Bien que moins fréquentes que la maladie coronarienne ou l’insuffisance cardiaque dans les pays industrialisés, les valvulopathies sont fréquemment rencontrées dans la pratique quotidienne des médecins de premier recours. Elles doivent être détectées et investiguées avant qu’elles n’aient de répercussion sur le myocarde, afin de ne pas retarder une éventuelle intervention chirurgicale. Les deux atteintes valvulaires les plus fréquentes dans notre pays sont actuellement la sténose aortique (SA) et l’insuffisance mitrale (IM), d’origine dégénérative. L’élévation de l’âge des patients atteints de valvulopathies est associée à une augmentation de leurs comorbidités, rendant l’indication à une intervention plus complexe et le risque opératoire plus élevé.
Cet article a pour but de passer en revue l’évaluation, le diagnostic et la prise en charge médicamenteuse des valvulopathies les plus fréquentes de l’adulte, à la lumière des recommandations éditées en 2012 par la Société européenne de cardiologie.1 Les valvulopathies congénitales, ainsi que les atteintes de la valve pulmonaire et la sténose tricuspide, plus rares, n’y seront pas abordées.
L’objectif de l’évaluation du patient est de diagnostiquer et de quantifier la valvulopathie, ainsi que de déterminer son mécanisme et ses conséquences (tableau 1).
L’évaluation clinique reste le premier pas dans le diagnostic et l’estimation de la sévérité d’une valvulopathie. L’anamnèse doit cibler l’apparition et l’évolution des symptômes, ainsi que les éventuelles comorbidités. Le tableau 2 récapitule les symptômes les plus fréquents. L’auscultation des bruits et des souffles cardiaques permet un premier diagnostic différentiel clinique (tableau 3). La recherche de signes d’insuffisance cardiaque (IC) droite et/ou gauche est primordiale. En cas d’IC sévère, l’atteinte valvulaire peut être sous-estimée à l’auscultation. Chez les patients porteurs de prothèse valvulaire, le clinicien recherchera en priorité tout changement d’intensité et/ou de tonalité à l’auscultation. Les étiologies potentielles des valvulopathies sont résumées dans le tableau 4.
Un électrocardiogramme ainsi qu’une radiographie thoracique font partie intégrante de l’évaluation initiale, particulièrement en cas de signes ou symptômes d’IC.
Ces éléments permettront de déterminer le moment opportun pour adresser le patient à un cardiologue. La question la plus fréquente que se pose le médecin généraliste est sans aucun doute de savoir quand demander une échocardiographie chez un patient avec un souffle cardiaque. En fait, il convient de déterminer si le souffle est fonctionnel ou organique (atteinte anatomique de la valve). Le souffle fonctionnel ne nécessite pas d’échocardiographie et n’est jamais associé à des signes ou symptômes de cardiopathie. Il est toujours systolique, doux, d’intensité maximale 1 à 2/6 et parfois audible seulement après un effort. Il s’ausculte au point d’Erb (3e-4e espace intercostal gauche) ou au 2e espace intercostal droit, en général chez les patients jeunes avec un cœur hyperdynamique.2
L’échocardiographie est l’examen-clé permettant de confirmer la présence d’une valvulopathie et d’identifier son mécanisme. Elle est indiquée en fonction de la clinique et des caractéristiques du souffle, au cas par cas. La sévérité de l’atteinte valvulaire est définie par des critères visuels et des mesures objectives. Cette modalité permet aussi une évaluation des répercussions de la valvulopathie sur les cavités cardiaques (dilatation, hypertrophie, dysfonction ventriculaire) et la recherche d’une éventuelle hypertension pulmonaire, éléments déterminants pour le pronostic. Les résultats obtenus doivent cependant toujours être interprétés dans le contexte clinique individuel.
Une échocardiographie transœsophagienne est réalisée lorsque l’examen transthoracique est de qualité sous-optimale et ne permet pas une évaluation complète de la valve, ou lors de recherche de thrombus de l’auricule gauche, d’endocardite ou de dysfonction valvulaire prothétique. Par ailleurs, elle permet parfois de mieux comprendre le mécanisme d’une IM, critère déterminant dans le choix de la meilleure stratégie chirurgicale.
Quant à l’échocardiographie tridimensionnelle, elle apporte surtout une visualisation plus précise de l’anatomie et du degré d’atteinte des différents feuillets valvulaires. Dans certains cas, elle facilite également le choix de la stratégie interventionnelle appropriée, particulièrement pour la valve mitrale.
L’ergométrie peut être utile pour démasquer des symptômes chez des patients se considérant asymptomatiques. Elle affine également la stratification du risque lors de SA. Elle ne présente pas de risque si l’effort est limité par les symptômes.
En cas de dyspnée, ce test peut être utile pour identifier une origine cardiaque, démontrant par exemple la péjoration d’une IM ou d’une SA, ainsi qu’une possible élévation des pressions pulmonaires à l’effort. Il a aussi une valeur diagnostique dans l’IM transitoire ischémique. Cependant, dans la pratique, ce test n’est que rarement effectué.
