hypertension chez l’homme (21,1% à 36,5% ; p = 0,04) sur une période de dix ans (1999-2009).8
Bien que la circulation sanguine ait été décrite par Harvey en 1628, la première mesure de la pression artérielle revient à Stephen Hales en 1730, en utilisant un manomètre relié par une canule insérée dans l’artère crurale d’un cheval. La technique clinique n’a pas évolué jusqu’en 1896, grâce au médecin italien Scipione Riva-Rocci qui a conçu un brassard artériel relié à une colonne contenant du mercure et à une poire en caoutchouc permettant de mettre en pression le brassard. Plus tard, en 1905, P. Korotkoff a mis au point la méthode classique que nous utilisons encore et qui consiste à mesurer, à l’aide d’un manomètre, la contre-pression exercée sur l’artère humérale par un brassard gonflable, en auscultant l’artère.9 Depuis, le tensiomètre à mercure considéré comme la référence pour la mesure de la pression artérielle a été remplacé progressivement par de nombreux modèles d’appareils automatiques (oscillométriques, anéroïdes et hybrides) qui sont commercialisés, tant pour les équipes médicales que pour l’usage privé des patients. Un des avantages additionnels de ces nouveaux dispositifs pour la mesure de la pression artérielle est d’éliminer complètement le problème de toxicité liée au mercure.10
La MAPA a été décrite pour la première fois par Maurice Sokolow en 1960. Les moniteurs ambulatoires disponibles et recommandés (www.swisshypertension.ch ou www.dableducational.com) sont complètement automatiques et programmés pour enregistrer la pression artérielle à des intervalles fixes : toutes les 15-30 minutes le jour et la nuit habituellement pendant 24 heures.11,12
Les valeurs seuils pour les différentes mesures de pression artérielle recommandées par l’European Society of Hypertension et la Société suisse d’hypertension sont mentionnées dans le tableau 1. Ainsi, on considère le seuil diagnostique de valeurs ≥ 135/85 mmHg comme borne de définition pour l’hypertension à la MAPA ou à domicile et ≥ 140/90 mmHg pour le diagnostic d’hypertension lors de la mesure clinique au cabinet chez les patients de plus de 18 ans et de moins de 80 ans.12,13 De plus, la cible tensionnelle proposée pour les patients avec une insuffisance rénale chronique, diabétiques ou avec une maladie coronarienne est de < 130/80 mmHg et de ≤ 150/90 mmHg pour les patients âgés de plus de 80 ans sur la base de la mesure clinique.14,15 Actuellement, il n’y a pas de données validées concernant les valeurs seuils en MAPA dans ces différents groupes. L’étude IDACO (International Database on Ambulatory Blood Pressure monitoring in relation to vascular outcomes) qui a réuni 5682 sujets, a comparé la mesure clinique à la MAPA en termes de risque de complications cardiovasculaires à dix ans. Cette étude propose des valeurs seuils plus basses à la MAPA (pression artérielle (PA) moyenne 24 h < 125/75 mmHg, PA diurne < 130/80 mmHg et PA nocturne < 110/70 mmHg) par rapport aux recommandations actuelles.16
Les recommandations internationales insistent sur l’importance de la standardisation des différentes techniques pour la mesure de la pression artérielle clinique et ambulatoire afin d’améliorer sa reproductibilité et ses performances pour le diagnostic de l’HTA. En effet, la variabilité naturelle de la pression artérielle journalière, d’un jour à l’autre ou en réaction à une situation stressante (par exemple hypertension de la blouse blanche) représente un défi important pour le diagnostic précis de l’HTA.17
Il faut souligner que dans les différentes études où l’on a utilisé la mesure clinique, on a insisté sur l’obtention d’une moyenne tensionnelle de plusieurs valeurs à des intervalles espacés dans le temps pour la prise en charge clinique et l’évaluation du traitement de l’hypertension.
