L’hépatite E est la manifestation clinique de l’infection par le virus de l’hépatite E (VHE). Identifié initialement comme un agent viral d’hépatite non A, non B au début des années 80, le génome du virus a été cloné et caractérisé en 1990.1
Le VHE est un virus non enveloppé à génome ARN brin positif classé dans la famille des Hepeviridae, dont il est le seul membre. Si un seul sérotype est connu, ce virus présente une diversité génétique importante, actuellement représentée par quatre génotypes infectant l’humain. Cependant, de nouvelles souches virales spécifiques à certains animaux ont été récemment identifiées (lapin, rat et oiseau) et viennent agrandir cette famille.
Le génome du VHE est composé d’environ 7,3 kilobases et comporte une coiffe ainsi qu’une queue de poly-adénosine (poly-A) à ses deux extrémités, respectivement (figure 1). Ce génome comprend trois phases ouvertes de lecture différentes menant à l’expression des protéines ORF1, ORF2 et ORF3 correspondant respectivement à la réplicase (caractérisée notamment par la présence d’une polymérase ARN-dépendante), à la capside et à une phosphoprotéine encore peu étudiée. Les mécanismes moléculaires du cycle viral du VHE n’ont été jusqu’à ce jour que peu caractérisés.2
Malgré une incertitude quant à la prévalence exacte du VHE, il est estimé qu’environ un tiers de la population mondiale a été infecté par le virus.3 Parmi les quatre génotypes répertoriés, VHE 1 et 2 sont restreints à l’homme dans les régions endémiques (Asie pour VHE 1, Afrique et Mexique pour VHE 2) alors que VHE 3 et 4 résultent d’une infection zoonotique essentiellement via le porc ou certains animaux sauvages.4–8 Si VHE 3 présente une distribution universelle, VHE 4 est principalement retrouvé en Asie du Sud-Est.
La transmission se fait essentiellement par l’intermédiaire d’eau contaminée par des excréments (VHE 1 et 2) ou par l’ingestion de viande de porc ou de gibier, crue ou insuffisamment cuite (VHE 3 et 4). De manière moins fréquente, une transmission par transfusion de produits sanguins contaminés a été décrite.7
Dans les pays où l’hépatite E est endémique avec des séroprévalences de 30 à 80% dans la population adulte, des épidémies ainsi que des cas sporadiques sont observés. Les épidémies touchent les jeunes adultes (15-35 ans) avec une prédominance masculine (2-5 fois supérieure) pour les atteintes cliniquement symptomatiques et un taux d’attaque de 1 à 15%. En outre, les cas décrits d’infections par VHE 1 ou 2 dans les pays développés sont des cas importés lors de voyages en régions endémiques.
La grande majorité des hépatites E observées dans les pays développés résultent d’infections zoonotiques par le génotype 3. A la différence de ceux des pays en voie de développement, les patients symptomatiques des pays développés sont plus généralement des hommes de plus de 50 ans avec une consommation excessive d’alcool ou avec une hépatopathie chronique sous-jacente.9 La séroprévalence a été estimée entre 4,2 et 21,8% par une étude récente menée sur des donneurs de sang en Suisse romande10,11 et peut atteindre jusqu’à 50% dans certaines régions en France.12 La séroprévalence réelle est cependant questionnable en raison de la sensibilité et de la spécificité limitées des tests sérologiques.
