L’intoxication éthylique aiguë est un problème fréquent dans les services d’urgences. La présentation clinique est fortement variable, allant d’un simple état d’ébriété au coma en passant par un état d’agitation. L’examen clinique de ces patients doit être minutieux, en gardant en tête que l’intoxication éthylique aiguë est un diagnostic d’exclusion. Les examens complémentaires sanguins doivent être ciblés, comprenant au minimum une glycémie. Chez les patients traumatisés, le recours à l’imagerie, notamment les CT cérébral et cervical, est indiqué au moindre doute clinique. Durant leur séjour, ces patients doivent être régulièrement réexaminés. Le traitement comprend, outre les mesures générales de soutien, l’administration d’halopéridol ou de benzodiazépines en cas d’agitation ainsi qu’une consultation ou intervention brève en alcoologie avant la sortie.
La moitié de la population suisse boit de l’alcool au minimum une fois par semaine et environ un habitant sur vingt présente une consommation à risque.1 Cette définition inclut : 1) la consommation chronique à risque (≥ 4 verres par jour pour les hommes, ≥ 2 verres pour les femmes) et 2) l’ivresse ponctuelle (consommation dans un laps de temps court de ≥ 5 verres pour les hommes et de 4 pour les femmes).
Parmi toutes les pathologies liées à l’éthanol, l’intoxication éthylique aiguë (IEA) est la pathologie la plus fréquente dans les services d’urgences.2 Aux urgences du Centre hospitalier universitaire vaudois, les intoxications alcooliques massives (≥ 3‰) représentent plus d’une admission par jour.3 Dans les urgences de l’Hôpital neuchâtelois, cela représente en moyenne 0,85 admission/jour (2012).
L’activité du service des urgences est à son paroxysme avec de nombreux patients âgés aux problèmes médicaux complexes qui monopolisent toute votre attention. Il est samedi soir et les ambulanciers vous amènent le premier d’une série de patients avec une intoxication éthylique aiguë. Il s’agit d’un jeune homme de 24 ans retrouvé à terre, dans la rue. En l’absence de témoins, les circonstances de la chute (traumatisme ?) sont inconnues. Il a manifestement vomi au moins une fois, il est réveillable mais s’agite et ne se laisse pas examiner. Il hurle pour que vous le laissiez tranquille. A la palpation du crâne, il présente une tuméfaction occipitale sans plaie évidente. Vous vous demandez par quoi commencer…
L’évaluation initiale vise à stabiliser le patient, évaluer ses voies aériennes, son status respiratoire et cardio-vasculaire (ABC).4 L’intubation orotrachéale est indiquée chez un patient non réveillable et/ou qui ne protège pas ses voies aériennes.
L’anamnèse est essentielle, quoique parfois difficile, d’où l’importance de la compléter auprès de la police, des ambulanciers et/ou des accompagnants. En plus des antécédents et des comorbidités, elle doit permettre de se faire une idée sur le type d’alcool ingéré, la quantité, les habitudes de consommation et la prise d’autres toxiques. La recherche d’un traumatisme secondaire et son mécanisme est impérative.
L’examen physique a pour objectif la recherche des conséquences directes de l’intoxication aiguë (plaies et/ou traumatismes) et la présence de stigmates de dénutrition et/ou d’éthylisme chronique.4,5
Le contrôle de la glycémie capillaire fait partie de la prise en charge diagnostique et thérapeutique de tous les troubles de l’état de conscience, y compris l’intoxication alcoolique. En revanche, l’utilité du dosage systématique de l’éthanol dans le sang n’est pas démontrée, entre autres vu la difficulté à corréler les taux sanguins et le tableau clinique.4-6 Face à un état d’ébriété sans altération de l’état de conscience, le dosage de l’alcool dans le sang ne devrait pas être effectué de routine. Lorsque le tableau clinique est moins clair, et/ou en présence de troubles de l’état de conscience, un dosage à des fins diagnostiques est indiqué. Il n’existe pas de consensus concernant les autres examens complémentaires.
Le tableau 1 tente de corréler le taux sanguin d’éthanol avec les symptômes neurologiques. Cette corrélation n’est pas linéaire, mais varie en fonction de la quantité et la vitesse d’ingestion, les habitudes de consommation et le profil génétique des individus.6 En plus des symptômes neurologiques, l’éthanol a des effets cardio-vasculaires, digestifs et respiratoires qui sont présentés dans le tableau 2.
Le diagnostic différentiel d’une intoxication éthylique aiguë est résumé dans le tableau 3. Certaines de ces pathologies peuvent soit compliquer une intoxication éthylique aiguë, soit coexister avec elle.4-6
Vingt-cinq à quarante pour cent des patients victimes de traumatismes sont sous influence de l’alcool, ce qui rend le bilan des lésions parfois difficile (douleur masquée, absence de collaboration) et augmente le risque de sous-diagnostic.7 Ces patients doivent être pris en charge de manière standardisée selon les recommandations de l’ATLS (Advanced Trauma Life Support) (immobilisation et maintien de l’axe tête-cou-tronc, évaluation primaire de type ABCDE, puis évaluation tête-pied et contrôle de la glycémie capillaire). En cas d’agitation, le recours à une contention physique, voire chimique (par exemple, halopéridol) doit intégrer la nécessité d’une imagerie cervicale, le risque de complications liées à l’agitation et les effets secondaires de la sédation.