L’American Heart Association recommande que la mesure de la pression artérielle clinique soit réalisée par du personnel entraîné (médecin ou infirmière) qui devra vérifier la position correcte du patient et de son bras, l’observation d’une période de repos, l’utilisation d’un brassard de taille appropriée et minimiser les facteurs externes pouvant influencer la pression artérielle, comme la consommation de tabac.
Tous ces facteurs peuvent à coup sûr influencer grandement la spécificité et la sensibilité de la mesure de la pression artérielle au cabinet. Le propos de cet article n’est pas de «tuer» la mesure de la TA au cabinet, mais d’insister sur les facteurs de qualité requis pour cette mesure, qui doit être réalisée à plusieurs reprises, et qui reste recommandée avant de poser l’indication à la MAPA, ceci chez le malade asymptomatique et en l’absence d’atteinte d’un organe cible manifeste d’emblée. Dans le processus de dépistage de l’HTA, nous devons toujours encourager les médecins de premier recours à continuer à jouer ce rôle en mesurant la pression le mieux possible.
La méta-analyse publiée par Hodgkinson et coll. (vingt études totalisant 5683 patients) a comparé les différentes méthodes utilisées pour le diagnostic de l’hypertension en tenant compte des divers seuils appliqués. Cependant, sur les vingt études éligibles, la moitié a été exclue en raison de seuils de définition d’hypertension différents. A la fin, seules sept études pour la mesure clinique et trois pour l’automesure à domicile ont pu être comparées directement à la MAPA, et une seule étude a pu comparer les trois méthodes de mesure. Malgré le peu de données disponibles, cette méta-analyse a montré que ni la mesure clinique de la pression artérielle au cabinet, ni l’automesure (domicile) ne sont suffisamment sensibles et spécifiques pour les recommander comme seuls tests diagnostiques d’une hypertension, comparées à la mesure ambulatoire de 24 heures (tableau 2).1
Seules deux études ont évalué la valeur pronostique de la pression artérielle ambulatoire (automesure et MAPA) à la mesure clinique dans la même population. L’étude PAMELA (Pressioni Arteriose Monitorate E Loro Associazioni) qui a suivi, pendant environ 131 mois, 2051 sujets âgés de 25-75 ans, montre une augmentation du risque de décès parallèlement à l’augmentation de la pression artérielle ambulatoire (MAPA ou automesure) comparées à la mesure clinique.18 De façon similaire, les résultats de l’étude Ohasama réalisée par Hara et coll. révèlent que les valeurs de pression artérielle ambulatoire (MAPA et automesure) sont étroitement associées au risque de lésions cérébrovasculaires et carotidiennes, alors que la pression clinique ne l’est pas. De plus, les analyses statistiques confirment que la MAPA prédit mieux l’apparition de lésions cérébrovasculaires silencieuses.19
Chez les sujets âgés (âge moyen 82 ans), l’étude prospective de White et coll. a montré que la pression ambulatoire systolique (PAS), mais pas la pression au cabinet, était associée à la progression des hyperdensités de la substance blanche (leucoaraïose ou démyélinisations ischémiques), au déclin cognitif et à la mobilité des sujets très âgés.20
Par ailleurs, plusieurs études signalent que la PA ambulatoire systolique nocturne est plus précise que la pression moyenne de 24 heures ou de jour pour prédire la mortalité cardiovasculaire (tableau 3).10,13,21 Chez les femmes, l’étude de Boggia et coll. montre que l’hypertension nocturne est associée à un risque plus élevé d’événements cardiovasculaires comparées aux hommes.22
D’autre part, les variations nocturnes excessives de la pression artérielle, aussi bien vers le haut que vers le bas, sont associées à une augmentation de la microalbuminurie et à l’atteinte d’organes cibles. Les mécanismes précis pour lesquels la PA nocturne reste anormale ne sont pas encore entièrement compris, et plusieurs hypothèses ont été proposées, notamment l’augmentation de l’activité du système sympathique, les apnées du sommeil, l’incapacité à excréter le sodium au cours de la journée, la dysfonction endothéliale et l’atteinte des petites et grandes artères.3,21,22,23
D’une façon générale, il faut tout de même rappeler que la mesure de la pression nocturne est peu reproductible et prendre un peu de recul par rapport à son interprétation. Il n’y a pas de chiffres précis sur cet aspect, mais un certain nombre de malades sont considérés comme non-dippers parce qu’ils ont mal dormi… ce problème est signalé souvent par les patients eux-mêmes !