Le temps d’incubation est de cinq à six semaines. L’infection aiguë est habituellement une maladie limitée, évoluant sur quatre à six semaines. Le plus souvent asymptomatique, l’hépatite E peut se manifester chez certains patients par des symptômes aspécifiques tels que des nausées, une inappétence, des douleurs abdominales, de la fièvre ou des arthralgies. Une minorité de patients présente un ictère dont la durée varie de quelques jours à quelques semaines. Le taux de mortalité peut s’élever jusqu’à 5%, avec une majorité des décès survenant chez des patients ayant une atteinte hépatique préexistante. Plus particulièrement, les femmes enceintes seraient susceptibles de développer une hépatite E fulminante (à VHE de génotype 1) avec une mortalité estimée de 15 à 25%. Cependant, aucun cas d’hépatite E fulminante chez une patiente enceinte n’a été décrit en lien avec une hépatite E autochtone due à une infection par le VHE de génotype 3. Il est aussi intéressant de noter qu’une hépatite E aiguë peut être confondue avec une atteinte hépatique d’origine médicamenteuse si l’origine virale n’est pas activement recherchée.13
Une évolution chronique de l’infection par le VHE se caractérise par une persistance de l’ARN viral pour plus de six mois. Cette infection chronique a été observée jusqu’alors uniquement pour le génotype 3 du VHE. En outre, elle affecte exclusivement des patients immunosupprimés suite à une transplantation d’organe, dans le contexte de chimiothérapie ou encore d’une infection VIH.4–8,14 La transmission post-transplantation n’est en général pas médiée par le greffon mais est associée à la consommation de viande contaminée. Des cas de transmission du virus lors de transfusions sanguines ont été bien documentés même si ceux-ci restent rares.7 L’implication de la présence de VHE dans les produits sanguins est en cours d’évaluation mais pourrait être significative, notamment pour des patients immunosupprimés.7 La majorité des patients chroniquement infectés demeure asymptomatique et la perturbation des transaminases reste souvent modeste. L’infection chronique peut cependant favoriser le développement rapide d’une fibrose et même d’une cirrhose.
Dans les pays en voie de développement, principalement dans le sous-continent indien, de nombreux cas d’atteintes neurologiques associées au VHE, probablement de génotype 1, ont été décrits, notamment des cas de syndrome de Guillain-Barré, de paralysie de Bell, d’amyotrophie neuralgique, de myélite transverse aiguë et de méningo-encéphalite aiguë.6,7 Les symptômes se dissipent avec la résolution de l’infection ou des traitements d’immunoglobulines. Des pancréatites aiguës ou des thrombocytopénies sévères ont également été observées dans des cas d’infections aiguës. De plus, des complications rénales sous forme de glomérulonéphrite membrano-proliférative ou membraneuse peuvent être associées à une infection chronique.
Au niveau biologique, on note une élévation des transaminases reflétant la nécrose hépatocellulaire accompagnée ou non de trouble de la synthèse hépatique (élévation de l’INR) en fonction du degré de l’atteinte.
La charge virale va s’élever durant la période d’incubation (figure 2). Des IgM et IgG dirigées contre le VHE sont détectables dès le début des symptômes. Le titre d’IgM va rapidement diminuer durant la convalescence mais peut rester détectable pendant cinq à six mois et les IgG seront détectables pendant plusieurs années. On retrouve également de l’ARN viral dans les selles lors de l’incubation, pendant la période symptomatique et une partie de la récupération. La majorité des tests sérologiques actuels est basée sur la reconnaissance d’antigènes issus de virus de génotypes 1 et 2, avec de nombreux faux positifs et négatifs. Ils sont moins sensibles pour la détection des génotypes 3.10
Le diagnostic sérologique d’une infection par le VHE est peu robuste étant donné les mauvaises sensibilités et spécificités des tests à disposition. La détection de l’ARN viral par polymerase chain reaction (PCR) dans le plasma ou les selles s’avère être la méthode de choix, offrant une très bonne sensibilité indépendante du génotype analysé ainsi qu’une détermination précise de la virémie. Les sérologies sont par ailleurs négatives dans environ 50% des cas chez les patients immunosupprimés. Une limitation importante de la PCR est directement liée au temps de circulation très court du virus au niveau sanguin et dans les selles. De ce fait, la fenêtre temporelle durant laquelle la PCR permettra le diagnostic d’une hépatite E aiguë est restreinte et disparaît en même temps que l’ictère du patient. Les deux premières semaines pendant lesquelles le patient est symptomatique sont la période de choix pour diagnostiquer l’infection à VHE par PCR. Dans le cas d’une infection chronique, la PCR reste indispensable car elle permet le suivi de la virémie sur une longue période et pendant des modifications de traitement. Techniquement, l’ARN viral est purifié à partir de plasma ou de sérum et soumis à une transcription inverse suivie d’une PCR en temps réel pour détecter et quantifier le virus. La méthode employée au CHUV utilise des amorces et une sonde choisies dans une région génomique commune aux différents génotypes.15 Cette PCR en temps réel peut être associée à une autre PCR couplée à un séquençage pour déterminer le génotype du virus. Bien que le génotypage ne modifie pas la prise en charge thérapeutique du patient infecté, celui-ci permet de différencier un virus autochtone d’un virus importé d’une région endémique, ce qui est pertinent d’un point de vue épidémiologique et pour déterminer le mode de contamination.
