Les choix de modes de vie exercent une influence majeure sur la santé actuelle et future des adolescents. L’étude internationale «Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)» a été créée dans le but de suivre l’évolution au fil du temps de l’état de santé des jeunes adolescents, en tenant compte de leurs comportements à risque, de santé et des différents facteurs influençant ces derniers au travers d’un questionnaire distribué tous les quatre ans. Au printemps 2012, l’OMS-Europe a publié un rapport basé sur la cohorte 2010 et nous avons retenu et résumé quelques résultats nous paraissant importants pour les cliniciens suisses. Dans l’ensemble, ils sont assez satisfaisants mais quelques bémols doivent nous encourager à poursuivre nos efforts de prévention, autant dans les cabinets médicaux que par le biais des politiques de santé.
L’adolescence est une période de développement marquée par l’acquisition de nouveaux comportements et compétences qui peuvent perdurer la vie entière. C’est donc le moment opportun pour promouvoir l’adoption de conduites saines, mais aussi pour prévenir les pratiques à risque.
Les déterminants sociaux de la santé tels que le contexte familial, psychosocial, la situation scolaire ou encore le niveau socio-économique de la famille constituent des facteurs de protection et de risque pour la mise en place de ces habitudes.
Lorsqu’on sait qu’une part importante de la charge de morbidité est imputable aux maladies chroniques, on comprend que les choix de modes de vie ont une influence majeure sur l’avenir des jeunes. Par exemple, environ 90% des fumeurs adultes ont commencé à fumer avant l’âge de vingt ans.1 Mais ils influencent également leur présent, par exemple pour ce qui est du risque d’accident (lié notamment à la consommation de substances psychotropes) et de leur santé mentale.
Les choix établis à l’adolescence peuvent donc avoir un impact immense sur la santé, que ce soit immédiatement, à l’âge adulte ou même, selon les théories du lifecourse, sur celle de la génération future.2 La citation de Hafid Aggoune prend alors tout son sens : «L’adolescence est le temps où il faut choisir entre vivre et mourir».3
Dans cette optique, l’étude internationale «Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)» a été créée pour suivre l’évolution de l’état de santé des jeunes adolescents, en tenant compte de leurs comportements à risque, de santé et de différents facteurs susceptibles d’influencer ces derniers. Le tableau 1 illustre les thématiques abordées par le questionnaire international utilisé en 2010 par l’ensemble des pays participants à cette étude, dont la Suisse.4
L’étude internationale HBSC est conduite à travers 43 pays ou régions sous l’égide du Bureau régional de l’OMS pour l’Europe depuis 1983. Elle tend à dresser, tous les quatre ans, le bilan de santé globale des adolescents à travers un questionnaire standardisé écrit, soumis en classe à des adolescents de 11, 13 et 15 ans. La mise en commun des données récoltées par les pays participants permet de comparer l’évolution de paramètres sociaux, d’états et perceptions de santé et de comportements favorables et défavorables à la santé à l’échelle internationale. Elle facilite l’élaboration de stratégies de prévention ciblées et transverses. Chaque pays peut y incorporer des questions supplémentaires pour satisfaire les besoins spécifiques des politiques de santé à l’échelle nationale.
L’enquête HBSC Suisse est menée depuis 1986 par Addiction Suisse. Elle se base sur un échantillon représentatif aléatoire, l’unité de base étant la classe et l’unité secondaire l’élève. L’échantillon de 2010 comprend environ 700 classes de la 5e à la 9e année de toute la Suisse, représentant environ 10 000 élèves de onze à quinze ans. Le questionnaire est rempli en classe durant une heure de cours et la participation des élèves est volontaire. L’anonymat des réponses est garanti.5
Vu la pléthore d’informations fournies par l’étude, nous nous sommes limités à l’exposition de quelques résultats qui nous paraissent pertinents pour les praticiens suisses. Vous pouvez consulter l’ensemble des résultats de l’étude internationale de 2010 sous www.euro.who.int/_data/assets/pdf_file/0003/163857/Social-determinants-of-health-and-well-being-among-young-people.pdf.
Les thèmes ayant retenu notre attention pour la composition de cet article sont décrits ci-après et sont résumés dans le tableau 2.
Les résultats sont rassurants pour tous les pays et particulièrement pour la Suisse puisqu’elle se situe au troisième rang : plus de 90% des adolescents estiment jouir d’un bon à excellent état de santé.4 L’auto-évaluation de l’état de santé est très favorable à l’âge de onze ans, mais diminue un peu avec l’âge, et chez les filles.