Ainsi, la confirmation d’un diagnostic d’hypertension artérielle (suspecté par la mesure au cabinet) par la MAPA peut être considérée comme faisant partie d’une stratégie de risque, puisqu’elle permet d’identifier, parmi les individus présentant des valeurs tensionnelles élevées au cabinet, ceux qui ont un risque accru, du fait de leur pression artérielle élevée également en dehors du cabinet.
La MAPA et l’automesure à domicile permettent donc de mieux classifier le status hypertensif et donnent une meilleure valeur pronostique concernant l’atteinte des organes cibles et le risque de complications cardiovasculaires comparées à la pression artérielle clinique. Chacune des deux techniques a des avantages et des désavantages inhérents qui les rendent complémentaires plutôt qu’alternatives (tableau 4).10,24
L’utilisation combinée des deux techniques pour estimer la pression en dehors du cabinet permet d’identifier quatre catégories cliniques différentes, résumées dans le tableau 5.2,24
La MAPA est la seule méthode qui identifie plus précisément l’hypertension masquée et évalue l’abaissement nocturne de la pression artérielle (normal entre moins 10-20%).2,3,14,21
Les données publiées suggèrent que les patients avec une hypertension dite «de la blouse blanche» présentent un risque augmenté de développer une hypertension soutenue à 5-10 ans d’environ 30-45% comparés aux sujets normotendus (10-20%). Les patients souffrant d’hypertension de la blouse blanche devraient appliquer une prévention par des mesures d’hygiène de vie et faire l’objet d’un suivi sur le long terme.10,14
L’hypertension masquée est présente chez 8-38% des sujets qui sont normotendus en mesure clinique classique et hypertendus en MAPA. C’est un facteur de risque équivalent à celui des patients hypertendus au niveau des complications cardiovasculaires et de l’atteinte d’organes cibles (hypertrophie ventriculaire gauche, épaisseur média-intima de la carotide, anomalies de distensibilité artérielle). La méta-analyse publiée par Fagard et coll. (sept études totalisant 11 502 sujets) montre une augmentation significative des événements cardiovasculaires chez les sujets avec une HM (RR de 2 ; IC 95% : 1,6-2,5) comparés aux sujets normotendus.10,14,25
Bien que la MAPA soit plus chère que les autres techniques de mesure de pression artérielle, elle détient le meilleur rapport coût-efficacité tant dans les services de médecine de premier recours que dans les services spécialisés. Cependant, son utilisation reste limitée en raison de l’investissement requis en termes de formation du personnel et du matériel utilisé.
Lovibond et coll. ont comparé dans une étude de modélisation les trois stratégies diagnostiques : la mesure au cabinet (tous les mois, pendant trois mois), l’automesure (une fois par semaine) et la MAPA, en termes de coûts globaux, de QALYs (quality-adjusted life years : années de vie ajustées pour la qualité) et leur rapport coût/efficacité dans une population hypothétique d’hypertendus de plus de 40 ans avec une prévalence de facteurs de risque équivalente à la population générale. Les résultats de cette étude montrent que la MAPA est la méthode la plus «coût-efficace» pour le diagnostic de l’hypertension pour les hommes et les femmes de tous les âges.