L’échocardiographie de stress à la dobutamine faible dose aide à distinguer une SA pseudo-sévère d’une vraie SA sévère, lors de dysfonction ventriculaire gauche. Elle permet également l’évaluation de la réserve contractile et la stratification du risque opératoire, lors de SA à faible gradient avec dysfonction systolique.3
L’IRM cardiaque est effectuée surtout lorsque la qualité de l’échocardiographie est insuffisante. Elle permet principalement d’évaluer la sévérité des insuffisances valvulaires, ainsi que les volumes et la fonction ventriculaires, avec une meilleure reproductibilité que l’échocardiographie. Elle est la méthode de choix pour l’évaluation du ventricule droit, particulièrement en cas d’insuffisance tricuspide (IT).
Si cet examen peut être utilisé dans les SA pour la quantification des calcifications et la mesure directe de la surface d’ouverture valvulaire, il est surtout réalisé pour évaluer les dimensions de l’aorte en cas d’anévrisme, et les principaux axes artériels avant un remplacement valvulaire aortique percutané.
La coronarographie est indiquée lorsqu’une chirurgie valvulaire est planifiée, afin de détecter une maladie coronarienne nécessitant une revascularisation concomitante. Elle n’est pas nécessaire chez les patients jeunes sans facteur de risque cardiovasculaire (hommes l 40 ans, femmes avant la ménopause).
Le cathétérisme cardiaque permet la mesure de gradients de pression, du débit cardiaque et de la pression artérielle pulmonaire. L’aortographie sus-valvulaire permet une évaluation de l’aorte ascendante et du degré d’insuffisance aortique (IA). Ces examens sont indiqués lorsque le bilan non invasif n’est pas conclusif ou discordant par rapport à la clinique.
Plusieurs registres ont montré que de nombreuses interventions valvulaires ne sont pas réalisées chez des patients symptomatiques à haut risque chirurgical. Dans l’évaluation de l’indication opératoire, il est important de prendre en compte le contexte global du patient (espérance et qualité de vie, choix personnel) et l’âge n’est pas en soi une contre-indication formelle à la chirurgie. Des scores de risque validés aident à évaluer le risque individuel de patients plus âgés et/ou polymorbides. Les plus utilisés pour estimer la mortalité périopératoire sont l’EuroSCORE II (European System for Cardiac Operative Risk Evaluation) et le STS score (Society of Thoracic Surgeons). La décision finale d’opérer un patient doit émaner d’un consensus pluridisciplinaire au sein du heart team local et d’une discussion approfondie avec le patient et sa famille.4–5
La SA étant un processus dégénératif, similaire en de nombreux points à l’athérosclérose, un contrôle strict des facteurs de risque cardiovasculaires est recommandé, avec des valeurs cibles de prévention secondaire. Néanmoins, les statines n’ont pas montré d’effet direct sur l’évolution de la SA et ne doivent pas être prescrites uniquement dans le but de ralentir sa progression. Aucun traitement médicamenteux ne permet d’améliorer le pronostic de ces patients lorsqu’ils deviennent symptomatiques et un remplacement valvulaire devrait alors être prévu rapidement.
Néanmoins, lorsque l’indication à la chirurgie ou à une intervention percutanée n’est pas retenue et que les patients présentent des signes d’IC, un traitement conventionnel, associant diurétiques, IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine) ou ARA (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine) et digoxine, sera précautionneusement introduit, avec un suivi clinique rapproché, afin d’éviter une hypotension. En cas d’hypertension concomitante, celle-ci sera traitée conformément aux recommandations d’usage spécifiques à cette entité.
Les vasodilatateurs (IEC, ARA) et les substances inotropes positives peuvent être utilisés pour améliorer la symptomatologie des patients avec IC sévère avant la chirurgie.
Lorsque celle-ci est contre-indiquée, ou lorsque la dysfonction ventriculaire persiste après remplacement valvulaire chez les patients avec IA chronique sévère et IC, les vasodilatateurs sont utiles en présence d’hypertension artérielle. Chez les patients asymptomatiques sans hypertension par contre, ces agents ou les anticalciques de type dihydropyridine ne permettent pas de retarder la chirurgie.
Lors de syndrome de Marfan, les bêtabloquants peuvent ralentir la dilatation de la racine aortique et diminuer ainsi le risque de complication, aussi bien avant qu’après la chirurgie.
Les diurétiques et les dérivés nitrés permettent une amélioration transitoire de la dyspnée, les bêtabloquants et les anticalciques à effet freinateur une augmentation de la tolérance à l’exercice. Une anticoagulation thérapeutique avec un INR cible de 2,5-3 est indiquée lors de fibrillation auriculaire (FA) paroxystique ou permanente, ainsi que lors de rythme sinusal en cas d’antécédent embolique ou de thrombus auriculaire gauche. Elle devrait également être considérée lorsque l’échocardiographie transœsophagienne révèle un contraste spontané dense ou une oreillette gauche très dilatée. Enfin, lors de SM sévère, la cardioversion d’une FA n’a que peu de chances de succès.
