Les fruits, légumes ou épices sont présents dans notre alimentation quotidienne. Certains d’entre eux contiennent cependant des substances potentiellement toxiques, notamment en cas de consommation importante, chez certaines personnes à risque, ou encore lorsque leur préparation n’a pas suivi les règles de l’art culinaire. Si ces intoxications sont généralement bénignes, certaines situations peuvent mettre en danger le pronostic vital. Cet article propose un florilège d’intoxications à ces produits alimentaires courants, telles que décrites dans la littérature médicale.
Il est un adage commun que la consommation de fruits et légumes fait partie intégrante d’une alimentation saine et équilibrée. Il est également bien connu que de nombreux végétaux contiennent diverses substances qui, de longue date, furent utilisées comme remèdes ou poisons selon l’époque et l’usage. Cependant, la présence de substances toxiques dans les produits alimentaires courants, considérés comme comestibles, est souvent ignorée, tant du grand public que du monde médical. De nombreux aliments contiennent néanmoins des composants qui, ingérés en grande quantité ou par des personnes sensibles à leurs effets, que ce soit par ignorance, accidentellement ou intentionnellement, peuvent être toxiques, voire mortels. Cet article propose une lecture non exhaustive de la toxicité potentielle de certains fruits, légumes ou épices courants, telle que rapportée dans la littérature médicale (tableau 1).
La solanine est un glyco-alcaloïde (GA), une substance présente dans de nombreux légumes, dotée d’un effet protecteur contre certaines maladies causées par des champignons ou insectes. La solanine est présente dans les pommes de terre (mais également les tomates et les aubergines), principalement dans les fleurs, les feuilles, les germes et la peau, et dans une moindre mesure dans le tubercule. Certains facteurs génétiques, mais aussi les conditions de stockage, l’exposition à la lumière ou encore les meurtrissures produites pendant la récolte, peuvent augmenter significativement la teneur en solanine.1 Une amertume marquée, voire des sensations de brûlures peuvent alors faire suspecter la présence d’un taux élevé en glyco-alcaloïde, substance habituellement imperceptible par les papilles gustatives.
La solanine est un inhibiteur réversible de l’acétylcholinestérase provoquant des symptômes tels que transpiration, vomissements, diarrhées, céphalées et bronchospasme. Elle présente également un effet cytotoxique sur la membrane cellulaire pouvant principalement affecter la perméabilité intestinale.2 Dans la plus grande série publiée d’intoxications (78 écoliers anglais), les symptômes sont apparus dans les sept à dix-neuf heures sous la forme de fièvre, céphalées et hallucinations.3 Dix-sept patients ont été hospitalisés, dont l’évolution a été favorable.3
Les intoxications à la solanine sont relativement rares au vu de l’usage fréquent des pommes de terre et tomates dans notre alimentation. Les épidémies surviennent principalement lorsque la concentration intrinsèque de solanine augmente de manière substantielle dans les légumes vendus.4 Le traitement est purement symptomatique.
La phytohémagglutinine est une lectine présente dans certaines plantes (notamment les haricots rouges), capable de provoquer l’agglutination des leucocytes et des érythrocytes. Bien que le mécanisme exact de la toxicité ne soit pas connu, la lectine – possédant une forte affinité pour certains glycosides – réduirait la capacité d’absorption de l’intestin en adhérant fortement à la muqueuse intestinale, un mécanisme similaire à celui des toxines associées à l’Escherichia coli et aux virus.5
Les symptômes se développent après une à trois heures d’incubation et comprennent nausées et vomissements, diarrhées et parfois douleurs abdominales. Le premier cas décrit d’intoxication date de 1889.6 L’épidémie la plus célèbre date de 1948 et a concerné la population de Berlin Ouest, intoxiquée par des haricots amenés par le pont aérien.7 Des épidémies sont régulièrement rapportées et font généralement suite à une consommation de haricots crus ou mal préparés. Le traitement est purement symptomatique et la récupération toujours rapide.
