Les intoxications suite à l’ingestion de champignons représentent un motif régulier de consultation dans les structures d’urgence. Ces situations sont le plus souvent de faible gravité et un traitement symptomatique est alors suffisant. Néanmoins, des atteintes sévères peuvent survenir, mettant la vie du patient en danger. Nous passons en revue les différents syndromes cliniques associés à la présence de toxines, leur prise en charge ainsi que les indices devant faire suspecter une atteinte grave nécessitant une hospitalisation.
Les champignons forment un ordre à part entière appartenant aux eucaryotes. Ils peuvent être uni ou pluricellulaires. Nous ne discuterons dans cet article que des champignons «supérieurs» utilisés à des fins culinaires, voire récréatives. Il existe plus de 5000 espèces de champignons supérieurs, dont 200 à 300 sont comestibles et 50-100 toxiques pour l’être humain.1,2 Dans un service d’urgences comme celui du CHUV, les intoxications par ingestion de champignons concernent plus d’une dizaine de cas par année (72 cas ont ainsi été recensés entre décembre 2004 et octobre 2011). La plupart des situations sont bénignes, avec des patients qui présentent principalement des symptômes gastro-intestinaux. Une seule patiente a présenté une intoxication sévère par amanite phalloïde, nécessitant un traitement par silibinine, avec une évolution favorable.
De manière peu surprenante, la majorité des cas surviennent pendant la période de récolte des champignons. Dans notre série, 81% des cas sont ainsi survenus entre les mois de juillet et de décembre (figure 1). Les intoxications suite à l’ingestion de champignons surviennent volontiers dans un contexte familial ou festif (clusters), et impliquent l’ensemble des convives ayant consommé des champignons. En cas d’intoxication, il convient ainsi de ne pas oublier que les personnes asymptomatiques ayant partagé le repas sont également à risque.
Classiquement, les intoxications par les champignons sont regroupées en différents syndromes, selon la toxine responsable des signes et symptômes du patient. Le tableau 1 résume les différents syndromes associés aux toxines connues, avec les symptômes correspondant et les grandes lignes de la prise en charge proposée. On distingue généralement deux grands groupes, selon le délai d’apparition des symptômes après l’ingestion : les symptômes précoces, avant six heures, ou tardifs, après six heures (figure 2). Cette limite de six heures facilite la prise en charge, les intoxications dont les symptômes apparaissent dans les six heures étant en général bénignes. Malheureusement, il n’est pas rare qu’un patient ait ingurgité plusieurs champignons différents et donc possiblement plusieurs toxines. Ceci peut compliquer la prise en charge et le diagnostic, car des symptômes d’apparition rapide (< 6 heures) pourront faire croire transitoirement à tort à une intoxication sans gravité, alors qu’une autre toxine va être responsable de symptômes différés. Il existe également quelques champignons qui contiennent à eux seuls plusieurs toxines pouvant compliquer la prise en charge (par exemple, Amanita muscaria, l’amanite tue-mouches, contient une petite quantité de muscarine, mais surtout des isoxazoles responsables des symptômes). L’anamnèse est donc essentielle, et doit être précise et complète. Les éléments-clés de l’évaluation initiale de ces situations sont résumés dans le tableau 2.
En général, les symptômes apparaissant dans les six heures après l’ingestion sont corrélés à une faible gravité, et impliquent le plus souvent des manifestations gastro-intestinales. On peut parfois observer un syndrome gastro-intestinal sévère jusqu’à huit heures après la consommation des champignons.
Il s’agit du syndrome le plus fréquent, impliquant un grand nombre de champignons et se présentant sous forme de symptômes gastro-intestinaux isolés. Parmi les espèces incriminées, on peut citer la clavaire dorée (Ramaria aurea), la russule émétique (Russula emetica), l’hypholome en touffe (Hypholoma fasciculare), l’agaric jaunissant (Agaricus xanthoderma). D’autres espèces comme l’entolome livide (Entoloma lividum, figure 3A), le clitocybe de l’olivier (Omphalotus olearius), le tricholome tigré (Tricholoma pardinum, figure 3B) ou le bolet Satan (Boletus satanas, figure 3C) peuvent également être responsables d’un syndrome gastro-intestinal plus sévère, dont l’apparition peut survenir jusqu’à huit heures après la consommation. La plupart des toxines ne sont pas connues. Des symptômes gastro-intestinaux peuvent également être dus à la consommation en grande quantité d’un champignon a priori comestible, à une contamination par un micro-organisme (bactéries après macération des champignons dans un sac plastique) ou encore à la consommation de champignons riches en tréhalose (jeunes rosés des prés) par un patient porteur d’un déficit en tréhalase.
