En constante augmentation depuis 1990, la consommation de substances psychoactives s’élargit aux nouvelles drogues de synthèse (Bath salts, Spice) dont les effets pharmacologiques restent encore mal documentés. La recherche initiale du bien-être évolue souvent vers des complications médicales aiguës, voire chroniques. Les effets secondaires, ni attendus ni souhaités, peuvent s’observer dans les services d’urgences, comme des gangrènes nécrosantes chez les consommateurs de Krokodil ou des réactions dystoniques chez les consommateurs de Spice. De plus, certains produits de coupage augmentent la dangerosité de ces substances. La mise en évidence d’un toxidrome permet de s’orienter vers un diagnostic étiologique.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue neuf classes de substances psychotropes différentes : alcool, opioïdes, cannabinoïdes, sédatifs/hypnotiques, cocaïne, autres stimulants (caféine incluse), hallucinogènes, tabac et solvants volatils.1 Elles agissent en activant le «système de la récompense» (reward system) du système nerveux central (SNC) où le circuit dopaminergique méso-corticolimbique2 joue un rôle-clé. Le mode de consommation permet de distinguer un usage simple d’un usage nocif. Le premier n’entraîne ni complications pour la santé ni troubles du comportement avec des conséquences délétères pour soi ou pour autrui. Le second comprend, selon le DSM-IV, l’abus caractérisé par une consommation répétée induisant des dommages somatiques, psychoaffectifs ou sociaux et la dépendance, révélée par un mode d’utilisation inapproprié entraînant des signes physiques et psychiques. Les problèmes médicaux surviennent soit secondairement aux effets toxiques aigus, soit en relation avec les manifestations de dépendance lors de prise chronique (figure 1).3
Selon le rapport annuel 2012 de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies, le cannabis est la substance illégale la plus consommée avec 80,5 millions de personnes touchées (23,7% des adultes européens) durant une vie. Viennent ensuite la cocaïne avec 15,5 millions (4,6%), les amphétamines avec 13 millions (3,8%) et l’ecstasy avec 11,5 millions (3,4%). 1,4 million d’Européens sont des consommateurs d’opiacés à problèmes.4
En 2009, le DAWN (Drug abuse warning network) recensait aux Etats-Unis près de 4,6 millions de consultations aux urgences en rapport avec la consommation de substances, dont près d’un quart (un million) concernait des substances illégales (tableau 1). Mais, alors que le nombre de consultations pour abus ou mauvaise utilisation a augmenté de 98,4% de 2004 à 2009, celui des substances illicites est resté stable.5
Dans les services d’urgences valaisans, une étude montre une augmentation des demandes de dépistage des drogues de 71% (276 à 473) entre 2007 et 2011 alors que le nombre de consultations totales n’a augmenté que de 8% (64 725 à 69 867). Le pourcentage de positivité des tests reste néanmoins stable. A côté de l’alcool, le cannabis est la drogue la plus souvent détectée chez les moins de 25 ans alors que les benzodiazépines le sont chez les plus de 25 ans (tableau 2).6
Pour améliorer de façon ciblée des ivresses «rêvées», mais surtout pour éviter de tomber dans l’illégalité, des chimistes modifient la structure de substances existant dans des laboratoires clandestins. Suite à l’interdiction successive par l’OMS de la 3,4-méthylènedioxyamphétamine (MDA ou drogue de l’amour) et de la 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA ou «ecstasy»), synthétisée simplement par rajout d’un groupe méthyle, la 3,4-méthylènedioxyéthylamphétamine (MDEA ou «Eve») a fait son apparition sur le marché.1 On peut classer les drogues de synthèse (legal highs ou designer drugs ou research chemicals) en cinq familles (figure 2).7,8 En 2012, deux nouvelles substances synthétisées sur trois sont des dérivés des cathinones (Khat, Bath salt) ou des cannabinoïdes de synthèse.4
Elle doit être évoquée dès qu’un individu, souvent jeune et en bonne santé habituelle, présente une modification aiguë de son status mental9 ou un tableau évocateur d’un syndrome d’origine toxique ou toxidrome.10 C’est un ensemble de symptômes et de signes cliniques qui oriente le clinicien vers une classe particulière de toxiques : même s’il n’est pas spécifique, il représente le tableau caractéristique d’une intoxication, qui peut être modifié par la prise combinée de substances ou par la survenue de complications. Une même classe médicamenteuse ou un même produit peut induire un ou plusieurs toxidromes (tableau 3). L’examen clinique doit être systématique, rigoureux et répété régulièrement. Certains signes suggestifs doivent être absolument recherchés (tremblement, diaphorèse, augmentation ou diminution du tonus musculaire, globe urinaire, augmentation ou diminution du péristaltisme, hypersalivation). Des éléments biologiques contribuent rarement au diagnostic étiologique. Sur le plan paraclinique, l’ECG est primordial.
