Le médecin praticien est souvent bien sensibilisé aux indications à l’hémodialyse au cours de l’insuffisance rénale sévère, que celle-ci soit aiguë ou chronique. En dehors des indications traditionnelles à une épuration extrarénale, il existe certaines situations comme des intoxications (metformine, éthylène glycol ou lithium) et d’autres conditions (hypercalcémie, lyse tumorale), dans lesquelles l’hémodialyse intermittente représente le traitement le plus efficace, voire le seul. Bien que ces situations demeurent peu fréquentes, il est décisif de les reconnaître rapidement.
Au cours de l’insuffisance rénale aiguë, les critères habituels de dialyse comme l’urémie et/ou les perturbations graves du milieu intérieur sont bien connus. De manière générale, une hémodialyse intermittente (HDI) ou une épuration extrarénale continue sont indiquées lorsque les mesures médicamenteuses ne suffisent plus à maintenir l’homéostasie. Ainsi, dans des situations cliniques très diverses, une hyperkaliémie sévère, une acidose métabolique sévère ou encore une hypervolémie réfractaire aux diurétiques seront souvent des critères décisifs pour initier un tel traitement. Cette incapacité à maintenir l’homéostasie en cas d’insuffisance rénale (IR) concerne différents aspects du milieu intérieur résumés dans le tableau 1. L’HDI permet de restaurer l’homéostasie en ayant recours à des mécanismes physico-chimiques distincts comme la diffusion et la convection que nous décrirons dans cet article.
Moins fréquemment, certaines conditions peuvent justifier un recours à une HDI en urgence. Nous présentons ici quelques situations spécifiques pour lesquelles la question de l’indication à une HDI doit être posée immédiatement : les intoxications à l’éthylène glycol (EG), au méthanol, à la metformine, au lithium et à l’acide acétylsalicylique (AAS). Certains cas d’accumulation de toxines endogènes comme l’hypercalcémie et le syndrome de lyse tumorale sont aussi abordés.
L’HDI est une technique d’épuration extrarénale (EER). C’est un traitement de suppléance qui permet de restaurer l’homéostasie en cas de défaillance rénale aiguë ou chronique. Pour les patients souffrant d’IR terminale, le schéma habituel consiste en trois traitements hebdomadaires de 4 heures chacun. A quelques détails près, la prescription d’un traitement est la même en cas de perte aiguë de la fonction rénale, voire en cas d’intoxication. L’HDI a recours principalement au principe de diffusion. Ce dernier décrit le transfert de molécules d’une solution vers une autre au travers d’une membrane semi-perméable et à la faveur d’un gradient de concentration. La diffusion est une méthode de transfert à haute efficience pour l’élimination des petites molécules (poids moléculaire < 500-1000 daltons), sous réserve de quelques propriétés physico-chimiques caractéristiques (tableau 2).1
Un dialysat est préparé de façon très précise : une fraction acide (acétate), contenant des électrolytes (Na+, K+, Ca++, Mg++) et du glucose à des concentrations déterminées est mélangée à une fraction alcaline (HCO3-). Ces deux fractions sont diluées dans une eau pure déminéralisée. Le tout réalise une solution proche de l’eau plasmatique. Au cours d’une dialyse, le dialysat entre en contact avec le sang au travers d’une membrane semi-perméable (ou filtre de dialyse). Le filtre est constitué d’un cylindre qui contient un faisceau d’une dizaine de milliers de fibres capillaires cylindriques creuses dans lesquelles circule le sang. Le dialysat circule à contre-courant au sein de ce cylindre dans l’espace présent autour et au contact de ces fibres. La circulation du dialysat à contre-courant du sang permet d’optimiser les échanges diffusifs (figures 1 et 2).
Un deuxième principe physique appliqué en EER, la convection, décrit des transferts de solutés d’un compartiment vers un autre sous l’influence d’un gradient de pression. La convection est nettement moins efficace que la diffusion pour éliminer les petites molécules. Elle trouve son application principale au cours des méthodes d’EER continues (hémofiltration continue) en milieu de soins intensifs. En EER continue, une faible composante diffusive peut aussi être appliquée, seule ou en association à la convection (hémodialyse continue, hémodiafiltration continue).