A. Entolome livide (Entoloma lividum) ; B. Tricholome tigré (Tricholoma pardinum) ; C. Bolet Satan (Boletus satanas) ; D. Clitocybe dealbata ; E. Amanite tue-mouches (Amanita muscaria) ; F. Amanite panthère (Amanita pantherina) ; G. Coprin noir d’encre (Coprinus atramentarius) ; H. Amanite phalloïde (Amanita phalloides) ; I. Cortinaire des montagnes (Cortinarius orellanus) ; J. Gyromitre (Gyromitra esculenta) ; K. Polypore rutilant (Hapalopilus rutilans).
Le traitement de ce syndrome est avant tout symptomatique, avec antiémétiques, réhydratation et correction des éventuels troubles électrolytiques.
La toxine responsable est la muscarine. On la trouve dans un certain nombre de champignons clitocybes (figure 3D) et inocybes (tableau 1). Les symptômes apparaissent dans les quinze minutes à deux heures après l’ingestion et sont liés à l’effet parasympathique de la muscarine provoquant des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées), myosis, hypersécrétions salivaire et bronchique, sudations profuses, bradycardie et hypotension.3 Ces symptômes disparaissent le plus souvent en quelques heures. Le traitement consiste en un soutien hydro-électrolytique, et peut parfois justifier l’administration d’atropine (0,5-1 mg IV) et une surveillance en milieu de soins intensifs en cas d’instabilité hémodynamique (intoxication sévère).
Les toxines responsables sont des isoxazoles (muscimol, par exemple), agissant au niveau du système nerveux central, et possiblement d’autres toxines non encore identifiées. Elles se retrouvent en particulier dans l’amanite tue-mouches (Amanita muscaria, figure 3E) et l’amanite panthère (Amanita pantherina, figure 3F). A noter que l’amanite tue-mouches contient également de la muscarine (d’où son nom latin), mais en trop petite quantité pour provoquer un syndrome muscarinien.4 Les symptômes apparaissent entre 30 minutes et trois heures après l’ingestion et englobent des troubles digestifs modérés (nausées, vomissements), des troubles neurologiques (syndrome ébrieux, agitation, confusion, obnubilation, délire, hallucinations), une tachycardie et une mydriase. Chez l’enfant, des convulsions sont décrites.5 L’évolution est en général spontanément favorable, mais l’agitation peut parfois nécessiter un traitement sédatif par benzodiazépines.
La toxine responsable est l’aminocyclopropanol, un métabolite actif de la coprine, qui est un puissant inhibiteur de l’acétaldéhyde déshydrogénase. On la trouve principalement dans le coprin noir d’encre (Coprinus atramentarius, figure 3G). L’acétaldéhyde accumulé a un effet bêtamimétique. Lors d’un repas de coprins (et jusqu’à trois jours après), l’absorption d’alcool induit un effet antabuse-like dans les 30 minutes à une heure qui suivent, sous la forme d’un flush avec vasodilatation périphérique prédominant au niveau du visage, sudations, céphalées, tachycardie et hypotension. L’évolution est le plus souvent spontanément favorable. Un soutien hémodynamique peut néanmoins s’avérer nécessaire (remplissage et noradrénaline en cas d’hypotension, propranolol en cas de tachycardie).
Les toxines responsables sont des dérivés indoles, dont la plus fréquente est la psilocybine (le métabolite actif est la psilocine). Plus de 120 espèces de champignons hallucinogènes sont décrits. Dans nos régions, il s’agit le plus souvent de psilocybes, plus rarement de panéoles.6 Ils sont généralement consommés de manière volontaire et récréative, plus rarement de façon accidentelle par des jeunes enfants.7 Les effets ressemblent à ceux du LSD.4 Les symptômes apparaissent dans les 30 minutes après l’ingestion, avec des troubles de l’humeur (euphorie ou anxiété), des hallucinations visuelles et auditives, une distorsion du temps et de l’espace.8 Ils peuvent être associés à d’autres signes cliniques, tels que nausées, céphalées, tachycardie, mydriase ou vasodilatation périphérique. Les ingestions massives peuvent se compliquer d’un coma, de convulsions, d’un infarctus myocardique, voire de décès. Le traitement peut nécessiter une sédation par des benzodiazépines. Les effets durent deux à quatre heures et l’évolution est spontanément favorable en l’espace de 12 à 48 heures.
Ce syndrome rare est dû à l’ingestion de paxilles enroulés (Paxillus involutus) crus ou mal cuits. La toxine n’est pas connue, mais des anticorps «anti-extrait paxillien» ont été retrouvés. Le plus souvent, on objective un syndrome digestif banal, et plus rarement une anémie hémolytique. Le traitement est symptomatique et implique occasionnellement la gestion de l’hémolyse aiguë.4
Les syndromes dont les symptômes apparaissent au-delà de six heures sont en général graves, la plupart des cas impliquant des insuffisances d’organes pouvant aller jusqu’au décès (figure 2).