L’IM primaire doit être distinguée de l’IM secondaire. Dans le premier cas, en phase aiguë, les dérivés nitrés et les diurétiques diminuent les pressions de remplissage. En phase chronique, les IEC ne sont pas recommandés en l’absence d’IC ou d’hypertension. Lors d’IC associée, les IEC doivent être considérés si l’IM est avancée et sévèrement symptomatique, lorsque l’indication à la chirurgie n’est pas retenue ou lorsque les symptômes persistent après chirurgie. Dans ces cas, les bêtabloquants et la spironolactone peuvent également être envisagés.
Dans l’IM secondaire (ou fonctionnelle), la valve est de structure normale et l’insuffisance résulte d’une distorsion géométrique de l’appareil sous-valvulaire, associée à la dilatation et au remodelage du ventricule gauche, dans un contexte de maladie coronarienne ou de cardiomyopathie dilatée. Un traitement médicamenteux optimal doit alors être instauré, suivant les recommandations de prise en charge de l’IC, incluant en première intention un IEC et un bêtabloquant, avec adjonction d’un inhibiteur de l’aldostérone en cas de persistance de l’IC. Un diurétique sera également prescrit en cas de surcharge hydrique. Les dérivés nitrés à longue durée d’action s’avéreront utiles en cas de dyspnée. Une éventuelle resynchronisation devra également être évoquée, selon les recommandations de prise en charge de l’IC.6
Son traitement consiste à corriger la pathologie sous-jacente ainsi que les symptômes de surcharge hydrique par des diurétiques.
L’indication à une chirurgie valvulaire devrait être évaluée par une équipe pluridisciplinaire (heart team) incluant un cardiologue, un chirurgien cardiaque, un anesthésiste, un spécialiste en imagerie et, selon les situations, un gériatre et le généraliste du patient. Elle sera retenue sur la base de la clinique, de l’imagerie, de la stratification du risque de mortalité périopératoire et de l’avis éclairé du patient.
Le choix entre une prothèse mécanique ou biologique sera principalement déterminé par les risques hémorragique et thrombo-embolique liés à une anticoagulation au long cours, par la durée de vie estimée de l’implant et, finalement, par l’âge ainsi que par l’avis éclairé du patient.
Le choix ainsi que la durée de l’anticoagulation orale (ACO) par un antagoniste de la vitamine K et/ou une antiagrégation sont résumés dans le tableau 5.
Une grande variabilité de l’INR est un prédicteur indépendant de diminution de survie après un remplacement valvulaire. Une valeur cible moyenne d’INR est préférée à un intervalle cible, afin d’éviter des valeurs extrêmes, associées à un taux de complications plus élevé.
Pour les prothèses biologiques, l’INR cible est de 2,5. Pour les prothèses mécaniques, l’INR cible est déterminé par la thrombogénicité de la prothèse et par les facteurs de risque inhérents au patient (tableau 6).
Relevons qu’il n’y a actuellement pas encore de place établie pour les nouveaux anticoagulants après une chirurgie valvulaire dans les recommandations internationales.
Une prophylaxie est indiquée lors des procédures à haut risque (interventions dentaires avec manipulation de la gencive ou perforation de la muqueuse buccale) chez les patients à haut risque : elle est résumée dans le tableau 7.
Chez les patients souffrant d’une valvulopathie rhumatismale, une prophylaxie de la fièvre rhumatoïde par de la pénicilline est recommandée au moins dix ans après le dernier épisode aigu de fièvre rhumatoïde ou jusqu’à l’âge de 40 ans (opter pour l’option la plus longue).
Une prophylaxie à vie doit être considérée chez les patients à haut risque selon la sévérité de la valvulopathie et le risque individuel d’exposition au streptocoque du groupe A.
Les valvulopathies cardiaques sont une affection fréquente qui touche de plus en plus de personnes au vu du vieillissement de la population. Le médecin généraliste joue un rôle primordial dans la détection et la prise en charge de ces patients, afin de décider quels outils diagnostiques permettront de confirmer la nature et la gravité de ces valvulopathies. En outre, le suivi clinique et le traitement médicamenteux de ces patients lui reviennent en premier lieu, afin de pouvoir les diriger vers le cardiologue ou le chirurgien cardiaque selon l’évolution de la maladie valvulaire.
> La sténose aortique et l’insuffisance mitrale dégénératives sont les valvulopathies les plus fréquentes que peut rencontrer le généraliste
> L’évaluation clinique, l’auscultation cardiaque, l’ECG et la radiographie du thorax permettent au généraliste de poser l’indication aux examens complémentaires (échocardiographie, IRM et cathétérisme cardiaque) afin de définir la prise en charge de la valvulopathie