La toux chronique est un motif de consultation fréquent tant en pneumologie qu’en médecine générale. Les étiologies les plus courantes sont le syndrome de toux d’origine des voies aériennes supérieures (STOVAS), l’asthme et le reflux gastro-œsophagien (RGO). L’orientation clinique sur la base de l’interrogatoire et l’examen physique sont parfois difficiles. C’est pourquoi, les traitements d’épreuve, dirigés vers les trois étiologies mentionnées plus haut, ont également un rôle important dans la démarche diagnostique. L’échec thérapeutique est le plus souvent dû à une posologie ou une durée inadéquate, ou encore à la coexistence de plusieurs étiologies, nécessitant de traiter simultanément les différentes causes.
La toux est un phénomène réflexe de protection des voies aériennes. En fonction de sa durée, on distingue la toux aiguë (< 3 semaines), la toux subaiguë (3-8 semaines) et la toux chronique (> 8 semaines). Cette distinction est importante car la prévalence des différentes étiologies possibles varie selon la durée des symptômes. La toux chronique, qui est l’objet du présent article, fait partie des motifs de consultation les plus fréquents en pneumologie et en médecine de premier recours. Sa prévalence en Europe et en Amérique du Nord varie entre 3 et 40%.1
Le réflexe de toux est initié par la stimulation de récepteurs spécifiques, localisés dans l’épithélium de la sphère ORL (nasopharynx, larynx), de la trachée et des bronches de gros calibre. D’autres récepteurs sont situés dans le diaphragme, dans l’œsophage, le péricarde et le canal auditif. Une fois stimulés, un signal afférent est transmis depuis ces récepteurs jusqu’à plusieurs structures du bulbe, dont le noyau solitaire, le noyau raphé et le complexe pré-Bötzinger.2 Finalement, un influx efférent est transmis depuis le bulbe vers la musculature respiratoire, via les nerfs vague, phrénique et spinaux pour générer l’effort de toux.
Chez l’adulte immunocompétent, 90% des toux chroniques sont dues aux trois étiologies suivantes :
Avec quatre diagnostics supplémentaires, ce sont 95% des étiologies de toux chronique qui sont représentées. Il s’agit de la bronchite chronique à éosinophiles non asthmatique (BENA), des bronchiectasies, de la prise d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)3 et de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Plusieurs étiologies peuvent coexister, en particulier en présence d’une hypersensibilité du réflexe de la toux, un phénomène qui sera décrit plus bas. Les principales causes de toux chronique sont résumées dans le tableau 1 et brièvement détaillées ci-dessous.
Le STOVAS, appelé aussi «écoulement postérieur» ou improprement «syndrome descendant», regroupe des pathologies ayant comme mécanisme commun la stimulation (par une production excessive de mucus ou par une irritation de la muqueuse) des récepteurs de toux situés dans la sphère ORL. Elles sont résumées dans le tableau 2. Le STOVAS peut se manifester par une congestion nasale, un écoulement postérieur visible sur la paroi postérieure du pharynx ou une rhinorrhée. Il peut cependant n’avoir aucune autre manifestation que la toux dans près de la moitié des cas.
Classiquement, l’asthme se manifeste par des épisodes de dyspnée, associés à des sibilances et à une toux sèche. Sur le plan fonctionnel, le diagnostic se base sur la présence d’un syndrome obstructif réversible aux fonctions pulmonaires ou d’une variabilité du débit expiratoire de pointe (DEP ou peak flow en anglais). Il existe cependant une variante de l’asthme, nommée cough variant asthma par les Anglo-Saxons, qui se manifeste par une toux chronique sans autre symptôme associé et sans modification spirométrique ou variabilité du DEP.4 Celle-ci sera abordée plus en détail ultérieurement.
Le RGO est défini comme le passage du contenu gastrique vers l’œsophage dû à une hypotonie du sphincter œsophagien inférieur et/ou à une anomalie de la jonction œso-gastrique. Des épisodes de reflux peuvent survenir de façon physiologique jusqu’à 50 fois par jour.5 On distingue, selon le pH du contenu gastrique, les RGO acides (pH ≤ 4) des RGO non acides (pH > 4). Les manifestations cliniques peuvent être œso-gastriques, comme le pyrosis et la régurgitation, ou extra-digestives, comme la toux chronique. La stimulation des récepteurs de toux dans l’œsophage distal lors des épisodes de reflux ou la stimulation des récepteurs présents dans les voies respiratoires supérieures, soit par «vaporisation» du contenu gastrique, soit par broncho-aspiration, sont en cause.
