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ISO 690 | Galluzzo, C., W., Chappuis, F., Kaiser, L., Chikungunya : la réémergence, Rev Med Suisse, 2015/473 (Vol.11), p. 1012–1016. DOI: 10.53738/REVMED.2015.11.473.1012 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2015/revue-medicale-suisse-473/chikungunya-la-reemergence |
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MLA | Galluzzo, C., W., et al. Chikungunya : la réémergence, Rev Med Suisse, Vol. 11, no. 473, 2015, pp. 1012–1016. |
APA | Galluzzo, C., W., Chappuis, F., Kaiser, L. (2015), Chikungunya : la réémergence, Rev Med Suisse, 11, no. 473, 1012–1016. https://doi.org/10.53738/REVMED.2015.11.473.1012 |
NLM | Galluzzo, C., W., et al.Chikungunya : la réémergence. Rev Med Suisse. 2015; 11 (473): 1012–1016. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2015.11.473.1012 |
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Arboviral diseases transmitted by mosquitoes such as Dengue, Chikungunya and West Nile are global health issues of growing magnitude. Their dissemination in new areas is triggered by increased mobility of persons, animal reservoirs and vectors. This article describes virological, epidemiological and clinical aspects of Chikungunya, which causes sporadic cases or epidemics, sometimes massive, such as the one spreading in the Americas since December 2013. Chikungunya should be suspected in all travellers presenting with fever, arthralgia and sometimes a rash returning from an endemic area. In the absence of vaccine, individual protection relies on the prevention of mosquito bites.
Plusieurs arboviroses transmises par des moustiques, comme la dengue, le chikungunya ou le West Nile, constituent un problème de santé globale en augmentation. Leur dissémination vers de nombreuses régions du monde est notamment liée à la mobilité croissante des personnes, réservoirs animaux et vecteurs. Cet article décrit les aspects virologiques, épidémiologiques et cliniques de l’infection par le virus chikungunya, responsable de cas sporadiques ou d’épidémies parfois massives, comme celle survenant depuis décembre 2013 dans les Amériques. Le diagnostic de chikungunya devrait être évoqué chez tout voyageur présentant une affection fébrile accompagnée de douleurs articulaires et parfois d’un rash au retour d’une zone endémique. En l’absence de vaccin, la protection individuelle repose sur la prévention des piqûres de moustique.
Une femme de 42 ans, depuis sept mois en Guadeloupe, consulte notre service le 11 juin 2014. Le 11 mai, elle a présenté un état fébrile jusqu’à 40°C accompagné de douleurs généralisées, nécessitant un alitement de plusieurs jours. Elle rapporte également des œdèmes au niveau des articulations, des adénopathies et un rash apparus quatre jours après la fièvre. Un traitement symptomatique a apporté un soulagement pendant la phase aiguë mais des douleurs articulaires persistent au niveau des poignets et des membres inférieurs. Les examens physique et sanguins sont normaux hormis la sérologie pour le virus chikungunya positive pour les IgM et IgG signant une infection récente.
En 2014, le diagnostic de chikungunya a été confirmé dans notre service chez neuf autres patients de retour d’Haïti (n = 6, mai-juin), République dominicaine (n = 1, juillet), Venezuela (n = 1, septembre) et Salvador (n = 1, octobre). En janvier et février 2015, une femme de retour de Colombie et un homme de retour d’Haïti ont déjà été diagnostiqués pour le chikungunya.
Le virus chikungunya (CHIKV) est un alphavirus transmis par les moustiques de type Aedes, qui piquent la journée. En moins de dix ans, il s’est propagé de la côte kenyane à travers l’océan Indien, le Pacifique et les Caraïbes, causant des millions de cas dans plus de 50 pays.1 De nombreuses études réalisées pendant cette période ont permis de mieux connaître ce pathogène autrefois négligé ainsi que les manifestations cliniques, responsables d’une importante morbidité.
Le CHIKV a été décrit pour la première fois en 1952 à la frontière entre la Tanzanie et le Mozambique. Il en existe trois sous-types distincts, selon leur origine géographique et leur génotype : West Africa (Nigeria, Sénégal, etc.), East/Central/South Africa (ECSA) (Cameroun, Gabon, etc.) et Asian.2 Les sous-types africains se maintiennent dans un cycle sylvatique et enzootique comprenant des moustiques Aedes et des primates non humains (figure 1). Les infections humaines, surtout rurales, mènent à des épidémies rarement reconnues dans les années 1960 et 1990. Le sous-type Asian a ensuite été introduit en Asie avec une première épidémie décrite en 1958 en Thaïlande.2 Il y est surtout transmis d’humain à humain par les moustiques Aedes (A.) aegypti et plus récemment A. albopictus (moustique tigre), très anthropophiles, dans un cycle urbain dont le réservoir est humain (figure 1).3 Plusieurs épidémies importantes s’en sont suivies en Inde et en Asie du Sud-Est parallèlement à une transmission sporadique.