Les taux de satisfaction avec la vie sont eux aussi fort honorables, même si la Suisse perd sa place dans le trio de tête. Eux aussi tendent à diminuer avec l’âge et les garçons sont plus satisfaits que les filles. En corollaire à cela, les filles sont proportionnellement plus nombreuses à ressentir ≥ 2 symptômes de manière hebdomadaire parmi la liste suivante : maux de tête ou d’estomac, sensation de déprime ou d’irritabilité, nervosité, difficultés à s’endormir et vertiges, et cette tendance s’accentue avec l’âge. Ce résultat n’a rien de surprenant si l’on tient compte des changements pubertaires plus précoces et plus pénibles chez les jeunes filles. Les garçons sont, eux, plus souvent victimes de traumatismes. Comme ailleurs, les facteurs économiques jouent un rôle en Suisse : un écart de 10-20% sépare les moyennes de satisfaction de vie et de plaintes de santé des jeunes issus des familles les moins et les plus aisées, et ce en défaveur des plus démunies.
La Suisse s’en sort également très bien en matière de prévalence de l’excès pondéral, comptant la plus petite proportion d’adolescents obèses ou en surpoids à onze ans. Elle perd son statut de pays le moins touché par cette problématique chez les plus âgés, mais se maintient tout de même à la neuvième place chez les jeunes de quinze ans.
Les résultats de l’étude évoquant le temps passé devant la télévision semblent corroborer ce fait. En effet, la Suisse est à nouveau la grande gagnante avec la plus petite proportion de jeunes regardant la télévision au moins deux heures par jour durant la semaine. En revanche, ils se trouvent en queue de peloton pour l’activité physique modérée à vigoureuse, qu’ils disent peu pratiquer.
Le contexte social des jeunes englobe l’essentiel des déterminants sociaux de la santé, répartis entre l’école, la famille et les amis. S’ils sont fortement corrélés avec le niveau socio-économique, ils peuvent toutefois offrir une vraie protection contre les facteurs stressants, même chez les plus démunis (les pairs peuvent néanmoins aussi représenter un facteur de risques, notamment pour l’initiation d’une consommation de substance psychotrope). Les jeunes en Suisse sont proportionnellement plus nombreux à avoir des amitiés proches que la moyenne des pays participant à l’enquête HBSC, et ce à tous les âges étudiés. Surtout, contrairement à la tendance générale HBSC, ils en ont autant à l’âge de quinze ans. Ils sont également parmi les utilisateurs les moins fréquents des médias électroniques.
A quinze ans, près d’un quart des garçons et une fille sur six ont déjà eu des relations sexuelles. Lors du dernier rapport, la majorité se sont protégés au moyen d’un préservatif (80% des filles et 84% des garçons).
En Suisse, 36% des garçons et 25% des filles de quinze ans disent avoir fumé leur première cigarette à l’âge de treize ans ou avant. Par contre, à treize ans, ils sont environ 5% à fumer du tabac au moins une fois par semaine. A l’âge de quinze ans, ce taux augmente considérablement, atteignant 19% chez les garçons et 15% chez les filles, ce qui correspond à la moyenne de l’étude HBSC. Par ailleurs, on observe une corrélation inversée entre le niveau de vie de la famille et la prévalence de consommation hebdomadaire de tabac. La fréquence de consommation de tabac n’est guère différente de celle enregistrée en 2006, année de la précédente enquête HBSC.5
En Suisse, plus d’un tiers des garçons et près d’un quart des filles ont consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie ; 13% des garçons et 9% des filles peuvent être considérés comme des usagers réguliers (3 à 39 consommations dans les douze derniers mois) et 4 et 1% comme des usagers confirmés (plus de 39 consommations dans les douze derniers mois).
Quant à l’alcool, si la consommation est très peu répandue et le plus souvent irrégulière avant l’âge de treize ans, arrivé à quinze ans, un quart des garçons et un cinquième des filles ont été ivres au moins deux fois dans leur vie.
Quelques bonnes nouvelles
En Suisse, 90% des jeunes s’estiment en bonne ou très bonne santé.
La Suisse compte le plus petit pourcentage d’adolescents obèses ou en surpoids à l’âge de onze ans.
Les adolescents de Suisse sont les as HBSC du brossage des dents et creusent leur écart avec l’âge !
Ils regardent moins la télévision et utilisent moins les médias électroniques pour leurs contacts sociaux que la moyenne des pays participant à l’étude HBSC.
Ils sont proportionnellement plus nombreux que la moyenne à avoir des amis proches à l’âge de quinze ans, ce qui constitue un facteur de protection contre l’accroissement du stress accompagnant les années d’études postobligatoires.
Les moins bonnes nouvelles
En Suisse, les garçons restent champions HBSC de l’usage de cannabis, et les filles ne sont pas loin du podium non plus dans ce domaine-là.
