Les traitements antimicrobiens sont parfois à l’origine de toxicité neurologique significative, d’incidence difficile à préciser en raison de nombreux facteurs confondants. Il est cependant primordial d’inclure cette hypothèse lors de la survenue ou de l’aggravation d’un tableau neurologique durant un traitement anti-infectieux. En dehors d’effets secondaires classiques (atteinte vestibulo-cochléaire des aminoglycosides), il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, nécessitant la réalisation d’un bilan métabolique et neurologique parfois extensif. L’approche thérapeutique inclut l’interruption du traitement responsable, des mesures de soutien et parfois un traitement spécifique. La grande variété des présentations cliniques, par type de sémiologie neurologique, est présentée, accompagnée de tableaux récapitulatifs par classe d’antimicrobiens.
Le potentiel neurotoxique des antibiotiques a été rapidement identifié, déjà en 1945 pour la pénicilline.1 L’importance croissante de leur prescription donne lieu à une multiplication des publications relatant ce type d’effets secondaires, parfois difficiles à identifier. La présence sous-jacente d’une pathologie infectieuse, justifiant le traitement, peut souvent être impliquée dans la sémiologie neurologique, elle-même peu spécifique. Il est donc primordial de maintenir un haut index de suspicion devant la survenue ou l’aggravation de troubles neurologiques durant une antibiothérapie.2
Un patient de 55 ans, aux antécédents d’hypertension et de maladie coronarienne stables, est hospitalisé en urgence pour la survenue de lombalgies sévères, avec état septique. Une antibiothérapie d’amoxicilline/acide clavulanique (Augmentin) IV est débutée après le prélèvement d’hémocultures, qui reviennent rapidement positives pour un coque à Gram positif (quatre bouteilles sur quatre).
Devant la suspicion clinique de spondylodiscite lombaire, une IRM est effectuée, ne confirmant initialement pas le diagnostic. La recherche d’une endocardite par échocardiographie transthoracique est également négative.
Après identification d’un Staphylococcus aureus sensible à la méticilline dans les hémocultures, la gentamicine est ajoutée et l’amoxicilline/acide clavulanique remplacée par la flucloxacilline (Floxapen), 2 g IV toutes les quatre heures. Après 72 heures de fièvre, l’évolution clinique est favorable. Une échocardiographie transœsophagienne montre une image suspecte de végétation sur la valve aortique. Une deuxième IRM lombaire, effectuée en raison de la persistance de douleurs sévères, confirme finalement une spondylodiscite avec abcès épidural en regard de L4-L5.
Après deux semaines de traitement, le patient développe progressivement une nervosité, des troubles du sommeil, puis des myoclonies. Le tableau neurologique se complique d’un delirium avec hallucinations auditives et visuelles, d’abord intermittentes, puis permanentes, avec important état d’agitation. Une imagerie cérébrale ainsi qu’une ponction lombaire sont négatives. Un EEG permet d’exclure un phénomène de type épileptique.
Devant l’aggravation de cet état délirant avec myoclonies diffuses, faciales et appendiculaires, et après avoir interrompu un traitement de benzodiazépines (suspicion d’effet paradoxal de ce médicament), nous évoquons une neurotoxicité de la flucloxacilline qui est remplacée par la clindamycine (Dalacine) associée à la rifampicine (Rimactan). En l’espace de douze heures, le tableau neurologique se normalise, avec la persistance d’une amnésie rétrograde de plusieurs jours.
Le nouveau traitement est poursuivi pour atteindre une durée totale de six semaines. L’évolution globale est favorable, sans complication cardiaque ou neurologique, permettant un retour à domicile.
Ce cas clinique illustre bien la difficulté d’arriver rapidement à un diagnostic précis, et la nécessité d’exclure une atteinte neurologique d’une autre origine avant d’en imputer la cause à un effet secondaire médicamenteux peu fréquent.
L’antituberculeux éthambutol (Myambutol) possède une toxicité oculaire bien démontrée, dose-dépendante et pouvant aller jusqu’à la cécité. Des cas de névrite optique sont décrits avec le triméthoprime/sulfaméthoxazole (Bactrim) et le linézolide (Zyvoxid).
Les hypo et dysgueusies sont fréquentes sous métronidazole (Flagyl), mais transitoires et réversibles. Il est important d’en prévenir le patient afin d’éviter une interruption prématurée du traitement. La rifampicine, la clarithromycine (Klacid), les tétracyclines et l’indinavir (Crixivan), un antirétroviral qui n’est quasiment plus utilisé, peuvent également altérer les sensations gustatives ou olfactives.
L’ototoxicité (auditive et vestibulaire) des aminoglycosides est reconnue depuis longtemps. Elle est dose-dépendante, atteint initialement les hautes fréquences, et est irréversible. Les macrolides,3 la vancomycine et les tétracyclines ont également été impliqués dans des cas d’hypoacousie, le plus souvent réversibles.
Les antimalariques, les aminoglycosides, les fluoroquinolones et la clarithromycine peuvent provoquer ou aggraver des acouphènes.
Une atteinte périphérique et sensitive (dysesthésie) peut survenir chez 1-2% des patients recevant une dose de 5 mg/kg pendant plusieurs semaines.
Ces antirétroviraux, actuellement peu ou plus utilisés, peuvent provoquer une atteinte axonale à prédominance sensitive (paresthésies douloureuses) qui est bien décrite, dose-dépendante, relativement fréquente (30% sous ddC), et parfois difficile à différencier d’une neuropathie induite par le VIH.