En 2004, une large épidémie due à la souche Indian Ocean Lineage (IOL), une évolution du sous-type ECSA, se déclare sur l’île de Lamu et la côte kenyane, suivie en 2005 de flambées séquentielles aux Comores, à la Réunion et dans d’autres îles de l’océan Indien.2 A la Réunion, environ 226 000 cas sont rapportés, soit 34% de la population de l’île. La mutation survenue durant cette épidémie rend le virus environ cent fois plus infectieux pour A. albopictus, seul vecteur réunionnais compétent.4 Cette souche va ensuite ravager le sous-continent indien en 2005-2006, en accumulant de nouvelles mutations, faisant plus d’un million et demi de cas.
Elle est également isolée en août 2007 au nord de l’Italie dans une région infestée par une forte concentration d’A. albopictus. Il s’agit de la première épidémie (> 200 cas) hors de la zone tropicale, déclenchée par la visite à ses proches d’une personne virémique originaire d’Inde. En France, deux cas autochtones sont rapportés dans le sud-est suite au développement de la maladie chez une femme de retour d’Inde en septembre 2010, puis à la fin de l’été 2014, quatre personnes tombent malades à Montpellier dans le voisinage d’un voyageur souffrant du CHIKV de retour d’Afrique centrale.5
En décembre 2013, le premier cas de transmission locale de CHIKV dans les Amériques est confirmé à St-Martin aux Caraïbes. De façon inattendue, il s’agit de la souche Asian, liée au virus circulant alors en Indonésie, en Chine et aux Philippines.1 Le moustique A. aegypti, introduit aux Antilles lors de la traite des esclaves originaires d’Afrique, est le principal vecteur du CHIKV dans la région.2 Après St-Martin, la Martinique rapporte des cas puis, en janvier 2014, la transmission locale s’étend à la Guadeloupe, St-Barthélemy, la République dominicaine et les Iles Vierges britanniques. En février, le CHIKV a atteint le continent en Guyane française avant de poursuivre sa route.5 Au mois de juillet, la Floride déclare deux premiers cas autochtones.2 De nombreux pays du continent américain sont maintenant atteints aussi bien en Amérique centrale que du Sud (figure 2).6
En plus de la dissémination du sous-type Asian depuis les Caraïbes, le Brésil rapporte depuis septembre 2014 une épidémie due à la souche africaine ECSA dans l’Etat de Bahia.7 Ce sous-type du CHIKV est sujet à différentes mutations le rendant plus virulent et mieux adapté à A. albopictus, dont la large distribution dans les zones urbaines et suburbaines du Brésil et d’autres pays d’Amérique est une préoccupation majeure.8 Les malades étant hautement virémiques pendant la phase aiguë de la maladie, le cycle humain-moustique permet une dissémination rapide du virus, favorisée par une forte densité de population et une absence d’immunité de masse.1 En outre, l’établissement d’un cycle sylvatique avec une amplification sauvage du virus est envisageable si les singes du Nouveau Monde survivent à la maladie.
Dans notre pratique, au Service de médecine tropicale et humanitaire des HUG, le CHIKV est devenu un pathogène courant depuis le milieu des années 2000. Le nombre et la provenance des cas vus à notre consultation ainsi que ceux déclarés à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) suivent l’actualité sanitaire mondiale (figures 3 et 4).9
Suite à la piqûre du moustique infecté, le virus se réplique localement dans la peau puis migre vers les ganglions lymphatiques avant de se disséminer vers les organes cibles (foie, muscles, articulations, cerveau) par voie hématogène à l’intérieur des monocytes et des macrophages.3 Après une incubation de deux à quatre jours (extrêmes : 1-12 jours), la maladie est caractérisée par une fièvre élevée d’apparition brutale, des frissons, des céphalées, une photophobie puis un rash pétéchial ou maculopapulaire, associés à des arthralgies. Une atteinte hépatique et des adénopathies sont rarement constatées. En aigu, les arthralgies se présentent parfois avec un tableau clinique d’arthrite incluant rougeur, chaleur et œdème localisés. Des myalgies sont spécifiquement ressenties au niveau du bas du dos et des membres inférieurs. «Chikungunya» est un mot Makondé (Tanzanie et Mozambique) signifiant «celui qui se plie» en référence à la posture adoptée par le patient.10 L’infection aiguë est habituellement autolimitée et dure sept à dix jours dont trois à cinq de fièvre.
Contrairement à de nombreuses arboviroses, le taux d’infections asymptomatiques est estimé à seulement 15%.10 Des complications oculaires, neurologiques (méningite et encéphalite) et cardiaques peuvent survenir mais la mortalité reste basse (0,4%).10 Les personnes à risque de maladies sévères sont les nouveau-nés, surtout lors de transmission verticale à la naissance, les personnes de plus de 65 ans et celles souffrant de comorbidités.1
Une lymphopénie et une thrombopénie ainsi qu’une élévation des transaminases sont courantes.