Une diminution importante de la teneur en lectine est obtenue en laissant tremper les haricots durant cinq heures, et en les faisant ensuite bouillir dans de l’eau fraîche pendant au moins dix minutes.8
Des substances cyanogènes sont retrouvées dans de nombreux aliments, notamment dans les noyaux de certains fruits (abricots, amandes, pêches…).9-11 Le plus connu de ces poisons est l’amygdaline, présente entre autres dans les noyaux d’abricot et hydrolysée dans le tractus digestif en cyanure.12-14 En cas d’ingestion de grandes quantités de ces aliments, ou en raison d’une préparation insuffisante ou incorrecte (manioc), ceux-ci peuvent provoquer une intoxication au cyanure.9
Les symptômes d’intoxication aiguë au cyanure apparaissent en principe dans l’heure après l’ingestion et peuvent comporter une agitation, une confusion, des convulsions, des troubles de l’état de conscience, des troubles du rythme cardiaque, un état de choc et un décès.10-12 Sur le plan biologique, une acidose métabolique à trou anionique élevé est volontiers présente.11-13 Des cas d’intoxication sont décrits suite à la consommation de 20 à 30 noyaux d’abricot chez l’adulte, voire moins chez l’enfant.10,12,13 La consommation de six à dix amandes amères pourrait être létale.14 La consommation de manioc cru ou insuffisamment traité peut induire une intoxication aiguë au cyanure pouvant être mortelle.15 Le rôle du cyanure a également été mis en cause dans le développement de troubles neurologiques secondaires à une intoxication chronique dans le cadre de la consommation de manioc (neuropathie ataxique tropicale, ou konzo).9,16 De même, la manipulation de pousses de bambou peut conduire au décès en raison de la libération de composés volatiles contenant de l’acide cyanhydrique.17
Hormis le traitement symptomatique ou de décontamination digestive, la prise en charge d’une intoxication au cyanure comporte l’administration d’oxygène à haute concentration ainsi que d’un antidote.10,11,13 L’hydroxocobalamine (Cyanokit), utilisée avec succès dans plusieurs cas d’intoxication alimentaire au cyanure, pourrait être l’antidote de choix, de par ses caractéristiques séduisantes : rapidité d’action, facilité d’utilisation et excellent profil de sécurité.10,11,13,14,18
L’acide oxalique est présent en grande concentration, notamment dans les aliments suivants : la rhubarbe, la carambole (figure 1), l’oseille, les épinards, les betteraves, le thé, les cacahuètes ou encore le cacao.19-22
Ce fruit peut provoquer des intoxications graves, notamment chez les patients en insuffisance rénale.
L’absorption de sels d’oxalate solubles peut provoquer des dépôts tissulaires, notamment aux niveaux des parois vasculaires, du myocarde et du rein. Une néphropathie aiguë est possible, consécutive aux effets obstructifs des cristaux d’oxalate au niveau des tubules rénaux, d’autres mécanismes – notamment apoptotiques – étant par ailleurs mis en cause.20,22-24 La dose moyenne létale d’acide oxalique chez l’homme est estimée à 2-30 grammes.19,23
Les symptômes initiaux apparaissent quelques heures après l’ingestion sous la forme de nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales, voire hématémèse, et sont secondaires à l’effet corrosif de l’acide oxalique au niveau du tractus digestif.20,21,23 Une hypocalcémie symptomatique par combinaison avec le calcium ionisé peut être présente, pouvant induire une tétanie, voire des convulsions.20,21 Dans les cas les plus graves, le tableau est celui d’une acidose métabolique avec défaillance multi-organique.19,20