En pratique, tout patient alcoolisé, victime d’un traumatisme, doit être initialement pris en charge comme un traumatisé du rachis et le recours à l’imagerie doit être systématique en cas de traumatisme au-dessus des clavicules. En l’absence de symptômes et/ou signes d’appel d’un traumatisme cervical, l’étude NEXUS8 montre que < 1% des patients ont une fracture cervicale. Ce diagnostic est donc rare chez les patients alcoolisés sans symptômes cervicaux, mais les principes de précaution habituels doivent être appliqués malgré tout. Dans notre pratique, nous recommandons de prioriser ces patients en termes d’imagerie afin de pouvoir les libérer de la minerve, de la planche ou du matelas vacuum. La radiographie du thorax de face n’est indiquée qu’en présence d’un traumatisme thoracique, d’une hypoxie ou d’une suspicion de bronchoaspiration. Finalement, en cas de traumatisme abdominal, le recours à un ultra-son ou un CT doit être quasi systématique car le risque de lésions est significatif.9
Nos recommandations pour prescrire un CT cérébral chez le patient alcoolisé sont illustrées dans la figure 1. Ces propositions se basent sur la littérature existante tout en sachant qu’aucune étude ne fournit une réponse claire à la question de qui doit bénéficier d’un CT cérébral natif aux urgences. La décision de demander un CT dépendra non seulement des critères habituels en vigueur dans chaque service, CHCR (Canadian Head CT Rules) ou NOC (New Orleans Criteria), mais également de la présentation clinique, des ressources disponibles et de l’état de surcharge du service.
Galbraith et coll. ont démontré une relation entre un taux d’alcool au-dessus de 2‰ et l’abaissement du score de Glasgow.10 En revanche, au-dessous de ce seuil, le score de Glasgow n’était pas statistiquement diminué. On pourrait conclure qu’avec une alcoolémie < 2‰, et un état de conscience normal, on pourrait se contenter d’une surveillance neurologique sans imagerie. Néanmoins, dans une autre étude, aucun critère clinique ni élément de l’examen neurologique ne permettent de prédire quels patients alcoolisés sont le plus à risque de lésion intracrânienne et lesquels doivent bénéficier d’une surveillance neurologique seule ou d’un CT cérébral.11
Les complications secondaires à une intoxication éthylique aiguë (tableau 4) sont rares et essentiellement liées à l’alcoolisation elle-même ou aux comorbidités du patient.5
En général, les hypoglycémies sévères (≤ 2,8 mmol/l) ne surviennent que chez des patients avec des comorbidités (diabète, malnutrition), alors que les hypoglycémies entre 2,8 et 3,7 mmol/l peuvent survenir chez tous les patients alcoolisés.12 De manière générale, le risque de complications (encéphalopathie de Wernicke, troubles acido-basiques) est plus important chez le patient souffrant d’éthylisme chronique et déjà souvent dénutri.
La prise en charge est aspécifique et consiste essentiellement à surveiller, anticiper et traiter les complications énoncées dans le tableau 4.
La surveillance doit comprendre au minimum : 1) un examen clinique répété, ciblé sur l’état de conscience et les signes vitaux et 2) un accès veineux en présence de signes de déshydratation ou d’hypoglycémie. En cas d’agitation nécessitant une contention physique ou chimique, cette surveillance doit être continue vu les risques d’effets secondaires liés à l’alcoolisation ou aux médicaments.
Tous les patients admis pour une intoxication éthylique aiguë devraient bénéficier d’une intervention brève afin de dépister une dépendance à l’alcool. La littérature est unanime sur la nécessité et l’efficacité de ce type d’intervention. L’entretien est un acte de soins à part entière pour les dépendants, ou un temps d’information et de prévention pour les rares situations relevant d’un simple usage de l’alcool.13,14
Afin de prévenir la survenue de complications et réduire le risque de sous-diagnostic, la prise en charge d’un patient avec une intoxication éthylique aiguë doit être rigoureuse et systématique. Une attention toute particulière doit être portée aux traumatismes avérés et occultes ainsi qu’à une intervention de dépistage de la dépendance à l’alcool. La possibilité, comme à Zurich, de créer des cellules de dégrisement à l’extérieur de l’hôpital sous la responsabilité de professionnels de la santé affectés à la surveillance de ces patients, ou à l’intérieur de l’hôpital comme à Neuchâtel (figure 2) lors du week-end de la fête des Vendanges constitue une option pour préserver les services d’urgences d’afflux massifs de patients lors d’événements festifs importants.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> L’intoxication éthylique aiguë est un diagnostic d’exclusion et tout effort doit être entrepris afin d’écarter une autre pathologie
> La glycémie capillaire est indispensable chez tout patient alcoolisé
> Il faut rechercher activement des signes de traumatisme et avoir un seuil bas pour l’imagerie médicale avancée
> Une intervention alcoologique est indispensable avant le retour à domicile
Acute ethanol intoxication is frequent in emergency departments. The clinical presentation is highly variable and ranges from an inebriety to a coma and sometimes an agitated patient. You have to examine completely the patient and to do complementary exams with a capillary glycemia as the minimal standard. We must keep in mind that an acute ethanol intoxication is a diagnosis of exclusion. With trauma patients, we have to keep a low threshold for asking radiological advanced imaging, like cerebro-cervical CT scan. The patient should be reexamined frequently. The treatment is a supportive one. If the patient is agitated, you can give him haloperidol or a benzodiazepine. Before discharge, the patient should see the alcohologic team.