La consommation de tabac n’a pas régressé depuis 2006.
La Suisse présente une des plus petites prévalences d’adolescents ayant une activité physique intense à modérée de l’étude.
Dans l’ensemble, les résultats sont assez satisfaisants, mais quelques-uns doivent nous interpeller, autant pour évaluer l’impact des mesures de prévention prises dans le passé et permettre leur ajustement ou leur maintien, que pour saisir les nouvelles opportunités de pallier aux manques.
L’étude montre la fenêtre d’opportunité que représente l’intervalle entre onze et quinze ans pour faire de la prévention. L’initiation des comportements susceptibles de compromettre ou de favoriser la santé s’accentue durant cette période : c’est donc un âge-clé pour proposer des interventions préventives aux jeunes vus au cabinet. Si le cadre adéquat leur est proposé (garantie de confidentialité, attitude sans jugement, etc.), la plupart des jeunes sont prêts à discuter de leurs comportements à risque avec un médecin et à entendre ses conseils.6 La recherche montre qu’avec des interventions adaptées, pédiatres et médecins de famille peuvent avoir une réelle influence sur le comportement des adolescents.7,8 On sait par ailleurs qu’un environnement de désapprobation incluant les parents, les enseignants, les directeurs d’école et la communauté au sens large, est une méthode de prévention efficace contre la consommation de substances.9 Cette nouvelle offre au médecin de cabinet une place en première loge. En adoptant une attitude sans équivoque autour de la consommation de substances, il peut réduire l’ambivalence qui peut planer dans l’esprit de l’adolescent et de ses parents.
Certains résultats peuvent surprendre, comme par exemple le fait que l’épidémie d’obésité semble épargner les jeunes en Suisse. Serait-ce en partie grâce à la politique de Promotion Santé Suisse qui promeut des actions cantonales telles que «Fourchette Verte», «ça Marche» ou «Marcher et Mangez Malin» ? De telles campagnes seraient-elles favorisées par le niveau de vie relativement aisé en Suisse qui permet l’accès à des aliments plus sains ? Dans ce contexte, il convient d’être particulièrement attentif au risque de surpoids chez les jeunes issus de familles à revenus modestes et chez les jeunes déscolarisés. Du fait de la globalisation des comportements alimentaires et des modes de sédentarité, encourager l’alimentation saine est un défi qu’il faut chaque jour relever ! Si, comme l’indiquent les résultats de l’étude HBSC, les jeunes, en Suisse, consacrent peu d’heures par semaine à l’activité physique, un récent rapport du Système de monitorage alimentation et activité physique (MOSEB) indique de manière rassurante que l’activité physique s’inscrivant dans le cadre de trajets quotidiens a au contraire augmenté dans la population générale.10 Ces données offrent deux pistes d’action pour les praticiens : d’une part, il est utile d’encourager ce type d’activité physique au niveau individuel lors des consultations et, d’autre part, les médecins peuvent également s’exprimer dans le domaine public pour encourager la création d’infrastructures adéquates (pistes cyclables…) permettant de favoriser et maintenir ces comportements.
En donnant une image actualisée des comportements de santé des jeunes adolescents en Suisse et ailleurs, l’étude HBSC nous permet d’adapter nos pratiques aux réalités du moment afin d’aider les jeunes à maintenir le meilleur niveau de santé possible, aujourd’hui et dans leur future vie d’adulte.
Cet article a été réalisé dans le cadre de la Maitrise d’études avancées en santé publique de l’Université de Genève. (C. Torriani Hammon).
> En Suisse, environ 90% des jeunes de onze à quinze ans évaluent favorablement leur santé
> L’environnement social rassemble l’essentiel des facteurs protecteurs de la santé, mais il peut devenir le facteur aggravant lorsqu’ils font défaut
> Une fenêtre d’opportunité se présente entre onze et quinze ans, permettant l’acquisition de comportements sains et la prévention de risques. Si le cadre adéquat est proposé et les interventions adaptées, le médecin de cabinet peut influencer favorablement cette acquisition
> Un environnement de désapprobation est une méthode de prévention efficace contre la consommation de substances
> La prévention de l’obésité et la promotion de l’activité physique doivent rester une priorité
Lifestyle choices exert a major influence over the present and future health of adolescents. The international study «Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)» was created to monitor the social determinants, the health and risk behaviours, and the protective and adverse factors that each influence young adolescents’ health. The survey is conducted every four years, and the WHO produced its latest edition in the spring of 2012 (using the 2010 data). We have selected and summarised what seem to be the most important insights for Swiss clinicians. The overall results are satisfactory but some weaknesses remind us that prevention is an ongoing challenge both in private practices and in public policy.