La bronchite à éosinophiles, décrite initialement par Gibson et coll. en 1989, est caractérisée par une inflammation éosinophilique des voies aériennes avec la présence de > 3% d’éosinophiles dans les expectorations.6,7 Plusieurs sous-classes de bronchites à éosinophiles existent, dont la bronchite à éosinophiles non asthmatique (BENA). Celle-ci a beaucoup de points en commun avec le cough variant asthma, notamment la toux chronique comme seul symptôme, l’absence d’atteinte fonctionnelle à la spirométrie, et un NO exhalé positif. La seule différence entre ces deux entités est l’absence d’hyperréactivité bronchique lors de l’épreuve de bronchoprovocation à la méthacholine dans la BENA (hyperréactivité présente dans l’asthme). Ceci s’explique par l’absence d’inflammation mastocytaire dans les muscles lisses des voies aériennes.8,9 La BENA pourrait être la cause de 13-33% des toux chroniques.10
La toux chronique associée au tabagisme est considérée comme une pathologie à part, faisant partie du spectre clinique de la BPCO. Une étude internationale a montré, pour une consommation de 10 g de tabac par jour (environ 1 paquet par jour), un odds ratio (OR) de toux chronique productive de 1,97.11 Dans la cohorte populationnelle suisse SAPALDIA, la prévalence de toux chronique est de 9% chez les fumeurs contre 3% chez les non-fumeurs.12 Chez la plupart des fumeurs, l’arrêt du tabac fait disparaître la toux en 4 à 6 semaines, alors que chez les patients atteints d’une BPCO, la toux peut persister malgré l’arrêt du tabac.
La prise d’IEC est associée à une toux jusqu’à 15% des cas, indépendamment de la dose administrée. La plupart du temps, cet effet secondaire se manifeste dans la semaine suivant l’introduction du traitement mais il peut apparaître jusqu’à six mois plus tard. L’accumulation de bradykinine et de substance P (deux peptides normalement métabolisés par l’enzyme de conversion de l’angiotensine) stimule les récepteurs de la toux et en est la cause. La toux se résout à l’arrêt du traitement, typiquement en une à quatre semaines, mais cela peut parfois durer jusqu’à trois mois.13 A noter que la toux occasionnée par les sartans, bien que décrite, est exceptionnelle.
Le diagnostic étiologique d’une toux chronique est souvent difficile à obtenir par des examens simples et les traitements d’épreuve ont ici une place essentielle. L’anamnèse devrait chercher à détailler le caractère de la toux, son décours temporel, les éventuels facteurs aggravants (ou calmants), les symptômes associés, les habitudes médicamenteuses (rechercher plus particulièrement la prise d’IEC), et la présence d’un tabagisme. En présence d’IEC, la première démarche doit être d’interrompre le traitement. De même, si le patient est tabagique, l’accent doit être mis sur l’arrêt (ou au minimum la diminution) de la consommation. La radiographie du thorax fait clairement partie de la prise en charge initiale systématique d’une toux chronique. Elle permet de mettre en évidence un éventuel processus infectieux ou d’autres anomalies, et diriger rapidement vers des investigations ou un traitement spécifique (figure 1).