L’atteinte rhumatologique (polyarthralgies, polyarthrites, ténosynovites, phénomène de Raynaud)11 persistante ou récidivante est souvent invalidante et fluctue avec le temps, touchant toujours les mêmes articulations, principalement périphériques et de manière symétrique.1 Une infection des fibroblastes et ostéoblastes associée à une infiltration de cellules inflammatoires en serait la cause comme le suggèrent l’antigène et l’ARN du virus retrouvés dans le tissu synovial des articulations touchées.1 Le passage à la chronicité varie selon les pays, de 0 à 4,1% à trois mois au Gabon et en Malaisie, à 60% à trois ans à la Réunion.3 Une étude réalisée à Chennai, en Inde, a montré que l’âge (> 35 ans), le nombre d’articulations touchées (> 4), la présence d’œdèmes articulaires, d’un rash et d’une fièvre élevée sont des facteurs prédictifs d’arthralgies persistantes.12 Une autre étude menée pendant l’épidémie de 2005-2006 à la Réunion montre que la sévérité de la phase précoce de la maladie (œdème articulaire, humeur dépressive et arrêt de travail prolongé) influence négativement la guérison à long terme et augmente le risque d’arthrite.13 Une revue de la littérature, parue en 2013, met heureusement en évidence une résolution des symptômes articulaires à 3-5 ans postinfection chez 90% des patients.14 Des mutations du CHIKV, comme celles retrouvées avec le sous-type ECSA, le rendraient plus virulent et capable d’interférer avec les défenses innées de l’hôte, contribuant à une atteinte articulaire sévère et prolongée.7 Ceci pourrait expliquer l’importance de ces manifestations lors de l’épidémie à la Réunion.
L’infection aiguë ouvre le diagnostic différentiel de l’état fébrile de retour de voyage avec un court temps d’incubation, même si rash et arthralgies évoquent une infection par le CHIKV. Dans les pays endémiques, elle peut être difficile à distinguer cliniquement de la dengue ou de la malaria, et cette dernière doit être exclue en premier lieu.3
Le diagnostic est suspecté cliniquement après exclusion d’autres maladies fébriles tropicales traitables. Les anticorps anti-CHIKV IgM peuvent être détectés dès le cinquième jour des symptômes et persister pendant plusieurs mois ; les IgG sont détectables quelques jours après.10 La répétition de la sérologie à dix jours permet, le cas échéant, l’interprétation d’un premier résultat douteux. La méthode d’immunofluorescence utilisée aux HUG a d’excellentes sensibilité et spécificité même si des réactions croisées sont possibles avec des virus du complexe Semliki Forest comme le virus O’Nyong Nyong. Une RT-PCR (reverse transcription – real time – polymerase chain reaction) est également disponible pour le diagnostic de formes aiguës sévères comme lors d’encéphalite. Elle est réalisable sur différents liquides biologiques dont le sang et le LCR,15 sachant que le pic de virémie est atteint entre les premier et troisième jours des symptômes.3
Aucun traitement spécifique n’est disponible. L’emploi du paracétamol et des AINS ainsi que le repos pendant la phase articulaire aiguë sont d’usage. Le développement d’un vaccin a commencé en 1967 sans succès, mais des efforts accrus dus à la réémergence de la maladie dans les années 2000 ont mené à plusieurs candidats actuellement en cours d’évaluation.3
Il est important de recommander aux voyageurs partant dans des zones à risque les mesures de protection efficace contre les piqûres de moustique, notamment diurnes. C’est en effet le seul moyen de prévention individuel contre cette maladie, comme l’est la lutte antivectorielle au niveau de santé publique.
D’après Rezza,5 l’augmentation de la mobilité humaine est un facteur-clé pour la dissémination à longue distance des maladies infectieuses. Alors que les personnes infectées en provenance de zones endémiques ou épidémiques jouent le rôle de cheval de Troie, les moustiques locaux agissent comme vecteurs compétents pour ces virus. La présence des souches Asian et ECSA du CHIKV, capables de s’adapter et d’évoluer, associée à une population immunologiquement naïve et une haute densité d’A. aegypti rendent hautement probable l’établissement d’une endémicité dans les Caraïbes, ainsi que dans les zones tropicales et subtropicales d’Amérique latine et du sud des Etats-Unis.2
Si des épidémies ponctuelles de chikungunya peuvent être attendues en zones tempérées pendant la saison chaude, le risque d’endémicité est faible. En effet, de longues périodes de haute température sont nécessaires à la réplication du virus dans A. albopictus, et A. aegypti nécessite des hivers avec des températures supérieures à 10°C pour s’établir.5
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La propagation du virus chikungunya (CHIKV) à travers le monde rend ce diagnostic de plus en plus fréquent chez les voyageurs
> Le diagnostic de CHIKV doit être suspecté chez tout voyageur fébrile présentant des douleurs articulaires de retour de zone endémique ; la confirmation diagnostique se fait par sérologie
> Bien que généralement bénigne, la maladie a une morbidité potentielle non négligeable au vu des arthralgies persistant longtemps après la phase aiguë
> La prévention contre les piqûres d’insectes est la meilleure façon de se protéger d’une infection par le CHIKV
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