Nausée. Tire son nom du grec ancien ναυς qui nous renvoie au tangage des navires. Sensation de mal-être et d’inconfort qui peut être associée à des contractions de l’estomac, éventuellement préalables à un rejet du bol alimentaire dans l’œsophage préparant un vomissement. On sait que la nausée n’est pas une entité pathologique mais bien un symptôme, souvent associé à d’autres, dans différents tableaux plus ou moins diffus. C’est aussi, parfois, un haut-le-cœur à dimension existentialiste.
En France, la question du traitement de la nausée (ou plus précisément des modalités de ce traitement) alimente depuis quelque temps une controverse assez étonnante. L’affaire s’est cristallisée autour de la dompéridone, substance chimique aux propriétés antiémétiques du fait de son tropisme gastroprocinétique (action sur le tonus du sphincter œsophagien accélérant le vidage gastrique). C’est aussi une molécule parfois utilisée (en dehors de son autorisation de mise sur le marché) pour stimuler la lactation. On connaît également les risques auxquels elle expose, du fait de possibles arythmies ventriculaires graves et de mort subite (notamment chez les personnes de plus de 60 ans ou pour des doses orales quotidiennes supérieures à 30 mg).
Dans l’Hexagone, c’est le mensuel Prescrire qui a lancé l’alerte et qui mène le combat contre la dompéridone. Déjà en janvier 2013, il avait inscrit cette spécialité sur la liste des principaux médicaments à «écarter des soins» et à «retirer du marché». Aucune réponse, alors, des autorités françaises en charge du médicament.
Nouvelle attaque en février 2014. Le mensuel réunit alors la presse généraliste pour présenter une étude concluant que le médicament «anti-nausées» et «anti-vomissements» est responsable de morts subites par troubles du rythme cardiaque. Estimation pour la France et pour l’année 2012 : «entre 25 et 120 morts». Un décryptage de la méthode utilisée pour arriver à ces chiffres laissa toutefois quelques doutes quant à la valeur des conclusions. Le mensuel formulait alors les mêmes demandes vis-à-vis des autorités sanitaires et conseillait les prescripteurs. Ni les fabricants ni les autorités sanitaires ne commentèrent.
La troisième attaque vient d’être menée, début avril, avec la publication dans une revue scientifique1 d’un travail dirigé par Bruno Toussaint, directeur éditorial de Prescrire et Catherine Hill, épidémiologiste aimant traiter des grandes questions de santé publique. Les spécialités à base de dompéridone sont, cette fois, accusées d’être responsables, chaque année, de plus de deux cents morts prématurées en France. Cette fois, l’Agence nationale française de la sécurité du médicament (Ansm) a publiquement réagi.
«Les médicaments à base de dompéridone font l’objet d’une surveillance renforcée par les autorités sanitaires en raison de leurs effets indésirables cardiaques graves qui ont conduit à modifier en 2004, 2007 et 2011, leur autorisation de mise sur le marché et à mettre en garde les professionnels de santé sur leur utilisation, précise-t-elle. En 2014, à la suite de recommandations européennes visant à minimiser les risques cardiaques, l’Ansm a de nouveau informé les professionnels de santé afin qu’ils prescrivent à la dose efficace la plus faible possible et pour une durée de traitement la plus courte possible, ne devant pas dépasser généralement une semaine.
Par ailleurs, les médicaments fortement dosés en dompéridone (20 mg) ont été retirés du marché en 2014. Le nombre de personnes traitées a baissé de 30% entre 2012 et 2014».
Il y a peu, on apprenait que l’Ansm avait réuni «un groupe d’experts» et qu’elle «ne validait pas» la publication évaluant à plus de deux cents morts prématurées annuelles les prescriptions de dompéridone. Plus précisément, elle estimait que ce travail n’avait aucune valeur mais qu’elle ne pouvait pas le dire en ces termes. D’autres critiques, nettement plus affûtées, furent ici ou là publiées démontrant de quelle manière on peut, dans un tel domaine, faire beaucoup dire aux chiffres.