Une spirométrie est recommandée dans l’investigation systématique d’une toux chronique inexpliquée. La découverte d’un syndrome obstructif permet de resserrer le diagnostic différentiel (BPCO, asthme, bronchectasies, etc.). Toutefois, une spirométrie normale ne saurait exclure le diagnostic d’asthme. En revanche, un syndrome obstructif complètement réversible, soit immédiatement après bronchodilatateur, soit après un traitement prolongé de corticostéroïdes inhalés, est diagnostique. Pour la recherche d’un cough variant asthma (dans lequel la spirométrie est souvent normale), une option consiste à suivre le peak flow, qui devra montrer une variabilité diurne moyenne de > 10% sur une semaine, à condition d’obtenir un relevé minutieux matin et soir pendant une période continue de deux semaines (www.ginasthma.org). Dans la pratique, il faut une collaboration rarement atteinte par la plupart des patients pour obtenir un tel relevé. Une autre option consiste à faire pratiquer un test de bronchoprovocation dans un laboratoire de fonctions pulmonaires ou chez un pneumologue, afin d’établir la présence ou non d’une hyperréactivité bronchique. Le test et son interprétation sont décrits en détail dans le présent numéro.14 Pour ce qui est du diagnostic d’asthme, le test a une excellente sensibilité et une valeur prédictive négative, proche de 100%. En revanche, sa spécificité et sa valeur prédictive positive sont très médiocres.15 En pratique, cela signifie qu’un résultat négatif est utile pour exclure un cough variant asthma, mais qu’un test positif est insuffisant pour établir un diagnostic d’asthme. En effet, l’hyperréactivité bronchique est associée à d’autres pathologies comme la rhinite chronique (allergique ou non) ou la toux postinfectieuse et elle est retrouvée de manière générale chez près de 20% de la population adulte. La présence d’une hyperréactivité bronchique ne sera donc pas en soi un bon prédicteur d’une réponse à un traitement antiasthmatique.15
En l’absence d’études prospectives, les recommandations proposées ici sont largement basées sur des avis d’experts. En pratique, lors de suspicion clinique d’un STOVAS, la prise en charge initiale, à la fois diagnostique et thérapeutique, consiste à administrer un traitement empirique, soit par un corticostéroïde nasal (mométasone, Nasonex ; fluticasone, Avamys ; budésonide, Rhinocort) ou par une combinaison anti-H1 et vasoconstricteur par voie orale (chlorphénamine/ phényléphrine : Triocaps ; 1 capsule à 4/20 mg à prendre 2 x/j).16 Une réponse au traitement, même partielle, parle en faveur du diagnostic. Si la suspicion de STOVAS persiste malgré l’absence de réponse au traitement empirique, l’étape suivante comprend une imagerie par CT des sinus et un examen de la sphère ORL par nasofibroscopie à la recherche de polypes, d’une déviation de la cloison nasale, ou d’autres anomalies mécaniques sur lesquelles des traitements pharmacologiques sont inefficaces.16
Dans les recommandations d’experts, la démarche initiale pour rechercher un RGO dans une toux chronique inexpliquée repose, ici encore, sur un traitement d’épreuve, par antiacides. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont conseillés en première intention, leur efficacité étant supérieure à celle des antagonistes des récepteurs à l’histamine de type 2 (anti-H2).17
Des études ont cependant remis en question l’efficacité des IPP dans la toux chronique associée au RGO.8,18–20 Les questions soulevées par l’absence de réponse aux IPP concernent notamment la durée optimale du traitement et l’implication d’un éventuel reflux non acide (sur lequel les IPP n’ont, par définition, aucun impact). Les recommandations actuelles sont de 40 mg/j d’oméprazole (ou équivalent) pour une durée d’au moins trois mois. Si la toux persiste malgré un traitement empirique d’IPP bien conduit (posologie et durée), l’hypothèse d’un reflux non acide doit être évoquée. L’examen diagnostique de choix dans ce cas est la pH-impédancemétrie œsophagienne de 24 h, qui permet de détecter, contrairement à la pH-métrie simple, un RGO non acide. Elle se base sur la mesure de la conductivité entre six paires d’électrodes placées le long de la lumière œsophagienne. Lors du passage du bolus alimentaire ou d’un reflux, l’impédance entre ces électrodes varie et permet de déterminer la nature du bolus (liquide ou gazeux) et la direction dans laquelle il progresse (antérograde ou rétrograde).