En comparaison avec les méthodes d’EER continue, l’HDI permet une épuration des petites molécules avec une efficience de l’ordre de 6 fois supérieure (tableau 3). Cet avantage provient du recours à des débits plus importants dans le système, tant pour le débit sang (ratio HDI : EER continue = 2 : 1) que pour le débit du dialysat (ratio HDI : EER continue = 10 : 1). En cas d’intoxication sévère, l’avantage en faveur de l’HDI est décisif puisqu’une course contre la montre peut s’amorcer face à une production continue de métabolites toxiques (tableau 4).
Enfin, pour justifier l’élimination d’un toxique par une EER, il faut que celui-ci présente une toxicité immédiate et qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique ni d’autres voies d’élimination ou de détoxification pour ce toxique.
Les biguanides sont des anti-hyperglycémiants au profil pharmacodynamique unique. Leurs propriétés antidiabétiques ont été découvertes il y a plusieurs siècles dans les extraits d’une plante, Gallega officinalis. La metformine en est le seul représentant toujours commercialisé, la phenformine notamment ayant été retirée du marché en raison du risque élevé d’acidose lactique, associé à son utilisation. Le profil de sécurité de la metformine est excellent tant que les contre-indications sont respectées. Il faut penser à une intoxication à la metformine devant toute altération hémodynamique ou toute acidose métabolique (AcM) lactique chez un patient diabétique. La metformine favorise la production de lactate par différents mécanismes (conversion de glucose en lactate dans le tube digestif, perturbation de la chaîne respiratoire mitochondriale, inhibition de la néoglucogenèse). L’accumulation de metformine est le plus souvent consécutive à un défaut de sa clairance rénale (IR aiguë/chronique) et, plus rarement, à une intoxication par surdosage volontaire ou non volontaire. Dans ce dernier cas, le pronostic est meilleur.2
Différents facteurs favorisent l’accumulation de metformine et conduisent au syndrome d’intoxication sévère (figure 3) avec défaillance d’organes.
En cas d’intoxication sévère par la metformine, l’HDI est indiquée dans l’urgence. Un certain degré de correction d’une AcM très sévère par l’HDI peut permettre de limiter le danger vital associé à une intubation oro-trachéale. En effet, l’hyperventilation compensatoire à l’AcM est parfois extrême dans ce contexte et la diminution de la ventilation alvéolaire durant la procédure d’intubation peut conduire à une chute critique du pH sanguin par l’addition d’une acidose respiratoire.3 Une ventilation mécanique est cependant souvent indiquée par la sévérité de la condition médicale.
L’efficacité de l’HDI lors de l’intoxication par la metformine découle de sa petite taille (165 Da) et d’une très faible liaison aux protéines plasmatiques. Néanmoins, une captation tissulaire importante de metformine explique un volume de distribution élevé. Une durée de traitement suffisante (si possible > 4-6 heures) est donc nécessaire pour limiter l’amplitude d’un effet rebond.2 Les méthodes d’EER continue ne sont pas appropriées en première intention, en raison de leur faible efficience. Cependant, un relais par une méthode continue avec un débit d’hémo-(dia-) filtration élevé doit être discuté après la correction de l’AcM initiale par l’HDI à des valeurs hors danger vital. Il faut aussi considérer la répétition de l’HDI quelques heures après la fin d’un premier traitement.
Un état de choc profond n’est pas une contre-indication à une HDI. Le branchement en dialyse se fera sous couverture d’amines vaso-actives avec optimisation de la prescription dialytique (température du dialysat basse, concentration de Na+ élevée dans le dialysat).