En cas d’intoxication aiguë (volontaire, malveillante ou accidentelle), le Tox Zentrum (www.toxi.ch) fournit des informations sur la prise en charge. Le traitement est le plus souvent symptomatique, en respectant l’ABC (Airways – Breathing – Circulation) primaire et secondaire. Un tableau particulier doit faire évoquer une intoxication mixte, sans jamais oublier un possible traumatisme cranio-cérébral sous-jacent. La substance ayant déjà été absorbée, il n’y a pas de place pour le charbon activé.11
Les produits adultérants permettent d’accroître le volume, de mimer ou d’augmenter l’effet de la substance, de faciliter son administration, alors que parfois ils ne sont que le résultat de techniques pauvres ou non stériles de fabrication.12 De fausses croyances circulent sur leur dangerosité, même si quelques décès leur ont été imputés.13 La majorité des drogues illégales sont contaminées par des substances peu dangereuses, et celles qui sont toxiques sont en général faiblement dosées. On note une certaine ambivalence des dealers puisque même s’ils coupent les produits pour un bénéfice financier, ils doivent rester attentifs à leur toxicité : un consommateur malade ou mort n’est plus rentable !
Selon les données de la police, la cocaïne achetée dans les rues présente une pureté de 5 à 30%. Près de la moitié des cocaïnes saisies en France en 2007 contenaient 20 à 70% de phénacétine. Comme autres produits adultérants, on trouve de la lidocaïne, de l’atropine, du lactose et même plus récemment du lévamisole. Ce dernier augmente l’effet addictif et euphorisant mais favorise les nécroses tissulaires14 (cf. photo, réf. 14). En 2009, 80% des comprimés d’ecstasy analysés en Europe n’en étaient pas. Ils contiennent en revanche d’autres substances comme de la pipérazine, du MCPP (méta-chlorophénylpipérazine), du LSD (lysergide), du 2-CB (4-bromo-2,5-diméthoxyphénéthylamine), ou de la kétamine, dont les interactions avec le MDMA peuvent être graves. La résine de cannabis (haschich) est coupée avec des produits comme le henné, le cirage ou du pneu. L’herbe de cannabis (marijuana) est alourdie à des fins pécuniaires avec du verre pilé, des billes de verre, du sable ou de la fécule de maïs. Quant à l’héroïne, elle est le plus souvent coupée avec du paracétamol, de la caféine, du plâtre et parfois même de la strychnine ou du GHB (gammahydroxybutyrique).
Les objectifs de l’analyse toxicologique sont d’identifier la substance ingérée, de la doser, d’évaluer la gravité de l’intoxication et de surveiller l’efficacité du traitement.10 Outre le dépistage lors d’intoxication aiguë, les analyses peuvent être utilisées en cas de suspicion d’abus de substances au cabinet, de suivi chez les toxicomanes en traitement de sevrage, sur ordre de la police dans le contexte routier ou encore comme dépistage dans les entreprises. Selon la question posée, différents liquides biologiques et tissus peuvent être analysés. Le dépistage15 dans l’urine permet de savoir s’il y a consommation ou non : l’immuno-test rapide apporte une réponse qualitative, mais peut rester positif après l’arrêt de la consommation (tableaux 4 et 5). Il n’est qu’un outil d’orientation imparfait : biais de dilution, erreur de lecture, réactions croisées avec d’autres substances. Des méthodes de confirmation sont nécessaires : chromatographies gazeuse ou liquide couplées à des spectromètres de masse (empreinte digitale du produit), dont la sensibilité et la spécificité sont proches de 100%. L’échantillon sanguin permet de corréler les concentrations mesurées et les effets pharmacologiques : c’est le milieu de référence en toxicologie forensique. L’analyse des cheveux, qui poussent d’un centimètre par mois et contiennent de nombreux métabolites, permet d’observer l’historique d’une consommation : on a détecté par exemple de la cocaïne chez des momies précolombiennes. La salive sera, dans le futur, une matrice importante pour le dépistage ou le diagnostic de prise de substances.
L’usage nocif de substances psychoactives devrait être abordé chez tout sujet considéré à risque ou dans les situations où toute consommation représente un risque médical (grossesse, certains médicaments) ou pour la communauté.16
Le médecin de famille, souvent considéré comme une personne de confiance, joue un rôle central dans les étapes d’accompagnement des usagers de substances psychoactives : dépister une consommation, aborder la problématique, initier un traitement si besoin, assurer le suivi et accompagner les rechutes. Pour faciliter la tâche du praticien, la division d’abus de substances du CHUV a développé un questionnaire RAP (Rapid Addiction Profile)17 destiné à évaluer rapidement un profil d’addiction en incluant différentes approches (somatique, psychiatrique, motivationnelle, crise, ressources) et utile à la prise en charge de patients présentant des problèmes médico-psychosociaux complexes.