Des cas mortels d’intoxication à l’oxalate ont été décrits, essentiellement au début du siècle passé, lors de consommation de feuilles de rhubarbe (lesquelles contiennent plus d’oxalate que les tiges), mais aussi d’oseille.19,21,25,26 Plus récemment, un cas d’insuffisance rénale aiguë suite à la consommation de rhubarbe a été décrit.22 Le potentiel neurotoxique et potentiellement mortel de la carambole chez les patients urémiques est quant à lui reconnu depuis les années 1980, l’oxalate contenu dans la carambole étant l’un des candidats potentiels à incriminer dans la toxicité de ces fruits chez les patients dialysés.23,27 En 2001, un cas de néphropathie aiguë à l’oxalate sur consommation de jus de carambole a été décrit pour la première fois.23
Le traitement d’une intoxication à l’oxalate est essentiellement symptomatique. Une hydratation est préconisée afin de favoriser l’excrétion des cristaux d’oxalate au niveau rénal. Les éventuels troubles électrolytiques (hypocalcémie) sont à corriger et la prise en charge de l’insuffisance rénale peut justifier le recours à une dialyse.21,23
Il n’est pas un être humain qui n’ait été exposé aux effets du piment ! Le piment rouge et ses frères et sœurs du genre capsicum (figure 2) sont consommés mondialement sous forme crue ou cuite, ou encore sous forme d’extraits largement utilisés dans l’industrie alimentaire.28 Toutes les espèces de piment et leurs extraits contiennent un alcaloïde commun, la capsaïcine, découverte en 1919.29 Populairement doué de toutes les qualités (revigorant, aphrodisiaque, antibactérien et antiparasitaire, parmi d’autres…) ou de tous les défauts (carcinogène, diarrhéique, induisant des hémorragies hémorroïdaires ou des douleurs à la défécation), ses effets pharmacologiques et toxicologiques avérés sont moins connus. Son action immédiate sur les muqueuses, voire sur la peau en cas de haute concentration, est connue de tous, par la sensation immédiate d’une brûlure intense, effet médié par l’action de la capsaïcine sur les terminaisons nerveuses des neurones afférents de type C.29 Il s’agit du même effet recherché dans l’usage des «sprays au poivre» comme arme de défense ou d’arme incapacitante par les forces de l’ordre.30 En cas de contact accidentel avec les yeux, une douleur intense et immédiate survient, accompagnée d’un blépharospasme et d’une anesthésie de la cornée, effets suivis d’une résolution usuellement complète après une heure.31 Au niveau digestif, peu d’effets ont été documentés, que ce soit sur la fonction gastrique ou intestinale, à l’exception d’un reflux gastro-œsophagien lors de l’ingestion chronique d’extraits de piment.32 Consommés en grande quantité, les piments peuvent provoquer des crises hypertensives.33 Chez l’animal, outre la salivation et l’érythème cutané, l’administration orale de capsaïcine à haute dose produit des troubles moteurs, une bradypnée et une hypotension qui peut évoluer jusqu’au décès.34 La consommation chronique de piment est connue pour augmenter le métabolisme de base par un effet thermogénique sur le tissu adipeux, arguant pour une action «anti-obésité» de sa consommation.35 Sur le plan oncologique, l’effet carcinogène sur l’estomac et la vésicule biliaire a été suggéré par quelques études épidémiologiques contestées sur le plan méthodologique, alors qu’inversement, la capsaïcine dispose d’effets antimitotiques en laboratoire sur certaines lignées de cellules tumorales.36,37
Consommés en grande quantité, ces piments peuvent provoquer des crises hypertensives.
Le traitement symptomatique de la douleur induite par le contact du piment avec les muqueuses ne repose que sur l’attente de la résolution des symptômes survenant généralement dans les minutes suivant l’exposition, voire sur la prescription d’un anesthésique topique au niveau des conjonctives.