Le pronostic vital est dominé par la sévérité de la condition médicale sous-jacente. En cas de défaillances viscérales, la mortalité est de l’ordre de 50%.4 Un taux de prothrombine <50% semble être le seul facteur indépendant prédictif de mortalité.2
L’EG est un alcool hautement toxique utilisé notamment comme antigel. Son ingestion est en général accidentelle, et l’enfant y est particulièrement exposé. La morbi-mortalité est imputable aux métabolites de l’EG (figure 4), responsables d’atteintes multisystémiques (tableau 5).5
La démarche diagnostique exige une rigueur scolaire (calcul des trous anionique et osmolaire) devant toute acidose métabolique (tableau 6).6 A la phase précoce de l’intoxication, il n’y a pas encore d’AcM. Le trou osmolaire (TO) est prédominant et lié à la présence de l’EG. La clinique en impose alors pour une intoxication éthylique et le diagnostic peut être manqué. Notons l’absence de fœtor dans ce contexte. Progressivement, le TO s’estompe pour faire place à une AcM à trou anionique élevé. Celle-ci correspond à l’apparition d’acides (anions) organiques. Dans la phase tardive, le TO résiduel ne correspond plus qu’à la présence de ces derniers.
Toute suspicion d’intoxication par l’EG impose de débuter immédiatement un traitement de fomépizole (4-méthylpyrazole, inhibiteur compétitif de l’alcool déshydrogénase), lequel favorisera l’élimination urinaire d’EG. Une co-intoxication par l’éthanol aura d’ailleurs le même effet protecteur. Une HDI sera débutée aussi vite que possible. Tant l’EG, petite molécule diffusible de 56 Da, que ses métabolites acides sont efficacement éliminés par l’HDI (tableau 4). Une méthode continue d’EER ne suffira pas à empêcher l’EG d’entrer dans des voies de métabolisation et, ainsi, à interrompre la production effrénée des acides toxiques. Le pronostic vital est engagé au cours de la phase d’accumulation des anions acides, soit après environ 12 h. Il dépend de la sévérité de l’AcM et de la capacité d’assurer une ventilation alvéolaire compensatoire en présence de troubles neurologiques, de l’existence d’une défaillance cardio-circulatoire, de la sévérité de l’encéphalopathie et de l’existence éventuelle d’une oxalose diffuse à la phase terminale du métabolisme (figure 4).
Le même traitement s’applique en cas d’intoxication par le méthanol. La clinique et les atteintes diffèrent cependant (troubles visuels, coma).
Le lithium est un cation monovalent d’une masse molaire de 7 Da. C’est un exemple de très petite molécule non liée aux protéines plasmatiques. Il reste largement prescrit comme stabilisateur de l’humeur dans les troubles bipolaires et schizo-affectifs, même si sa marge thérapeutique est étroite. Sa toxicité au long cours concerne notamment le tubule rénal et se caractérise par une perte progressive des capacités de concentration de l’urine, atteignant le stade du diabète insipide, et dans certains cas par une IR chronique, parfois terminale. La toxicité aiguë s’exprime sous la forme de troubles neurologiques (dysarthrie, tremor, ataxie, confusion, coma, convulsions) potentiellement sévères, voire mortels. Une atteinte cardiaque peut exister.
Le lithium est librement filtré par le rein. Il est fortement réabsorbé dans le tubule proximal par le même transporteur que le sodium (autre cation monovalent) et proportionnellement à celui-ci.
L’intoxication aiguë par le lithium survient en cas de surdosage (accidentel ou volontaire) ou de défaut d’élimination. Ce dernier existe en cas d’altération de la fonction rénale ou lorsque la réabsorption tubulaire proximale de sodium est augmentée, comme c’est le cas lors de déplétion volémique.
En cas d’intoxication par le lithium, il n’y a pas de valeur de lithémie déterminante pour indiquer une EER.7 Certains auteurs la proposent pour des lithémies supérieures à 4 mmol/l. De façon générale, une EER est indiquée lorsqu’il existe des troubles neurologiques sévères, imputables au lithium, associés à une IR et qu’il n’existe aucune marge pour la correction d’une hypovolémie. Le cas échéant, l’HDI sera la modalité à privilégier. Une EER continue peut être conduite en relais après une HDI pour limiter l’effet rebond, ou d’emblée en cas de troubles neurologiques modérés et lorsque le patient est admis en soins intensifs en présence de comorbidités sévères.