Plusieurs toxines sont identifiées (amatoxines, phallotoxines, virotoxines, phallolysines), celle responsable de l’atteinte hépatique étant l’alpha-amanitine. Les amatoxines bloquent la synthèse protéique dans l’ensemble des cellules, mais du fait d’un effet de premier passage hépatique, le foie constitue l’organe le plus touché. Les espèces incriminées sont les amanites phalloïde (Amanita phalloides, figure 3H), vireuse (A. virosa) et printanière (A. verna), les lépiotes brun-incarnat (Lepiota brunneoincarnata), helvéolée (L. helveola), de Josserand (L. josserandii), et les galères marginée (Galerina marginata), d’automne (G. automnalis) et vénéneuse (G. venenata).
Classiquement, on décrit quatre phases dans le déroulement de ce type d’intoxication :
Phase de latence
Un délai de 6 à 24 heures (dix à douze heures en moyenne) est observé entre l’ingestion et le début des symptômes.
Symptômes digestifs
Cette phase gastro-intestinale implique nausées, vomissements importants et diarrhées profuses, pouvant évoluer rapidement vers une déshydratation et une insuffisance rénale aiguë d’origine prérénale.
Rémission des symptômes
L’état clinique du patient s’améliore transitoirement entre la trente-sixième et la quarante-huitième heure. Biologiquement, on observe par contre une augmentation des transaminases.
Phase de cytolyse hépatique
La cytolyse hépatique atteint son pic entre le troisième et le cinquième jour. L’atteinte est dite sévère lorsque les ALAT sont supérieures à 1000 UI/l. On peut observer une insuffisance hépatocellulaire, en particulier avec un déficit des facteurs II et V. Le taux de facteur V est à ce titre plus fiable, car sa synthèse ne dépend pas de la vitamine K. Dans les formes modérées, les tests hépatiques reviennent à la norme en dix à douze jours. Dans les formes sévères, le tableau clinique se complique progressivement d’une hémorragie digestive, d’une hypoglycémie, d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), d’une insuffisance rénale aiguë, cette fois d’origine rénale (toxique), et d’un coma. L’atteinte rénale constitue dans cette phase un facteur de mauvais pronostic.
Le diagnostic peut être confirmé par le dosage sanguin de l’alpha-amanitine. Le traitement implique des mesures de réanimation standards (réanimation liquidienne, électrolytique, épuration extrarénale si nécessaire). Parmi différents traitements antitoxiques proposés, seules la silibinine (Legalon, 20-30 mg/kg/jour IV) et la N-acétylcystéine (Fluimucil, 150 mg/kg en 15 minutes IV puis 50 mg/kg sur quatre heures, puis 6,25 mg/kg/heure) ont montré une efficacité clinique (études non contrôlées). La pénicilline G n’est plus recommandée.9 En dernier recours, une transplantation hépatique peut être envisagée (une vingtaine de cas sont décrits dans la littérature), la difficulté étant d’évaluer l’aspect irréversible ou non de l’atteinte hépatique.
La toxine responsable est l’orellanine, toxique pour le tubule proximal du rein. On la trouve dans le cortinaire des montagnes (Cortinarius orellanus, figure 3I), ainsi que dans Cortinarius speciosissimus et Cortinarius orellanoides. Des troubles digestifs passagers peuvent survenir 24 à 36 heures après l’ingestion. Une longue période de latence (36 heures à 17 jours) avant l’apparition d’une insuffisance rénale (par atteinte toxique tubulo-interstitielle) complique le diagnostic.10 L’évolution peut être spontanément favorable ou évoluer vers une insuffisance rénale chronique. Le traitement est avant tout symptomatique, mais peut nécessiter l’instauration d’une épuration extrarénale. La reprise éventuelle d’une fonction rénale spontanée est lente, raison pour laquelle une transplantation ne doit être envisagée que tardivement.
La toxine responsable est la gyromitrine. On la trouve dans le gyromitre (Gyromitra esculenta), qui peut être pris par erreur pour une morille (figure 3J). Son effet diminue le taux de GABA intracérébral et peut provoquer des convulsions. Les symptômes peuvent être très variables, mais débutent en général par des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées). Ils apparaissent dans un délai de 6 à 24 heures après l’ingestion et sont suivis après deux à trois jours d’une atteinte hépatique (cytolyse) modérée. Cette atteinte peut être accompagnée d’une hémolyse et d’une insuffisance rénale, et en cas d’intoxication sévère, d’une agitation, d’un coma et de convulsions. Le traitement consiste en une réhydratation, une correction des troubles électrolytiques et la prise en charge éventuelle des convulsions. L’administration de vitamine B6 IV peut être proposée en cas de troubles neurologiques.11
Depuis une dizaine d’années, plusieurs nouveaux syndromes ont été décrits, en lien avec de nouvelles toxines (parfois non encore identifiées).