La réglisse – Glycyrrhiza glabra du grec glykos (doux) et rhiza (racine) – est une plante consommée de nos jours sous forme de pâte à friandise, de sirop, ou de bâton de réglisse, comme agent sucrant ou odorant, ou en phytothérapie.38,39 Son principal principe actif est la glycyrrhizine, qui inhibe la 11β-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11β-HSD2), laquelle convertit normalement au niveau rénal le cortisol en cortisone, localement inactive.38,40 Le cortisol induit alors un pseudo-hyperaldostéronisme en activant des récepteurs minéralocorticoïdes au niveau rénal.41
Consommée en excès, la réglisse peut donc induire une rétention hydrosodée, une hypertension, une hypokaliémie, une alcalose métabolique, le tout dans un contexte d’activités plasmatiques de la rénine basse, et d’un hypoaldostéronisme.39-41 En cas d’hypokaliémie, une paralysie peut être retrouvée.41 La présence d’une thrombocytopénie a également été décrite.40 De nombreux cas d’intoxication sont publiés dans la littérature médicale et la présence d’une hypertension inexpliquée, d’œdèmes périphériques et d’une hypokaliémie doit faire rechercher une consommation excessive de réglisse, que ce soit sous forme alimentaire ou en automédication.
Le traitement est symptomatique, essentiellement basé sur la correction d’une éventuelle hypokaliémie et la prise en charge de l’hypertension. L’inhibition de la 11β-HSD2 étant réversible, l’effet minéralocorticoïde cesse en principe quelques jours après l’arrêt de la consommation de réglisse et une évolution favorable est la règle.38,40,41
Pas de purée de pommes de terre ou de gratin dauphinois sans une pincée de muscade !… L’adjonction de poudre de noix de muscade aux aliments est connue en Europe depuis le Moyen-Age (figure 3). Elle entre dans la composition de nombreuses épices comme le curry, les «4 épices» ou le raz el hanout. Ses propriétés psychoactives et hallucinogènes sont également connues depuis plusieurs siècles. Son composant, la myristicine, est mal connu quant à ses effets et leurs mécanismes.42 Seuls quelques cas d’intoxication, la plupart volontaires, et de rares cas létaux permettent d’identifier ses effets toxiques comme essentiellement neurologiques (hallucinations, vertiges, paresthésies, parésies périphériques, rétention urinaire), voire cardio-vasculaires (vasodilatation, tachycardie) ou gastro-intestinaux (vomissements).43-46 Les cas graves, y compris létaux, ont été observés après l’absorption orale d’une dose de poudre de noix de muscade d’environ 15 à 30 grammes.43,46-48
Laissons à Paracelse, alchimiste, astrologue et médecin suisse du XVe siècle, conclure cet article par la célèbre pensée qui lui est attribuée : «Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison.» Les faits semblent donner raison à notre ancêtre puisque la population consomme ces fruits, légumes et autres épices usuellement sans excès. De 1995 à 2009, aucun cas d’intoxication sévère ou létale par les aliments ci-dessus décrits n’a été rapporté au Centre suisse d’information toxicologique (Tox-Centrum).49 N’oublions cependant pas que la recherche de produits psychoactifs par nos concitoyens est fréquente et que la gamme des substances consommées ne fait que croître. Le temps est loin où seul l’alcool suffisait à satisfaire les envies ou besoins psychiques de la population et il y a fort à parier que la toxicité potentielle des végétaux comestibles pourrait se rencontrer en pratique clinique aux urgences, non seulement par accident ou suite à une consommation excessive volontaire.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> La consommation des noyaux de certains fruits peut conduire à une intoxication au cyanure. L’administration d’antidote (hydrocobalamine (Cyanokit) notamment) doit alors être évoquée
> La consommation de carambole chez un patient en insuffisance rénale chronique peut conduire à une intoxication grave
> Un reflux gastro-œsophagien peut être aggravé par la consommation chronique de piments
> La présence d’une hypertension inexpliquée, d’œdèmes périphériques et d’une hypokaliémie doit faire rechercher une consommation excessive de réglisse
> La consommation de muscade à raison de dix grammes ou plus peut provoquer des troubles neurologiques avec des hallucinations
Fruits, vegetables and spices are found in our everyday food consumption. However, some contain potentially toxic substances, particularly when consumed in large amounts. These risks may be greater for certain susceptible individuals and may depend on how the ingredients are prepared. Food poisoning is generally speaking self-limiting, but may be life threatening. This article discusses the possible toxic effects of certain common foodstuffs, as described in the current medical literature.