Un traitement conservateur (apport hydrosodé et interruption du sel de lithium) peut être tenté lorsque s’associent des troubles neurologiques discrets à modérés, un retard volémique important et une IR légère. Ainsi, la signification de la valeur de lithémie est largement pondérée par le tableau clinique.
D’autres intoxications peuvent poser l’indication à un traitement d’EER. Une HDI est indiquée en cas d’intoxication sévère par les salicylés. Même si ceux-ci possèdent une forte liaison aux protéines plasmatiques, cette liaison est de faible affinité et largement saturée dans cette condition. De plus, le volume de distribution est faible. Enfin, des intoxications sévères par des anti-infectieux (par exemple, aciclovir, céfépime) ou des barbituriques peuvent faire discuter une HDI.8
Dans des circonstances cliniques très particulières, il existe des toxines endogènes dont l’apparition peut justifier de réaliser une HDI. Voici deux conditions cliniques caractéristiques.
En cas d’hypercalcémie sévère, une HDI est indiquée lorsque s’y associe une IR sévère et que la condition médicale ne laisse pas entrevoir une réduction rapide de la calcémie par la correction d’un retard volémique et par des mesures médicamenteuses immédiates.
Le syndrome de lyse tumorale se caractérise par l’apparition extrêmement rapide dans le plasma de produits du catabolisme cellulaire tumoral à des concentrations très élevées dépassant les capacités d’élimination rénale ou de tampon de l’organisme.9 Un tableau sévère s’observe au cours de maladies oncologiques caractérisées par une masse tumorale et une chimiosensibilité très importantes (lymphome de Burkitt, leucémies aiguës principalement). Les organes cibles sont alors exposés à diverses toxicités potentiellement définitives. Les toxines concernées et ciblées ici par l’HDI sont le K+ (risque d’hyperkaliémie avec arythmies malignes), le phosphate (avec précipitation tissulaire de phosphate de calcium, néphrocalcinose et hypocalcémie) et l’urate (avec néphropathie uratique). Si l’hyperuricémie peut être totalement prévenue par l’administration de rasburicase, il n’existe pas de parade à l’augmentation fulgurante et potentiellement mortelle du K+ et du phosphate. Une EER continue peut être insuffisante en cas de syndrome de lyse sévère et l’HDI reste donc le traitement à privilégier en première intention.
L’HDI est le traitement le plus efficace pour le rétablissement de l’homéostasie et l’épuration des petites molécules toxiques. Son application reste limitée à quelques intoxications particulières. Pour une prise en charge diagnostique et thérapeutique prompte, la chaîne constituée du médecin de premier recours, de l’urgentiste hospitalier, du médecin intensiviste et du néphrologue est d’une importance capitale. Le pronostic vital étant engagé, la connaissance des indications à l’HDI permet de gagner un temps précieux.
> Sous condition d’une prescription optimisée, une acidose métabolique (AcM) profonde n’est pas une contre-indication à l’hémodialyse intermittente (HDI). Une amélioration rapide de l’AcM par l’HDI peut permettre d’obtenir une amélioration de la fonction cardio-circulatoire
> Une AcM sévère associée à une intoxication par la metformine ou par l’éthylène glycol (EG) pose immédiatement l’indication à une HDI. En raison d’une efficience de l’HDI bien supérieure à celle des épurations extrarénales continues, seule celle-ci est capable de corriger une AcM profonde et de limiter la production d’acides organiques toxiques
> La possibilité d’éliminer un toxique par l’HDI repose sur quelques caractéristiques physico-chimiques. Les principales sont : la petite taille de la molécule, sa faible liaison aux protéines plasmatiques, son faible volume de distribution et sa faible liposolubilité
The medical practitioner is in general well aware of the indications for hemodialysis in severe, acute or chronic renal insufficiency. Apart from the traditional indications for renal replacement therapy, there are some cases such as metfomin and ethylene glycol poisoning, lithium intoxication severe hypercalcemia and tumor lysis syndrome, in which intermittent hemodialysis is the most effective treatment, or sometimes the only effective one. Although these situations remain infrequent, it is crucial to recognize them as quickly as possible.