La toxine responsable est inconnue. On la trouve dans l’amanite à volve rousse (Amanita proxima, sud de la France) et l’amanite de Smith (Amanita smithiana, Amérique du Nord). Elle provoque une atteinte hépatique et rénale un à quatre jours après l’ingestion. Des troubles digestifs sont présents dans un délai de huit à quatorze heures. L’atteinte hépatique et rénale évolue en général favorablement, mais du fait d’une grande variabilité interindividuelle, il est recommandé de procéder à un bilan sanguin (créatinine) chez tous les convives ayant consommé ces champignons, même chez ceux qui seraient asymptomatiques.
Les toxines responsables sont des acides acroméliques (agoniste du système glutamate). Le champignon incriminé dans nos contrées est le clitocybe à bonne odeur (Clitocybe amoenolens), cousin du Clitocybe acromelalga japonais. Les symptômes caractéristiques de ce syndrome constituent une érythermalgie, soit des sensations de fourmillement, puis de brûlures au niveau des mains et des pieds, survenant 24 heures après l’ingestion et pouvant durer parfois plusieurs mois. Des crises peuvent être déclenchées par la chaleur et s’accompagner d’un érythème et d’un œdème. Le traitement est purement symptomatique (bains des extrémités dans de l’eau glacée, antalgie).
Le champignon en cause, le tricholome équestre (Tricholoma auratum), est un champignon a priori comestible, qui provoque une rhabdomyolyse un à trois jours après l’ingestion lorsqu’il est consommé en quantité excessive.12 La toxine n’est pas identifiée. Des issues fatales ont été décrites, en particulier chez des patients ayant présenté une défaillance cardio-respiratoire sévère (nécrose des muscles striés du diaphragme et du myocarde).
La toxine responsable est l’acide polyporique, contenu dans le polypore rutilant (Hapalopilus rutilans, figure 3K). Des troubles digestifs tardifs surviennent après douze heures, ainsi qu’une atteinte hépatique, rénale et neurologique centrale (vertiges, ataxie, somnolence, troubles visuels, anomalies à l’EEG compatibles avec un œdème cérébral). Des urines violettes sont caractéristiques.
Comme dans toute intoxication, l’anamnèse est fondamentale et généralement suffisamment évocatrice. Il peut néanmoins s’agir parfois d’une intoxication alimentaire d’une autre origine (toxines bactériennes, infection virale, etc.). Parfois, une mauvaise préparation de champignons comestibles peut provoquer des symptômes gastro-intestinaux (par exemple, la consommation de morilles crues). Il arrive également que plusieurs types de champignons soient ingérés, ce qui peut entraîner la survenue de syndromes combinés et compliquer le diagnostic.
Chez un patient présentant une atteinte hépatique, une insuffisance rénale aiguë ou une rhabdomyolyse d’origine indéterminée, le clinicien ne doit donc pas oublier de questionner le patient et son entourage sur la possible consommation de champignons dans les jours précédant la survenue des symptômes.13
Les intoxications par les champignons sont le plus souvent banales et caractérisées par des symptômes digestifs d’apparition rapide (< 6 heures).7 Un traitement symptomatique est alors suffisant en l’absence de syndrome muscarinien ou atropinien, et le patient peut rentrer à domicile dans les heures qui suivent.
En cas de symptômes retardés, intenses ou qui se prolongent, l’atteinte doit être considérée comme potentiellement grave et nécessite le plus souvent une hospitalisation. L’identification des espèces en cause par un mycologue (reste de repas, épluchures, etc.) devrait être systématique, afin d’orienter le traitement et d’évaluer le risque de complications.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> Il ne faut pas hésiter à faire contrôler ses champignons avant de les consommer. La liste des contrôleurs agréés est disponible sur le site www.vapko.ch
> La plupart des intoxications par les champignons sont bénignes et ne nécessitent qu’un traitement symptomatique
> Les symptômes tardifs (> 6 heures) sont des signes de gravité et imposent l’hospitalisation
> En cas d’intoxication, un échantillon ou les restes des champignons consommés devraient être examinés par un mycologue
Mushroom poisoning is a regular complaint for consultation in emergency facilities. These situations are usually benign and symptomatic treatment is sufficient. However, severe damage can occur, potentially life-threatening. We review the various syndromes associated with the toxins involved, their management and the major signs that are suggestive of serious injury and requiring hospitalization.