Durant les douze derniers mois, douze cas d’hépatite E aiguë autochtone symptomatiques ont été identifiés par PCR au CHUV. Le détail du mode de contamination et les caractéristiques spécifiques aux différents patients sont en cours d’investigation. Neuf des douze patients étaient des hommes, tous âgés de plus de 50 ans. Cette prépondérance pour des formes plus sévères d’infection chez des hommes d’âge moyen est décrite dans la littérature sans qu’elle ait une explication. Trois cas d’hépatite aiguë acquise lors de voyages en zones endémiques ont également été découverts (génotype 1) ainsi que trois cas d’hépatite E chronique chez des patients transplantés hépatiques et rénaux (génotype 3).
La grande majorité des infections aiguës se résout spontanément. Dans les infections chroniques des patients transplantés, une baisse de l’immunosuppression doit être tout d’abord envisagée. En l’absence de réponse, des traitements de ribavirine ou d’interféron-α peuvent être proposés.6,7 Une monothérapie de ribavirine est préconisée dans les transplantations rénales du fait de la contre-indication relative à l’interféron-α en raison des risques de rejets du greffon rénal.
Les personnes voyageant dans des régions endémiques devraient éviter de boire de l’eau non bouillie et des fruits et légumes non cuits. En raison de la transmission zoonotique, une cuisson suffisante de la viande de porc ou de gibier et l’abstention de consommation de crustacés ou de viandes crues est recommandée, notamment chez les personnes immunosupprimées ou présentant des affections hépatiques. Deux vaccins évalués dans deux larges études au Népal et en Chine ont démontré une efficacité prometteuse.16,17 Le vaccin recombinant HEV 239 ou Hecolin, utilisé dans la deuxième de ces études est par ailleurs actuellement commercialisé et disponible en Chine.18 L’utilisation de vaccins pourrait être indiquée pour des patients immunosupprimés ou souffrant d’une pathologie hépatique chronique, ainsi que pour les populations résidant ou voyageant dans des zones endémiques.
La prévalence de l’hépatite E en Suisse semble être significative mais la pertinence clinique de cette infection n’est pas la même dans toute la population. Les hommes de plus de 50 ans, ainsi que les patients immunosupprimés semblent être les plus à risque de présenter une infection symptomatique. Une identification des facteurs prédisposant à une infection sévère chez l’hôte permettra peut-être de mieux cibler les personnes susceptibles de bénéficier d’un vaccin ou de recommandations alimentaires afin de diminuer le risque d’infection.
En raison d’une sensibilité et d’une spécificité limitées des tests sérologiques, le diagnostic par PCR est la méthode de choix pour confirmer l’infection.
Si vous souhaitez soumettre un échantillon sanguin pour un patient chez qui vous suspectez une hépatite E, ce lien vous indiquera la marche à suivre : www.chuv.ch/imul/imu-collaborations-viral_hepatitis.htm.
> Devant une hépatite aiguë d’origine incertaine, il faut penser à l’hépatite E même en l’absence de voyage dans des pays endémiques
> En présence de sérologies dont la sensibilité et la spécificité sont sous-optimales, une recherche du virus par polymerase chain reaction est la méthode de choix pour poser le diagnostic
> Pour les hépatites autochtones (génotype 3), il semble que les hommes de plus de 50 ans présentent un risque accru d’infection symptomatique, surtout en présence d’une hépatopathie sous-jacente
> L’hépatite E de génotype 3 peut évoluer en infection chronique chez les patients immunosupprimés
> Si vous suspectez une hépatite E et souhaitez nous soumettre un échantillon sanguin : www.chuv.ch/imul/imu-collaborations-viral_hepatitis.htm