La méphédrone (MMC, meow, MCAT, méphe, bubble, miaou miaou, drone, bounce, subcoca, sunshin) est un stimulant synthétique proche de la cathinone (constituant du Khat, arbre d’Afrique orientale), dérivée de la phényléthylamine, molécule à base également de l’ecstasy et des amphétamines. Elle est empathogène, euphorisante et anorexigène.18 En cas d’intoxication, les effets sont comparables aux sympathomimétiques amphétaminiques déjà connus, mais d’une intensité moindre. Des réactions dystoniques, des insuffisances rénales et des décès ont également été rapportés.19
Vendues sous forme de mélange de plantes aromatiques séchées destinées à parfumer l’intérieur, les herbes contenues dans ces produits (K2, Spice, Aroma, Mr Smiley, Zohai, Eclipse, Black Mama, Blaze et Dream) sont aspergées de cannabinoïdes de synthèse. Ils agissent comme le THC (tétra-hydro-cannabinol), substance active du cannabis, en se fixant sur les récepteurs CB1 et CB2, mais avec une sélectivité plus élevée, les rendant plus puissants, plus dangereux et plus addictifs. Contrairement au cannabis naturel, ils ne contiennent pas de cannabidiol, connu pour ses propriétés antipsychotiques.20 Entre 2010 et 2011, l’American Association of Poison Control Centers a rapporté 4500 appels en relation avec leur toxicité. Outre les effets secondaires liés au THC, ils sont responsables de deux à trois fois plus d’effets sympathomimétiques et de cinq fois plus d’hallucinations. De rares cas de convulsions, de crises de bruxisme et d’insuffisance rénale aiguë ont également été rapportés.
Synthétisée aux Etats-Unis en 1932, la désomorphine (Krokodil) semblait être une molécule intéressante car elle induisait moins de nausées et de dépression respiratoire qu’une dose équivalente de morphine. Elle engendrait cependant une dépendance bien plus forte et n’a pas été développée à des fins thérapeutiques. Elle est achetée à un prix vingt fois inférieur à celui de l’héroïne. Sa production artisanale utilise la codéine comme substance de base, de l’iode, des solvants et le phosphore rouge obtenu à partir des allumettes. Son administration endommage les tissus à l’endroit des injections, leur donnant un aspect verdâtre rugueux ressemblant à la peau d’un crocodile, entraînant des abcès cutanés, des thrombophlébites extensives, une gangrène nécrosante et une destruction osseuse aboutissant à une amputation du membre. Sa diffusion actuelle concernerait essentiellement la Russie et en Europe occidentale elle reste une rumeur.
Ce sont des nitrites, dits aliphatiques (nitrites d’amyle, de butyle, de propyle, de pentyle), contenus dans des flacons dont l’ouverture produit un bruit (pop) à l’origine de leur nom. Dans les milieux festifs, ils sont inhalés pour améliorer les performances sexuelles masculines et provoquer des effets hallucinatoires. Leur effet essentiellement vasodilatateur se manifeste par une rougeur cutanée (flush), une hypotension orthostatique, des palpitations et une tachycardie.1 L’intoxication peut provoquer des nausées, des vomissements, une dermite de contact, une irritation cornéenne, des céphalées, une hypertension intraoculaire et une méthémoglobinémie qui, si elle est importante (> 20%), doit être traitée par l’injection de bleu de méthylène. Une association possible existe entre un abus chronique et l’apparition d’un sarcome de Kaposi chez les personnes infectées par le VIH.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces substances soient consommées au vu de leurs effets sur le système de la récompense, de la pression des pairs et du contexte social d’utilisation. De nombreux dommages aigus ou chroniques, médicaux ou sociaux en résultent. Pour contourner la loi, de nouvelles substances sont synthétisées presque chaque jour avec leurs lots d’inconnues et de nouvelles toxicités. Leur accessibilité engendre de nouvelles habitudes de consommation avec des problèmes de poly-intoxication, d’interactions ou de polydépendances. Si l’urgentiste doit baser son approche clinique sur la recherche d’un toxidrome dans les cas aigus, le médecin de famille a la lourde tâche, grâce à une relation de confiance, d’accompagner son patient dans les différentes étapes allant du dépistage au traitement des rechutes. Dans chaque hôpital, un bilan toxicologique de routine peut être effectué par le laboratoire. Pour des prises en charge ou des questions spécifiques, le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) est une référence, alors que le Tox-Zentrum à Zurich est joignable à toute heure pour les aspects cliniques.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> L’ABC (Airways – Breathing – Circulation) primaire et secondaire reste la règle pour la prise en charge initiale d’une intoxication aiguë
> Le Tox-Zentrum fournit de précieuses informations cliniques et thérapeutiques : www.toxi.ch ou tél. 145
> La recherche d’un toxidrome facilite le diagnostic étiologique
> Le questionnaire RAP (Rapid Addiction Profile) est mis à disposition sur internet pour aider le praticien dans une prise en charge multidisciplinaire
> Le mélange de substances psychoactives, de produits adultérants, souvent associés à de l’alcool, favorise les risques d’intoxication grave
Steadily increasing since 1990, the use of psychoactive substances was expanded to new designer drugs (bath salts, spice) with so original still unknown pharmacological effects. At the beginning, the pleasure, first feeling, turns sometimes, in acute medical emergency and then, in some cases, in chronic diseases.
Side expected or not desired effects, seen in emergency departments could be necrotizing gangrene among consumers Krokodil or dystonic reactions in consumers of Spice. Moreover, adulterants could increase the dangerosity of the substances. Searching a toxidrome helps to find the incrimining substance.