Malgré l’engagement financier initial généré par l’utilisation de la MAPA, cette étude montre qu’un diagnostic plus précis permet une réduction des coûts imputables aux complications cardiovasculaires et au traitement des sujets diagnostiqués de façon erronée comme hypertendus.25
Au niveau de la Suisse, le tarif Tarmed pour la MAPA est de : 14,24 (0,89) CHF 104,20 et la consultation spécialiste (interprétation) (par 5 min) : 13,79 (0,89), CHF 58,65.
Il n’existe pas de recommandations officielles à ce propos. Toutefois, Lovibond et coll. proposent de répéter la MAPA tous les cinq ans chez les sujets à bas risque et plus souvent, sans en préciser l’intervalle, chez les sujets à haut risque. D’autre part, Muxfeldt et coll. recommandent en cas d’HTA de la blouse blanche (PA clinique ≥ 140/90 mmHg et PA moyenne ambulatoire diurne ou pression à domicile ≤ 135/85) de répéter la MAPA à trois mois afin de confirmer le diagnostic et d’adapter le traitement. En cas de confirmation du diagnostic, il est proposé de refaire la MAPA à six mois si la PA systolique moyenne est ≥ 115 mmHg ou annuellement si ≤ 115 mm Hg.10-27
Aujourd’hui, la mesure de la pression artérielle est l’un des rares domaines de pratique médicale où les patients sont, au 21e siècle, évalués par une méthodologie développée au 19e siècle ! Les données scientifiques récentes accordent aux mesures réalisées en dehors de l’environnement médical la valeur la plus importante pour le diagnostic et le pronostic de l’HTA comparées à la mesure clinique. Ainsi la mesure ambulatoire permet de diagnostiquer avec précision l’hypertension de la blouse blanche, l’hypertension masquée, l’HTA nocturne et est mieux corrélée aux complications cardiovasculaires et à l’atteinte d’organes cibles.
Les nouvelles recommandations de la Société anglaise d’hypertension, publiées par la National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) en 2011, proposent désormais la MAPA comme outil diagnostique princeps sur la base des données actuelles évoquées.
Par conséquent, la MAPA s’impose comme examen de référence pour poser le diagnostic de l’hypertension chez la plupart des patients, surtout dans la zone des valeurs de pression artérielle «borderline» en mesure clinique, avant de débuter un traitement antihypertenseur à vie.
L’automesure à domicile reste une alternative pour le diagnostic d’HTA et une méthode complémentaire et utile pour le suivi des patients qui permet d’améliorer l’observance au traitement. Toutefois, ces différentes techniques sont complémentaires, et donnent des informations indépendantes qui nous aident à la prise de décisions dans notre pratique clinique (figure 2).
> L’utilisation d’une méthode précise est cruciale pour une meilleure identification des patients hypertendus et pour l’évaluation réelle du risque cardiovasculaire
> La MAPA permet de mieux adapter le traitement antihypertenseur (chronothérapie) en fonction du profil tensionnel et de la pharmacocinétique des différentes molécules à disposition
> La Société suisse d’hypertension propose pour les médecins internistes, angiologues, néphrologues et cardiologues ainsi que pour les médecins généralistes si droits acquis, des cours de formation sur l’utilisation des dispositifs automatiques pour la MAPA et l’interprétation des données recueillies
Hypertension is a key risk factor for developing cardiovascular and renal diseases and one of the most important causes of morbidity and mortality worldwide. Iterative measurement of the clinical blood pressure is the method proposed by international and national organizations to establish the diagnosis of hypertension. However, current data suggest that neither in-hospital nor self home blood pressure measurement is sensitive and specific enough for one to recommend them as the sole diagnostic test. More accurate diagnosis of hypertension would allow a significant cost saving by reducing both cardiovascular and renal complication burden, and costs induced by erroneously diagnosing normal subjects as hypertensives. Therefore, 24h ABPM is increasingly becoming the gold standard for diagnosing hypertension.