Atteinte axonale décrite en cas de traitement prolongé de plusieurs mois.
Atteinte sensitivomotrice rare, si traitement prolongé et insuffisance rénale.
Plusieurs petites séries de cas d’atteinte subaiguë ou chronique en cas de traitement prolongé.
Quelques dizaines de cas de neuropathie motrice.
Des cas d’ataxie et de dysarthrie avec anomalies IRM du cervelet et du tronc cérébral ont été décrits après utilisation prolongée de métronidazole.
Un grand nombre d’antibiotiques peuvent aggraver ou démasquer une myasthénie (tableau 1). Les plus souvent impliqués sont les aminoglycosides et les macrolides4 ainsi que les quinolones. Il existe souvent, en plus du processus infectieux sous-jacent, d’autres facteurs de risque (troubles électrolytiques, médicaments, intervention chirurgicale).
Leur incidence est difficile à estimer car l’état infectieux sous-jacent est un facteur confondant. Les éléments prédisposant à la survenue d’une crise convulsive sont toujours à rechercher, et à corriger si possible : insuffisance rénale avec défaut d’adaptation de la posologie des traitements, atteinte du système nerveux central (SNC) (ischémie, séquelle d’AVC, méningite), utilisation concomitante de traitement abaissant le seuil épileptogène (neuroleptiques), sevrage d’alcool ou de benzodiazépines.
Les premières constatations de neurotoxicité ont été faites dès 1945 (myoclonies). Dans les années 60, un syndrome d’hyperréflexie, myoclonies et convulsions est décrit. La toxicité est attribuée au noyau bêtalactame et à ses propriétés inhibitrices sur la transmission du système GABA (acide gamma-aminobutyrique). Elle varie en fonction des chaînes latérales et est donc différente selon les pénicillines (tableau 2).
Le tableau neurologique est souvent polymorphe, débutant par des troubles de l’état de conscience, évoluant vers des myoclonies, un astérixis (souvent tronculaire), des crises convulsives et parfois un état de mal épileptique non convulsif, suivi de coma.5 Le facteur de risque principal identifié est la dysfonction rénale (tableau 3).
Le potentiel épileptogène de l’imipénem/cilastatine (Tienam), attribué en partie à la cilastatine qui est associée à l’antibiotique pour inhiber sa dégradation rénale par la déhydropeptidase, est bien décrit, avec une incidence attribuée à 3%, surtout lors de posologies élevées, d’insuffisance rénale, d’infections du SNC ou chez les nourrissons. Le méropénem (Méronem) résiste à la déhydropeptidase. Il ne nécessite donc pas l’adjonction de cilastatine et est moins épileptogène que l’imipénem.
Des crises convulsives ont rarement été décrites, surtout pour l’ofloxacine (Tarivid) et la ciprofloxacine (incidence < 1%).6 L’administration simultanée d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou de théophylline semble être un facteur de risque (tableau 4).
Des cas attribués à l’isoniazide et à l’aciclovir ont été publiés.
Les effets secondaires psychiatriques des agents anti-infectieux ont fait l’objet de multiples publications, majoritairement sous forme de cas rapportés ou de petites séries, dans des études de phase IV, postmarketing.7
Les quinolones peuvent induire des états confusionnels aigus, avec phénomènes hallucinatoires, en particulier chez le patient âgé avec trouble cognitif préexistant.
Les traitements anti-VIH, prescrits souvent chez des patients avec comorbidités psychiatriques, sont associés au développement ou à l’aggravation de tableaux psychiatriques divers.
Les altérations de l’état de conscience, avec ou sans delirium, font souvent partie de la phase initiale de la neurotoxicité des bêtalactames.
Les tableaux 1 à 4 résument, par classe d’antimicrobiens, les atteintes neurologiques décrites dans la littérature.
Le danger de ne pas reconnaître le rôle d’un traitement antimicrobien dans le développement de manifestations neurologiques, et d’en attribuer la cause à une autre étiologie, est important. Le clinicien doit maintenir un index de suspicion élevé et se familiariser avec les effets neurotoxiques des antibiotiques couramment utilisés.
> La survenue d’une symptomatologie neurologique ou psychiatrique durant un traitement antimicrobien doit faire suspecter une possible neurotoxicité médicamenteuse
> Dans la grande majorité des cas, un bilan approfondi avec imagerie est nécessaire avant de conclure à une neurotoxicité et afin de dépister les facteurs de risque courants (dysfonction rénale, surdosage médicamenteux, pathologie neurologique préexistante)
> Les bêtalactames représentent la classe antibiotique la plus utilisée avec la toxicité neurologique la mieux décrite. Le tableau clinique s’étend d’une simple altération de l’état de conscience à des myoclonies, hyperréflexie et delirium, jusqu’à des crises convulsives avec coma
Antimicrobial agents are occasionally responsible for significant neurological toxicity, the incidence of which is difficult to determine due to numerous confounding factors. It is nonetheless crucial to include this possibility in the differential diagnosis of any new or worsening neurological condition happening during antimicrobial treatment. Except for well described side effects (aminoglycoside ototoxicity) it is a rule out diagnosis and often necessitates a thorough metabolic and neurological work up. Once the diagnosis is strongly suspected, the therapeutic approach should always include the discontinuation of the offending agent, supportive measures and occasionally specific treatment. This article describes the wide possible neurological presentations and includes summary tables according to antimicrobial class.