Finalement, même si un RGO est présent, son association causale avec la toux nécessite un lien de temporalité entre les deux. Ceci peut se faire en associant la pH-impédancemétrie à un enregistrement sonore de la toux (avec microphone) ou en demandant au patient de garder un agenda dans lequel il marque précisément l’heure de chaque épisode de toux. Une comparaison peut ensuite être faite avec les épisodes de reflux détectés à la pH-impédancemétrie, pour voir si les deux coïncident. Le traitement de choix du RGO non acide comprend des modifications du régime alimentaire, l’emploi de prokinétiques, et la chirurgie antireflux chez des patients sélectionnés.8
Une hypersensibilité du réflexe de la toux a été démontrée chez la plupart des patients avec une toux chronique inexpliquée, indépendamment du diagnostic.21 Celle-ci peut être évaluée en mesurant la réponse à l’inhalation de substances broncho-irritantes telles que la capsaïcine qui stimule les récepteurs de la toux. En cas d’hypersensibilité, la réponse se caractérisera par le déclenchement d’une toux, même à de faibles concentrations de capsaïcine. La physiopathologie semble être en lien avec une augmentation de l’expression d’un canal ionique qui fait partie des récepteurs de la toux, appelé TRPV-1 (transient receptor potential vanilloid-1).22 Ce phénomène sert de rationnel pour traiter plusieurs causes simultanément lorsqu’une étiologie prédominante n’est pas claire. Ce même phénomène explique pourquoi la coexistence de plusieurs causes de toux qui se potentialisent et s’auto-entretiennent rend souvent le traitement d’une cause isolée insuffisant et décevant.8
Lors de la consultation initiale, la prise en charge, orientée par l’anamnèse, devrait être dirigée vers la cause la plus probable. Comme mentionné plus haut, il est cependant fréquent qu’il n’y ait pas de piste clinique. Les traitements d’épreuve occupent alors une place essentielle. Devant l’absence de symptôme évocateur d’une étiologie, on traitera successivement les trois diagnostics principaux. Il est impératif que la durée des traitements soit suffisante en raison de réponses tardives fréquentes (2 à 3 mois pour le RGO, 3 à 6 semaines pour le STOVAS et l’asthme, figure 1). En cas de non-réponse à un traitement ou en cas de réponse partielle, celui-ci devrait être poursuivi pendant que les autres traitements sont introduits séquentiellement. Alternativement, il est aussi possible de traiter d’emblée les trois diagnostics les plus fréquents puis, une fois les symptômes améliorés, de retirer les médicaments un à un.
Lorsque l’effet d’un traitement n’est que partiellement efficace, voire inefficace, il faut vérifier l’observance thérapeutique, les techniques d’inhalation et s’assurer de l’adéquation de la posologie et de la durée du traitement. En cas de réponse insuffisante sous traitement maximal ou en cas de suspicion d’étiologie plus rare, l’avis du spécialiste devrait être demandé. Les figures 1 et 2 résument cette prise en charge.
Même en l’absence de symptôme d’appel pour une étiologie spécifique, la majorité des toux chroniques sont la conséquence d’une atteinte inflammatoire de la sphère ORL, d’un asthme, ou d’un reflux gastro-œsophagien. Après une radiographie du thorax normale, une prise en charge pragmatique basée sur un traitement empirique de ces trois étiologies (corticoïdes inhalés pour l’asthme, corticoïdes nasaux pour le STOVAS et IPP pour le RGO) peut se justifier. La durée du traitement et la posologie sont importantes pour pouvoir juger de l’efficacité. En cas d’échec, il faut se souvenir que plusieurs causes de toux chronique peuvent coexister et s’auto-entretenir via un mécanisme d’hypersensibilité du réflexe de la toux. Il est alors indiqué d’associer des traitements susmentionnés jusqu’à résolution des symptômes.
> Les causes les plus fréquentes de toux chronique sont le syndrome de toux d’origine des voies aériennes supérieures, l’asthme et le reflux gastro-oesophagien
> Les traitements d’épreuve occupent une place essentielle dans la stratégie de prise en charge de la toux chronique, tant pour poser le diagnostic que pour soulager les symptômes
> Plusieurs étiologies de toux chronique peuvent coexister et nécessitent alors une association de traitements
> La durée des traitements d’épreuve, parfois longue, est indispensable pour juger de l’efficacité de ceux-ci
Chronic cough is one of the most common symptoms for which outpatient care is sought. The most frequent causes are upper airway cough syndrome, asthma, and gastro-esophageal reflux. It is often difficult to determine the origin of chronic cough based on the medical history and physical examination. Empirical treatment directed at the three aforementioned etiologies is thus of considerable value in the initial workup. Treatment failure is most commonly due to insufficient treatment (dosage or duration) or to the coexistence of several causes needing simultaneous use of different drugs.