En privé, l’Ansm n’esquivait pas, pour autant, la question de fond : la thérapeutique des états nauséeux. Comment, par exemple, comprendre que la consommation de dompéridone soit dix fois plus importante en France qu’en Allemagne ? Pourquoi une consommation moyenne plus élevée que dans la plupart des pays comparables, et ce en dépit des mises en garde répétées faites aux prescripteurs ? L’abcès était loin d’être vidé. Il fallait une nouvelle «mise au point» officielle. Elle vient d’être faite, dans les colonnes du Figaro, par le Dr Dominique Martin, directeur général de l’Ansm.
«La France se trouve dans une situation atypique : nous consommons quatre fois plus de dompéridone que la moyenne de nos voisins européens. C’est donc à cette surconsommation, qui relève selon moi du mésusage, qu’il faut s’attaquer plutôt que de retirer la molécule du marché, a-t-il expliqué. Il n’y a aucune justification démographique ou géographique à une telle différence, et si l’on réduit la consommation, on abaissera aussi le nombre de victimes. On ne peut pas retirer du marché un médicament qui est dangereux notamment parce qu’il est mal utilisé, sinon on en supprimerait beaucoup… Nous avons largement participé à la réévaluation européenne de ce médicament en 2013 qui a conduit à des mesures d’encadrement non négligeables en termes de durée de traitement, de posologie, de contre-indications, et nous sommes solidaires des conclusions. Nous considérons qu’utilisée dans de bonnes conditions, la dompéridone présente un rapport bénéfices/risques acceptable. Cela doit être un sujet de préoccupation collectif. Les médecins vous diront que les usagers sont très demandeurs, mais les praticiens prescrivent aussi trop d’anti-vomitifs, et pas seulement la dompéridone, c’est aussi le cas du métoclopramide et de la métopimazine, qui ne sont pas plus à favoriser.»
Autre sujet : l’Agence européenne du médicament (EMA) vient d’annoncer qu’elle contre-indiquait désormais les médicaments à base de codéine contre la toux, chez les enfants de moins de 12 ans.2 Cette décision a été prise à la suite d’une saisine formulée en avril 2014 par les autorités sanitaires allemandes. L’EMA précise avoir pris sa décision «par consensus». Cette disposition doit maintenant être directement transposée dans les législations des Etats membres. Il s’agit ici de prévenir le risque de dépression respiratoire lié à l’usage de codéine, risque particulièrement marqué chez les enfants.
En pratique, un tel risque concerne pour l’essentiel les personnes métabolisant très rapidement la codéine en morphine (et ce via le cytochrome CYP2D6) – morphine qui diminue les performances de la fonction respiratoire. Et pour l’EMA, le rythme de métabolisation est variable et imprévisible avant 12 ans. Elle souligne que, dans la littérature spécialisée, on recense quatorze cas (dont quatre mortels) d’intoxication liés à des traitements codéinés (toux ou d’infections respiratoires) chez des très jeunes enfants.
Cette nouvelle contre-indication est associée à des restrictions complémentaires : contre-indication chez les «métaboliseurs ultra-rapides» connus, ainsi que chez les femmes enceintes. Quant aux enfants et adolescents de 12 à 18 ans «présentant des problèmes respiratoires», les antitussifs codéinés ne sont «plus recommandés». L’EMA rappelle que d’une manière générale le rhume et la toux guérissent généralement spontanément. Dès lors, pourquoi traiter avec de la codéine alors même que les preuves de son efficacité sont très limitées ? Et ce d’autant que plusieurs recommandations savantes établissent que les épisodes de toux associés aux infections virales peuvent être gérés de manière satisfaisante via un accroissement de l’humidité ambiante. Quant à la toux chronique, sa prise en charge relève, en toute logique, du traitement de l’affection sous-jacente.